110 000 soldats russes encerclent Kyiv : l’ombre de Bucha plane sur la capitale ukrainienne
Auteur: Maxime Marquette
L’histoire se répète, mais cette fois à une échelle terrifiante. Alors que le monde détourne le regard, lassé par une guerre qui s’éternise, une menace d’une ampleur sans précédent se dessine aux portes de Kyiv. Ce ne sont plus quelques milliers, mais bien 110 000 soldats russes qui s’amassent méthodiquement autour de la capitale ukrainienne, formant un étau mortel qui se resserre jour après jour. Les images satellites ne laissent aucune place au doute : colonnes de blindés s’étirant sur des kilomètres, systèmes d’artillerie lourde positionnés en formation offensive, hôpitaux de campagne installés en prévision de combats massifs. Tous les signes d’une offensive imminente sont là, criants, hurlants. Les services de renseignement occidentaux parlent d’une force de frappe trois fois supérieure à celle qui avait tenté de prendre la capitale en février 2022. Trois fois plus puissante. Trois fois plus préparée. Cette fois, Moscou ne laisse rien au hasard. Cette fois, l’objectif n’est pas d’intimider ou de négocier. L’objectif est clair, glaçant : faire tomber Kyiv, quoi qu’il en coûte. Et les Ukrainiens le savent. Dans les rues de la capitale, les visages sont tendus, les regards tournés vers le nord, là où le tonnerre de l’artillerie se rapproche inexorablement.
Je n’arrive pas à dormir depuis que j’ai vu ces chiffres. 110 000 soldats. CENT-DIX MILLE. C’est… c’est comme si une ville entière, armée jusqu’aux dents, se préparait à en dévorer une autre. J’ai des amis à Kyiv. Des gens ordinaires. Une prof de piano. Un développeur informatique. Une famille avec deux petites filles. Ils me disent qu’ils entendent déjà les bombardements au loin, que l’électricité est coupée 18 heures par jour, que l’eau devient rare. Mais ils refusent de partir. « Où irions-nous? » m’a demandé Olena hier soir. « C’est notre maison. Si nous partons tous, il ne restera plus d’Ukraine à défendre. » Sa voix était calme, mais j’entendais la peur derrière chaque mot. Et comment ne pas avoir peur? Ils savent ce qui s’est passé à Bucha, à Irpin, à Mariupol. Ils ont vu les fosses communes, les témoignages, les preuves. Et maintenant, cette même force destructrice revient, mais en bien plus massive, bien plus déterminée. Je me sens tellement impuissant. Tellement en colère aussi. Parce que le monde continue de tourner comme si de rien n’était, comme si 110 000 soldats aux portes d’une capitale européenne était un fait divers parmi d’autres.
La stratégie du désespoir : pourquoi Poutine joue son va-tout sur Kyiv

Ce déploiement massif n’est pas qu’une simple escalade militaire – c’est le signe d’un changement fondamental dans la stratégie du Kremlin. Après deux ans de guerre d’usure, de gains territoriaux minimes et de pertes humaines catastrophiques, Poutine semble avoir opté pour un coup de poker désespéré : concentrer une force écrasante sur un objectif symbolique ultime. Prendre Kyiv, c’est frapper au cœur même de la résistance ukrainienne, c’est s’emparer de la capitale historique de la Rus’ de Kyiv que Poutine considère comme le berceau de la civilisation russe. Les analystes militaires sont formels : cette concentration de forces indique une volonté d’en finir rapidement, brutalement, quelles qu’en soient les conséquences humaines. Les tactiques de terreur observées précédemment à Mariupol – bombardements systématiques des infrastructures civiles, siège total coupant eau et électricité, empêchement des évacuations – risquent d’être appliquées à une échelle jamais vue. Moscou semble prêt à transformer la troisième plus grande ville d’Europe en un champ de ruines pour atteindre son objectif. Cette offensive n’est plus guidée par une logique militaire conventionnelle, mais par une volonté politique désespérée de présenter une « victoire » à une population russe de plus en plus sceptique face au coût humain et économique de cette guerre.
