La russie manipule les échanges de corps : mensonges, confusion et dissimulation de ses pertes
Auteur: Maxime Marquette
Des échanges sous haute tension : la stratégie du flou orchestrée par Moscou
Depuis plusieurs mois, les échanges de prisonniers et de dépouilles entre l’Ukraine et la Russie sont devenus un terrain de manœuvre aussi sensible que le front lui-même. Officiellement, chaque camp s’engage à restituer à l’autre les corps de ses soldats tombés, dans le respect des accords humanitaires négociés à Istanbul. Mais la réalité est bien plus trouble. À chaque nouveau transfert, le même scénario se répète : l’Ukraine reçoit des centaines, parfois plus d’un millier de corps, censés être ceux de ses défenseurs. Mais à l’heure de l’identification, les doutes s’accumulent. Passeports russes retrouvés dans les poches, papiers étrangers, identités impossibles à vérifier : tout indique que Moscou mêle délibérément des soldats russes parmi les dépouilles ukrainiennes. Cette confusion n’est pas un accident, mais une tactique cynique, destinée à brouiller les pistes, à minimiser ses propres pertes et à alimenter sa propagande.
Les chiffres officiels sont révélateurs de cette opacité. Lors du dernier échange, l’Ukraine a reçu 1 245 corps, portant à plus de 6 000 le nombre de dépouilles restituées en une semaine. En retour, la Russie n’a récupéré que 78 corps. Ce déséquilibre, loin d’être anodin, sert la narration russe : il s’agit de montrer que l’Ukraine subit des pertes massives, bien supérieures à celles de la Russie. Pourtant, à chaque rapatriement, le centre ukrainien de coordination pour les prisonniers de guerre doit accélérer le processus d’identification, car il devient de plus en plus difficile de distinguer les nationalités. Le ministre ukrainien de l’Intérieur, Igor Klymenko, l’a affirmé : Moscou envoie sciemment des corps de soldats russes, parfois même de mercenaires étrangers, pour gonfler artificiellement le nombre de victimes ukrainiennes et masquer l’ampleur de ses propres pertes.
Cette manipulation n’est pas nouvelle. Déjà en mars et en avril, lors d’échanges similaires, l’Ukraine avait reçu plus de 900 corps à chaque fois, tandis que la Russie ne revendiquait qu’une quarantaine de dépouilles. Les listes transmises par Moscou sont souvent incomplètes, les identités floues, les vérifications impossibles à mener dans l’urgence. Résultat : des familles ukrainiennes attendent en vain, tandis que la Russie continue de diffuser des chiffres invérifiables, affirmant que pour chaque soldat russe perdu, quinze ou dix-sept Ukrainiens seraient tombés. Un récit destiné à semer le doute, à démoraliser l’adversaire et à détourner l’attention de ses propres pertes colossales.
La guerre des chiffres : Moscou gonfle les pertes ukrainiennes pour masquer ses propres échecs

La manipulation des échanges de corps n’est qu’un aspect d’une stratégie plus large : celle de la guerre des chiffres. Depuis le début du conflit, la Russie s’efforce de présenter l’Ukraine comme un pays saigné à blanc, incapable de résister à la puissance de Moscou. À chaque communiqué, le Kremlin annonce des pertes ukrainiennes faramineuses : un soldat russe tombé pour quinze ou dix-sept Ukrainiens, selon les versions. Mais ces chiffres, invérifiables, servent avant tout à masquer la réalité : la Russie subit elle aussi des pertes massives, que le pouvoir cherche à minimiser à tout prix.
Les données indépendantes, compilées à partir des cimetières, des réseaux sociaux et des témoignages de familles, dressent un tout autre tableau. Plus de 70 000 soldats russes auraient déjà perdu la vie en Ukraine, un chiffre sans doute sous-estimé tant le contrôle de l’information est strict. Parmi eux, de nombreux volontaires, d’anciens prisonniers, des mobilisés envoyés au front sans préparation. Les vagues d’assaut, qualifiées de « hachoir à viande » par les soldats eux-mêmes, se soldent par des centaines de morts en une seule journée. Mais Moscou préfère détourner l’attention, multiplier les appels aux volontaires, éviter une nouvelle mobilisation officielle qui risquerait de provoquer la colère de la population.
Dans ce contexte, chaque échange de corps devient une opération psychologique. En envoyant des dépouilles russes parmi les corps ukrainiens, Moscou cherche à gonfler artificiellement les pertes de Kiev, à alimenter la propagande sur l’effondrement imminent de l’Ukraine, à semer le doute dans les familles et à décourager les combattants. Cette stratégie vise aussi à éviter de devoir annoncer de nouvelles pertes à la population russe, à masquer l’ampleur du désastre, à préserver l’image d’une armée invincible. Mais la réalité finit toujours par émerger, et les familles, privées de vérité, paient le prix de ce mensonge d’État.
Ce cynisme me révolte. Utiliser les morts comme monnaie d’échange, comme outil de désinformation, c’est franchir un seuil d’inhumanité. Les chiffres ne sont pas neutres : ils servent à façonner la perception du conflit, à manipuler les émotions, à justifier la poursuite de la guerre. Mais derrière chaque statistique, il y a des vies brisées, des familles endeuillées, une société qui souffre. La Russie peut bien multiplier les mensonges, la vérité finit toujours par remonter à la surface. Et c’est à nous, journalistes, de la porter, coûte que coûte.
Une opération psychologique : semer la confusion, diviser, démoraliser

