Soutien à Poutine, concurrence déloyale, chantage commercial : radiographie d’un bras de fer sino-européen inédit
Auteur: Jacques Pj Provost
Il fait lourd sur le Vieux Continent, vraiment lourd : des grincements, des regards froids, une odeur de bras de fer. L’Union européenne, éreintée par la guerre en Ukraine, surveille chaque geste de la Chine comme s’il valait son avenir. Pékin affiche un soutien – plus ou moins voilé, plus ou moins courrouçant – à la Russie de Poutine. Et partout, la machine européenne sonne l’alarme : « concurrence déloyale », « menaces de représailles », « chantage ». Quelques années en arrière, l’Empire du Milieu n’était qu’un partenaire commercial exigeant. Désormais, la mécanique s’inverse : la Chine s’impose, grignote, contourne les règles, joue – ni vraiment ennemi, ni vraiment allié. On l’observe, on s’offusque. On se sent en danger.
La nouvelle donne géopolitique : entre ailier russe et rival occidental, la Chine sort du bois
Plus question de masquer la nervosité européenne : la Chine s’érige en pivot stratégique sur le dossier russe. Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, Bruxelles soigne son vocabulaire, pèse ses mots : la Chine est devenue le « soutien clé » du Kremlin. Stoppée (pour l’instant) dans la livraison directe d’armes, Pékin alimente Moscou en biens à double usage, matières premières, technologies sensibles indispensables à l’écosystème militaro-industriel russe. Ce que redoute ouvertement l’Europe : sans ce relais, la guerre s’engluerait bien plus vite.
Surtout, la Chine offre un abri financier et diplomatique à la Russie, l’aidant à esquiver les sanctions occidentales. L’ombre de « l’amitié d’acier » entre Xi Jinping et Vladimir Poutine plane, obsédante. Et dans le huis clos des sommets internationaux, Pékin multiplie les accolades avec le Kremlin, repousse toute condamnation, refuse de couper les ponts avec Moscou. Ce n’est pas un lapsus : la Chine, désormais, pèse lourd sur le destin du conflit et sur l’ordre mondial tout entier.
Chantage, représailles et timing : l’économie européenne sous le harnais
Sur le front commercial, l’ambiance s’obscurcit. À chaque clash, Pékin contre-attaque, sans gants. Vous haussez les droits de douane ? Voici des restrictions sur les exportations de terres rares. Vous bloquez nos entreprises dans les marchés publics ? Nous lançons des procédures antimarché contre vos locomotives, vos panneaux solaires, votre porc, même votre cognac. L’Europe serre les dents, mais ne cède pas. Mais l’étau se resserre : l’industrie automobile, hyper-dépendante des composants chinois, craint un étranglement à chaque nouvelle enquête décidée au sommet chinois.
Le chantage commercial est assumé : pour Pékin, chaque levier économique est une carte à jouer pour infléchir les politiques européennes, forcer la main sur le dossier des véhicules électriques, subventionnés à bloc en Chine, soupçonnés de ruiner l’industrie allemande, française, italienne… La dépendance n’est jamais accidentelle : Pékin verrouille ses marchés intérieurs, exige l’ouverture totale des marchés européens, verrouille, exige, verrouille encore. C’est la guerre – économique, feutrée, mais intense.
L’Europe saisie d’agacement, l’OMC à la rescousse – ou presque

Sous la pression, l’UE s’affirme. En janvier, Bruxelles lance une procédure contre la Chine devant l’OMC : l’objectif ? Mettre fin à des pratiques jugées « commerciales déloyales », notamment à propos de la propriété intellectuelle. Pékin a imposé que ses tribunaux puissent fixer des taux de redevance mondiaux, contraignant les entreprises européennes à sacrifier marges et innovations, ouvrant la voie à une concurrence faussée.
Les géants européens, de plus en plus, voient leurs marchés laminés par les subventions massives des rivaux chinois. Dans le secteur des véhicules électriques, du photovoltaïque, du ferroviaire, des entreprises portuaires, Pékin a construit une toile d’araignée inédite, prenant la main sur des pans entiers de l’industrie du continent. Les élites économiques s’étranglent. Les politiques se fâchent. Le peuple grogne.
Des représailles qui grignotent : le bras de fer continue
À chaque nouvelle taxe imposée sur les véhicules chinois – plus de 38 % désormais – Pékin réplique par une enquête sur les importations de porc, mélangeant produits agricoles, locomotives, énergie renouvelable. Rien de nouveau, pourrait-on croire. Mais aujourd’hui, la liste s’allonge, le tempo s’accélère. Le carnet de représailles ne tient plus sur une seule page. Car la Chine, deuxième partenaire commercial de l’UE derrière les États-Unis, ne veut pas risquer l’implosion de ce lien. Mais elle veut aussi imposer son rythme, ses règles, ses propres intérêts.
Un jeu de miroir s’enclenche : l’UE exclut progressivement les entreprises chinoises de ses marchés publics, dénonce la fermeture chinoise ; la Chine fait la même chose en retour, crie au « deux poids, deux mesures ». Fausses naïvetés, vraies colères. À force de symétries, le dialogue se rigidifie, s’enlise dans des litiges sans fin.
Des échanges commerciaux au sabotage feutré : comment la Chine tisse sa toile

