La Russie peut-elle vraiment gagner la guerre en Ukraine ? Mythe d’une invincibilité à bout de souffle
Auteur: Maxime Marquette
Elle s’étend, la Russie, sur ses steppes, ses souvenirs d’empire, ses certitudes d’invincibilité. Mais à l’heure où l’Ukraine, soutenue par l’Occident, tient tête sur le front, la question grince : la Russie peut-elle vraiment gagner cette guerre ? Mythe ou dissonance ? Moscou avance ses divisions en masse, paie ses hommes au prix fort, massacre des villages pour s’installer dans le marais de la guerre d’usure. Mais l’économie craque, la société s’épuise, le front patine. J’ai arpenté la frontière, j’ai vu la peur, l’arrogance, le déni. Aujourd’hui, l’ogre vacille. Tout le monde le chuchote, mais peu l’osent : et si Poutine, cette fois, était pris à son propre piège ?
Une économie de guerre au bord de l’apoplexie

L’industrie, otage de l’effort militaire
Depuis le choc de 2022, la Russie s’est métamorphosée en économie de guerre totale. Les usines tournent jour et nuit pour fournir chars, missiles, uniformes. Le PIB officiel grimpe, mais la réalité est plus grise : sans le volet militaire (8 % du PIB, 170 milliards $), la croissance s’effondre, le secteur civil régresse. Les secteurs non armés souffrent, le niveau de vie stagne. « Encore un an, deux tout au plus », alertent des économistes russes non-officiels. La fuite des cerveaux, la ruine des PME non liées à la défense, la dépendance croissante à la Chine – chaque variable grignote l’édifice.
Le coût social du carnage
Les pertes russes pulvérisent tous les records soviétiques. Près d’un million de tués ou blessés depuis 2022, soignés à la va-vite, recyclés dans de nouvelles mobilisations. Les salaires explosent dans les territoires reculés – 2 000 € /mois pour risquer sa peau – mais qui veut encore mourir pour Poutine ? Les familles s’usent, protestent, dénoncent la désorganisation et la cruauté des mobilisations. Dans les villes, la peur du « toit » frappe : chaque voisin peut être le prochain enrôlé. Le patriotisme vacille, la peur rampe, l’héroïsme « officiel » masque la honte ordinaire.
L’étranglement monétaire : inflation, impôts, fuite du capital
La Russie tente d’étouffer la crise à coups de subventions, de contrôles de capitaux. Mais l’inflation galope (près de 10 %), la dette grimpe, le rouble s’effondre au moindre sursaut diplomatique. Les riches s’exilent, les classes moyennes économisent, les villes ferment des écoles ou des hôpitaux pour acheter des munitions. L’été, la campagne vit sur les soldes de guerre, l’hiver, tout le monde craint la panne. Moscou regarde la Chine, mais Pékin hésite, craint d’être aspiré par le gouffre russe. L’économie semble tenir. Mais jusqu’à quand ?
La stratégie de la masse : une force illusoire ?

Les effectifs, vrai ou faux « avantage » ?
Moscou aligne, chaque mois, 40 000 à 45 000 nouveaux soldats. Les jeunes, les prisonniers, les désespérés y passent tous. Sur le papier, la Russie possède la plus formidable réserve d’hommes d’Europe. Mais chaque vague remplace d’autres, ensevelis dans la boue de Donetsk ou de Kherson. Le moral se délite. Les prisonniers libérés refusent de rempiler. Les jeunes paient à prix d’or des dispense médicales. Cette guerre « totalitaire » devient une loterie morbide, où chaque village, chaque famille, attend son lot de désespoir. L’armée, géante, grince de l’intérieur.
Le mythe de l’équipement illimité
Les sanctions occidentales mordent. Les chaînes logistiques s’étirent sans casser. Moscou adapte, bidouille, pirate même. Mais les usines sont à la peine : composants étrangers manquants, stocks vides, rafistolages high-tech à la limite du bricolage. L’armée absorbe des pertes effarantes en blindés, artillerie, drones, et compense avec du matériel parfois obsolète. Sur le terrain, les officiers hurlent, réclament des pièces, des optiques, des gilets. L’armée russe apparaît de plus en plus comme un patchwork hétéroclite, glorieux par le nombre, vulnérable par la qualité.
Offensives russes : miracles ou mirages ?
Depuis deux ans, la Russie accumule des gains territoriaux minimes, au prix de pertes massives. Chaque village conquis coûte des centaines de corps, chaque recul est narré comme une manœuvre planifiée. Le facteur « nombre » masque la perte d’efficacité. Les analystes du Kremlin espéraient l’« épuisement » ukrainien – mais Kyiv, mieux équipée, mieux renseignée, tient bon. Les offensives de 2024 et 2025 ont vidé les réserves russes sans effondrer la ligne adverse. Le rêve d’une percée victorieuse s’éloigne.
L’usure du front : la Russie face à ses limites

