Les promesses de Carney : entre espoir et scepticisme, le compte à rebours est lancé
Auteur: Maxime Marquette
Mark Carney a fait une entrée fracassante sur la scène politique canadienne. L’ancien gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre, désormais Premier ministre, s’est engagé à transformer le pays en profondeur avant la fête nationale du 1er juillet. Un délai serré, ambitieux, peut-être même téméraire. Mais dans un contexte de crise économique persistante, de tensions géopolitiques croissantes et d’une population de plus en plus impatiente, Carney semble convaincu que seules des mesures rapides et radicales pourront redonner confiance aux Canadiens. Son programme, aussi vaste qu’audacieux, comprend des baisses d’impôts substantielles, un renforcement des alliances militaires avec l’Europe, et l’élimination des obstacles au commerce intérieur. Des promesses qui résonnent comme une rupture nette avec les politiques de son prédécesseur, mais qui soulèvent une question cruciale : ces engagements sont-ils réalistes dans un délai aussi court, ou s’agit-il simplement d’un coup d’éclat politique destiné à marquer les esprits? À l’heure où le sablier s’écoule inexorablement, l’horloge tourne pour le nouveau Premier ministre, et avec elle, les attentes d’une nation entière.
Les « cent premiers jours » constituent traditionnellement une période déterminante pour tout nouveau gouvernement. Ce concept, hérité de la présidence de Franklin D. Roosevelt aux États-Unis pendant la Grande Dépression, s’est imposé comme un baromètre de l’efficacité et de la détermination d’un leader fraîchement investi. Pour Carney, ce délai symbolique coïncide avec la fête du Canada, créant ainsi une échéance à forte charge émotionnelle et patriotique. Cette convergence n’est certainement pas fortuite : elle témoigne d’une volonté de lier son action politique à l’identité nationale canadienne, de présenter ses réformes non pas comme de simples ajustements techniques, mais comme une refondation du contrat social canadien. Cependant, gouverner n’est pas diriger une banque centrale. Les obstacles bureaucratiques, les résistances institutionnelles, les compromis nécessaires avec les provinces et les différents groupes d’intérêt constituent autant de freins potentiels à cette ambition transformatrice. La question n’est donc pas seulement de savoir si Carney tiendra ses promesses, mais aussi comment il naviguera dans les eaux tumultueuses de la politique canadienne, où les écueils sont nombreux et parfois invisibles jusqu’à ce qu’il soit trop tard.
La réforme fiscale : le grand pari économique

Au cœur des promesses de Carney figure une réforme fiscale ambitieuse qui vise à alléger le fardeau des ménages canadiens tout en stimulant l’économie. Le nouveau Premier ministre s’est engagé à réduire significativement l’impôt sur le revenu des particuliers, avec un accent particulier sur les classes moyennes et modestes. Cette mesure, si elle se concrétise, représenterait la plus importante baisse d’impôts depuis une génération. Parallèlement, Carney a promis de simplifier drastiquement le code fiscal, jugé trop complexe et inefficace. Cette simplification s’accompagnerait d’une élimination de nombreuses niches fiscales qui, selon lui, profitent principalement aux plus fortunés et aux grandes entreprises. Pour compenser partiellement ces baisses d’impôts, le gouvernement envisage d’introduire une taxe sur les super-profits des institutions financières et des géants technologiques, ainsi qu’un renforcement de la lutte contre l’évasion fiscale. Cette approche, qui combine des mesures populaires de réduction d’impôts avec des initiatives visant les secteurs les plus prospères de l’économie, témoigne d’une volonté de réconcilier stimulation économique et justice sociale.
Cependant, les défis techniques et politiques associés à une telle réforme sont considérables. D’abord, toute modification substantielle du système fiscal requiert généralement des mois, voire des années de préparation, de consultations et d’ajustements. Les projections budgétaires doivent être minutieusement calculées pour éviter de creuser excessivement le déficit public, déjà mis à mal par les dépenses liées à la pandémie. Ensuite, la coordination avec les provinces, qui disposent de leurs propres compétences fiscales, s’annonce particulièrement délicate. Plusieurs premiers ministres provinciaux ont déjà exprimé des réserves quant à certains aspects de la réforme, craignant qu’elle n’empiète sur leurs prérogatives ou ne réduise leurs recettes. Enfin, les groupes d’intérêt, des syndicats aux associations d’entreprises, se mobilisent déjà pour influencer le contenu final de la réforme. Dans ce contexte, la capacité de Carney à maintenir le cap tout en bâtissant les coalitions nécessaires sera déterminante. Sa réputation de technocrate brillant mais parfois inflexible pourrait se révéler être à la fois un atout et un handicap dans cette entreprise périlleuse.
La défense et les relations internationales : un virage atlantiste