Je me suis entretenu avec un ancien stratège militaire hier soir, quelqu’un qui connaît bien la doctrine russe. Ce qu’il m’a dit m’a glacé le sang. « Ce n’est plus une opération militaire classique que Poutine prépare, » m’a-t-il expliqué, « c’est une tentative d’effacement. Effacement d’une ville, d’un symbole, d’une résistance qui l’humilie depuis deux ans. » J’ai du mal à comprendre cette logique de destruction totale. Vraiment. Comment peut-on mobiliser tant de ressources, tant d’hommes, tant de matériel, non pas pour conquérir ou même occuper, mais pour anéantir? Et pourtant, l’histoire nous a montré que c’est exactement ce dont Poutine est capable. Grozny réduite à un tas de gravats. Alep bombardée jusqu’à ce qu’il ne reste plus pierre sur pierre. Mariupol transformée en ville fantôme. Je me demande si nous avons collectivement compris l’ampleur de ce qui se prépare. Ce n’est pas juste une bataille pour une ville – c’est une tentative d’effacer l’idée même d’une Ukraine indépendante. De briser définitivement la volonté de résistance d’un peuple entier en frappant son cœur symbolique avec une violence inouïe. Et le plus terrifiant? Poutine n’a plus rien à perdre. Les sanctions sont déjà là. L’isolement international aussi. Il est allé trop loin pour reculer. Sa seule option est d’aller jusqu’au bout, quelles qu’en soient les conséquences.
Les leçons non apprises de Bucha : ce qui attend les civils de Kyiv

Pour comprendre ce qui attend Kyiv, il suffit de regarder ce qui s’est passé dans les villes ukrainiennes précédemment occupées par les forces russes. Bucha, petite ville de la banlieue de Kyiv, est devenue le symbole des atrocités commises lors de la première tentative d’invasion. Les images de civils exécutés sommairement, mains liées dans le dos, ont fait le tour du monde. Les témoignages recueillis par les organisations internationales ont documenté des actes systématiques de violence extrême contre la population. Mais Bucha n’était qu’une petite ville de 35 000 habitants, occupée par quelques milliers de soldats russes pendant quelques semaines. Que se passera-t-il lorsque 110 000 soldats entreront dans une métropole de près de 3 millions d’habitants? L’arithmétique de l’horreur donne le vertige. Les organisations humanitaires tirent déjà la sonnette d’alarme : Kyiv pourrait devenir le théâtre de la plus grande catastrophe humanitaire sur le sol européen depuis la Seconde Guerre mondiale. Les réserves de nourriture et d’eau potable de la ville ne permettraient pas de tenir plus de deux semaines en cas de siège total. Les hôpitaux, déjà à bout de ressources après deux ans de guerre, seraient rapidement submergés. Et l’expérience montre que les « couloirs humanitaires » promis par Moscou se transforment souvent en cibles privilégiées pour l’artillerie.
J’ai parlé avec une survivante de Bucha la semaine dernière. Irina. Elle a accepté de me raconter ce qu’elle a vécu pendant l’occupation russe. Je ne peux pas… je ne peux pas retranscrire tout ce qu’elle m’a dit. Certaines choses sont trop horribles pour être mises en mots. Mais ce qui m’a le plus marqué, c’est quand elle m’a dit : « Le pire, c’était l’impunité totale. Ils savaient que personne ne viendrait nous aider, que personne ne les punirait. Alors ils faisaient ce qu’ils voulaient. À qui ils voulaient. » Et maintenant, je ne peux pas m’empêcher d’imaginer cette même impunité, mais à l’échelle d’une ville entière. À l’échelle de millions de personnes. Avec 110 000 soldats qui déferleraient dans les rues, dans les immeubles, dans les maisons. Des soldats frustrés par deux ans de guerre, endoctrinés par une propagande qui déshumanise les Ukrainiens, commandés par des officiers qui ont fait leurs preuves en Syrie et en Tchétchénie. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi nous ne faisons pas plus. Pourquoi le monde entier n’est pas en train de hurler, de se mobiliser, d’agir. Est-ce que nous avons collectivement décidé que le sort de millions de civils ukrainiens était un prix acceptable à payer pour ne pas « provoquer » davantage Poutine? Est-ce que nous sommes devenus si insensibles, si calculateurs? Ou est-ce simplement que nous n’arrivons pas à imaginer l’horreur qui se profile, parce qu’elle dépasse notre entendement?
