Gaza, l’Europe capitule : pourquoi l’Union européenne n’a pas sanctionné Israël
Auteur: Maxime Marquette
Claque. Bruit sourd d’un désastre maquillé par des mots creux. Nuit après nuit, la bande de Gaza s’endort sous la pluie des bombes, tandis qu’à Bruxelles et Paris, on fait tourner les carafes d’eau et que les couloirs bruissent d’arrangements diplomatiques. Cette semaine, nouvelle sidération : l’Union européenne ne sanctionnera finalement pas Israël. Pas aujourd’hui. Pas tout de suite. « Besoins de dialogue, prudence, complexité du dossier », chantonne-on. Pendant ce temps, la peur se propage comme une fièvre dans les abris de Rafah. Silence effrayant d’un Occident qui vend à la morale un sursis payé par la peau des autres. Ici, plus rien ne tient du hasard. Seul subsiste le malaise d’une indécision qui a déjà tué. Et Gaza brûle encore entre nos yeux fermés.
Le sommet de la honte : l’Europe face à elle-même

Une réunion sous haute tension — ou comment fuir le choix historique
Les grandes voix européennes se sont réunies à Bruxelles, convaincues que l’heure était grave. Sur la table : le sort d’Israël, la possibilité de sanctions visant des dirigeants, des entreprises, des ventes d’armes. Sur le terrain ? Des morts, des cris, une terre en cendres. Mais dans la salle, la mécanique s’est enrayée. Entre appel à la désescalade et litanie d’excuses protocolaires, chaque leader a freiné des quatre fers. L’Allemagne s’est « abstenue », la France a plaidé pour « plus d’initiatives diplomatiques », et la Hongrie a purement et simplement bloqué tout consensus. À la fin, un communiqué sec : « Aucune sanction n’est décidée à ce stade, l’Europe doit préserver son rôle de médiateur. » Cette neutralité, ce faux équilibre — voilà comment on photographie une abstention qui rappelle chaque soir qui paie le prix d’être oublié.
La pression des opinions publiques : colère des citoyens, calculs des dirigeants
Dans toutes les capitales du continent, la colère gronde. Berlin, Paris, Rome, Amsterdam : manifestations monstres, slogans sanglants, drapeaux brandis sur les places. Les élites politiques, elles, calculent leur posture, cherchent à ne perdre ni le marché israélien ni la prétendue « hauteur morale » du projet européen. Les sondages l’attestent : plus de 60 % des citoyens de l’UE jugent « insupportable » la position molle de leur gouvernement sur Israël. Mais le Parlement européen débat, la Commission tergiverse, les gouvernements se déchirent sur la formulation à adopter. Le peuple hurle, la statue bouge à peine. C’est ici que la vraie fracture démarre, celle de la confiance abîmée entre société et institutions. Quand plus personne ne veut endosser le rôle du justicier, l’attente se fait bourreau d’espérance.
Les pressions extérieures : Washington dicte, l’Europe exécute
Les chancelleries le répètent en coulisse : s’opposer frontalement à Israël, c’est aussi défier l’allié américain. La Maison Blanche a multiplié les pressions discrètes, allant jusqu’à rapatrier certains diplomates stratégiques pour peser sur le vote. Les liens de défense, d’intelligence économique et de contrôle technologique rendent toute bravade quasi artificielle. « Ce n’est pas le moment d’aliéner Tel-Aviv », souffle un conseiller bruxellois. Or, chaque renoncement alimente la rage des populations arabes, la frustration des ONG, le cynisme russe et chinois. L’Europe se condamne à passer pour un géant aux genoux d’argile. Ici, la faiblesse se lit comme une abdication. Pour une fois, le monde n’attendait pas de grands discours. Seulement un geste. Il ne viendra pas.
Gaza : l’urgence d’un peuple sacrifié

