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Deux villages avalés par la guerre : la percée russe au cœur de l’Ukraine centrale fait trembler Dnipropetrovsk
Credit: Adobe Stock

Le silence brisé au matin : Maliyevka rayée de la carte

L’aube s’est arrachée d’un seul cri – un silence crevé, haché par la décharge d’artilleries et les éclats d’un feu qui n’a rien de naturel. Au centre industriel de l’Ukraine, dans les terres censées être à l’abri, la frontière s’est effondrée. Hier encore, le nom de Maliyevka glissait comme une évidence géographique, une virgule tranquille dans le recensement des villages. Cette nuit, il est devenu une plaie ouverte. L’armée russe ne se contente plus d’encercler : elle s’infiltre, elle grignote, elle efface. Les cartes ne suffisent plus à embrasser cette réalité mouvante où chaque repère familial devient cible, chaque grange hypothèque stratégique. Les premiers bilans, timides, sont étouffés sous le vacarme des ruines : pas une âme dans les rues, les sirènes se mêlent aux pleurs, et l’on devine, derrière chaque rideau fermé, la peur qui palpite. La province de Dnipropetrovsk, farouche, tombe de haut : c’est la première fois depuis l’invasion de 2022 qu’un village tombe sous la main russe, ici, si loin du front originel.

Au-delà du choc physique de la prise, ce sont aussi les effets secondaires qui frappent : électricité coupée, logistique suspendue, axes routiers qui se contractent, habitants sommés par les autorités de fuir ou d’attendre, selon l’absurdité des ordres contradictoires. Dans les mines alentour, où le charbon pulse normalement tout l’ouest du pays, le travail s’arrête, les exportations piquent du nez. L’insécurité diffuse gagne jusqu’aux plus sceptiques : la vie ordinaire, désormais, est une anomalie fragile.

Et pourtant, derrière chaque mur fissuré, des voix résistent, des transmissions radios piratent le brouillard électromagnétique, on s’organise, on racle les fonds de tiroirs pour un peu de farine, une batterie de plus. On tient par réflexe, par fierté – ou bien parce qu’on n’a plus le choix.

Zeleny Gai engloutie : le verrou du Donetsk saute

Même scénario, même désastre à peine voilé : Zeleny Gai, autrefois bourg tranquille posant le pied sur la frontière de Donetsk, n’est plus qu’un écho amplifié de la débâcle au nord. Ici, pas d’héroïsme spectaculaire : la défense, rongée de l’intérieur par l’incertitude, n’a pu qu’observer ce front mobile, insidieux, progresser jusqu’à rompre tout espoir de repli coordonné. Pour les Russes, il ne s’agit pas d’un gain arithmétique. C’est une tête de pont vitale, une bretelle stratégique qui ouvre la route vers de plus grandes saignées territoriales. Le commandement ukrainien s’était échiné, semaine après semaine, à renforcer ce verrou : patrouilles, drones de surveillance, tranchées creusées à la hâte. Rien n’a suffi. Un village de plus passe aux mains de Moscou.

Le plus glaçant, c’est l’après. Après la prise, la désolation : les Russes ne trouvent dans les rues désertes que des gravats, parfois une couverture, un jouet oublié. Les journalistes n’ont plus qu’à compter les fenêtres brisées, les familles parties à pied, et relever la trace des tanks dans le bitume. Le Donetsk, occupé depuis 2014 dans sa partie orientale, sent brutalement la marée s’étendre : c’est l’annonce d’une guerre désormais hors limites.

Autour, les échanges de tirs redoublent. Les Ukrainiens minent les derniers accès, détruisent eux-mêmes les ponts, ralentissent la progression par tous les moyens du bord. C’est la résistance de la terre incendiée – la peur d’un exode définitif.

Le prix humain : des familles poussées à l’exil, la routine effritée

On pourrait croire, à entendre l’état-major russe, qu’il s’agit de conquêtes logiques, de pièces déplacées sur un plateau. Mais la réalité fond sous la rhétorique : la chair de ces villages, ce sont des familles chassées trop vite, des enfants arrachés à l’école, des vies pendues au fil ténu d’un couloir humanitaire improvisé. Quatre morts sur la seule nuit – bilan provisoire – et des centaines de déplacés, privés d’eau, d’accès médical, traînant derrière eux le peu de ce qui reste à sauver.

Les autorités ukrainiennes, d’abord incrédules, ordonnent aux femmes et aux enfants d’évacuer tout ce qui touche à la nouvelle ligne de front. Le déracinement est déchirant, éparpillant les liens du quotidien, fragilisant l’arrière-pays. La guerre n’est plus question de bravade mais d’endurance glacée.

Au fil des heures, la situation se détériore : premières pénuries dans les hôpitaux, afflux dans les centres d’accueil surchargés, bus qui n’arrivent plus que très tard, s’ils arrivent. À la gare de Dnipro, ce ne sont plus seulement des regards inquiets : ce sont des visages hagards, eau dormante d’une routine suspendue qui ne reviendra plus. Ceux qui partent ne sont pas sûrs de ce qu’ils retrouveront, ni de ce à quoi ils peuvent encore croire.

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