L’émissaire de Trump débarque à Gaza : mission impossible ou coup de poker géopolitique ?
Auteur: Maxime Marquette
L’annonce a fait l’effet d’une bombe dans les chancelleries mondiales. Steve Witkoff, émissaire spécial de Donald Trump pour le Moyen-Orient, s’apprête à fouler le sol de Gaza dans les prochains jours, au cœur d’une catastrophe humanitaire sans précédent. Cette visite, qui intervient alors que la bande de Gaza compte plus de 45 000 morts selon le ministère de la Santé palestinien, marque un tournant radical dans l’approche diplomatique américaine. Mais que peut réellement accomplir un homme d’affaires new-yorkais dans ce territoire dévasté où chaque pierre raconte une tragédie ? La question résonne avec une urgence particulière alors que les hôpitaux manquent de tout, que les enfants meurent de faim et que les bombardements continuent de pleuvoir. Witkoff, ancien promoteur immobilier reconverti en diplomate, arrive avec dans ses bagages les promesses de Trump d’un « deal du siècle » version 2.0. Seulement voilà : Gaza n’est pas Manhattan, et les décombres ne se négocient pas comme des contrats immobiliers. Cette mission s’annonce comme l’une des plus périlleuses de l’histoire diplomatique récente, dans un contexte où chaque mot peut déclencher une escalade, chaque geste peut sauver ou condamner des milliers de vies.
Le profil explosif de l'homme qui veut pacifier l'impacifiable

Steve Witkoff : du béton de Manhattan aux ruines de Gaza
Steve Witkoff n’est pas un diplomate classique. Cet homme de 67 ans, magnat de l’immobilier et ami personnel de Donald Trump depuis plus de deux décennies, débarque dans l’arène géopolitique avec un CV pour le moins… atypique. Propriétaire d’un empire immobilier évalué à plusieurs milliards de dollars, Witkoff a bâti sa fortune en transformant des terrains vagues en gratte-ciels étincelants. Mais Gaza ? Gaza, c’est l’inverse absolu de ses réussites new-yorkaises. Ici, ce sont les gratte-ciels qui redeviennent terrains vagues, les écoles qui se muent en cratères, les hôpitaux qui s’effondrent sous les bombes. L’ironie est saisissante, presque cruelle. Cet homme qui a passé sa vie à construire va devoir négocier dans un territoire où tout a été détruit. Trump l’a choisi précisément pour cette raison : « Steve comprend les deals impossibles », a déclaré le président élu. Mais comprendre un deal immobilier et comprendre la souffrance de 2,3 millions de Palestiniens pris au piège, est-ce vraiment la même chose ? Witkoff lui-même semble conscient de l’ampleur du défi. Dans ses rares déclarations publiques, il évoque une « mission sacrée » et parle de « responsabilité historique ». Des mots qui sonnent juste… ou terriblement creux selon le prisme par lequel on les observe.
Une nomination qui fait grincer des dents dans les cercles diplomatiques
Les réactions à la nomination de Witkoff ont été… explosives. Les diplomates de carrière du département d’État américain n’ont pas caché leur stupéfaction. « Envoyer un promoteur immobilier négocier la paix au Moyen-Orient, c’est comme demander à un boucher de faire de la chirurgie cardiaque », confie sous couvert d’anonymat un haut fonctionnaire. Les capitales européennes ne sont pas en reste. À Paris, Londres et Berlin, on s’interroge sur la « méthode Trump » qui consiste à confier les dossiers les plus sensibles à des néophytes de la diplomatie. Mais Witkoff a ses défenseurs, et pas des moindres. Jared Kushner, l’ancien gendre de Trump qui avait orchestré les accords d’Abraham, voit en lui « l’homme de la situation ». « Steve a cette capacité unique à voir les opportunités là où d’autres ne voient que des obstacles », explique-t-il. Le milliardaire Sheldon Adelson, avant sa mort, avait d’ailleurs recommandé Witkoff pour ce type de mission. Reste que sur le terrain, les ONG internationales expriment leurs inquiétudes. « Nous avons besoin de quelqu’un qui comprenne la complexité humanitaire, pas quelqu’un qui voit tout en termes de profit et de perte », martèle un responsable d’Oxfam. La tension est palpable, l’enjeu colossal.