De la dépendance à la prédation : l’économie européenne déboussolée
En 2024-2025, l’Europe réalise, peut-être trop tard, que sa dépendance à la Chine n’a rien d’anecdotique. L’achat d’entreprises stratégiques (ports, semi-conducteurs, industrie du rail, énergie) a été suivi par une offensive sur les marchés de biens : une vague d’invasions de produits subventionnés, à prix cassés, a désorganisé les chaînes de valeur européennes. Derrière l’étiquette « concurrence déloyale », il y a l’effondrement lent et silencieux de savoir-faire, de PME innovantes, d’emplois.
Tous les secteurs sont concernés : équipements médicaux, batteries, éoliennes, machines-outils, numérique. Les géants du e-commerce – Shein, Temu – grignotent le retail européen, imposent leurs règles, sous le nez de législations qui peinent à suivre l’innovation. L’Europe se découvre vulnérable, presque dénudée. Pékin ne cherche pas à optimiser son retour sur investissement : elle veut bâtir, lentement mais sûrement, une domination commerciale, une mainmise dont il sera difficile de s’extirper.
Cybersécurité, influence, diplomatie : la panoplie complète du soft power chinois
Mais s’arrêter à la sphère économique serait naïf. La Chine, subtilement, infiltre aussi le terrain politique et technologique. Accusée de cyberattaques, d’espionnage industriel, d’opérations d’influence ciblées contre responsables politiques européens, Pékin déploie une stratégie hybride. Le commerce n’est pas seulement un champ de bataille, c’est un levier pour imposer ses choix, éliminer toute autonomie du Vieux Continent.
Au sommet de Pékin, Xi Jinping appelle à « renforcer la confiance », à « approfondir la coopération ». Les dirigeants européens débarquent, liste de griefs à la main. Déséquilibre commercial abyssal, absence d’accès aux marchés publics chinois, crainte d’un raz-de-marée de produits industriels subventionnés. Mais la réalité est morcelée, l’Europe trop souvent divisée, incapable d’imposer un front uni. La tension – parfois comique, souvent désespérée – rappelle que l’époque du libre échange naïf est morte.
L’UE, prudente mais résolue : vers la « dé-riskisation », pas la rupture

Face à cette nouvelle configuration, l’Union européenne ne prône pas le découplage total. Non, la rupture n’est pas à l’ordre du jour. L’Europe vise une « réduction des risques ». Cela passe par : des mesures anti-subventions, l’élargissement de la boîte à outils commerciale, le renforcement des contrôles sur les investissements étrangers, la quête de nouveaux fournisseurs ailleurs qu’en Chine.
Ce choix stratégique peut paraître tiède, mais il traduit une vérité : l’Europe n’a pas encore les moyens de se passer de la Chine. Sa transition énergétique, sa modernisation numérique, reposent encore largement sur les importations asiatiques. Mais l’exécutif européen pousse pour changer cette donne – un chantier titanesque, pas gagné d’avance. Reste à voir si cette ambition survivra au prochain raz-de-marée électoral.
Conclusion : la fin de l’insouciance commerciale européenne

Le réveil est brutal. Le double jeu de la Chine – soutien à Poutine, chantage commercial, dumping industriel – n’est plus un secret pour personne en Europe. Les injonctions à la prudence, les dénonciations, les dossiers entassés à Bruxelles n’apporteront rien seuls. Accepter la réalité géopolitique, c’est aussi admettre que l’ère de l’insouciance, des illusions sur les vertus du libre échange avec la Chine, est révolue. Désormais, chaque compromission, chaque naïveté risque de coûter cher – emplois, sécurité, souveraineté.
Oser franchir le cap de la lucidité, c’est enclencher la riposte, apprendre à dire non, mettre en avant l’intérêt stratégique européen – même si cela réclame temps, sacrifices et conflits à court terme. À la clé : l’autonomie, la résilience, peut-être même, dans la douleur, un réveil du modèle européen. La Chine, elle, n’attendra pas. Et l’histoire jugera l’audace… ou l’aveuglement.