Syrie : Trump efface la ligne rouge, le groupe HTC n’est plus « organisation terroriste étrangère »
Auteur: Jacques Pj Provost
Un décret qui fait trembler les certitudes
Le 7 juillet 2025, l’administration Trump a signé ce que d’aucuns qualifieraient d’acte de rupture absolue : la révocation du statut d’« organisation terroriste étrangère » pour le groupe islamiste Hay’at Tahrir al-Sham (HTC), pilier de la nouvelle Syrie, ex-branche d’al-Qaïda, artisan de la chute de Bachar al-Assad. Un geste qui, sur le papier, semble n’être qu’une ligne dans le Federal Register. Mais dans la réalité, c’est un séisme. Un séisme à la fois politique, diplomatique, moral. Un séisme qui secoue les alliances, les convictions, les peurs. Un séisme qui, soudain, rend tout possible, tout fragile, tout suspect. Car derrière la décision, il y a une histoire, une guerre, des morts, des trahisons, des deals secrets, des rêves de paix et des cauchemars de revanche. Derrière la décision, il y a la Syrie, ce pays qu’on croyait condamné à l’enfer, et qui, d’un coup, se retrouve propulsé au cœur du jeu mondial. Derrière la décision, il y a Trump, encore lui, imprévisible, brutal, cynique, ou visionnaire, selon le camp. Derrière la décision, il y a nous, spectateurs incrédules, ballotés entre fascination et effroi.
HTC : de la clandestinité à la légitimité internationale
Ce groupe, autrefois traqué, bombardé, diabolisé, se retrouve, en l’espace d’un décret, propulsé sur la scène internationale. HTC, qui fut la matrice syrienne d’al-Qaïda, qui a mené des offensives éclairs, qui a renversé Assad, qui a promis la démocratie tout en gardant l’ombre du djihad, devient, par la grâce d’une signature, un interlocuteur fréquentable. Un acteur avec lequel on traite, on négocie, on construit. Un acteur qui, désormais, n’est plus synonyme de sanctions, de gel d’avoirs, d’isolement. Un acteur qui, soudain, peut prétendre à l’aide internationale, à la reconstruction, à la reconnaissance. Mais à quel prix ? À quel risque ? À quelle vitesse la mémoire collective peut-elle s’ajuster, oublier, pardonner ? La question brûle les lèvres, hante les chancelleries, divise les opinions.
Trump et Sharaa : la rencontre qui a tout changé
Il y a eu ce sommet à Riyad, en mai. Trump, le président américain, et Ahmed al-Sharaa, le nouveau leader syrien, ancien chef de guerre, se sont serré la main. Un geste, une photo, et le monde a vacillé. Quelques semaines plus tard, la décision tombe : HTC n’est plus un ennemi, mais un partenaire potentiel. Les sanctions américaines s’effacent, la porte s’entrouvre. La diplomatie internationale retient son souffle. La Russie observe, l’Iran s’inquiète, l’Europe hésite, Israël avance ses pions. La Syrie, elle, se réveille d’un cauchemar pour plonger dans une incertitude totale. L’histoire s’accélère, le temps se contracte, l’avenir s’écrit dans la confusion.
HTC : De l’ombre à la lumière, un parcours sinueux

