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Frappes dans l’ombre : la guerre invisible de la russie contre la mobilisation ukrainienne
Credit: Adobe Stock

Un orage rugissant sur les villes de l’est

La nuit tombe. Les sirènes hurlent — d’abord au loin, puis partout, crescendo, jusqu’à saturer l’air de cette angoisse tenace. Depuis la fin juin, une série de frappes éclaire dramatiquement les paysages urbains de Kharkiv, Zaporizhzhia, Kremenchuk, Kryvyi Rih et Poltava. La cible ? Les bureaux de conscription ukrainiens, des lieux anonymes soudain transformés en symboles vivants de la résistance et du désespoir. Les impacts fracassent non seulement le béton, mais aussi les certitudes : nulle part, jamais, personne n’est vraiment à l’abri. Derrière chaque rideau métallique arraché, le pays compte ses morts, ses blessés, ses espoirs éviscérés. On étouffe de colère et d’incompréhension, hagards devant les gravats mêlés de papiers officiels, de photos d’appelés, de sang frais dans les couloirs vides.

Le gouvernement ukrainien s’échine à renforcer sa mobilisation, changeant la loi, élargissant les critères, recrutant toujours plus large, jusqu’aux plus de 60 ans volontaires. Les militaires, eux, recensent les pertes, veulent couvrir chaque brèche du front et chaque vide laissé par le chaos dans les villes. Mais la vague des frappes russes vise plus qu’un effort logistique : c’est une tentative effrontée de semer la paranoïa, décourager la relève, briser une dynamique déjà vacillante sous la fatigue et la peur.

L’atmosphère nous colle à la peau, elle pixellise la réalité. On hésite à ouvrir la porte, on hésite à dénoncer, on hésite à croire encore au vieil idéal du devoir militaire. De quelle autre façon nommer ce climat que celui de la guerre hybride où les drones, les bombes et les fausses rumeurs tournoient dans la même tempête ?

La naissance d’une crise de la mobilisation

Ce n’est pas nouveau : la Russie, depuis le début de l’invasion, lorgne sur la mobilisation ukrainienne. Mais depuis quelques semaines, le rythme des frappes est devenu vertigineux. Plus que des destructions matérielles, il s’agit d’un acte de guerre psychologique, visant à démontrer que le tissu de la défense se défait plus vite qu’on ne l’imagine. Cela, les responsables le répètent à la télévision, dans les chaînes Telegram, dans les files d’attente à la mairie : la mobilisation, c’est le cœur du système — on l’attaque, on attaque la nation entière.

Le drame se joue à huis clos et en pleine lumière : chaque civille blessé dans une salle d’attente, chaque fonctionnaire tué devant un écran d’état civil, chaque maison adjacente soufflée par un souffle aveugle. Les services de sécurité multiplient les arrestations, dénoncent le recrutement de saboteurs locaux par la Russie, qui offre argent facile et promesses vides pour quelques litres d’essence ou un code d’accès. Les officines sont parfois déplacées, cachées, dédoublées — mais l’information circule, et la terreur, elle, se propage toujours plus vite que le progrès administratif.

Ce qui était discret devient insupportable. Les familles se taisent à table, les jeunes hésitent entre bravoure et fuite, et l’état-major jongle avec des chiffres qu’il devine hémorragiques. Pourquoi affronter l’ennemi frontalement quand on peut détruire, de l’intérieur, la capacité même d’un peuple à résister ?

L’information en armes, la désinformation en poison

Il n’y a pas que les drones et les explosifs : la Russie manie la désinformation, souvent avec une efficacité dévastatrice. Un bot Telegram — signalé par le cyber-centre ukrainien — collecte, répand et amplifie la localisation des centres d’enrôlement, incitant à la terreur et à la dénonciation. Les réseaux sociaux tanguent sous l’avalanche de rumeurs : rafles massives, corruption généralisée, exécutions sommaires, tout circule, tout s’envenime.

Les centres de mobilisation symbolisent, dans l’imaginaire collectif, l’arbitraire du destin : aujourd’hui tu es recruté, demain tu es tué. Les campagnes de propagande ciblent cette peur, la transforment en arme, font d’un bâtiment administratif une figure honnie ou vénérée, selon les blessures de chacun. Le doute s’insinue, l’amertume éclot : si même les bureaux ne sont plus à l’abri, qu’en sera-t-il du reste de la nation ?

Les experts sont formels : cette offensive nouvelle, plus directe, démultiplie l’exode, la dissimulation, la fuite clandestine à l’étranger. On ne sais plus à qui faire confiance. Parfois, l’ennemi n’est plus si lointain, il épouse les contours d’un voisin, d’un ami, d’un collègue perdu de vue depuis la dernière alerte aérienne.

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