l’Ukraine saigne encore : chronique d’une journée d’attaques Russes sur fonds d’indifférence mondiale
Auteur: Maxime Marquette
alerte maximale dès l’aube sur toute l’ukraine
Impossible de rater l’angoisse. Les sirènes qui déchirent la nuit sur Kiev, Kharkiv, Dnipro, n’appartiennent à aucun film, ni à des souvenirs dépassés : elles sont la langue vivace d’un conflit que personne ne veut – ou ne sait – vraiment arrêter. La dernière journée de frappes russes a tué au moins trois civils, blessé soixante-neuf autres, dévastant des familles en une poignée d’heures. Derrière les chiffres s’étalent des litanies de douleurs : une femme fauchée dans un village frontalier de Sumy, deux habitants de Donetsk terrassés par des éclats, un immeuble éventré en pleine métropole, et toujours ce même chaos – des cris en cascade, des sirènes, une course insensée vers les abris. Ce n’est pas un front, c’est tout un pays qui vacille.
l’offensive russe, méthodique et saturante
Les chiffres sont une claque : 61 drones de type Shahed, 2 missiles balistiques Iskander, artillerie lourde et bombes planantes – le tout lancé quasiment simultanément depuis une demi-douzaine d’oblasts russes. C’est une guerre de saturation, une mécanique de destruction qui ne laisse aucun répit. Les défenses ukrainiennes, pourtant aguerries après plus de trois années de guerre totale, interceptent une partie des engins, mais trop percent. Trop d’alertes, trop de cratères, trop de peur étalée chaque matin. Là où les missiles ratent leur cible initiale, la panique et la colère s’installent, pétrifiant quartiers entiers, jusqu’à donner à chaque fenêtre soufflée le goût amer de la fatalité.
l’épicentre des frappes : kharkiv, sumy, donetsk… et les autres
Impossible d’établir une géographie stable du drame : il se déplace chaque nuit. Mais ce 25 juillet, Kharkiv abrîte l’apocalypse : plus de quarante civils blessés lors d’un bombardement du quartier central Shevchenkivskyi, un haut immeuble frappé en pleine matinée, des véhicules en flammes et autant de vitres explosées qu’on ne peut en compter. Dans le même temps, la région de Sumy s’effondre sous les tirs d’artillerie – une femme tuée, une autre hospitalisée, vingt-six localités pilonnées en vingt-quatre heures. Donetsk, Zaporizhzhia, Dnipro, Kherson, aucune ville, aucun village ne s’épargne la liste macabre. L’Ukraine n’est plus un pays, c’est un patchwork de blessés et d’abris, un tarmac de deuils recommencés.
chronique sanglante par région : l’attaque morcelle un territoire déjà brisé

donetsk : le quotidien de la peur collective
Sous la mitraille, Donetsk compte deux morts à Kostiantynivka et quatorze blessés. Les ambulances slaloment entre les brasiers, un marché éventré, des enfants hagards, des sacs de farine lacérés. À Myrnohrad, trois autres civils blessés, atteints dans leurs maisons ou sur la route, alors qu’ils fuyaient une alerte. Le récit se précise, devient presque automatique – mais chaque victime efface la précédente, jusqu’à perdre le fil du chagrin. Une journée, un tableau noir qui recommence inexorablement.
sumy : la frontière tient, la vie non
Dans la région de Sumy, les constats sont aussi froids que précis : une femme succombe, une autre lutte en soins intensifs – victimes des éclats d’artillerie qui s’abattent sur la communauté rurale de Znob Novhorodske. Plus de vingt-six localités visées, avec des bombes planantes pour les écoles, les hôpitaux de fortune, les résidences. Chaque attaque efface des semaines précaires de retour à la normalité, creuse encore le sentiment d’abandon, de solitude devant un ciel qui ne promet ni pardon, ni compromis.
kharkiv : la terreur du lever du jour
Le scénario kharkivois fait frémir : quartier Shevchenkivskyi, 43 blessés recensés. Des bombes frappent à la fois une tour d’habitation et une entreprise locale. Des enfants arrachés à leur sommeil, couverts de sang ou de poussière, des infirmières surgies dans la rue sans équipement, des voisins qui creusent les gravats à mains nues – tout contribue à une atmosphère d’apocalypse urbaine. Les équipes médicales s’effondrent de fatigue, les pompiers peinent à contenir les incendies, la liste des blessés déborde les registres, ne laissant à chacun qu’un sentiment d’urgence sans fond.
la mécanique des frappes : drones, missiles, artillerie… tout est permis