Des chiffres, des noms, des drames – la vie au rythme de la sirène
Ce sont des chiffres qui finiraient par tuer le cœur. Plus de 38 000 morts, dont la moitié enfants, selon les derniers décomptes indépendants. Des centaines de milliers de blessés, des millions déplacés, des exils à ciel ouvert de Rafah à Khan Younès, sous les caméras éteintes du monde riche. À Gaza, chaque rue peut devenir cimetière. Les hôpitaux improvisent des morgues dans des salles de classe, la faim ronge sous embargo, l’eau tourne au poison. Les ONG alertent : jamais une crise humanitaire n’a connu un tel mélange de violence industrielle et d’abandon méthodique. L’ONU parle de famine organisée, d’épidémies déjà partout faute de secours. Ici, la démocratie européenne n’atteint plus l’homme de la rue : elle ne protège ni le vivant, ni la mémoire des pierres.
Des vies françaises, des vies européennes, emportées aussi
Ce sont aussi des Européens qui tombent. Travailleurs humanitaires, journalistes, médecins. Plusieurs associations rapportent la mort de bénévoles belges, italiens, britanniques tués pendant l’acheminement d’aide internationale ou l’évacuation de blessés. On pleure, on publie de timides communiqués, on décore de légion d’honneur à titre posthume — et on se tait sur le terrain. Chaque état-major redoute désormais d’embaucher du personnel étranger dans les zones grises. L’Europe aimerait croire qu’elle protège ses ressortissants. En réalité, elle protège surtout sa façade, quitte à livrer ses propres enfants à l’arbitraire du vent.
La spirale génocidaire : accusation ou cri désespéré ?
Pour la première fois depuis le drame rwandais, le mot « génocide » sonne dans le débat occidental. Pretoria a saisi la Cour internationale de justice pour le marteler. Plusieurs rapports d’experts parlent de « crime contre l’humanité ». Mais à Bruxelles, à Paris, on évite, on arrondit les angles, on noie la colère dans les procès d’intention. La ligne rouge morale, jadis fièrement agitée, s’efface sur la carte. Le monde arabe hurle à l’abandon, l’Afrique crie à l’hypocrisie, l’Amérique latine s’interroge sur sa propre lâcheté. L’Europe, elle, calcule – et enterre l’idée d’une mémoire sans courage.
Diplomatie du murmure : les mots, l’arme fatiguée de l’Europe

Innovations du langage creux : lexique diplomatique ou anesthésiant moral ?
Dans les rangs feutrés du service européen d’action extérieure, on façonne les mots comme on polit une arme désarmée. On parle de « fenêtre d’opportunité », d’« urgence humanitaire à résoudre », de « rétablissement du dialogue structurant » et de « processus inclusif ». Jamais la langue n’a été aussi vide. À chaque conférence de presse, la réalité de Gaza s’éloigne un peu plus : la syntaxe devient barbelée, les épithètes servent de rideaux à la terreur. Cette rhétorique tournante paie un tribut : la méfiance du Sud global explose, prépare des lendemains où plus rien de ce que dira l’Occident ne sera reçu sans suspicion profonde.
Le contre-pied de la société civile : ONG, intellectuels et opinion publique à la manœuvre
Mais la résistance langagière se réinvente ailleurs. Dans les communiqués d’Amnesty, Human Rights Watch, Oxfam et tant d’autres, dans les tribunes des juristes et des médecins, dans les mobilisations spontanées. On aligne les faits, on affirme la complicité passive, on cite la légalité internationale trahie. Les réseaux sociaux bruissent de hashtags #GazaIsBleeding, #StopArmingIsrael. Certains parlementaires européens tentent la dissidence, imposent à l’agenda les questions dérangeantes, forcent le débat sur la nature des crimes observés. Maladroits, impuissants parfois, mais essentiels pour que le réel poursuive sa lente percée dans la zone d’ombre politique.
La fuite en avant cynique d’Israël
Côté israélien, la stratégie est transparente : chaque renoncement occidental est présenté comme un acquiescement. Les dirigeants multiplient les « justifications » militaires, accusent le Hamas d’organiser les souffrances civiles, entretiennent la confusion sur la localisation des hôpitaux, des écoles, des abris. La machine de communication de Tel-Aviv traque chaque faille dans le récit européen pour distiller le doute, relancer la boucle des accusations croisées. La doctrine du non-retour — géographique, psychique, moral — est plus assumée chaque semaine. En fermant la porte à toute sanction concrète, l’Europe offre un boulevard à la logique du passage en force.
Sanctions reportées : business, gaz et armements, la morale au rabais

