Thaïlande : le gouvernement au bord de l’effondrement après la fuite d’un appel téléphonique
Auteur: Jacques Pj Provost
La Thaïlande est plongée dans une crise politique d’une intensité rare. En quelques heures, le gouvernement de la Première ministre Paetongtarn Shinawatra s’est retrouvé au bord du gouffre, fragilisé par la fuite explosive d’un appel téléphonique avec l’ancien dirigeant cambodgien Hun Sen. Entre démissions fracassantes, manifestations de rue et menaces de coup d’État, le royaume vacille. Voici comment un simple enregistrement a déclenché la tempête la plus redoutée du pays.
La fuite qui a tout fait basculer

Un appel téléphonique qui sème la discorde
Tout commence par la diffusion sur les réseaux sociaux d’un enregistrement téléphonique entre la Première ministre Paetongtarn Shinawatra et Hun Sen, figure incontournable du Cambodge. Dans cette conversation, la dirigeante thaïlandaise, âgée de 38 ans, cherche à apaiser les tensions à la frontière, récemment ravivées par la mort d’un soldat khmer. Mais c’est la forme, plus que le fond, qui indigne : Paetongtarn s’adresse à Hun Sen en l’appelant « oncle », une formule de politesse courante en Asie, mais jugée trop familière, voire soumise, par ses adversaires politiques.
Un geste perçu comme une trahison nationale
Pour les conservateurs et l’armée, ce ton jugé trop révérencieux est un affront. Le parti Bhumjaithai, pilier de la coalition gouvernementale, claque la porte en dénonçant une perte de « dignité » pour le peuple et l’armée thaïlandais. En quelques heures, la majorité parlementaire ne tient plus qu’à un fil, laissant planer la menace d’élections anticipées ou d’un changement brutal de gouvernement.
Une coalition au bord de l'implosion

Le départ du principal allié
La coalition menée par le parti Pheu Thai de Paetongtarn Shinawatra était déjà fragile. Le retrait soudain des 69 députés du Bhumjaithai, furieux de l’attitude de la Première ministre, plonge l’exécutif dans l’incertitude. L’Assemblée, fragmentée et coutumière des retournements de veste, bruisse de rumeurs de nouvelles alliances et de tractations en coulisses.
Des scénarios explosifs sur la table
Plusieurs options s’affrontent : dissolution du Parlement pour organiser des élections sous 60 jours, nomination d’un nouveau chef du gouvernement, voire intervention directe de l’armée. L’histoire récente du pays, marquée par une douzaine de coups d’État depuis 1932, fait craindre le pire. Les militaires, tout en réaffirmant leur attachement aux « principes démocratiques », rappellent qu’ils sont prêts à défendre la « souveraineté nationale ».
La rue gronde, la pression monte

Manifestations et appels à la démission
Dans les rues de Bangkok, la colère monte. Des centaines de manifestants, dont des anciens « Chemises jaunes » royalistes, se rassemblent devant le palais du gouvernement pour réclamer la démission de Paetongtarn. Les slogans fusent, les pancartes s’accumulent : la confiance du peuple est brisée, affirment-ils, et seule une nouvelle équipe pourrait restaurer l’ordre et la stabilité.
L’opposition réclame la tête de la Première ministre
Le parti du Peuple, principale force d’opposition, emboîte le pas. Son leader, Natthaphong Ruengpanyawut, dénonce une crise « au plus haut niveau » qui exige une réponse immédiate : la démission de la Première ministre. Même certains alliés traditionnels du gouvernement hésitent à lui renouveler leur soutien, redoutant de se retrouver emportés par la tourmente.
La famille Shinawatra, éternelle cible

Un nom qui divise la Thaïlande
Depuis plus de vingt ans, la famille Shinawatra est au cœur des tempêtes politiques thaïlandaises. Thaksin, le père de Paetongtarn, et sa tante Yingluck ont tous deux été chassés du pouvoir par des coups d’État. Leur popularité dans les campagnes contraste avec la méfiance, voire l’hostilité, des élites militaro-royalistes. Le retour de Thaksin en 2023, après quinze ans d’exil, n’a fait qu’attiser les tensions.
Des rumeurs de pacte avec l’armée
Certains soupçonnent un accord secret entre la famille Shinawatra et l’armée pour maintenir la coalition actuelle, ce qui alimente la défiance chez les partisans de la démocratie comme chez les conservateurs. Le moindre faux pas, comme cet appel téléphonique, suffit à tout faire basculer.
Une économie déjà fragilisée, un avenir incertain

La bourse dévisse, l’économie vacille
La crise politique ne pouvait pas tomber plus mal pour la Thaïlande. L’économie, déjà fragilisée par la conjoncture mondiale et les tensions commerciales, subit de plein fouet l’instabilité : la Bourse de Bangkok a perdu près de 2,4 % en une journée. Les investisseurs s’inquiètent d’une possible paralysie du pays ou d’un nouveau cycle de violence politique.
Des relations internationales sous tension
Le ministère thaïlandais des Affaires étrangères a adressé une lettre de protestation à l’ambassadeur cambodgien, accusant Hun Sen d’avoir sciemment publié l’enregistrement pour gagner en popularité, sans égard pour les conséquences diplomatiques. La frontière, déjà sous tension, pourrait devenir le théâtre de nouveaux incidents.
Conclusion : la Thaïlande à la croisée des chemins

La Thaïlande vit un moment décisif de son histoire politique. La fuite d’un simple appel téléphonique a mis à nu toutes les failles du système : rivalités anciennes, défiance envers l’armée, fragilité des alliances, colère populaire et incertitude économique. L’avenir du gouvernement de Paetongtarn Shinawatra ne tient plus qu’à un fil. Le royaume, habitué aux crises, saura-t-il éviter le chaos et trouver le chemin de l’apaisement ? Une chose est sûre : la saga politique thaïlandaise est loin d’être terminée, et le monde entier a les yeux rivés sur Bangkok.