De la filiation al-Qaïda à la rupture stratégique
HTC, c’est d’abord une histoire de ruptures. Rupture avec al-Qaïda en 2016, rupture avec la clandestinité, rupture avec la logique du djihad global. HTC, c’est la métamorphose d’un groupe qui, pour survivre, a su se réinventer, se purifier, se vendre comme l’alternative crédible à la dictature d’Assad. Mais la rupture est-elle réelle ? Ou n’est-ce qu’un masque, une stratégie, une illusion ? Les experts s’écharpent, les preuves manquent, les soupçons persistent. Pourtant, la communauté internationale a fini par céder, par croire, ou faire semblant de croire, à la conversion démocratique d’HTC. La realpolitik a triomphé, une fois de plus, sur la mémoire des victimes.
La chute d’Assad : victoire ou mirage ?
Décembre 2024. La Syrie retient son souffle. HTC, allié à d’autres factions islamistes, lance une offensive éclair. En quelques jours, le régime d’Assad s’effondre. Les images font le tour du monde : palais déserté, drapeaux noirs et blancs flottant sur Damas, scènes de liesse mêlées à des regards inquiets. Victoire ? Mirage ? La peur change de camp, mais la peur demeure. Les anciens bourreaux fuient, les nouveaux maîtres s’installent. HTC promet la justice, la reconstruction, l’inclusion. Mais dans les ruines, les cicatrices restent béantes. Les familles cherchent leurs morts, les exilés hésitent à revenir, les minorités tremblent. La victoire a le goût amer de l’incertitude.
Une légitimité toujours contestée
Malgré la reconnaissance américaine, HTC reste un paria pour beaucoup. L’ONU maintient ses sanctions, l’Europe tergiverse, la Russie grince des dents. Les ONG dénoncent les exactions passées, les arrestations arbitraires, les zones d’ombre. Les alliés d’hier deviennent des adversaires prudents. HTC, désormais au pouvoir, doit faire ses preuves, convaincre, rassurer. Mais comment effacer des années de guerre, de haine, de propagande ? Comment bâtir la confiance quand tout le monde attend le faux pas, la rechute, la trahison ? Le chemin vers la légitimité est long, semé d’embûches, de pièges, de regards soupçonneux.
Les dessous de la décision américaine : stratégie ou aveuglement ?

Sanctions levées, portes ouvertes : les enjeux économiques
La levée du statut d’« organisation terroriste étrangère » n’est pas qu’un geste symbolique. C’est un sésame. Un sésame pour les banques, les entreprises, les investisseurs. Un sésame pour la reconstruction d’un pays exsangue, pour le retour des capitaux, pour l’ouverture des marchés. La Syrie, longtemps isolée, peut enfin respirer, commercer, bâtir. Mais à quel prix ? Les États-Unis, en levant les sanctions, prennent le pari de la stabilité, de la croissance, de la normalisation. Mais ils prennent aussi le risque de voir les anciens réseaux djihadistes se reconstituer, de voir l’argent servir à d’autres fins, moins avouables. Le pari est audacieux, dangereux, peut-être suicidaire. Mais il est pris, et il engage tout le monde.
Le calcul géopolitique de Trump
Trump n’a jamais caché son goût pour les coups d’éclat. En réhabilitant HTC, il bouleverse la donne régionale. Il affaiblit l’Iran, qui perd un allié de poids. Il met la Russie devant ses contradictions, elle qui soutenait Assad jusqu’au bout. Il tend la main à Israël, qui voit d’un bon œil la montée en puissance d’un pouvoir sunnite modéré à ses frontières. Il envoie un signal à l’Europe : la Syrie n’est plus un problème, mais une opportunité. Mais ce calcul, aussi brillant soit-il, repose sur des bases fragiles. Les alliances sont mouvantes, les intérêts divergents, les trahisons fréquentes. La Syrie n’est pas un échiquier, c’est un champ de mines.
Les réactions internationales : entre stupeur et prudence
À l’ONU, la nouvelle fait l’effet d’une bombe. Les chancelleries s’agitent, les diplomates s’interrogent. Faut-il suivre les États-Unis, ou maintenir la pression sur HTC ? Faut-il croire à la conversion démocratique, ou redouter un retour du djihadisme ? Les ONG alertent sur les risques, les exilés réclament des garanties, les minorités appellent à la vigilance. Personne ne veut être le dindon de la farce, personne ne veut être complice d’un futur désastre. Mais personne ne veut non plus rater le train de la reconstruction, de la paix, de la normalisation. Le monde hésite, tergiverse, attend. La Syrie, elle, avance, coûte que coûte.
La Syrie au lendemain du séisme : entre espoirs et dangers