Les premières déclarations qui font trembler les chancelleries
Witkoff n’y va pas par quatre chemins. Ses premières déclarations publiques ont fait l’effet d’un électrochoc diplomatique. « Je ne viens pas à Gaza pour faire de la figuration ou pour des photos. Je viens pour obtenir des résultats concrets, rapidement », a-t-il martelé lors d’une conférence de presse à Mar-a-Lago. Cette approche directe, typiquement trumpienne, tranche radicalement avec le langage feutré habituel de la diplomatie. Plus troublant encore : ses références constantes au « modèle économique » de la reconstruction. « Gaza peut devenir le Singapour de la Méditerranée », affirme-t-il sans sourciller. Une déclaration qui fait bondir les défenseurs des droits palestiniens. « Il parle de business plan pendant que des enfants meurent sous les bombes », s’indigne Hanan Ashrawi, ancienne négociatrice palestinienne. Mais Witkoff assume totalement cette approche. Pour lui, seule une « vision économique ambitieuse » peut sortir Gaza de l’impasse. « Les gens ont besoin d’espoir, pas de discours », répète-t-il. Cette philosophie pragmatique séduit certains observateurs, notamment en Israël où l’on apprécie cette approche « business-friendly ». Benyamin Netanyahou lui-même aurait exprimé sa « satisfaction » concernant cette nomination, selon des sources proches du Likoud.
Gaza : l'enfer sur terre que découvrira l'émissaire américain

Les chiffres de l’apocalypse qui attendent Witkoff
Les statistiques que découvrira Steve Witkoff à son arrivée à Gaza donnent le vertige. Plus de 45 000 morts selon le ministère de la Santé palestinien, dont 70% de femmes et d’enfants. Ces chiffres, contestés par Israël qui évoque une « manipulation du Hamas », n’en restent pas moins accablants. Mais au-delà des morts, c’est toute une société qui s’effondre sous les yeux de l’émissaire américain. 90% des infrastructures de santé sont détruites ou endommagées. Les 36 hôpitaux de Gaza ? Seuls 4 fonctionnent encore partiellement. L’université islamique, fierté intellectuelle de l’enclave ? Rayée de la carte. Les écoles ? 625 établissements scolaires détruits ou endommagés, privant 625 000 enfants d’éducation. Witkoff, habitué aux bilans financiers, va devoir digérer des bilans humains d’une tout autre nature. 1,9 million de Palestiniens déplacés sur une population totale de 2,3 millions. Imaginez : c’est comme si 85% de la population française était contrainte de fuir son domicile. Les camps de réfugiés improvisés s’étendent à perte de vue, transformant Gaza en un gigantesque bidonville à ciel ouvert. Et puis il y a ces détails qui glacent le sang : les enfants qui dessinent des tanks au lieu de fleurs, les mères qui ne savent plus comment expliquer pourquoi papa ne reviendra jamais.
La famine qui ronge silencieusement l’enclave palestinienne
Witkoff va découvrir une réalité que ses tours de Manhattan ne l’ont jamais préparé à affronter : la famine organisée. Selon l’ONU, 96% de la population de Gaza souffre de malnutrition aiguë. Les images sont insoutenables : des enfants aux ventres gonflés, aux membres squelettiques, qui ressemblent davantage à des survivants de camps de concentration qu’à des écoliers du XXIe siècle. Les mères n’ont plus de lait pour allaiter, les pères fouillent les décombres à la recherche de quelques conserves oubliées. Le Programme alimentaire mondial tire la sonnette d’alarme : « Gaza connaît la pire crise alimentaire de son histoire moderne. » Les chiffres parlent d’eux-mêmes : avant le conflit, 500 camions d’aide humanitaire entraient quotidiennement dans l’enclave. Aujourd’hui ? À peine 50, quand les conditions sécuritaires le permettent. Israël justifie ces restrictions par des « impératifs sécuritaires », craignant que l’aide ne soit détournée par le Hamas. Mais sur le terrain, c’est la population civile qui paie le prix fort. Les boulangeries ? Fermées faute de farine. Les marchés ? Vides ou proposant des denrées à des prix astronomiques. Un kilo de farine se négocie désormais 50 dollars, quand on en trouve. L’eau potable ? Un luxe que beaucoup ne peuvent plus s’offrir.
