La Chine a construit plus de 250 nouveaux centres de données : miracle numérique ou bulle technologique ?
Auteur: Jacques Pj Provost
Depuis quelques années, la Chine a littéralement multiplié la construction de centres de données à travers tout le pays, avec plus de 250 nouveaux sites bâtis ou en cours d’achèvement. Ce phénomène spectaculaire, alimenté par l’essor de l’intelligence artificielle, du cloud computing et de la transformation numérique, soulève autant d’espoirs que d’interrogations. S’agit-il d’une révolution technologique durable, ou la Chine fait-elle face à une surcapacité qui menace de se transformer en bulle ? Plongée dans les coulisses d’un boom numérique sans précédent.
Une course effrénée à la puissance de calcul

Objectif : devenir le leader mondial de l’IA
La Chine ne cache plus ses ambitions : rattraper et dépasser les États-Unis dans la course à l’intelligence artificielle. Pour y parvenir, Pékin a lancé en 2023 un plan colossal visant à augmenter de plus de 50 % sa puissance de calcul d’ici 2025, avec un objectif de 300 exaflops. Aujourd’hui, le pays a déjà atteint 246 exaflops, soit 26 % du total mondial, juste derrière les États-Unis. Ce bond technologique s’appuie sur la multiplication des centres de données, soutenue par des gouvernements locaux, des opérateurs télécoms et des investisseurs privés.
Un investissement massif et stratégique
Depuis 2022, la Chine a investi plus de 6,1 milliards de dollars dans ses centres de données, sans compter les 28 milliards de dollars d’investissements privés qui ont afflué vers huit vastes clusters nationaux. Cette stratégie s’inscrit dans le cadre du projet “Eastern Data, Western Computing”, qui vise à répartir la puissance de calcul entre l’est, plus urbain, et l’ouest, riche en énergie bon marché.
Des centres de données partout… mais pour quoi faire ?

Une surcapacité inquiétante
Si la Chine a vu naître plus de 250 nouveaux centres, certains experts estiment que le chiffre réel de projets annoncés en 2023 et 2024 dépasse les 500. Pourtant, cette explosion de l’offre ne s’accompagne pas toujours d’une demande suffisante. Selon des études récentes, jusqu’à 80 % des ressources informatiques nouvellement construites restent inutilisées. Les taux d’utilisation des CPU plafonnent à 5 % dans certains centres, révélant une inadéquation flagrante entre la capacité installée et les besoins réels du marché.
Des centres mal situés et sous-exploités
Pour bénéficier de coûts énergétiques plus faibles, de nombreux centres ont été construits dans des régions éloignées comme la Mongolie intérieure ou le Xinjiang. Problème : ces sites sont loin des principaux centres économiques (Pékin, Shanghai, Shenzhen), ce qui limite leur attractivité et leur utilisation. Résultat : des infrastructures ultra-modernes mais désertées, qui peinent à trouver leur public.
Les défis énergétiques et écologiques

Une consommation électrique exponentielle
Les centres de données chinois consomment déjà de 0,9 à 2,7 % de l’électricité nationale, soit près de 200 TWh en 2025, avec des projections à 400 TWh d’ici 2030. Cette demande énergétique colossale pose un défi majeur, notamment en matière d’émissions de CO2, qui pourraient représenter 1 % du total national d’ici la fin de 2025.
Vers des centres de données plus verts
Face à ces enjeux, la Chine a lancé un plan d’action pour construire des centres “efficaces, propres et circulaires”. L’objectif est de réduire le PUE (Power Usage Effectiveness) des vastes centres à 1,25 d’ici 2025, contre 1,54 en 2021. Plusieurs provinces encouragent l’intégration d’énergies renouvelables (solaire, éolien, hydroélectricité) et l’innovation, comme le déploiement de centres sous-marins pour limiter les besoins en refroidissement.
Une bulle technologique en formation ?

Des investissements à haut risque
L’enthousiasme autour de l’IA a poussé entreprises publiques, sociétés cotées et fonds d’investissement à se précipiter sur le marché des centres de données. Mais, aujourd’hui, la frénésie retombe : la majorité de ces infrastructures peinent à être rentabilisées. Beaucoup d’acteurs, parfois inexpérimentés, ont construit des installations mal adaptées aux besoins réels, générant une surcapacité coûteuse.
Consolidation et innovation : la voie de la résilience
Pour éviter l’effondrement du secteur, la tendance est désormais à la consolidation : fusion des centres, mutualisation des ressources, virtualisation et adoption de solutions hyperconvergées. Les acteurs influents misent sur l’automatisation, la modularité et l’intelligence artificielle pour optimiser l’utilisation des infrastructures existantes et répondre à la demande croissante de services numériques et de stockage sécurisé.
Conclusion : entre miracle numérique et leçons à tirer

La Chine a indéniablement réussi son pari de devenir l’un des géants mondiaux de l’infrastructure numérique, en construisant plus de 250 centres de données en un temps record. Mais, cette réussite s’accompagne de défis majeurs : surcapacité, gaspillage de ressources, enjeux énergétiques et nécessité d’adapter l’offre à la demande réelle. L’avenir du secteur passera par l’innovation, la consolidation et la transition vers des centres plus verts et plus intelligents. La ruée vers les data centers chinois est-elle un miracle numérique ou une bulle sur le point d’éclater ? Seul l’avenir le dira, mais une chose est sûre : le monde entier observe de près ce laboratoire géant de la transformation digitale.