Le nombre de femmes médecins dépasse celui des hommes pour la première fois en France
Auteur: Jacques Pj Provost
Une ère s’achève, une autre tenduement s’ouvre : au 1er janvier 2025, la France bascule du côté d’une histoire médicale inédite. Pour la toute première fois, le nombre de femmes médecins dépasse celui des hommes. Voilà un symbole, mais bien plus : le reflet d’une transformation sociale, démographique, culturelle… Le monde médical, longtemps érigé en bastion masculin, se féminise à une vitesse rarement vue ailleurs dans les professions libérales. Les chiffres ne mentent plus : 118 957 femmes contre 118 257 hommes pratiquent la médecine en France, soit une différence ténue certes, mais le cap est franchi. Cette avancée, simple statistique ? Non : elle bouscule des décennies d’inerties et redistribue les cartes du soin, de la représentation et, surtout, du pouvoir symbolique dans les hôpitaux, les cabinets, les universités.
La longue ascension des femmes médecins : entre hostilité et résilience

Un passé résolument masculin, des pionnières ignorées
Remonter le fil du corps médical français impose de convoquer le souvenir d’une époque où obtenir le droit d’exercer relevait du tour de force pour les femmes. Les institutions, les mentalités, tout semblait ligué contre l’entrée de l’élément féminin. Il fallait s’appeler Élizabeth Garrett ou Madeleine Brès – des noms aujourd’hui encore marginalisés dans la mémoire collective – pour forcer la porte des facultés dans la France du XIXe siècle. Qu’on se le dise : la médecine fut jusqu’au siècle dernier un vernis d’hommes sur fond d’autorité patriarcale. Les anecdotes abondent, où le regard suspicieux, le refus d’embauche ou la restriction des filières sont monnaie courante. Plusieurs générations de femmes ont contenu, bravé, puis renversé ces digues.
La guerre, catalyseur insoupçonné de vocation et de reconnaissance
La grande cassure ? Les guerres mondiales. Soudain, les infirmières, souvent cantonnées à l’ombre, avancent sur le devant de la scène, prenant soin des blessés dans les tranchées, les hôpitaux de l’arrière. La société découvre – ou feint de découvrir – que les femmes, au fond, savent aussi secourir, diagnostiquer, même opérer. À leur retour, nombre d’entre elles refusent de regagner l’anonymat des salons bourgeois : elles s’engagent dans des études médicales, jusqu’alors chasse gardée, dopant lentement mais inexorablement la courbe de la féminisation de la profession.
Statistiques 2025 : chiffres et réalités derrière la bascule

Les femmes franchissent le seuil de la majorité
Voilà les chiffres : sur 237 214 médecins actifs, rares sont ceux – et celles – qui contestent la nouvelle donne. Les femmes forment désormais plus de 50% de l’effectif médical, contre 41% seulement en 2012. Un bond de près de dix points en une décennie : un glissement profond, irréversible, qui déjoue nombre de prédictions. Globalement, ce sont les spécialités liées au “care” qui explosent sur ce versant féminin. 97% des sages-femmes, la majorité écrasante des pédicures-podologues, une féminisation croissante chez les chirurgiens-dentistes : la vague semble englober toute la galaxie du soin. Fait notable, la moyenne d’âge des médecins chute à 49,9 ans, preuve que ces changements sont portés par de nouvelles générations.
Les spécialités, un miroir des assignations mais aussi de l’émancipation
Mais attention : si le nombre global bascule vers le féminin, les spécialisations révèlent des permanences troublantes. Médecine générale, gynécologie, pédiatrie, psychiatrie : les femmes s’y ruent, y excellent, et y deviennent majoritaires. Mais dans les spécialités réputées “techniques” ou “prestigieuses” — chirurgie, anesthésie, cardiologie — elles demeurent parfois sous-représentées. Pourquoi ? Les habitudes, les codes sociaux, la transmission des rôles persistent. Où s’arrête le progrès, où commence la reproduction des inégalités ? Difficile à trancher – et ce débat, croyez-moi, il fait rage dans les amphis et les salles de garde.
Le mode d’exercice bousculé par la féminisation
Une autre révolution silencieuse : la mutation du mode d’exercice. Si la médecine demeure historiquement une activité libérale (57% des médecins), la tendance mixte ou salariée s’affirme. Près de la moitié des médecins femmes optent pour le salariat ou le multi-activité, conjuguant travail en ville, à l’hôpital et parfois même en téléconsultation. Cela bouleverse les horaires, le rapport au temps médical, la protection sociale, l’accessibilité des patient·e·s. L’avenir ? Très certainement un éclatement croissant des modèles, une plus grande liberté de choix – mais aussi des défis organisationnels monumentaux à venir.
Effets et conséquences : entre progrès, résistances et perspectives