L’effondrement sanitaire total que va constater l’émissaire
Le système de santé gazaoui n’existe plus. C’est la réalité brutale que va découvrir Witkoff lors de sa visite. L’hôpital Al-Shifa, le plus grand complexe médical de l’enclave, n’est plus qu’un amas de décombres fumants. L’hôpital européen ? Partiellement détruit. L’hôpital Nasser ? Hors service. Les quelques structures encore debout fonctionnent sans électricité, sans médicaments, sans matériel chirurgical. Les médecins opèrent à la lumière des téléphones portables, amputent sans anesthésie, voient mourir leurs patients faute de moyens élémentaires. Le Dr Ghassan Abu-Sittah, chirurgien britannique-palestinien qui a travaillé à Gaza, témoigne : « J’ai vu des enfants mourir d’infections qui se soignent avec de simples antibiotiques. C’est un génocide médical. » Les maladies infectieuses explosent : choléra, dysenterie, hépatite A se propagent dans les camps de déplacés où l’hygiène est inexistante. Les femmes enceintes accouchent dans des conditions moyenâgeuses, quand elles survivent à leur grossesse. Le taux de mortalité infantile a bondi de 300% depuis le début du conflit. Witkoff, qui a l’habitude des environnements aseptisés des tours de verre, va plonger dans un univers où la mort rôde à chaque coin de rue, où l’odeur de la gangrène se mélange à celle de la poudre.
Les infrastructures pulvérisées : mission impossible pour un bâtisseur
Pour un homme qui a consacré sa vie à construire des gratte-ciels, le spectacle de Gaza doit avoir quelque chose de profondément traumatisant. Imaginez un promoteur immobilier découvrant que tous ses projets ont été dynamités en une nuit. C’est exactement ce qui attend Witkoff. Les infrastructures de Gaza ont été méthodiquement détruites. Le réseau électrique ? Anéanti. Les stations d’épuration ? Bombardées. Les routes ? Criblées de cratères. Les ponts ? Effondrés. Même les cimetières n’ont pas été épargnés, transformant le deuil en cauchemar supplémentaire pour les familles. Les Nations unies estiment qu’il faudra 20 ans et 40 milliards de dollars pour reconstruire Gaza. Vingt ans ! C’est plus long que la construction de l’Empire State Building, du World Trade Center et de Central Park réunis. Witkoff, habitué aux projets pharaoniques, se retrouve face au projet le plus colossal de sa carrière : ressusciter une ville morte. Les défis techniques sont vertigineux. Comment reconstruire quand les matériaux de construction sont interdits d’importation ? Comment planifier quand les bombardements peuvent reprendre à tout moment ? Comment financer quand l’économie locale a été totalement détruite ? Gaza produisait avant-guerre pour 700 millions de dollars de biens et services par an. Aujourd’hui ? Zéro. L’activité économique s’est littéralement évaporée.
Le traumatisme psychologique d’une génération sacrifiée
Au-delà des destructions physiques, Witkoff va découvrir une réalité encore plus terrifiante : le traumatisme psychologique collectif qui frappe Gaza. Les psychologues parlent d’une « génération perdue », d’enfants qui ne connaissent que la guerre, la peur, la mort. 1,1 million d’enfants vivent dans l’enclave. Tous, sans exception, souffrent de stress post-traumatique. Ils font des cauchemars, sursautent au moindre bruit, dessinent des scènes de guerre avec une précision glaçante. Les enseignants, quand ils peuvent encore exercer, décrivent des classes où les enfants ne parlent que de mort, de bombes, de sang. « Ils ont perdu leur innocence », témoigne Fatima, institutrice réfugiée dans une école de l’UNRWA. « Ils jouent à la guerre au lieu de jouer à la poupée. » Les adultes ne sont pas épargnés. Les mères développent des dépressions sévères, les pères sombrent dans l’alcoolisme clandestin ou la violence domestique. Les suicides, tabou dans la société palestinienne, commencent à apparaître. L’OMS estime que 90% de la population gazaouie souffre de troubles mentaux divers. Comment négocier la paix avec des gens brisés psychologiquement ? Comment reconstruire une société quand les fondements mentaux ont été pulvérisés ? Witkoff, homme de deals et de contrats, va devoir apprendre une nouvelle langue : celle de la souffrance humaine.