En matière de politique étrangère et de défense, Carney a annoncé un renforcement significatif des liens avec l’Europe, notamment à travers un nouvel accord de défense qui placerait le Canada au cœur du dispositif de sécurité transatlantique. Cette orientation marque un changement notable par rapport à la politique traditionnelle du Canada, généralement plus centrée sur sa relation privilégiée avec les États-Unis. Le Premier ministre a justifié ce virage par la nécessité de diversifier les alliances du pays dans un contexte géopolitique de plus en plus incertain, caractérisé par la montée des tensions avec la Russie et la Chine. Concrètement, cet accord prévoirait une augmentation substantielle des dépenses militaires canadiennes, qui passeraient de 1,4% à 2% du PIB conformément aux engagements pris dans le cadre de l’OTAN. Il inclurait également des programmes conjoints de développement d’armements avec plusieurs pays européens, ainsi qu’une présence militaire canadienne renforcée sur le flanc est de l’Alliance, notamment dans les pays baltes et en Pologne.
Cette nouvelle orientation stratégique s’accompagne d’une révision de la politique commerciale du Canada. Carney a promis de finaliser rapidement plusieurs accords de libre-échange en négociation avec des partenaires européens et asiatiques, tout en cherchant à rééquilibrer la relation commerciale avec les États-Unis, jugée trop asymétrique. Le Premier ministre a notamment évoqué la nécessité de réduire la dépendance canadienne envers le marché américain, qui absorbe actuellement près de 75% des exportations du pays. Cette diversification commerciale viserait non seulement à renforcer la résilience économique du Canada face aux soubresauts de la politique américaine, mais aussi à créer de nouvelles opportunités pour les entreprises canadiennes sur des marchés en forte croissance. Toutefois, cette réorientation stratégique soulève des questions quant à la réaction de Washington, traditionnellement peu enclin à voir son influence diminuer dans ce qu’il considère comme son arrière-cour. La capacité de Carney à naviguer entre renforcement des liens européens et préservation de la relation spéciale avec les États-Unis constituera un test majeur de son habileté diplomatique.
Le commerce intérieur : s'attaquer à un problème historique

L’une des promesses les plus audacieuses de Carney concerne l’élimination des barrières commerciales interprovinciales, un problème qui mine l’économie canadienne depuis la Confédération. Le Premier ministre a qualifié la situation actuelle d' »absurde », soulignant qu’il est souvent plus facile pour une entreprise canadienne de commercer avec des partenaires étrangers qu’avec des provinces voisines. Ces obstacles prennent diverses formes : réglementations divergentes, normes incompatibles, restrictions à la mobilité de la main-d’œuvre, ou encore politiques d’approvisionnement favorisant les fournisseurs locaux. Selon plusieurs études économiques, ces barrières coûteraient à l’économie canadienne entre 50 et 130 milliards de dollars annuellement, soit l’équivalent de 4% à 7% du PIB. Pour remédier à cette situation, Carney propose un accord national sur le commerce intérieur qui harmoniserait les réglementations provinciales dans des secteurs clés comme l’énergie, les transports, les services financiers et les marchés publics. Cet accord inclurait également un mécanisme contraignant de règlement des différends, permettant de surmonter les résistances provinciales.
Toutefois, cette ambition se heurte à des obstacles constitutionnels et politiques considérables. Le fédéralisme canadien accorde aux provinces des compétences exclusives dans de nombreux domaines, et toute tentative du gouvernement fédéral d’imposer une harmonisation pourrait être perçue comme une ingérence inacceptable. Les précédentes initiatives en ce sens, notamment l’Accord sur le commerce intérieur de 1995 et l’Accord de libre-échange canadien de 2017, n’ont produit que des résultats mitigés, précisément en raison de ces sensibilités provinciales. De plus, certaines provinces, particulièrement le Québec, craignent qu’une trop grande harmonisation ne menace leur identité culturelle et leurs spécificités sociales. Face à ces résistances, Carney devra déployer des trésors de diplomatie et proposer des compromis acceptables pour toutes les parties. Sa stratégie semble reposer sur une combinaison d’incitations financières, de pressions publiques et d’appels au patriotisme économique. Reste à voir si cette approche sera suffisante pour surmonter des décennies de rivalités interprovinciales et d’intérêts divergents.
L'innovation et la technologie : le pari sur l'avenir