Le vrai nerf de la guerre : le business militaire franco-allemand
L’Allemagne, la France, l’Italie — piliers de l’Europe — détiennent la clé de l’export d’armes et de technologies militaires. Depuis 2020, jadis prudentes, ces capitales ont relancé discrètement leurs contrats d’exportation avec Israël : radars, composants pour missiles, blindés, logiciels. L’arrière-salle des « contrats confidentiels » explique le zèle soudain à retarder toute sanction. Les chiffres des lobbys parlent plus fort que les cris des enfants blessés : le lobby industriel fait feu de tout bois pour préserver ses parts du marché israélien, devenu laboratoire reconnu de l’innovation guerrière globale.
Energie : Israël, le nouvel espoir gazier européen
Dans la torpeur de l’hiver 2024, l’Europe a cru mourir de sa dépendance au gaz russe. C’est alors qu’Israël est apparu comme solution miracle : champs gaziers, terminal offshore, export accéléré. À Bruxelles comme à Paris, l’idée récurrente : punir Israël, c’est risquer de saper la stratégie énergétique de long terme. Le client devient héros de substitution. C’est, selon des diplomates européens, « une fenêtre stratégique à ne pas refermer pour une crise conjoncturelle ». Dans ce choix sidérant de froideur et de calcul, on voit disparaître la boussole morale au profit de la peur énergétique.
Les banques et le grand jeu des flux financiers
Le système bancaire européen continue à traiter, chaque semaine, des centaines de millions d’euros d’opérations directes ou indirectes avec Tel-Aviv. Assurances, fonds de placement, secteur pharmaceutique — toutes les grandes banques d’investissement défendent le statu quo. Le moindre embargo provoquerait une onde de choc sur la liquidité des places boursières. Certes, les ONG surveillent, dressent des listes d’investissements « complices », menacent de campagnes de boycott. Mais, pour l’instant, la logique du profit prime. L’Europe se réconcilie avec l’idée d’un sacrifice lointain pour préserver son illusoire stabilité financière.
Le coup de tonnerre international : alliances fragilisées, crédibilité laminée

Monde arabe : colère noire et rupture annoncée
Du Caire à Alger, de Tunis à Amman, le choc de la non-sanction européenne est immense. Les peuples arabes, déjà inquiets du double standard occidental après la guerre d’Ukraine, voient dans cette manoeuvre le triomphe du deux poids, deux mesures. Les diplomates prévoient des décennies de ressentiment. Les cercles du pouvoir ajustent leurs alliances, ouvrent de nouveaux canaux avec Moscou et Pékin. Le dialogue euroméditerranéen en paye déjà le prix : boycott, gel de projets, humiliation publique des représentants européens sur les chaînes arabes. La fracture s’installe, profonde, méthodique, et promet de nouveaux cycles de défiance à chaque sommet raté.
Africanisation du divorce moral
L’Afrique francophone, très attentive aux choix de Paris et Bruxelles, s’embrase à son tour. Les médias locaux rythment les éditions avec les images d’enfants tués, de mères en fuite. Des gouvernements suspendent – ou menacent de suspendre – des accords de coopération symboliques avec la France, la Belgique, l’Espagne. Les étudiants africains manifestent, rallient les revendications gazaouies à leur propre soif de dignité, de réparation, de justice. L’Europe, une fois de plus, alimente sa réputation de juge du monde qui « oublie les morts utiles à sa tranquillité ».
L’opinion mondiale : de la sidération à la peur de l’exemplarité
Sur la scène internationale, le choix européen fait désormais jurisprudence : si l’Europe, autoproclamée gardienne des valeurs universelles, accepte l’innommable par pragmatisme, pourquoi les puissants régionaux s’interdiraient-ils la brutalité ? Ce précédant justifie, aux yeux des régimes autoritaires, toutes les déviations futures. Un ex-président africain me confiait : « L’Europe a assassiné son image pour protéger quelques usines et un pipe-line — qui la croira encore demain sur l’état de droit ou la protection du plus faible ? »
La machine à démoraliser : fracture interne, société civile en colère