L’impossible victoire militaire totale
Conquérir l’Ukraine entière ? Impossible. La résistance ukrainienne, soutenue massivement, l’empêche. Percer jusqu’à Kyiv ? Fantasme. Consolider les acquis ? Oui, mais au prix d’un gel sanglant, non d’une victoire nette. Chaque offensive se brise sur la « défense en profondeur », chaque succès ponctuel reste indécis. Les experts évoquent moins la victoire que la « neutralisation » : figer le front, maintenir la pression, mais renoncer à tout espoir de capitulation adverse.
Le printemps du doute : Kiev toujours debout
Jamais la Russie ne sera parvenue à briser la chaîne de commandement ukrainienne, ni à prendre la capitale. L’idée même de « faire tomber » Kiev a disparu du langage officiel. Les bombardements sur les infrastructures gênent, mais n’étouffent pas la résistance. À chaque printemps, Kyiv respire, se reconstruit, relance ses drones, récupère l’initiative sur mer comme sur terre. L’ennemi s’use, mais l’Ukraine aussi, et le temps ne penche plus si clairement pour Moscou.
La crainte de la défaite politique
À mesure que le conflit s’éternise, le risque principal devient politique : colère intérieure, désaveu des élites, exil des cerveaux. Les « volontés » occidentales ne faiblissent pas comme prévu. Les alliances russes vacillent, l’isolement s’accentue. Poutine campe sur ses positions, mais le couvercle social menace de sauter. La victoire militaire, dans ces conditions, n’est plus un horizon crédible – au mieux, Moscou espère la « non-défaite ».
Guerre d’usure : et si la Russie craquait la première ?

La stratégie du temps, boussole brisée ?
Moscou a parié sur l’usure : tenir, grignoter, faire plier l’Ukraine et ses soutiens internationaux. Mais chaque mois, la résistance ukrainienne, les innovations tactiques, la pression logistique inversent la tendance. Plus la guerre dure, plus la Russie s’enfonce dans la dépense, la pénurie, l’épuisement. L’Ukraine, elle, s’accroche, redoute plus la lassitude occidentale que la brutalité russe.
La mobilisation, levier ou étincelle ?
La seule voie pour Moscou serait de mobiliser encore davantage. Mais le risque est immense : crise sociale, révolte ouverte, explosion des contestations, fuite des milliers de jeunes. Les sondages russes montrent un patriotisme de façade, mais une confiance en baisse dans la victoire finale. Plus possible de cacher les nécrologies, les hôpitaux débordés, la lassitude mortifère.
L’économie, talon d’Achille vraiment fatal ?
La machine économique russe, bien rodée à l’évitement des sanctions, s’essouffle. La dépendance aux livraisons d’Asie, notamment de technologies chinoises, la raréfaction des devises, la fuite des capitaux, tout indique que « l’hiver » économique approche. Les experts prédisent : la Russie survivra à court terme… mais la guerre ravage le futur plus sûrement que l’ennemi. Le rêve d’une économie invincible gît dans les ruines de Marioupol et la sueur des usines d’Oural.
Conclusion : la victoire russe, mirage d’un autre temps ?

Les chars avancent, les drones explosent, les discours martèlent : la Russie ne s’avouera jamais vaincue. Pourtant, jamais la « victoire » n’a semblé aussi abstraite, aussi insaisissable. Ushure économique, déroute sociale, incertitude politique. Moscou pourra résister, cogner, ralentir la défaite. Gagner, vraiment gagner, suppose d’anéantir une nation qui n’a jamais accepté la servitude. Or même le temps, désormais, ne travaille plus seulement pour le Kremlin. Le front s’étire, s’effiloche, la société craque. Dans la poussière et la sueur de cette guerre absurde, je n’entrevois plus qu’un long hiver d’attentisme. Et si la victoire russe n’était qu’un mirage, un souvenir tenace d’un passé qui ne reviendra pas ?