Israël étend ses opérations dans la bande de gaza : le monde retient son souffle
Auteur: Maxime Marquette
Explosion de violence au cœur de Gaza
Il y a des matins où l’information frappe plus fort que la lumière du jour. Là, devant la cascade des dépêches, devant l’annonce sèche et irrévocable : Israël élargit le cercle de ses opérations terrestres au centre de la bande de Gaza. Encore une ligne, une frontière, un seuil franchi dans la spirale de la guerre. À Deir al-Balah, au centre du territoire, l’armée lance des appels à évacuer – mots froids, voix métalliques, ordres qui s’échouent dans la panique des ruelles. Dehors, la réalité se crispe : explosions nocturnes, tirs d’artillerie qui ne laissent que poussière et cris, hommes, femmes, enfants poussés vers un sud incertain, charrettes tirées par des ânes, sacs éventrés de souvenirs. L’histoire bégaie : une population entière se débat dans la boue du déplacement forcé. On parle de cinquante mille à quatre-vingt mille personnes prises au piège, ballotées au gré des ordres militaires, faméliques, désespérées, accrochées à l’idée illusoire d’un abri au-delà d’Al-Mawasi. Chaque étape du conflit porte la marque du désordre, l’empreinte d’un désespoir humanitaire aggravé.
Décrets internationaux, sourds et aveugles
Le monde, lui, s’agite : vingt-cinq pays, de la France au Canada, du Japon à la Belgique, publient un communiqué commun, demandant, suppliant, exigeant que la guerre s’arrête, maintenant, sans délai. « Cessez-le-feu », clament-ils, dans un chœur où chaque voix tente de couvrir le vacarme des bombes. On dénonce, on s’indigne, on distribue les avertissements : halte à la modification démographique, halte à la dépossession, halte à la violence. Mais leurs appels rebondissent sur le mur d’indifférence qui encercle Gaza – Israël, imperturbable, poursuit son offensive, réagit avec la sécheresse stratégique du commandement militaire : l’objectif reste la défaite du Hamas, la libération des otages, la neutralisation de chaque tunnel, chaque tranchée. Les populations civiles, elles, se faufilent dans les interstices de ces stratégies, piétinées par la logique froide de la guerre.
Le centre de Gaza, nouveau champ de bataille
À Deir al-Balah, la nuit s’enflamme d’explosions – témoignages multiples, fragments de voix blessées qui traversent les réseaux : « Nous avons entendu des explosions énormes… », souffle Abdallah, un habitant acculé, décrivant la terreur et la hantise de l’incursion terrestre. L’armée ne répond pas, ou plus ; la défense civile dénombre les morts, recense les survivants, indique la progression inexorable des tanks. Des familles entières, harcelées, déplacées à répétition, trimballent leur vie sur des charrettes de fortune. Selon les Nations unies, plus de 80% du territoire palestinien est désormais soumis à un ordre d’évacuation israélien toujours en vigueur. L’équation est simple, brutale : il n’y a plus de refuge, plus de havre, nulle part où recommencer. La bande de Gaza étouffe sous le blocus et la répétition des bombardements, la famine rôde, les enfants meurent sans bruit.
La mécanique implacable du conflit

Ordre d’évacuation et exode ininterrompu
Le 20 juillet, un communiqué de l’armée israélienne tombe sur X : toutes les familles de Deir al-Balah doivent fuir, rejoindre précipitamment la zone côtière d’Al-Mawasi, considérée comme « sécurisée ». Mais peut-on parler de sécurité, là où tant de déplacés s’entassent déjà sur quelques kilomètres carrés ? Chaque appel militaire à quitter les lieux creuse une brèche dans la psyché collective : ces exodes successifs, sans destination réelle, minent les ressources et l’espoir. À chaque étape du périple, les récits glanés évoquent la fatigue, l’angoisse, l’impossibilité de savoir où poser un pied sans risquer sa vie. Les parents s’arrachent entre la peur de l’attaque et l’effondrement de toute alimentation : la faim précipite chaque mouvement. On craint désormais le pire : un effondrement total des filières humanitaires, un « coup terrible » porté à ce qui reste des infrastructures permettant de sauver encore quelques vies.