u-delà de la simple dissimulation des pertes, la stratégie russe vise à semer la confusion au sein de la société ukrainienne. En mêlant les corps, en retardant les identifications, en diffusant des chiffres contradictoires, Moscou cherche à affaiblir la confiance du peuple ukrainien envers ses dirigeants. Les familles, plongées dans l’incertitude, doutent, s’interrogent, parfois accusent leur propre gouvernement de négligence. Cette guerre psychologique s’inscrit dans une logique de long terme : diviser la société, démoraliser les soldats, affaiblir la résistance.
Les échanges de prisonniers et de dépouilles, qui devraient être des moments de soulagement, deviennent ainsi des sources d’angoisse, de frustration, de colère. Les autorités ukrainiennes, pourtant rigoureuses dans le respect des accords, se retrouvent accusées de lenteur, de manque de transparence, de négligence. Moscou exploite chaque faille, chaque retard, chaque erreur pour nourrir la défiance, pour semer la zizanie, pour affaiblir la cohésion nationale. Les plateformes internationales, de l’ONU à la PACE, sont instrumentalisées pour relayer ces récits, pour donner une légitimité à la propagande russe.
Mais cette stratégie a ses limites. Plus la Russie manipule, plus elle se discrédite aux yeux de la communauté internationale. Les ONG, les experts, les familles elles-mêmes commencent à dénoncer ces pratiques, à exiger des enquêtes, à réclamer la vérité. La pression monte, la colère gronde, et Moscou risque de se retrouver piégée par sa propre stratégie. Car à force de mentir, de manipuler, de jouer avec la douleur des familles, le Kremlin s’expose à un retour de bâton, à une perte de légitimité, à l’isolement diplomatique.
Je ressens un mélange de tristesse et de colère devant cette instrumentalisation de la douleur humaine. La guerre, déjà atroce, devient encore plus inhumaine quand elle s’attaque à la mémoire des morts, à la dignité des familles, à la vérité elle-même. Mais je garde l’espoir que la lumière finira par percer, que la vérité triomphera du mensonge, que la justice sera rendue à ceux qui ont tout perdu. C’est notre devoir, en tant que journalistes, de continuer à enquêter, à dénoncer, à porter la voix de ceux que l’on veut faire taire.
La guerre des morts, la bataille pour la vérité

Refuser la manipulation, rendre justice aux victimes
La stratégie russe de manipulation des échanges de corps et de prisonniers révèle une facette particulièrement sombre du conflit : celle d’une guerre menée jusque dans la mort, où la vérité elle-même devient une arme. En mêlant des dépouilles russes parmi les corps ukrainiens, en gonflant artificiellement les pertes de Kiev, en semant la confusion et la défiance, Moscou cherche à masquer ses propres échecs, à diviser l’adversaire, à manipuler l’opinion. Mais cette stratégie, aussi cynique soit-elle, ne peut durer indéfiniment. La vérité finit toujours par émerger, les familles réclament justice, la communauté internationale s’indigne.
Pour l’Ukraine, la priorité reste de rapatrier ses défenseurs, de rendre hommage à ceux qui sont tombés, de respecter la dignité des morts. Pour la Russie, chaque manipulation, chaque mensonge, chaque tentative de dissimulation ne fait qu’accroître le fossé avec la vérité, avec la justice, avec l’humanité. La guerre des morts est une bataille pour la mémoire, pour la dignité, pour la vérité. Et c’est un combat qui mérite d’être mené, jusqu’au bout.
En refermant ce dossier, je ressens la gravité de la tâche qui nous incombe. Il ne s’agit pas seulement de compter les morts, mais de rendre justice à leur histoire, à leur famille, à leur sacrifice. La guerre ne doit pas avoir le dernier mot. La vérité, même malmenée, finit toujours par triompher. Et c’est à chacun de nous de veiller à ce qu’elle ne soit jamais oubliée.