Un plafond de verre brisé… ou déplacé ?
Ah… la fameuse question du plafond de verre. La profession médicale serait-elle enfin “libérée”, “égalisée” ? Rien n’est moins sûr. Certes, nombre de femmes s’imposent, leur présence n’est plus une anomalie. Mais la réalité du quotidien médical se nourrit encore de stéréotypes. Les jeunes diplômées entendent encore régulièrement : “Vous êtes la secrétaire ?” ou “Où est le docteur ?”. Les postes à haute responsabilité – chefs de service, doyennes de faculté, directions hospitalières – peinent à s’équilibrer. On change de visage mais le système, lui, mettra encore des années à digérer l’égalité réelle dans ses instances dirigeantes.
La féminisation, moteur d’une nouvelle culture du soin
Là où certains évoquent le “déclin de l’autorité médicale”, moi je préfère y voir l’émergence d’une culture du soin plus inclusive, plus patiente, plus empathique – preuve qu’accueillir la diversité, même tardivement, offre de nouveaux horizons : prise en compte du vécu du patient, lutte contre l’arbitraire diagnostique, meilleure écoute des symptômes et plaintes parfois “invisibles” des femmes. Les témoignages abondent, où des patient·e·s disent se sentir “plus écouté·e·s”, “moins jugé·e·s”, face à une praticienne toute fraîchement diplômée.
Des limites, des tensions, mais surtout des résistances tenaces
Oui, chacun·e voit midi à sa porte. Pour certains, la féminisation serait le signe d’une dévalorisation du métier : études plus longues, salaires moyens en berne, conditions d’exercice parfois jugées “trop dures”, voire ingérables pour harmoniser vie professionnelle et personnelle. D’autres, souvent majoritaires parmi les praticiens installés, y voient au contraire la marque d’une conquête, d’une ouverture du métier à toute la société. Restera à juger, dans dix ans, où mèneront ces équilibres et déséquilibres naissants. Qu’on soit pour ou contre, la mutation est réelle, irréversible.
Focus : comparaisons européennes et mondiales – où se situe la France ?

L’exception française ? Europe et au-delà, les trajectoires diffèrent
Et ailleurs ? L’hexagone n’est pas seul sur ce chantier du renouvellement générationnel et de la mixité dans le soin. Italie, Espagne, Portugal : même tendance marquée, avec de fortes proportions de jeunes femmes diplômées en médecine. L’Allemagne, plus lente, mais rattrape son retard : la moitié des nouveaux internes sont désormais des femmes. Les pays nordiques, comme toujours, jouent les pionniers avec des taux de féminisation jusqu’à 60% chez les médecins actifs. Outre-Atlantique, la féminisation galope également, mais se heurte à des modèles universitaires et corporatistes parfois moins souples que la France. Bref, la France n’est ni en avance ni en retard : elle épouse l’air du temps international, tout en traînant ses propres archaïsmes.
Vers quels futurs pour la médecine française ?

L’arrivée de la mixité générationnelle, une chance à saisir
La diversité des genres, la jeunesse, le renouvellement des pratiques : il serait temps que la santé publique cesse d’en faire un “problème” pour le transformer en opportunité. Les jeunes médecins, femmes et hommes, inventent à vue : flexibilité des horaires, prise en main du digital, lutte contre les déserts médicaux… À condition que les politiques de santé leur laissent l’espace d’oser, que les anciens comprennent que les codes changent, que la société accompagne ce vent de fraîcheur, sans nostalgie d’un âge d’or largement fantasmé.
Conclusion – Un seuil historique, mais pas la fin du voyage

Le cap des 50% de femmes médecins en France vient d’être franchi. Une avancée symbolique et très concrète, porteuse d’imaginaires, de bouleversements mais aussi d’espoirs. Ne nous y trompons pas : il reste à la médecine d’inventer son nouveau récit, avec ses tensions, ses déséquilibres, ses ouvertures. Plus que jamais, la profession s’éloigne des modèles anciens, pour mieux coller aux enjeux du présent. Le défi est immense mais, pour la première fois, la France donne la pleine mesure de la place des femmes dans la santé. Il était temps. Maintenant, il va falloir continuer – tous ensemble – à tracer le chemin vers l’égalité, la reconnaissance et l’excellence partagée. Et croyez-moi, le meilleur – ou le plus tumultueux – reste à écrire.