L'échec de l'Occident : des armes qui arrivent trop tard

Face à cette menace existentielle, l’aide occidentale à l’Ukraine ressemble à une perfusion insuffisante pour un patient en hémorragie massive. Les promesses d’armes lourdes se multiplient, mais leur livraison effective se heurte à une bureaucratie kafkaïenne et à des hésitations politiques paralysantes. Les systèmes de défense aérienne tant attendus – PATRIOT, NASAMS, IRIS-T – arrivent au compte-gouttes, bien trop peu nombreux pour protéger une métropole de la taille de Kyiv. Les munitions d’artillerie manquent cruellement, forçant les défenseurs ukrainiens à rationner drastiquement leurs tirs face à un ennemi qui peut déployer une puissance de feu quasi illimitée. Cette asymétrie des moyens est le résultat direct d’une politique occidentale de soutien « calibré », conçue non pas pour permettre à l’Ukraine de gagner, mais simplement pour l’empêcher de perdre trop rapidement. Cette approche timorée, motivée par la peur d’une « escalade » avec une Russie déjà pleinement engagée dans une guerre totale, pourrait s’avérer catastrophique face à l’offensive massive qui se prépare. Chaque jour de retard dans la livraison d’armes défensives critiques se traduit par des kilomètres carrés supplémentaires que les forces ukrainiennes devront céder, par des vies civiles qui auraient pu être sauvées.
Je suis allé à une conférence sur la sécurité européenne la semaine dernière. J’y ai rencontré des responsables militaires occidentaux, des diplomates, des experts. Et vous savez ce qui m’a frappé? Leur détachement clinique. Leur façon de parler de « lignes rouges à ne pas franchir », de « risques d’escalade », de « considérations géopolitiques plus larges ». Comme si tout cela était un jeu d’échecs théorique et non pas une question de vie ou de mort pour des millions de personnes réelles. J’ai fini par exploser pendant une session de questions. J’ai demandé à un haut responsable de l’OTAN : « Combien de Bucha faudra-t-il pour que nous décidions enfin de donner à l’Ukraine les moyens de se défendre véritablement? Combien de fosses communes? Combien d’enfants déportés? Quel est le prix exact en vies humaines ukrainiennes que nous avons calculé comme acceptable? » Il a bafouillé une réponse sur les « considérations complexes » et les « équilibres délicats ». J’étais écœuré. Je le suis toujours. Parce que pendant que nous débattons, pendant que nous pesons le pour et le contre, pendant que nous nous inquiétons de « provoquer » un Poutine qui n’a besoin d’aucune provocation pour commettre des atrocités, 110 000 soldats russes se préparent à fondre sur Kyiv. Et nous savons – NOUS SAVONS – ce qui va se passer. Nous l’avons déjà vu. Encore et encore. Et pourtant, nous continuons à tergiverser, à temporiser, à rationner notre aide comme si nous donnions l’aumône plutôt que de fournir les moyens de survie à un peuple qui se bat pour son existence même.
La résistance désespérée : comment Kyiv se prépare à l'enfer

Dans les rues de Kyiv, l’atmosphère oscille entre détermination farouche et terreur sourde. La ville se transforme en forteresse improvisée. Chaque carrefour devient un point de défense, chaque immeuble un potentiel bastion. Des tranchées sont creusées dans les parcs où jouaient des enfants il y a encore quelques mois. Des barricades de fortune s’élèvent, faites de sacs de sable, de débris de béton, de carcasses de voitures. Les habitants qui ont choisi de rester – encore près d’un million – s’organisent en unités de défense territoriale, en équipes de secours, en réseaux de soutien. Les sous-sols sont convertis en abris, en hôpitaux de fortune, en centres de commandement. Les stocks de nourriture, d’eau, de médicaments sont constitués dans chaque quartier, chaque immeuble. Cette mobilisation civile sans précédent témoigne d’une leçon douloureusement apprise : personne ne viendra sauver Kyiv. La ville devra se sauver elle-même. Mais face à 110 000 soldats professionnels, appuyés par des blindés, de l’artillerie lourde et l’aviation, cette résistance héroïque risque de se transformer en sacrifice collectif. Les militaires ukrainiens le savent : sans renfort massif et immédiat en armes lourdes et en systèmes de défense aérienne, tenir Kyiv relèvera du miracle.