les drones shahed : cauchemar nocturne exponentiel
La nuit ukrainienne est rythmée par le vol bas des drones Shahed, importés d’Iran, redoutés pour leur silence inquiétant, leur capacité à frapper partout, tout le temps. En une seule nuit, 61 unités lancées. Les défenses antiaériennes résistent, interceptant une partie, mais sept atteignent leurs cibles. Le décompte des débris commence à l’aube. Aucun endroit n’offre de garantie : un simple clic sur une carte, et l’enfer s’abat sur Odéssa, Kharkiv, ou Sumy.
missiles iskander : la précision au service du chaos
Deux missiles balistiques Iskander-M traversent le ciel, insensibles aux alarmes, voués à percer les dômes défensifs et à pulvériser les structures visées. Parfois, c’est une école ; parfois, une usine alimentaire. L’effet est toujours disproportionné : flammes, onde de choc, pressurisation des poumons, éclats de verre, incendies qui s’étendent jusqu’à l’aube, obligeant les secouristes à courir sur dix fronts simultanés. Chaque impact asphyxie l’État, met l’économie à genoux, fait basculer l’ordinaire dans l’insoutenable.
artillerie et bombardements : la terreur banalisée
Dans les zones rurales, l’arme est plus rustique, mais la mortalité reste la même. Les frappes d’artillerie, les roquettes, les obus ânonnent leur funèbre refrain, coupant les routes, détruisant les infrastructures électriques, jetant la population dans une obscurité que ne traversent plus que les flashs des explosions. Les communautés agricoles, déjà fragilisées, vivent désormais au rythme de la course vers les caves, la réparation du puits, et la peur d’un signal lancé sur la radio locale.
l’impact humain : quand le corps paye l’addition de l’indifférence

séquelles psychologiques et spirale de la peur
Le traumatisme psychique s’incruste dans chaque recoin des villes frappées. Les enfants tressaillent à chaque bruit inhabituel, dessinent des tanks et des obus plutôt que des soleils. Les adultes, repliés sur eux-mêmes, perdent sommeil, santé, emprise sur la réalité. Les psychologues volontaires multiplient les rotations dans les centres d’accueil, mais le stock de mots reconfortants s’épuise. Une simple nuit d’attaques suffit à prolonger la peur trois, six, douze mois – parfois à vie.
le système médical en tension permanente
Des hôpitaux saturés, des cliniques de fortune surgies dans des caves, des équipes blessées soignant d’autres blessés : le quotidien hospitalier ukrainien devient un ballet sordide, fait de brancards improvisés, de transferts de nuit, de files d’attente pour obtenir une radiographie. Les dons de matériel, les renforts étrangers compensent partiellement, mais la lassitude gagne, l’épuisement perce dans chaque regard. Chaque nouvelle vague de blessés est un caillou de plus dans la chaussure d’un système de santé déjà vacillant.
l’onde de choc dans la société ukrainienne

désorganisation des services publics
Chaque série d’attaques désarticule un peu plus l’État. Les écoles, les transports, l’électricité, le traitement de l’eau : tout vacille. Les enseignants tentent d’assurer les cours par téléphone, les bus improvisent de nouveaux itinéraires pour esquiver les zones bombardées, des quartiers entiers sombrent dans le noir lorsque les réseaux sautent. Les autorités locales bricolent des solutions temporaires, mais l’épuisement gagne, et la lassitude née du chaos finit par ébrécher la confiance civique.
communautés de l’entraide, parents et voisins mobilisés
Le pays, pourtant, résiste autrement : associations, bénévoles, réseaux d’entraide surgissent dès les premières explosions. On crée des cuisines collectives, des relais médicaux, des réseaux Telegram pour repérer les zones sûres. L’entraide familiale remplace parfois les services publics absents : des voisins abritent les orphelins, des mères cousent des vêtements de fortune, des églises accueillent blessures et chagrins. Cette trame de solidarité, invisible sur les cartes, est la vraie épine dorsale du pays blessé.
la peur du lendemain, partout, tout le temps
Pas un village, pas un quartier qui ne redoute le prochain assaut, le dôme sonore des sirènes, la nouvelle impossible fuite vers un abri. La peur, diffuse, percole dans chaque instant de la vie quotidienne. Acheter du pain, marcher vers l’école, téléphoner à ses proches : tout devient potentiellement risqué, chaque promenade banale peut basculer dans le drame. La tension irrigue chaque relation, chaque projet, chaque silence pesant.
réactions et silences : le concert diplomatique devant la tragédie