La question des otages, levier de guerre
À Tel-Aviv, la question des otages empoisonne le débat public. Quarante-neuf personnes, pour la plupart civiles, seraient encore retenues à Gaza, selon les données de l’armée israélienne ; vingt-sept d’entre elles déclarées mortes. L’angoisse des familles fait irruption dans la rue : mobilisation à Tel-Aviv, suppliques adressées au gouvernement de Netanyahou, critique ouverte de la stratégie. Les proches exigent que les autorités détaillent le plan de combat, qu’elles expliquent comment elles comptent protéger les captifs au cœur d’une zone de guerre. L’ombre des otages plane sur chaque opération, chaque incursion, justifie, légitime, parfois, l’engrenage sans fin des frappes… Mais la rage gronde : la société israélienne elle-même vacille, court-circuitée entre la peur et le chagrin, hésitant entre l’appel à la force et la hantise de voir la violence se retourner contre les siens.
Les otages invisibles : civils palestiniens piégés
Dans la bande de Gaza, chaque vie ressemble à une prise d’otage – des familles entières otages de la géopolitique, des tunnels, des discours éloignés des réalités du terrain. Les statistiques de l’ONU font froid dans le dos : près de soixante mille morts côté palestinien depuis le début du conflit, une écrasante majorité de civils. Les convois humanitaires, souvent neutralisés ou freinés aux points de passage, peinent à acheminer nourriture et médicaments, avec, en toile de fond, la crainte d’une nouvelle famine. L’aveu est récurrent : il n’existe plus aucun abri, aucun sanctuaire. Les hôpitaux se débattent avec des stocks dérisoires ; chaque nouvelle salve de tirs confine à l’absurde, celle d’un territoire entier devenu champ de bataille permanent. L’on assiste, médusés, à la dissolution d’un quotidien, d’un avenir pour deux millions de personnes : où est la lumière, dans ce tunnel qui ne débouche sur rien?
Parfois, je me demande ce que serait, réellement, un cessez-le-feu. Ne plus entendre, ne plus craindre, ne plus trier les morts – juste le silence. Peut-être que le monde a oublié à quoi ressemble un silence qui n’annonce pas une tempête prochaine. J’écris chaque mot en redoutant qu’il soit dépassé, qu’il soit déjà faux, qu’il serve de prétexte à l’impuissance collective. On se persuade d’agir en relayant, en dénonçant, mais la réalité, je le sais, ne change pas pour autant. Il m’arrive même de douter : peut-on encore croire en la capacité du verbe à secouer l’inertie, à faire reculer la brutalité ? Je traque dans chaque voix recueillie l’espoir d’un possible arrêt, la folie de s’imaginer qu’à force d’appels, d’indignation, le tumulte finira par s’arrêter. Mais le réel, là-bas, douche toutes les hypothèses. Reste l’obligation d’écrire, d’insister, encore – parce que rien d’autre ne me paraît tenable.
L’épuisement du système humanitaire

Malnutrition, asphyxie et solidarité brisée
Les organisations humanitaires tirent la sonnette d’alarme hors d’usage, voix rauques, exsangues. Médecins Sans Frontières, Médecins du Monde, OCHA – toutes, unanimes : la situation est « extrêmement critique », le réseau humanitaire quasi à l’arrêt. Rapport après rapport, ce sont les mêmes chiffres, implacables, qui s’accumulent : les cas de malnutrition embrasent les discours, les enfants maigrissent, dépérir n’est plus un schéma de peur, c’est le réel. Les « lignes de vie » sont démantelées, ciblées par des coups portés à la moindre filière d’acheminement. Toute évacuation de masse devient une tragédie logistique, chaque communauté déplacée se fait plus vulnérable – et la liste des victimes s’allonge, scellée par l’absurdité d’un siège qui n’en finit plus. Ici, ce n’est plus seulement la famine : c’est le démantèlement méthodique de tout ce qui garde les survivants vivants, l’effondrement de l’espoir, la solidarité atomisée par la peur.
Blocus et famine : une arme de guerre silencieuse
Depuis près de deux ans, le blocus de la bande de Gaza est complet, intransigeant. Les camions d’aide se font rares, la nourriture devient une obsession et un objet de troc. L’ONU estime que plus de 800 personnes ont été tuées en tentant de se procurer de la nourriture, la plupart près des maigres sites de distribution. Cette stratégie de la faim – armes silencieuses, mais mortelles – vise à courber, à briser ceux qui résistent en dehors des combats. C’est une guerre contre les ventres vides, contre le droit de manger et de boire. Dehors, la communauté internationale s’indigne, écrit, proteste ; dedans, les enfants meurent de faim doucement, loin des flashs, loin des télégrammes officiels. C’est là l’arme la plus efficace, la plus lâche aussi, celle qui ne fait pas de bruit et ne laisse que des corps maigres le long des routes.