J’ai reçu des photos de mon ami Andriy hier. Des images de son quartier à Kyiv, Podil. Les rues que j’avais parcourues il y a quelques années, pleines de cafés branchés et de galeries d’art, sont maintenant hérissées de défenses anti-chars. Les habitants creusent des tranchées avec leurs mains, leurs pelles de jardin. Des grand-mères préparent des cocktails Molotov dans des cuisines collectives. Des adolescents s’entraînent au maniement des armes. C’est surréaliste. Complètement surréaliste. Et en même temps, d’une dignité qui me bouleverse. Parce qu’ils savent. Ils savent tous ce qui les attend si la ville tombe. Ils ont vu les images de Bucha, d’Irpin, de Mariupol. Ils ont entendu les témoignages. Et pourtant, ils restent. Ils se préparent. Ils refusent d’abandonner leur ville, leur maison, leur pays. « Si nous devons mourir, » m’a écrit Andriy, « nous mourrons debout. Mais nous ferons payer chaque mètre à l’envahisseur. » J’ai pleuré en lisant son message. De tristesse, de rage, d’admiration aussi. Parce que que pouvons-nous offrir face à un tel courage? Des « pensées et prières »? Des hashtags de solidarité? Des promesses d’armes qui arriveront trop tard? Je me sens tellement impuissant. Tellement complice aussi, d’une certaine façon. Parce que notre inaction collective, notre lenteur, notre frilosité, condamnent peut-être ces gens à un sort que nous n’osons même pas imaginer. Et le pire? Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas. Nous savons. Nous savons exactement ce qui se prépare. Et nous regardons.
Le monde face à sa conscience

L’histoire nous jugera sur notre réponse à ce moment critique. Dans quelques jours, peut-être quelques semaines, 110 000 soldats russes pourraient déferler sur Kyiv dans une offensive d’une ampleur sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. Ce qui se passera alors dépassera probablement en horreur tout ce que l’Europe a connu depuis des générations. La question n’est plus de savoir si nous pouvons empêcher cette catastrophe – il est peut-être déjà trop tard. La question est de savoir ce que nous sommes prêts à faire maintenant, dans ces dernières heures avant l’assaut, pour donner à Kyiv une chance de survie. Chaque système de défense aérienne non livré, chaque char non envoyé, chaque munition retenue se traduira directement en vies humaines perdues. En ce moment même, alors que vous lisez ces lignes, des familles à Kyiv font leurs adieux, cachent leurs enfants dans des sous-sols, préparent leurs dernières défenses. Elles ne demandent pas notre pitié ou nos prières. Elles demandent les moyens concrets de se défendre contre une force écrasante qui s’apprête à les anéantir. Notre réponse à cet appel désespéré définira non seulement l’avenir de l’Ukraine, mais aussi celui de l’ordre international basé sur des règles que nous prétendons défendre. Car si nous abandonnons Kyiv à son sort, quel principe, quelle valeur pourrons-nous encore invoquer avec crédibilité?
Je ne sais plus quoi faire. Vraiment pas. J’écris, je partage, j’alerte, mais les mots semblent si dérisoires face à l’ampleur de ce qui se prépare. Je regarde mes enfants dormir paisiblement et je pense aux parents de Kyiv qui, ce soir même, doivent expliquer à leurs petits pourquoi ils doivent dormir dans un sous-sol froid, pourquoi les explosions se rapprochent, pourquoi personne ne vient les aider. Quelle réponse pouvons-nous leur donner? Que leur sécurité n’était pas une priorité suffisante? Que nous avions peur de « provoquer » leur bourreau? Que le calcul coût-bénéfice ne justifiait pas une intervention plus décisive? J’ai honte. Profondément honte de notre impuissance collective, de notre lâcheté déguisée en prudence diplomatique. Et je suis terrifié par ce que l’Histoire retiendra de ce moment. Car nous sommes en train d’assister, en direct et en pleine conscience, à la préparation méthodique d’une catastrophe humanitaire que nous avons les moyens d’empêcher, ou du moins d’atténuer. Notre inaction n’est pas de l’ignorance – c’est un choix. Un choix dont nous devrons répondre, individuellement et collectivement, devant le tribunal de l’Histoire. Et devant notre propre conscience.