Le quatrième pilier des promesses de Carney concerne l’innovation et la technologie, domaines dans lesquels le Canada accuse un retard par rapport à ses principaux concurrents internationaux. Le Premier ministre a dévoilé un plan ambitieux visant à faire du pays un leader mondial de l’intelligence artificielle et des technologies vertes d’ici la fin de la décennie. Ce plan comprend la création d’un fonds souverain d’innovation doté de 25 milliards de dollars, destiné à financer des projets technologiques stratégiques et à soutenir les startups canadiennes prometteuses. Carney a également annoncé une réforme majeure du système de crédits d’impôt pour la recherche et le développement, jugé trop bureaucratique et insuffisamment ciblé. La nouvelle approche privilégierait les secteurs considérés comme prioritaires pour l’avenir économique du Canada : l’intelligence artificielle, la biotechnologie, les énergies renouvelables et l’informatique quantique. En parallèle, le gouvernement s’engage à moderniser l’infrastructure numérique du pays, avec un objectif d’accès universel à l’internet haut débit d’ici 2025 et des investissements massifs dans la cybersécurité.
Pour concrétiser cette vision technologique, Carney mise sur un partenariat renforcé entre le secteur public, les universités et l’industrie privée. Il propose la création de « supergrappes d’innovation » régionales, inspirées du modèle de la Silicon Valley, où chercheurs, entrepreneurs et investisseurs pourraient collaborer étroitement. Ces pôles d’excellence seraient soutenus par des politiques d’immigration ciblées visant à attirer les meilleurs talents internationaux dans les domaines technologiques stratégiques. Le Premier ministre a notamment évoqué la création d’un « visa tech » accéléré pour les professionnels hautement qualifiés. Cette stratégie d’innovation s’inscrit dans une vision plus large de transformation de l’économie canadienne, traditionnellement dépendante des ressources naturelles, vers un modèle davantage axé sur l’économie du savoir et les industries à forte valeur ajoutée. Toutefois, les critiques soulignent que de telles transitions prennent généralement des décennies, et non des mois, remettant en question la faisabilité des objectifs à court terme annoncés par le gouvernement.
Le test de crédibilité

À l’approche de la fête du Canada, Mark Carney se trouve face à un défi de taille : transformer des promesses ambitieuses en réalisations concrètes dans un délai extraordinairement court. L’ampleur et la diversité des engagements pris – réforme fiscale, renforcement des alliances européennes, élimination des barrières commerciales interprovinciales et boost à l’innovation technologique – témoignent d’une vision globale pour le Canada, mais soulèvent également des questions légitimes quant à leur faisabilité. Le Premier ministre joue gros : s’il parvient à concrétiser ne serait-ce qu’une partie significative de son programme avant le 1er juillet, il pourrait asseoir sa crédibilité et générer un élan politique précieux pour la suite de son mandat. En revanche, un échec ou des résultats trop partiels risqueraient d’entamer son capital politique et de renforcer l’image d’un technocrate déconnecté des réalités du terrain. Au-delà des mesures spécifiques, c’est peut-être la méthode Carney qui est testée : sa capacité à transposer dans l’arène politique les qualités qui ont fait son succès dans le monde de la finance centrale – rigueur analytique, prise de décision rapide, communication claire.
Pour les Canadiens, ces prochaines semaines seront révélatrices de la direction que prendra le pays sous cette nouvelle gouvernance. Les promesses de Carney touchent à des enjeux fondamentaux qui façonneront l’avenir économique, social et géopolitique du Canada. La réforme fiscale pourrait redéfinir le contrat social canadien et la relation entre citoyens et État. Le virage atlantiste en matière de défense et de commerce pourrait transformer la place du pays sur l’échiquier mondial. L’élimination des barrières interprovinciales pourrait renforcer l’unité nationale ou, au contraire, exacerber les tensions régionales. Et le pari sur l’innovation pourrait déterminer la prospérité des générations futures. Face à ces enjeux cruciaux, les Canadiens oscillent entre espoir et scepticisme, entre désir de changement et crainte de l’inconnu. À l’heure où le compte à rebours s’accélère vers la fête nationale, une chose est certaine : le 1er juillet 2023 ne sera pas seulement l’occasion de célébrer le pays, mais aussi de juger si son nouveau dirigeant est à la hauteur de ses ambitions déclarées. Pour Carney, la véritable fête du Canada sera celle où il pourra dire : promesse tenue.