
Un matin de poussière et de feu
Dans la Bande de Gaza, l’aube ne se lève plus sur des promesses. Elle s’étire, grise, sur des ruines, des files d’attente interminables, des cris étouffés, des regards qui ne cherchent plus la lumière mais la nourriture. Depuis la fin du mois de mai, la distribution de aide alimentaire dans ce territoire assiégé s’est transformée en une scène de chaos récurrent, où la mort rôde, tapie derrière chaque colis, chaque sac de farine, chaque boîte de conserve. Les chiffres sont implacables : plus de 600 morts, des milliers de blessés, des familles décimées alors qu’elles tentaient simplement de survivre. Les faits sont là, bruts, tranchants, indiscutables. Mais derrière les bilans, il y a la peur, la honte, la colère, et cette question qui ronge : comment la faim peut-elle tuer autant que les bombes ?
Des centres de distribution militarisés
Quatre centres, pour deux millions d’âmes. Quatre points d’accès, tous situés dans des zones sous contrôle militaire israélien, entourés de barbelés, de miradors, de talus de terre, surveillés par des agents de sécurité privés, américains et israéliens. La distribution alimentaire n’est plus un acte humanitaire, c’est une opération sous haute tension, une roulette russe quotidienne. Les files s’étirent dès l’aube, les familles se pressent, s’entassent, se bousculent. Le moindre geste, la moindre impatience, la moindre tentative de franchir la clôture, et les tirs partent. Les témoignages s’accumulent, glaçants : « On nous a tirés dessus de 6 heures à 10 heures du matin, tout ça pour qu’on récupère un colis, et encore, on n’est que quelques-uns à en avoir eu un. » Les enfants, les femmes, les vieillards ne sont pas épargnés. La faim ne choisit pas, les balles non plus.
Le blocus, la faim, la peur
Depuis mars, le blocus imposé par Israël a plongé la population dans une pénurie extrême de nourriture, de médicaments, de carburant. Les hôpitaux sont à l’agonie, les ambulances à l’arrêt, l’eau potable se raréfie. La moindre distribution de vivres devient un événement, un espoir, un piège. Les ONG dénoncent un « simulacre » d’aide humanitaire, un dispositif conçu pour humilier, affamer, briser. Médecins sans frontières parle de « massacres à la chaîne », l’ONU évoque des « attaques dirigées contre des civils terrifiés ». Les Palestiniens n’ont plus le choix : mourir de faim ou risquer leur vie pour un sac de riz. Les mots manquent, parfois, pour dire l’indignité.
La faim comme arme, la distribution comme champ de bataille

Des chiffres qui glacent le sang
Entre le 27 mai et le 2 juillet, au moins 640 personnes ont perdu la vie en tentant d’accéder à la aide alimentaire. Plus de 4 400 ont été blessées, souvent par balles, parfois piétinées lors de bousculades incontrôlables. Les enfants représentent 16% des victimes, les femmes 2%, les personnes âgées 2%. Ces chiffres, rapportés par le ministère de la Santé de Gaza et corroborés par l’ONU, ne sont pas des abstractions. Ils incarnent une violence systémique, une stratégie de la faim, une politique du chaos. Les files d’attente deviennent des cibles, les convois humanitaires des mirages. Les survivants racontent des scènes d’apocalypse : des tirs sans sommation, des corps qui s’effondrent, des cris, des courses éperdues vers une porte qui ne s’ouvre jamais.
La GHF, une fondation controversée
La Gaza Humanitarian Foundation (GHF), soutenue par les États-Unis et Israël, organise la distribution de l’aide. Mais son dispositif est dénoncé par Médecins sans frontières, par l’ONU, par de nombreuses ONG. Les centres sont entourés de clôtures, de miradors, de barbelés. Un seul point d’accès, des contrôles stricts, des contractuels armés pour assurer la sécurité. Officiellement, 46 millions de repas auraient été distribués. Officieusement, la mort guette à chaque distribution. La GHF nie tout incident à l’intérieur de ses centres, mais les témoignages affluent, les vidéos circulent, les images parlent. La distribution de vivres est devenue une loterie mortelle, un spectacle indécent, une humiliation de plus.
Des scènes de panique, des tirs, des morts
Les reportages, les vidéos, les témoignages convergent : des scènes de panique, des bousculades, des tirs venus des positions israéliennes, des morts, des blessés, des familles déchirées. Les victimes tombent, parfois pour un sac de farine, parfois pour rien. Les femmes, les enfants, les vieillards sont piétinés, abandonnés, oubliés. Les ambulances n’arrivent pas, les secours sont débordés, les hôpitaux saturés. Les survivants parlent de cauchemars éveillés, de journées sans fin, de nuits sans sommeil. La faim est partout, la peur aussi. On ne sait plus qui blâmer, qui supplier, qui accuser. Les mots tournent en rond, se cognent aux murs, s’épuisent.
Quand la faim tue plus que les bombes