Réactions mondiales en ordre dispersé
Alors, face à ce désastre orchestré, que fait le monde ? Les appels se multiplient. De l’Assemblée générale des Nations unies à une coalition de 25 États, on exige, on supplie, on condamne. Mais combien d’efficacité ? Les solutions proposées se heurtent systématiquement au réel – les points de passage restent fermés, ou filtrés, nouveaux vetos tombent à l’ONU, obstructions diplomatiques, inertie programmée. À chaque nouvel engagement, chaque phrase diplomatique, ce sont les victimes qui trinquent. Dans la rue, la colère monte pourtant : partout dans le monde, manifestations, grèves de la faim, pétitions. Mais rien, jamais, ne semble suffire à stopper la mécanique cruelle du siège, la tactique d’une asphyxie maintenant quasi totale. C’est la répétition de la honte, l’aveu de l’échec universel.
L’armée israélienne face à l’impasse

Stratégie offensive et limites du pouvoir militaire
L’opération militaire, on le comprend, ne s’explique plus uniquement par la recherche des otages ou la lutte contre le Hamas. Elle s’inscrit dans la volonté de « sécuriser » un territoire par la force brute, d’imposer une trêve des armes dictée par l’unique vainqueur supposé. Mais plus l’armée avance, plus le chaos se propage. Les pertes humaines ne reculent pas – au contraire. La stratégie du siège, du quadrillage, de l’avancée progressive, montre ses faiblesses : affrontements prolongés, hausse des pertes civiles, capital international en chute libre. La parole offensive d’Israël, sûre d’elle, se heurte à la réalité du terrain : chaque secteur « nettoyé » engendre son lot de rancœurs, de futurs combats. Le rêve d’un contrôle total s’évanouit dans la multiplicité des enjeux, la rage des populations piégées.
Destruction des infrastructures, crise totale
La guerre, ici, n’est pas que militaire – elle est architecturale. Chaque nouveau bombardement détruit ce qui reste d’infrastructures : hôpitaux, écoles, réseaux d’eau et d’électricité. Le tissu même de Gaza est remis en cause, les perspectives de reconstruction s’étiolent à chaque frappe. Le rapport des forces, s’il existe encore, se mesure en décombres. Sans eau, sans soins, sans abri, la population glisse vers l’abîme. Les experts humanitaires l’écrivent : toute « victoire » militaire, sans transition politique et sans plan de reconstruction, ne peut engendrer qu’une violence future. Cette impasse, Israël l’a créée – mais le monde entier, à force de tolérance ou d’impuissance, l’entérine, la prolonge.
Protestations et fractures internes en Israël
Le malaise gagne aussi le camp israélien : la société civile ne reste pas silencieuse. Manifestations à Tel-Aviv, contestations publiques, demandes de clarification : la population, fatiguée par vingt-deux mois d’engagement, commence à douter, à questionner la logique de la escalade. Les familles d’otages mènent la charge, dénoncent le silence de l’exécutif face à leurs questions, exigent des solutions autres que l’enlisement. Là aussi, la lassitude s’installe, la peur d’être aspiré par le conflit sans fin. Si la cohésion nationale tient encore, les craquements se font entendre – et, avec eux, la possibilité d’un basculement, à tout moment.
Appels internationaux et diplomatie en miettes

La diplomatie mondiale en échec, l’ONU en surchauffe
L’Assemblée générale des Nations unies a exigé à nouveau, ce mois-ci, un cessez-le-feu immédiat. 149 voix pour, un tollé international, mais des vétos récurrents, des passes d’armes dont la population civile paie le prix. La résolution espagnole, portée par une coalition grandissante de pays, réclame la fin du blocus, l’ouverture totale des points d’accès, le respect absolu du droit humanitaire. Mais les guerres modernes se moquent bien des injonctions diplomatiques. Faute d’instruments contraignants, les paroles flottent, s’évaporent dans l’indifférence, la complication bureaucratique, la lassitude générale.