Les enjeux géopolitiques titanesques de cette mission

Trump face à l’héritage empoisonné de Biden
Donald Trump hérite d’un dossier palestinien dans un état catastrophique. L’administration Biden, malgré ses déclarations d’intention, n’a jamais réussi à peser véritablement sur Benyamin Netanyahou. Pire : elle a continué à livrer des armes à Israël tout en appelant mollement à la « retenue ». Cette schizophrénie diplomatique a abouti au désastre actuel. Trump, lui, arrive avec une approche radicalement différente. « Joe Biden a été faible, moi je serai fort », martèle-t-il. Mais forte comment ? Dans quel sens ? Les signaux envoyés sont contradictoires. D’un côté, Trump a toujours affiché un soutien indéfectible à Israël. Il a reconnu Jérusalem comme capitale israélienne, légitimé les colonies, présenté un « plan de paix » totalement favorable à Israël. De l’autre, il reproche aujourd’hui à Netanyahou d’avoir « mal géré » la situation, de l’avoir « embarrassé » sur la scène internationale. Cette ambiguïté pourrait être un atout pour Witkoff. En arrivant à Gaza, l’émissaire peut jouer sur cette incertitude, faire miroiter aux Palestiniens un Trump « nouveau », plus équilibré. Mais il peut aussi rassurer les Israéliens sur la continuité du soutien américain. Cette double casquette est périlleuse : elle peut permettre tous les compromis… ou tous les malentendus. L’histoire jugera si cette ambiguïté calculée était géniale ou désastreuse.
L’Iran et ses proxies : l’ombre menaçante sur les négociations
Impossible de comprendre la mission Witkoff sans évoquer l’axe de la résistance iranien. Téhéran, par l’intermédiaire du Hamas, du Hezbollah, des Houthis et des milices irakiennes, a transformé le Moyen-Orient en poudrière. Pour l’Iran, Gaza n’est qu’un pion sur l’échiquier géopolitique régional. Peu importe que les Palestiniens souffrent, l’essentiel est de maintenir la pression sur Israël et, par ricochet, sur les États-Unis. Cette réalité complique considérablement la tâche de Witkoff. Comment négocier avec le Hamas quand les véritables décideurs sont à Téhéran ? Comment obtenir des garanties durables quand l’Iran peut à tout moment relancer les hostilités ? Trump le sait : sans neutraliser l’influence iranienne, aucun accord ne tiendra. D’où sa stratégie de « pression maximale » sur la République islamique. Sanctions renforcées, menaces militaires, isolation diplomatique : tous les moyens sont bons pour contraindre Téhéran à lâcher ses proxies. Mais l’Iran ne se laissera pas faire. Les Gardiens de la révolution ont déjà promis de « faire échouer toute tentative de normalisation imposée par l’Amérique ». La partie s’annonce serrée, dangereuse. Witkoff navigue en eaux troubles, avec des requins de tous côtés.
Les alliés arabes pris entre deux feux
L’Égypte, la Jordanie, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis : tous ces alliés traditionnels des États-Unis se retrouvent dans une position délicate. D’un côté, ils souhaitent la stabilité régionale et entretiennent des relations discrètes mais réelles avec Israël. De l’autre, la pression de leurs opinions publiques, révoltées par les images de Gaza, les contraint à durcir le ton. Mohammed ben Salmane, le prince héritier saoudien, a ainsi suspendu les négociations de normalisation avec Israël « tant qu’un État palestinien viable ne sera pas créé ». Une position qui complique les plans de Trump, qui rêvait d’étendre les accords d’Abraham à Riyad. L’Égypte d’Abdel Fattah al-Sissi joue un jeu encore plus complexe. Le Caire contrôle le passage de Rafah, seule ouverture de Gaza sur le monde extérieur. Sissi peut faciliter ou compliquer la mission de Witkoff selon ses intérêts du moment. Pour l’instant, il temporise, laisse passer l’aide humanitaire au compte-gouttes, refuse d’accueillir massivement les réfugiés palestiniens. « Nous ne serons pas complices d’un nouveau Nakba », répète-t-il. Cette résistance passive des alliés arabes pourrait contraindre Witkoff à revoir ses ambitions à la baisse. Sans le soutien des capitales arabes, impossible d’imposer une solution durable.
