Peuvent-ils vraiment dire non à Trump ? Quand les pays songent à stopper les affaires avec les Etats-Unis
Auteur: Jacques Pj Provost
Décrochage. Dépendance. Tensions. L’actualité internationale semble soudain s’arrêter sur une interrogation fascinante, presque taboue jusque-là dans les cercles économiques : les pays peuvent-ils choisir de couper leurs relations d’affaires avec les Etats-Unis, et plus encore, de balayer d’un revers les taxes imposées par l’administration Trump ? Une idée qui fait trembler autant qu’elle séduit, portée par les récentes mesures protectionnistes de Washington, mais aussi par l’irrésistible envie de souveraineté commerciale. Pourtant, entrer en résistance face au géant américain, est-ce une utopie, un suicide économique ou la promesse d’un autre monde ? Explorons l’envers du récit, loin des slogans simplistes, au cœur des calculs et hésitations des grandes puissances.
Vers une fracture des alliances économiques ?

Dans l’histoire récente, le « America First » de Trump n’est plus un simple slogan électoral, c’est un bulldozer diplomatique. Tarifs douaniers « réciproques », hausse soudaine des droits de douane sur des dizaines de pays – l’électrochoc est planétaire. Les réactions oscillent entre sidération, colère retenue et discrète préparation à une contre-offensive. Mais peut-on simplement tourner le dos au marché américain, le plus vaste et influent du globe ? Quelques chiffres suffisent à planter le décor :
- En 2000, les Etats-Unis étaient le premier partenaire commercial de plus de 80 % des économies mondiales. En 2025, ce chiffre chute à 30 %, la Chine prenant le relai pour plus de 120 pays.
- Le dollar reste la monnaie pivot pour la majorité des échanges internationaux, même si un certain nombre de pays (tels que Russie, Inde, ex-républiques soviétiques) s’organisent pour s’en détacher progressivement.
Est-ce un rapport de forces figé ? Absolument pas. Le paysage commercial bouge, se morcelle, se recompose.
Rupture ou contournement : quelles stratégies face à Trump ?
Personne n’isole volontairement la première économie mondiale. Même les économies les plus puissantes avancent « masquées » : l’Allemagne, le Japon, la Corée du Sud, la Chine multiplient discrètement les accords alternatifs. La riposte est presque toujours graduée, stratégique, et guidée par une volonté farouche d’éviter l’effondrement soudain de leur propre marché. Ainsi, la question ne se résume plus à un simple « on arrête ou pas », mais se vit comme un spectre de réponses allant de la contre-attaque (ré-application de tarifs sur les produits américains), à la diversification frénétique des partenaires. Parfois, on boycotte – sous couvert d’accords régionaux élargis, de dédollarisation ou de soutien aux industries nationales.
Tarifs à la Trump : une domination qui s’effrite ?

Le dernier épisode de surtaxes américaines n’est pas qu’une énième guerre commerciale. Il révèle l’essoufflement du leadership US sur l’économie mondiale :
- Des pays comme le Canada ou la Chine annoncent des mesures de représailles immédiates, taxes en retour équivalentes ou supérieures.
- Le Brésil, la Corée du Sud, le Japon tentent la négociation mais préparant aussi, dans l’ombre, des outils de riposte.
- L’Union européenne met sur la table un arsenal de contre-mesures « prêtes à être dégainées » si l’escalade persiste.
- L’Inde et la Russie accélèrent la signature d’accords bilatéraux en dehors de la sphère américaine, et taillent des pans entiers de commerce en circuits indépendants du dollar.
De plus, on voit émerger une nouvelle cartographie des alliances : l’Asie du Sud-Est, le continent africain, l’Amérique latine, et même le Moyen-Orient tissent des liens moins dépendants de Washington. C’est flagrant avec le lancement de systèmes de paiement alternatifs, ou l’accélération de grands accords commerciaux régionaux.
Est-il réellement faisable de « débrancher » les Etats-Unis ?
Plus facile à dire qu’à faire. La dépendance à l’économie US se manifeste à plusieurs niveaux : accès au marché, à la finance internationale (le dollar), à la technologie, aux chaînes de valeur mondiales. Même avec des velléités de rupture, une sortie brutale expose à un choc économique généralisé. Les Etats-Unis absorbent 16 % des importations mondiales ; les multinationales US réalisent 40 % de leur chiffre d’affaires à l’étranger. Résister, c’est aussi s’exposer à des rétorsions multiples : embargo, listes noires, sanctions bancaires, etc. Une rupture absolue, sauf cas extrêmes comme l’Iran, n’a jamais eu lieu. Mais la progression discrète d’alternatives – monnaies locales, marchés régionaux, innovations technologiques – suggère que la dépendance s’effrite, lentement.
Spring de la dédollarisation : mythe ou réalité ?
Des ex-républiques soviétiques aux grands émergents, l’année 2025 voit plusieurs pays saisir l’occasion pour réduire leurs transactions en dollar. Arménie, Azerbaïdjan, Biélorussie, Kazakhstan, Kirghizistan, Moldavie, Russie, Tadjikistan, Turkménistan, Ouzbékistan, Ukraine : ces nations annoncent l’abandon du billet vert dans les échanges transnationaux, motivés par la peur de sanctions, l’ambition de reprendre la main sur leurs politiques monétaires, et la volonté de s’émanciper d’un arbitre américain jugé trop capricieux. Certes, la route est longue, mais les outils digitaux (cryptomonnaies d’Etat, plateformes de paiement russes, chinoises, indiennes) accélèrent ce basculement.
Y-a-t-il un « prix à payer » ? Les conséquences d’un bras de fer

