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Le réveil de l’acier canadien : Carney, l’orage tarifaire et la tempête contre le dumping
Credit: Adobe Stock

L’heure des promesses fracassantes

Carney déclame la première salve : restriction immédiate des importations de l’acier hors partenaires de libre-échange. C’est plus qu’une déclaration – c’est une lame, un barrage contre la marée montante du dumping asiatique. Un taux de quota qui tombe : 50 % du volume 2024, pas plus. Au-delà, c’est la mort tarifaire : 50 % de taxe sur chaque tonne importée. Et pour les partenaires préférentiels – ceux liés par traité, sauf les États-Unis –, quota à 100 % du niveau 2024, puis même punition. Le Canada, pays jadis ouvert, choisit la clôture, la tranchée économique. Carney promet que la production nationale reprendra le dessus, que l’audace des grandes familles de l’acier renaîtra enfin.

À l’écoute, la salle inspire fort, souffle long. Les syndicats haussent le ton, exigent bien plus encore : des emplois, du savoir, la priorité nationale à l’achat local. Les cris montent, entre peur et orgueil, mais Carney ne flanche pas. Il détaille une suite d’annonces, comme des enclumes jetées une à une : priorité pour l’acier canadien dans tous les appels d’offres publics. 25 % de surtaxe sur chaque gramme d’acier chinois fondu et coulé ailleurs. Appui lourd au secteur, fonds d’investissement pantagruélique. Aucun mot pour s’excuser – tout est là pour remettre à plat.

L’atmosphère crépite de ces mots nouveaux. En coulisses, les experts chuchotent leur scepticisme. Mais sur place, à ras de sol, la rage et l’espoir forgent la même anaphore : “On tiendra”. Les travailleurs, le cœur vibrant sous les blouses tachées, y croient à peine, mais à quoi se raccrocher, sinon ?

Les visages derrière la sidérurgie brisée

Impossible d’oublier les yeux d’André, soixante ans, vingt-six en coulée, suspendu aux lèvres du premier ministre. Autour de lui, l’anxiété est contagieuse. “Je veux un Canada qui fabrique sa propre tôle, pas qui supplie Pékin ou Mumbai,” lâche-t-il. À l’extérieur, une pluie sale martèle les vitres, charrie les souvenirs d’une époque où l’Ontario régnait sur les marchés mondiaux. Aujourd’hui, la dépendance pèse comme un boulet : plus de 90 % de la production partait aux États-Unis avant Trump. Maintenant, tout s’est arrêté, refoulé par des hausses de tarifs jusqu’à 50 %. Sur le port, des navires pleins attendent, parfois renvoyés, parfois reroutés vers des usines vides. L’acier canadien, hier désiré, est devenu suspect. La honte affleure chez beaucoup. Mais les nouvelles mesures laissent filtrer une lumière : ce ne sera pas la fin, jurent-ils – ou alors elle sera bruyamment combattue.

Dans le microcosme de l’usine, chacun a son anecdote, son silence, sa colère rentrée. La promesse d’un milliard de dollars pour moderniser, d’un plan de formation massif pour les travailleurs frappés de plein fouet, délie quelques langues. On parle de robotisation, de scolarisation, de pivot numérique. On s’inquiète surtout de la chronologie : combien de mois pour un vrai décollage ? Les ingénieurs soulignent l’urgence, les anciens réclament leur dû, les jeunes exigent du sens. L’acier coule, mais le doute, bien plus épais, irrigue chaque veine.

Ce matin-là, j’ai préféré m’attarder dans le hall, écouter les échos des témoins silencieux. Ce n’est pas la chaleur des fourneaux ou l’aboiement des grues qui m’a frappé, mais l’étrange mélodie de l’espoir résigné. Ça sonne faux parfois, juste quand il faudrait hurler contre la fatalité. Mais, dans le béton fissuré, la vie résiste. Toujours ; dignement, maladroitement – mais résolument.

Il y a des matins où la réalité industrielle vous écrase, vous fait douter consommer le moindre espoir comme une fumée d’aciérie. J’ai arpenté la ville industrielle, ressassant les promesses, pesant chaque audience publique. Pourtant, même dans la morosité diffuse, je sens pointer une solidarité rugueuse, salie, mais chaude. À force de répétitions, je me suis aperçu que l’attente de la lumière nourrit tout autant que le travail sur la chaîne. Je me prends à rêver, insensé, d’un Canada qui ressoude son identité dans la tourmente tarifaire. Mais à quel prix faut-il donc renaître ?

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