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Russie : l’ultime naufrage annoncé du Kouznetsov, la fin d’un mythe qui coule
Credit: Adobe Stock

Des années de gloire en brume de fioul

L’Amiral Kouznetsov trône depuis les années 90, vaisseau fantôme oscillant entre mythe et ruine. Sur le papier, il devait rivaliser avec les géants américains. Sur l’eau, il n’offrait qu’épaisse fumée noire et remorqueurs de secours inlassables. Un jour, la mer l’avale ; un autre, il s’étouffe dans ses propres tuyaux. Entre ses missions en Syrie, marquées par la perte de deux chasseurs, et ses longues années d’immobilisation dans le port, les promesses fondent, les illusions rouillent. Difficile de ne pas sourire jaune quand le mythe de la résilience militaire russe s’étiole sous le regard du monde, rendant chaque retour espéré plus mirage que miracle.

Foudroyé par les incidents techniques, des incendies à répétition, des chutes de grues lui cisaillant la coque, la bête de 300 mètres semble téléguider sa propre démolition. Les tentatives d’éveil s’épuisent : une génération d’ingénieurs s’acharne, le Kremlin s’entête, mais les coûts s’envolent, les délais s’étirent comme l’ombre du passé soviétique. L’Amiral, trop grand pour sombrer discrètement, entraîne avec lui la crédibilité d’une flotte nucléaire révolue.

Voici encore quelques mois, la propagande battait son plein, exhibant une coque repeinte, une escadrille de MiG fictive prête à décoller. Mais la réalité démolit la fiction : absence d’équipage qualifié, talents dissous loin des chantiers, fuite des cerveaux navals. Les blagues sur la Marine russe mutent en sarcasmes acérés, car pour la première fois depuis la chute de l’URSS, Moscou n’a plus de véritable porte-avions en ligne. Reste le symbole : vaincu, pathétique, immense.

Le gouffre financier de Mourmansk

Chaque chantier du Kouznetsov est un puits sans fond. Budgets explosés, ambitions recalibrées, expertises épuisées, on croirait observer la Russie contemporaine en miniature. Les responsables reconnaissent à demi-mots l’immense gâchis, incapables de trancher entre la casse et une réparation toujours repoussée. Les sommes englouties frôlent l’absurde pendant que la misère technique s’aggrave. Il y a des moments où l’on s’interroge sur la pertinence d’une telle persévérance – ou sur le désespoir de devoir enterrer un pan entier de puissance militaire, faute de relève crédible.

À chaque accident industriel, à chaque réparation mal accomplie, c’est un coup de massue sur le prestige russe. Pourtant, le projet de démantèlement n’est annoncé qu’à demi-voix, entre deux déclarations contradictoires. L’État, pris dans ses propres injonctions stratégiques, s’interdit un aveu public – comme si le Kouznetsov, mauvais élève, devait rester un vestige vivant pour le salut de quelques égos suprêmes.

L’argent manque, mais la posture persiste. C’est cela, l’ironie de Mourmansk : le chantier gronde, les politiciens s’agacent, les ouvriers maugréent, et la coque pourrit au gré du temp. Aucun remplaçant sérieux, aucune relève. Étrange ballet post-soviétique : on maintient en vie la dépouille du colosse, on feint d’envisager le retour, on repousse la vérité à demain.

Équipage évaporé, tradition éteinte

Pendant que l’immobilisme ronge le développeMment de la flotte, l’humain se dissipe : les vieux loups de mer, rompus aux manœuvres du Kouznetsov, sont partis. Les plus jeunes, sacrifiés pour d’autres théâtres ou d’autres navires, n’ont jamais touché le pont traître du vaisseau en perdition. La culture du porte-avions s’évapore, laissant le commandement sans bras ni mémoire.

À l’heure du choix, la Russie hésite encore à jeter son dernier fétiche par-dessus bord. On se souvient des discours exaltés des années Poutine, des rêves de flotte océanique, tous engloutis dans la routine bureaucratique. Les compétences se perdent, la relève n’est plus formée. C’est une extinction douce de l’aéronavale, étouffée dans son propre silence.

On imagine, non sans amertume, ce que doit ressentir un marin russe : rêver d’horizons lointains et se retrouver prisonnier d’un quai, rouillant dans l’attente d’une décision qui ne vient pas. L’Amiral, naguère école de prestige, flotte désormais comme un musée des désillusions, vestige d’une épopée sans équipage.

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