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Pourquoi l’Ukraine s’est débarrassée de son arsenal nucléaire
Credit: Adobe Stock

Des ogives pour moisson, la mémoire trouble d’une puissance égarée

L’image, presque irréelle. Un champ ukrainien, glacé, au petit matin. Sous la terre, le sommeil lourd de centaines de têtes nucléaires. L’Ukraine naît à l’indépendance, en décembre 1991, avec dans ses entrailles le troisième arsenal nucléaire du monde. C’est un legs empoisonné, un pactole de feux capable d’éteindre la lumière sur plusieurs continents. 1900 ogives, 176 missiles balistiques intercontinentaux, 44 bombardiers stratégiques. On dirait le scénario d’un film d’anticipation, mais c’est l’histoire brute, recrachée par l’effondrement soviétique. Armes nucléaires sur l’autel d’un pays jeune, fragile, menacé de toutes parts et avide, surtout, d’une reconnaissance qui tarde à venir. L’Ukraine n’a pas conçu, n’a pas maîtrisé ce pouvoir ; elle l’hérite, brutalement, dans l’incertitude et la peur, prise entre l’espérance de la souveraineté et le poids des regards étrangers. Cela aurait pu (aurait dû) être le tournant d’un siècle. Ce fut le commencement d’une abnégation dont le monde paie aujourd’hui le prix.

Les balises de la diplomatie, l’horizon d’un désarmement forcé

1994. Les signatures tombent dans la lumière blafarde de Budapest. Ukraine, Russie, États-Unis, Royaume-Uni. Un Mémorandum. Un mot sec, bureaucratique, pavé de promesses sécuritaires. On y lit : intégrité territoriale, inviolabilité des frontières, assistance internationale en cas de menace. Derrière chaque phrase, une angoisse glacée — celle d’un pays qui renonce à la force atomique contre des illusions de paix. Nul sourire sur les visages, pas de grand soir : les garanties de sécurité sont écrites à l’encre diplomatique, sur fond d’équilibres précaires. Personne, ukrainien ou occidental, ne se berce vraiment de certitudes. L’abandon des armes nucléaires n’est pas un acte d’idéalisme échevelé : c’est un pari, risqué, rendu inévitable par un enchevêtrement de pressions diplomatiques et d’impératifs internes. Soupçons, menaces à peine voilées, promesses d’aide, pressions américaines et russes. Le désarmement nucléaire ukrainien n’est pas le fruit d’un élan pacifiste : c’est une abdication administrée, surveillée, monnayée.

Sous le vernis, la réalité : faire le deuil de l’armement absolu

Mais à quoi bon un arsenal si l’on ne peut pas s’en servir ? En 1991, l’Ukraine possède les armes, pas les clés. La Russie garde les codes, le centre de commandement, la capacité de lancer. Le nucléaire ukrainien, en vérité, n’est qu’un fantôme. Détenir sans contrôler, c’est posséder un rêve creux, une menace impossible à réaliser, une bombe factice. Les risques explosent : tentatives de reprise en main auraient signé la guerre totale avec Moscou, isolement diplomatique, sanctions économiques, mise au ban du monde civilisé. Garder ces armes, c’était prendre le risque d’une friction généralisée, d’une famine financière, d’interventions étrangères déguisées en mission de paix. La jeune Ukraine hésite, calcule, redoute… finit par céder, sans vraiment avoir choisi.

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