Associations, syndicats, citoyens : la ruée vers la désobéissance morale
Partout, du Portugal à la Pologne, des mouvements spontanés se forment pour contourner les consignes officielles. Collectes de fonds, envois illégaux de médicaments, sit-in devant les sièges de grandes entreprises accusées de complicité avec Israël. Les syndicats d’enseignants annoncent refuser de travailler avec les fournisseurs de drones à Tel-Aviv, certains fonctionnaires sabotent discrètement la livraison de produits exportés. Les artistes, dont des dizaines de figures médiatiques, refusent de participer à des événements soutenus par des sponsors liés à Israël. On ne croit plus à la politique, mais on investit la sphère morale comme cellule de résistance. Pour la première fois depuis longtemps, la désobéissance s’organise, mûrit, s’institutionnalise dans le silence, loin des caméras bienveillantes.
Médias divisés, journalistes sous tension
Le traitement de Gaza a réveillé toutes les fractures du journalisme européen. Censure, auto-censure, pressions commerciales, litiges internes dans la presse publique et privée. Certains reportages sont retirés, des reportages annulés, des journalistes ostracisés ou menacés de licenciement pour « partialité ». Des collectifs de reporters d’investigation ont annoncé vouloir publier les « noms des censeurs », lister les interventions des entreprises ou lobbies ayant dicté une ligne éditoriale. La confiance s’effrite, la détestation des médias de masse s’accroît. Internet, TikTok, les podcasts militants reprennent la main sur la narration brute. C’est par cette voix que la résistance narrative cherche un chemin vers le réel.
Le malaise du monde religieux, fissure spirituelle européenne
D’ordinaire prudemment silencieuses, les grandes institutions chrétiennes, juives, musulmanes européennes ont réagi cette fois : communautés en crise, tensions internes, débats éthiques agités. Nombre d’évêques, d’imams, de rabbins de terrain dénoncent le compromis politique, appellent à la prière et à la solidarité concrète. Certains églises organisent des veillées pour les victimes de Gaza, des rassemblements multiconfessionnels pour protester symboliquement devant les ambassades. L’Europe croyait avoir soldé la dimension spirituelle de ses engagements — elle la découvre, fissurée, peuplée de consciences troublées.
Quel futur pour la morale internationale ?

L’ère de la honte assumée : sortir de l’illusion universaliste
Plus personne ne prétend que l’Europe incarne la conscience du monde. À force de répéter la même ritournelle — « l’état de droit, le respect des conventions, la défense des innocents » — sans jamais agir, l’UE a rompu le sortilège. L’après-Gaza n’aura plus le même goût : il y a un avant et un après ce choix de la lâcheté. Les grandes puissances, libérées du poids de l’exemplarité, se griment désormais en parangons du réalisme. L’éthique s’écrit désormais au passé, la morale devient une variable d’ajustement. Qui, demain, osera reprocher à d’autres leurs arrangements si la maison-mère s’est vendue ?
La tentation du repli et de la radicalité
Face à ce désaveu collectif, plusieurs analystes redoutent le repli sur soi, la montée des populismes, la radicalisation de la contestation. La droite la plus dure brandit la « trahison » de Gaza pour réclamer l’arrêt total de l’immigration, la suspension de l’aide internationale, la fermeture des frontières. La gauche radicale, elle, invoque la « rupture morale » pour justifier toutes les formes d’opposition à l’ordre établi, y compris des modes d’action plus abrasifs. Les nouveaux nihilistes, désabusés, annoncent le retour d’un concret brun ou rouge dans les rues. L’épuisement moral nourrit l’angoisse d’un automne social déchaîné.
L’appel à l’invention d’une vraie justice internationale
Certains leaders et intellectuels lancent, aujourd’hui, un appel à réinventer le Droit international. Ils réclament une refonte totale de l’ordre juridique, l’instauration d’un « tribunal universel indépendant », le renvoi de tous les États indignes devant une instance citoyenne mondiale. Pour eux, le précédent de Gaza prouve la nécessité d’un nouvel ordre, hors influence des marchés et des grandes alliances. Sur la Toile, des pétitions engrangent des millions de signatures, des juristes s’exilent pour ne plus « travailler pour des États complices ». L’utopie s’emballe, la lucidité se crispe – mais la graine est là, prête à germer dans les ruines brûlantes d’un vieux système qui croyait pouvoir oublier ses propres principes pour un peu de stabilité de marché.
Conclusion : la morale occidentale abattue, Gaza dans la brûlure, l’Europe sur la ligne de fracture

L’échec de l’Europe à sanctionner Israël n’est pas « une simple erreur de calendrier ». C’est une faillite morale, politique et existentielle. La prochaine page de l’histoire du projet européen se colorera du sang versé dans les ruines de Gaza — ou ne s’écrira pas du tout. Le monde attendait autre chose que des “processus” ou des “fenêtres de dialogue”. Il attendait une minorité de courage capable de mouiller la chemise, de payer le prix de la cohérence. Cette minorité n’a pas eu voix au chapitre. Gaza continue de brûler. Et l’Europe regarde ses mains, propres à force de ne rien toucher. Le XXe siècle avait promis que le « plus jamais ça » deviendrait la règle. On découvre, ce soir, que l’exception a dévoré la règle — et que l’histoire, une fois encore, se souviendra surtout de qui a regardé ailleurs.