Un blocus implacable
Depuis mars, la Bande de Gaza vit sous un blocus total. La nourriture, les médicaments, le carburant manquent cruellement. Les hôpitaux ferment, les ambulances sont à l’arrêt, les réseaux d’eau s’effondrent. Le carburant s’épuise, les générateurs s’arrêtent, les enfants meurent de déshydratation. Les familles sont déplacées, entassées dans des tentes, des écoles, des ruines. Les ordres de déplacement s’enchaînent, les zones sûres se réduisent, les abris deviennent des pièges. La vie se rétrécit, se fragmente, se dissout dans la peur et la faim. Les ONG tirent la sonnette d’alarme, l’ONU multiplie les appels, mais rien ne change. La crise humanitaire s’aggrave, chaque jour, chaque heure, chaque minute.
Des témoignages à vif
« Les gens se font tirer dessus », répète inlassablement le coordinateur des urgences de Médecins sans frontières à Gaza. « Si les gens arrivent trop tôt, ils se font tirer dessus. S’ils arrivent à l’heure, mais qu’il y a trop de monde, ils se font tirer dessus. S’ils arrivent en retard, ils se font tirer dessus. » Les mots sont simples, terribles, sans détour. Les blessés affluent dans les hôpitaux, souvent sans nom, sans famille, sans espoir. Les médecins doivent choisir qui sauver, qui laisser mourir. Les enfants pleurent, les mères hurlent, les pères se taisent. La faim n’est plus une métaphore, c’est une sentence, une condamnation, un châtiment collectif.
L’aide humanitaire, un mirage
Les convois de l’ONU, de la Croix-Rouge, des ONG internationales peinent à entrer. Les stocks s’épuisent, les distributions sont sporadiques, dangereuses, parfois impossibles. Les travailleurs humanitaires paient un lourd tribut : plus de 100 tués depuis le début de l’année, 479 depuis octobre 2023. Les routes sont coupées, les points de passage fermés, les bombardements reprennent. Les familles attendent, espèrent, désespèrent. La solidarité s’effrite, la colère monte, la résignation gagne. Mais la vie continue, coûte que coûte, dans l’attente d’un miracle, d’une trêve, d’un geste d’humanité.
La violence institutionnalisée : l’aide sous contrôle militaire

Des centres sous haute surveillance
Les centres de distribution sont des forteresses. Un seul point d’accès, des barbelés, des miradors, des postes d’observation. Les files d’attente sont surveillées, encadrées, parfois dispersées par la force. Les contractuels armés, souvent étrangers, imposent leur loi. La distribution de vivres n’est plus un acte de solidarité, c’est une opération militaire, une démonstration de force. Les Palestiniens doivent montrer patte blanche, subir des fouilles, attendre des heures, parfois des jours. Les plus faibles sont repoussés, les plus téméraires sont abattus. Les ONG dénoncent une stratégie de la peur, une politique d’humiliation, une volonté de briser toute résistance.
Des zones interdites, des populations déplacées
Les ordres de déplacement se multiplient. Les familles sont contraintes de quitter leurs maisons, leurs quartiers, leurs souvenirs. Les zones « sûres » se réduisent, les abris sont surpeuplés, insalubres, dangereux. Les écoles, les hôpitaux, les mosquées sont bombardés, détruits, inutilisables. Les populations se concentrent dans des poches de plus en plus petites, de plus en plus précaires. Les ONG parlent de « fragmentation », de « ghettoïsation », de « zones de non-droit ». Les enfants grandissent dans la peur, la faim, la violence. Les adultes survivent, s’accrochent, s’épuisent. La vie devient une lutte, un combat, une fuite en avant.
Le droit international bafoué
Les attaques contre les civils, contre les sites de distribution, contre les convois humanitaires sont des violations graves du droit international. L’ONU, la Croix-Rouge, les ONG le répètent, le dénoncent, l’exigent. Mais les enquêtes tardent, les sanctions n’arrivent pas, l’impunité règne. Les responsables se renvoient la balle, les discours se succèdent, les victimes s’accumulent. La justice semble lointaine, inaccessible, illusoire. Les Palestiniens n’attendent plus rien, ou si peu. Ils réclament juste de quoi survivre, de quoi nourrir leurs enfants, de quoi espérer un lendemain moins sombre. Mais même cela, on leur refuse.
L’impasse humanitaire : plus de questions que de réponses