l’europe dénonce, mais agit peu
Plusieurs chancelleries européennes réagissent du bout des lèvres, condamnant dans un chapelet de communiqués les attaques « inacceptables » et « barbares ». Mais les mécanismes de sanctions paraissent usés, les livraisons d’armes piétinent, les promesses de reconstruction s’enlisent dans les labyrinthes des bureaucraties. Sur le terrain, cette attente de soutien se traduit en hausse d’amertume, en accusations de trahison larvées. Le mot « solidarité » s’érode à chaque nouveau missile.
les états-unis entre aides et limites
Washington maintient un flux régulier de matériel militaire, de fonds, de promesses d’assistance. Mais l’effet sur la population est contrasté : d’un côté, la reconnaissance sincère du soutien ; de l’autre, l’impression que le conflit s’éternise, que la stratégie globale s’embourbe dans la prudence et le calcul diplomatique. Les Ukrainiens voudraient plus, plus vite, plus fort – mais la realpolitik impose ses lenteurs, ses hésitations et ses revirements.
la russie revendique, nie, pivote
Le Kremlin, quant à lui, oscille entre revendication fière des frappes réussies et dénégation sourde des pertes civiles. Les chaînes d’État alignent les exposés sur la précision militaire, décrivent des succès tactiques et minimisent les victimes innocentes. Dans le sillage de chaque attaque, la guerre des mots accompagne la guerre des bombes – elle façonne la perception mondiale, normalise la barbarie jusqu’à rendre l’insoutenable quasiment invisible.
le quotidien asphyxié : l’économie vacille, la fuite s’accélère

travail et commerce sous la menace
Réunir des salaires, faire des stocks, acheminer les denrées essentielles – tout devient un combat. Les commerces historiques ferment, les usines tournent au ralenti, les marchés de plein air sont désertés. Les PME, soumises à la triple peine des pénuries, de l’insécurité et de l’administratif, multiplient les faillites. L’économie de l’attente, de l’improvisation devient une nouvelle normalité, avec pour seule boussole la capacité à esquiver les tragédies du lendemain.
exodes intérieurs et déracinements familiaux
Chaque alerte, chaque quartier détruit, accélère l’exil vers l’ouest du pays ou vers l’étranger. Des familles disloquées, des maisons laissées à l’abandon, un patrimoine dispersé au fil des routes. Les centres d’accueil improvisés débordent, les liens familiaux se distendent, la mémoire locale s’efface au profit d’une identité d’exilés. L’intensité des départs déstructure les communautés, amplifie l’impression de perte irrémédiable.
la jeunesse sacrifiée : avenir en attente
L’école, l’université, les examens – tout semble suspendu en permanence. Les rêves professionnels sont mis en parenthèses, la formation devient aléatoire, et beaucoup de jeunes doivent composer avec la dissonance : construire l’avenir alors que le présent ne tient qu’à un fil. Les départs pour l’étranger se multiplient, les vocations se gèlent, et la relève se dissout dans un brouillard de doutes et de deuils précoces.
résister : les formes multiples d’une obstination nationale