Les échos des mobilisations populaires
La rue ne reste pourtant pas vide. À Rabat, à Paris, à Londres ou à Madrid, des foules en colère scandent leur solidarité, protestent contre l’inaction des États, réclament l’abrogation des accords de normalisation avec Israël. On manifeste pour la dignité, la paix, pour que chaque nom compte, pour que les morts ne deviennent pas des chiffres. Les ONG relaient, amplifient, structure chaque nouvelle campagne de solidarité. Pourtant, la question demeure : dans quelle mesure ces protestations modifient-elles vraiment l’équilibre d’un conflit qui semble narguer toutes les consciences ? La fatigue est là aussi, palpables, mais la colère l’emporte, taraude l’opinion publique d’un malaise persistant.
Entre promesses et compromissions : le jeu des alliances
Derrière la clameur internationale, les alliances s’ajustent, changeantes, opportunistes. Certains gouvernements, traditionnellement alliés d’Israël, multiplient désormais les déclarations critiques, réadaptent leur posture, lestent chaque position de nuances nouvelles. Pourtant, la plupart rechignent à franchir le pas du conditionnement de leur aide, préférant le langage de l’appel à la désescalade à celui des sanctions. D’autres, à l’instar de certains États arabes, renforcent les pressions tout en maintenant des contacts feutrés, diplomatie secrète, calculs froids, sauvegarde des intérêts. Au final, la géopolitique du conflit israélo-palestinien suit sa propre logique, centrifuge, broyeuse, laissant derrière elle une traînée de promesses creuses. Sur le terrain, la colère gronde, et l’opinion internationale s’érode.
Perspectives : entre ténèbres et désillusions

La paix, option en voie d’extinction ?
La question claque, insistante : peut-on encore croire à une sortie du conflit par la voie de la paix ? Tous les observateurs, tous les médiateurs semblent prisonniers d’un cercle sans fin. Le langage de la paix s’est épuisé à force de retours en arrière, de promesses creuses, de faux espoirs. La seule certitude, c’est celle du doute : à court terme, aucun signe d’apaisement, aucune stratégie sérieuse de reconstruction. La peur, la méfiance, l’épuisement, s’installent comme des brumes toxiques sur la bande de Gaza et, plus largement, sur la région tout entière. L’idée même de négociation se heurte désormais à la radicalité de chaque camp, à la fatigue morale planétaire.
Les enfants de la guerre, une génération sacrifiée
Impossible de clore ce récit sans évoquer les enfants. Dans un conflit aussi long, aussi répétitif, chaque nouvelle génération naît sous les bombes, apprend à marcher dans les ruines, grandit dans la peur. Les conséquences sont incalculables : syndrome post-traumatique à grande échelle, déscolarisation, perte d’avenir. Qui peut reconstruire sans jeunesse ? L’éthique internationale s’effondre chaque fois qu’un enfant meurt faute de soins, d’eau, de sécurité. Plus que les bombes, ce sont les lendemains que cette guerre broie, silencieusement, chaque jour.
Ce que l’on refuse de voir : la banalité du mal
Le vrai danger, peut-être, réside dans la normalisation. L’habituation progressive au chiffre, à l’image, à l’indifférence. Ce qui, autrefois, aurait bouleversé la conscience planétaire ne fait plus mouche – la multiplication des tragédies érode le regard, anesthésie l’empathie. Cette banalité nouvelle du désastre n’est pas seulement le reflet d’une lassitude médiatique : c’est l’indice d’un recul moral collectif. Pendant que les projecteurs se tournent ailleurs, Gaza continue de tomber, lentement, inexorablement, dans la nuit la plus totale. Et le monde détourne le regard, l’œil sec, le doigt déjà prêt à balayer l’alerte suivante.
Conclusion : Écrire sous les bombes, refuser l’amnésie

Plaidoirie pour une mémoire ininterrompue
Conclure semble presque indécent face à la prolifération des urgences, et pourtant, c’est ici que tout commence : dans l’écriture tenace, dans la documentation, dans la volonté de contrer l’oubli. Ce qui se joue à Gaza n’est pas seulement une question de lignes de front ou de consultations diplomatiques : c’est la mémoire de notre capacité collective à nous émouvoir, à nous mobiliser, à refuser la banalisation du malheur. De Deir al-Balah à la frontière d’Al-Mawasi, chaque pas, chaque cri, chaque survivant réclame qu’on l’écoute, qu’on le relaye, qu’on tienne bon face à la tentation du déni. La guerre continue d’engloutir les promesses et les vies, et rien ne permet de présager, pour l’instant, une accalmie durable – sauf, peut-être, dans une indignation latente, renouvelée, obstinée. C’est là, dans cet acte de lucidité, que réside la seule lueur possible, aujourd’hui, pour Gaza : ne jamais détourner les yeux.