Des ONG à bout de souffle
Les ONG internationales, Médecins sans frontières, la Croix-Rouge, l’ONU, toutes tirent la sonnette d’alarme. Les stocks s’épuisent, les équipes sont épuisées, les risques sont immenses. Les travailleurs humanitaires tombent, les convois sont attaqués, les hôpitaux sont débordés. Les appels à l’aide se multiplient, mais les réponses tardent, les fonds manquent, la volonté politique s’effrite. La solidarité internationale vacille, la lassitude gagne, l’indifférence menace. Pourtant, sur le terrain, des hommes et des femmes continuent de se battre, de soigner, de nourrir, de protéger. Ils sont les derniers remparts contre le désespoir, les ultimes témoins d’une humanité vacillante.
Des familles brisées, des enfances volées
Les familles sont décimées, dispersées, brisées. Les enfants grandissent trop vite, vieillissent trop tôt, perdent leurs repères, leurs rêves, leur innocence. Les écoles sont fermées, les jeux ont disparu, les rires se sont tus. La faim, la peur, la violence sont devenues le quotidien. Les parents n’ont plus rien à offrir, si ce n’est leur amour, leur courage, leur résilience. Mais cela ne suffit pas toujours. Les traumatismes s’accumulent, les blessures ne se referment pas, les cicatrices restent. La société se délite, la confiance s’effondre, l’avenir s’obscurcit. Mais la vie continue, malgré tout, envers et contre tout.
Un avenir incertain
Personne ne sait ce que demain réserve à la Bande de Gaza. La trêve semble lointaine, la paix inaccessible, la justice illusoire. Les négociations piétinent, les promesses s’envolent, les espoirs s’éteignent. Mais la vie persiste, obstinée, têtue, indomptable. Les familles s’accrochent, les enfants rêvent encore, les ONG résistent. Peut-être qu’un jour, la faim ne sera plus une arme, la distribution de vivres ne sera plus un champ de bataille, la dignité ne sera plus un luxe. Mais pour l’instant, la réalité est brutale, implacable, insupportable. Et il faut la regarder en face, sans détour, sans fard, sans illusion.
Conclusion – La faim, la honte, la mémoire

Regarder la réalité en face
La Bande de Gaza est aujourd’hui le théâtre d’une tragédie silencieuse, d’une violence institutionnalisée, d’une indignité collective. Les distributions alimentaires, censées sauver des vies, deviennent des pièges mortels, des scènes de chaos, des lieux de deuil. Les chiffres sont là, implacables, indiscutables. Mais derrière chaque mort, chaque blessé, il y a une histoire, une famille, un espoir brisé. La communauté internationale regarde, dénonce, s’indigne, mais agit peu. Les responsables se défaussent, les victimes s’accumulent, la honte grandit. Mais la mémoire reste, tenace, indélébile, intransigeante. Il faudra bien, un jour, rendre des comptes. En attendant, il faut continuer à raconter, à témoigner, à dénoncer. Parce que la faim ne doit jamais être une arme. Parce que la dignité ne doit jamais être un luxe. Parce que la vie, même brisée, mérite d’être défendue.
La dignité, dernier rempart
Il ne reste parfois que cela : la dignité. Celle des familles qui refusent de céder à la haine, celle des enfants qui continuent de rêver, celle des humanitaires qui risquent leur vie pour sauver celle des autres. La dignité, c’est ce qui empêche de sombrer, ce qui permet de tenir, d’espérer, de croire encore à un avenir meilleur. La dignité, c’est ce qui distingue l’humain de la bête, le bourreau de la victime, le résigné du résistant. Tant qu’il restera un peu de dignité à Gaza, il restera un espoir. Fragile, ténu, incertain. Mais réel, vivant, indestructible.
Ne pas oublier, ne pas se taire
La Bande de Gaza n’est pas un lointain théâtre d’ombres, un décor pour journaux télévisés, un chiffre dans une colonne de statistiques. C’est une réalité, une urgence, une honte. Il ne faut pas oublier, il ne faut pas se taire, il ne faut pas détourner les yeux. Il faut regarder, comprendre, agir. Chacun à sa manière, chacun à son niveau. Parce que la faim, la peur, la mort ne doivent jamais devenir des banalités. Parce que chaque vie compte, chaque histoire mérite d’être entendue, chaque cri mérite d’être relayé. C’est le minimum, le début, le point de départ. Pour que demain, peut-être, la faim ne tue plus à Gaza.