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Sanctions américaines : la presse russe à l’assaut d’une nouvelle guerre froide
Credit: Adobe Stock

Je me surprends souvent à penser que l’histoire bégaie, qu’elle se joue de nous, qu’elle se répète sous des formes toujours plus sophistiquées, plus insidieuses. Face à la menace de sanctions américaines contre la Russie, il m’est impossible de ne pas ressentir ce parfum âcre de déjà-vu, cette tension électrique qui parcourt les veines de l’actualité. La presse russe, dans sa diversité, devient alors le miroir déformant d’une société en alerte, oscillant entre défiance, ironie et nationalisme exacerbé. Ce qui frappe, c’est la façon dont chaque titre, chaque éditorial, chaque chronique, façonne un récit collectif, une mythologie contemporaine où l’ennemi extérieur sert de catalyseur à la cohésion nationale. Oui, la Russie se cabre, se hérisse, mais derrière cette posture, perce une peur sourde, celle d’un isolement qui pourrait bien la priver de son souffle vital. En tant qu’observateur, je ne peux m’empêcher de voir dans cette dramaturgie médiatique une lutte acharnée pour le contrôle du récit, pour l’imposition d’une vérité qui, souvent, n’a de solide que la force de la répétition.

Le réveil d’une vieille rivalité : la presse russe ressuscite la rhétorique de la guerre froide

Dans les colonnes des grands quotidiens russes, l’annonce de nouvelles sanctions américaines résonne comme un coup de tonnerre dans un ciel déjà chargé. Les éditorialistes, armés de plumes trempées dans l’acide, dénoncent une « agression économique » orchestrée par l’Occident, une tentative éhontée de briser l’échine de la Russie. Les mots claquent, les métaphores fusent : « blocus », « siège », « nouvelle guerre froide ». La presse russe, loin de se cantonner à une analyse froide et distanciée, embrasse la cause nationale avec une ferveur quasi religieuse. Les sanctions sont présentées comme l’ultime avatar d’une hostilité séculaire, une répétition de l’histoire où l’Amérique, fidèle à son rôle de gendarme du monde, cherche à étouffer la voix russe. Les journalistes n’hésitent pas à convoquer le souvenir des années 80, à dresser des parallèles entre Reagan et Biden, entre la chute du Mur et les menaces de Washington. Cette rhétorique, martelée à l’envi, vise à souder la population autour d’un sentiment d’injustice, à transformer l’adversité en moteur de résilience.

Ce qui me frappe, c’est la capacité de la presse russe à manipuler les symboles, à réactiver les vieux réflexes de la guerre froide pour galvaniser l’opinion. Les éditoriaux multiplient les anaphores : « Nous avons résisté, nous résisterons », « Ils ont tenté de nous isoler, ils échoueront ». La métaphore du siège revient comme un leitmotiv, une incantation destinée à conjurer la peur de l’isolement. Mais derrière cette façade de bravade, perce parfois une inquiétude sourde, une angoisse face à l’ampleur des mesures annoncées. Certains analystes, plus lucides, s’interrogent sur la capacité réelle du pays à encaisser le choc, à trouver de nouveaux débouchés pour ses hydrocarbures, à maintenir la stabilité du rouble. La presse, en somme, oscille entre exaltation patriotique et lucidité inquiète, entre fierté blessée et pragmatisme économique.

Dans cette cacophonie médiatique, un mot revient sans cesse : « dignité ». La Russie, martèle-t-on, ne pliera pas, ne courbera pas l’échine devant l’Oncle Sam. Cette rhétorique de la résistance, portée à son paroxysme, confine parfois à l’absurde, mais elle répond à une nécessité profonde : celle de rassurer une population inquiète, de donner du sens à l’épreuve, de transformer la contrainte en vertu. La presse russe, en ce sens, joue un rôle crucial dans la fabrique du consentement, dans la construction d’un imaginaire collectif où la nation, assiégée mais invincible, puise dans l’adversité la force de se réinventer.

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