l’armée et ses relais civils
Les forces armées ukrainiennes, en dépit du choc, encaissent et répliquent. Les habitants, eux, se font soldats du quotidien : filtrent les informations, entretiennent les abris, organisent les premiers secours. Il existe une solidarité de l’instant, des gestes minuscules et puissants qui forgent une résistance organique. Parfois, ces efforts se heurtent à l’ampleur de la destruction, mais ils inscrivent dans la vie ordinaire une rage de ne pas céder.
les artistes, les journalistes, la mémoire active
Film, photographie, théâtre, musique… Les créateurs s’emparent de la crise, racontent l’indicible, mettent en forme le chaos. Certains fuient, d’autres s’engagent, tous participent à égrainer contre le désespoir, à documenter ce qui pourrait être englouti par l’oubli. Les journalistes risquent leur peau pour capturer chaque détail, donner un visage à la statistique, rappeler au reste du monde que chaque victime a une histoire, une voix, une lumière.
les communautés religieuses au chevet des blessés
Églises, mosquées, synagogues, temples : toutes ouvrent leur porte, distribuent des repas, hébergent les sans-abri, offrent un réconfort si précaire mais si vital. Les leaders religieux se meuvent en psychologues, en logisticiens, parfois en médiateurs. Ils apportent une forme de consolation sociale, une boussole morale dans l’effondrement, un espace de parole où l’on peut, enfin, déposer sa peur sans crainte du ridicule.
perspectives et pronostics : vers une accoutumance du désastre ?

la banalisation du crime de guerre
La répétition des attaques – trois morts ici, soixante-neuf blessés là – fait risquer à toute la communauté internationale une anesthésie de la conscience. Le crime de guerre devient opérant, s’infiltrant dans la routine des bulletins, se banalisant à force de détails techniques, de chiffres en cascade. Pourtant, derrière chaque frappe, ce sont des pans entiers de légalité internationale que l’on piétine, des principes revendiqués avec emphase en temps de paix.
l’espoir d’un réveil diplomatique
Malgré la routine du fatalisme, certains continues de croire qu’un choc, une image, un cri viendront réveiller soit les peuples, soit les institutions. La multiplication de morts civils, d’enfants blessés, de hôpitaux détruits, devra tôt ou tard contraindre à une mobilisation. Peut-être ce sursaut tardera-t-il, mais la mémoire s’imprime, les procès s’organisent déjà – et l’histoire regorgera de pages à juger et à évaluer, une fois les armes enfin tues.
résilience ou perte de sens ?
La dernière ligne de défense demeure la capacité de la société à tenir, à transformer la douleur en résistance. Mais ce ressort risque l’épuisement, l’effritement à mesure que la litanie des deuils noie l’horizon. Le défi, pour les Ukrainiens, sera de ne pas se résoudre à considérer que souffrir, c’est vivre ; que survivre, c’est déjà exister. Le vrai danger n’est pas la peur, mais l’acceptation du néant.
conclusion – compter l’horreur n’est pas la comprendre : urgence de voir, d’agir, de transmettre

la souffrance, une réalité qui ne ment pas
L’énumération des victimes ressemble à un rituel, et il faut s’en méfier : trop de chiffres finiront par tuer la compassion. Mais chaque nom, chaque blessure, chaque peur inscrite sur le front d’un enfant est une injonction à ne pas fermer les yeux, à ne pas détourner la tête. L’Ukraine, cette journée encore, demande au monde de voir et de croire à sa douleur – non comme une routine, mais comme le scandale persistant de l’inhumanité.
une mémoire à bâtir, ici et maintenant
Ne laissons pas ce 25 juillet s’effacer sous les hashtags, ni se diluer en simple statistique. Porter la mémoire des frappes russes, c’est dessiner en creux la silhouette d’un pays debout, même vrillé par la peur et le manque. C’est rendre hommage à l’invisible, au silencieux, au courage ordinaire de ceux qui refusent d’abdiquer. Bâtir cette mémoire, c’est aussi refuser la contamination du cynisme.
transmettre la vérité, ne jamais la lâcher
Tant qu’un seul ukrainien restera debout, tant qu’un seul témoin racontera les faits, l’histoire ne pourra pas être entièrement confisquée. C’est un engagement quotidien, une promesse à soi-même, et à tous ceux qui survivent, que d’écrire, de dire, de transmettre, encore et encore. Sans cela, les morts n’auraient même plus leur tombeau, les blessés plus aucun écho, et le monde serait, cette fois, vraiment déserté par l’humanité.