Un pays à reconstruire, des vies à recoller
La guerre a laissé la Syrie exsangue. Des villes rasées, des villages vidés, des familles éclatées. La reconstruction sera longue, coûteuse, incertaine. Les infrastructures sont à terre, l’économie en ruine, la société fracturée. HTC promet la réconciliation, la justice, la démocratie. Mais sur le terrain, la réalité est plus complexe. Les rivalités persistent, les rancœurs demeurent, les blessures sont à vif. Les ONG peinent à accéder aux zones sensibles, les journalistes sont surveillés, les opposants craignent pour leur vie. La paix n’est pas un état, c’est un processus, fragile, réversible, menacé à chaque instant. Mais elle est là, en germe, possible, à portée de main.
Les minorités syriennes : entre soulagement et inquiétude
Pour les minorités, la chute d’Assad n’a pas effacé la peur. Les chrétiens, les alaouites, les druzes, tous se demandent ce que leur réserve le nouveau pouvoir. HTC promet l’inclusion, la protection, la tolérance. Mais les souvenirs des exactions, des purges, des discriminations sont encore frais. Beaucoup hésitent à rentrer, à faire confiance, à croire en la parole donnée. Les leaders communautaires réclament des garanties, des gestes forts, des lois. HTC, pour convaincre, devra aller au-delà des promesses, prouver sur le terrain sa capacité à gouverner autrement. La paix ne se décrète pas, elle se construit, jour après jour, geste après geste.
Le retour des exilés : une promesse à tenir
Des millions de Syriens vivent encore en exil. En Turquie, au Liban, en Jordanie, en Europe. Leur retour est la clé de la reconstruction, de la réconciliation, de la renaissance du pays. HTC a lancé des appels, promis l’amnistie, la restitution des biens, la sécurité. Mais les exilés hésitent, doutent, attendent des preuves. Beaucoup ont tout perdu, tout sacrifié. Revenir, c’est prendre un risque, c’est parier sur l’avenir, c’est croire en la capacité du pays à changer. HTC sait que sa légitimité passe par là : convaincre les exilés de revenir, de reconstruire, de croire à nouveau en la Syrie.
Les risques d’une normalisation trop rapide

Le spectre d’un retour du terrorisme
En réhabilitant HTC, les États-Unis prennent un risque majeur : celui de voir ressurgir les réseaux djihadistes, de voir la Syrie redevenir un sanctuaire pour les extrémistes. HTC affirme avoir rompu avec al-Qaïda, avoir changé de doctrine, avoir choisi la voie de la démocratie. Mais les sceptiques rappellent que les idéologies ne meurent jamais vraiment, qu’elles se transforment, se dissimulent, ressurgissent quand on s’y attend le moins. La vigilance s’impose, la surveillance aussi. La paix ne doit pas être un prétexte à l’aveuglement, à la naïveté, à la complaisance.
La tentation autoritaire du nouveau pouvoir
HTC, désormais au pouvoir, doit résister à la tentation de reproduire les schémas autoritaires du passé. La concentration du pouvoir, la répression des opposants, la manipulation de l’information, tout cela menace la fragile démocratie syrienne. Les premiers signes sont ambigus : ouverture politique, mais contrôle des médias ; promesses de justice, mais arrestations arbitraires. Le risque est grand de voir la révolution confisquée, la liberté étouffée, l’espoir trahi. La communauté internationale doit rester vigilante, exigeante, intransigeante sur le respect des droits fondamentaux.
La fragilité des alliances régionales
La nouvelle Syrie, portée par HTC, doit composer avec des voisins méfiants, des alliés volatiles, des ennemis déterminés. L’Iran, la Russie, la Turquie, Israël, tous ont des intérêts, des ambitions, des lignes rouges. La moindre erreur, la moindre provocation, peut rallumer l’incendie. HTC doit naviguer à vue, éviter les pièges, construire des alliances solides, durables, équilibrées. La paix ne sera possible que si la Syrie parvient à s’imposer comme un acteur crédible, responsable, prévisible. Ce n’est pas gagné.
Conclusion : L’aube d’une nouvelle ère ou le début d’un nouveau cycle ?

Un pari sur l’avenir, une page blanche à écrire
La décision de Trump de réhabiliter HTC marque un tournant historique. Pour la Syrie, pour la région, pour le monde. Un pari risqué, audacieux, peut-être nécessaire. Un pari qui ouvre des possibles, mais qui charrie aussi des dangers, des incertitudes, des peurs. La Syrie se retrouve face à elle-même, face à son histoire, face à son avenir. HTC, désormais légitime, doit prouver qu’il est capable de gouverner autrement, de réconcilier, de reconstruire, de protéger. La communauté internationale doit accompagner, mais aussi surveiller, exiger, sanctionner si besoin. La paix, la vraie, ne se décrète pas, elle se construit, patiemment, douloureusement, collectivement. L’histoire jugera.