Oui, disons-le sans détour, le courage d’affronter les taxes américaines n’est pas sans risque. On observe :
- Baisse immédiate des volumes d’échange entre les partenaires victimes de surtaxes et les Etats-Unis. Lors de la précédente salve, les importations vers l’Amérique ont chuté jusqu’à 31 %, les exportations US vers ces pays de 11 % environ.
- Coûts pour le consommateur – la hausse des tarifs est payée, d’abord, par les achteurs américains, mais aussi, à l’Export, par les producteurs étrangers qui peinent à écouler leurs marchandises. Tout le monde trinque, au final – des deux côtés de l’Atlantique (et du Pacifique, tiens).
- Reconfiguration des chaînes logistiques, car les groupes multinationaux cherchent à contourner les obstacles, ouvrent des filiales vers d’autres continents ou délocalisent leur production.
- Rebond des initiatives régionales : accords sans les Etats-Unis, investissements massifs dans l’innovation locale… l’idée de s’émanciper fait tâche d’huile.
- Mais attention ! La transition est douloureuse : baisse du PIB à court terme, pénurie de certains matériaux, difficultés à adapter l’offre à la demande régionale. Pas de miracle, mais une palette de solutions pour réussir, à moyen terme, à s’adapter.
L’ironie du sort : Trump accélérateur d’un monde multipolaire ?
A force de brandir la menace tarifaire, l’Amérique force paradoxalement ses partenaires à accélérer leur émancipation. C’est un phénomène inattendu : pour protéger sa suprématie, Washington pourrait bien hâter le passage à une économie mondiale multipolaire. Les nations rivalisent d’inventivité pour contourner les blocages, négocier de nouveaux deals, tester des monnaies alternatives. Et petit à petit, la centralité des Etats-Unis s’effrite. Le danger ? Un système moins stable, plus fragmenté, mais aussi potentiellement plus équilibré à long terme. Mais la route, encore une fois, sera longue.
L’aube d’un commerce plus libre… sans l’Amérique ?

Au final, le monde apprend à aimer sans l’Amérique. Progressivement, stratégiquement, sans fracas ni déclaration tonitruante. Les taxes de Trump ? Un accélérateur, non un bâton magique. L’Amérique reste un acteur majeur, mais de moins en moins incontournable à mesure que les alliances régionales se tissent et que l’innovation monétaire s’étend. Les nations peuvent dire non, ou du moins chuchoter leur désapprobation dans de nouveaux accords, loin du regard Washingtonien. Mais la réalité économique n’offre pas de raccourci : réduire la dépendance coûte cher, prend du temps, suppose un courage politique parfois absent – et tant que les alternatives ne sont pas solides, la tentation de négocier reste plus forte que celle de clore la porte. Une ère se termine, une autre s’invente – à pas de géant, ou à pas feutrés. À chacun son timing, selon ses moyens, ses rêves et ses faiblesses.