L’Europe divisée face à l’initiative américaine
L’Union européenne observe la mission Witkoff avec un mélange de scepticisme et d’espoir. Scepticisme parce que l’approche trumpienne heurte les sensibilités européennes. « On ne règle pas un conflit vieux de 75 ans avec des méthodes de businessman », grince un diplomate français. Espoir parce que l’Europe, malgré ses déclarations grandiloquentes, s’est révélée totalement impuissante face à la crise gazaouie. Bruxelles a bien tenté de jouer les médiateurs, mais sans succès. Les Européens payent, financent l’aide humanitaire, reconstruisent… et voient tout détruit à nouveau quelques années plus tard. Cette frustration pousse certains dirigeants européens à donner sa chance à l’initiative américaine. Emmanuel Macron, malgré ses critiques publiques de Trump, a ainsi fait savoir discrètement qu’il « soutiendrait tout effort sincère de paix ». L’Allemagne d’Olaf Scholz adopte une position similaire. Seule l’Espagne de Pedro Sanchez maintient une ligne dure, réclamant des « sanctions immédiates » contre Israël. Cette division européenne affaiblit le poids de l’UE dans les négociations. Witkoff peut en profiter pour marginaliser les Européens, ou au contraire les associer pour légitimer son action. Le choix qu’il fera sera déterminant pour l’avenir des relations transatlantiques.
La Chine et la Russie : spectateurs intéressés ou acteurs cachés ?
Pékin et Moscou observent la mission Witkoff avec une attention particulière. Pour la Chine de Xi Jinping, le chaos moyen-oriental est une aubaine géopolitique. Pendant que les États-Unis s’enlisent dans les sables palestiniens, la Chine étend son influence en Afrique, en Asie, en Amérique latine. Xi Jinping a d’ailleurs proposé ses « bons offices » pour résoudre le conflit, une manière élégante de rappeler que Pékin compte désormais parmi les grandes puissances mondiales. La Russie de Vladimir Poutine joue une partition plus complexe. Moscou entretient des relations avec tous les protagonistes : Israël (à cause de la importante communauté russe), l’Iran (alliance de circonstance), les Palestiniens (héritage soviétique). Cette position d’équilibriste permet à Poutine de se poser en alternative crédible à la médiation américaine. « Contrairement aux Américains, nous ne prenons pas parti », répète la diplomatie russe. Cette concurrence sino-russe complique la tâche de Witkoff. Si sa mission échoue, Pékin et Moscou ne manqueront pas de proposer leurs services. Trump le sait : l’enjeu dépasse largement le sort des Palestiniens. C’est la crédibilité de l’Amérique comme puissance médiatrice qui se joue à Gaza.
Les défis opérationnels insurmontables de la mission

Sécurité maximale dans un territoire en guerre
Comment assurer la sécurité d’un émissaire américain dans la zone la plus dangereuse de la planète ? La question obsède les services secrets américains depuis l’annonce de la mission Witkoff. Gaza, c’est 365 kilomètres carrés de chaos absolu, où chaque immeuble peut cacher un sniper, chaque décombre peut dissimuler un engin explosif. Le Secret Service, habitué à protéger les présidents dans des environnements contrôlés, se retrouve face à un défi inédit. Impossible de sécuriser l’ensemble du territoire, impossible de contrôler tous les accès, impossible de prévoir toutes les menaces. Les précédents ne sont guère rassurants. En 2003, un convoi diplomatique américain avait été attaqué à Gaza, faisant trois morts. En 2014, des roquettes avaient visé l’aéroport Ben Gourion pendant qu’un secrétaire d’État américain s’y trouvait. Cette fois, les enjeux sont encore plus élevés. Éliminer l’émissaire de Trump serait un coup de maître pour les groupes radicaux, un moyen de faire capoter toute tentative de négociation. D’où un dispositif sécuritaire pharaonique : hélicoptères d’escorte, véhicules blindés, tireurs d’élite, brouilleurs de communications. Witkoff se déplacera dans une bulle sécuritaire hermétique, coupé de la réalité qu’il est censé appréhender. Paradoxe cruel : pour survivre à Gaza, il devra s’en isoler.
Communication impossible avec des interlocuteurs fantômes
Avec qui Witkoff va-t-il négocier exactement ? La question peut paraître saugrenue, elle est pourtant centrale. Le Hamas politique a été largement décapité par les frappes israéliennes. Ismaïl Haniyeh, assassiné à Téhéran. Yahya Sinwar, éliminé à Gaza. Mohammed Deif, tué dans un bombardement. La direction du mouvement islamiste a été méthodiquement liquidée, laissant un vide béant au sommet de l’organisation. Qui parle au nom des Palestiniens aujourd’hui ? L’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas ? Elle n’a aucune légitimité à Gaza, où elle est perçue comme collaboratrice d’Israël. Les chefs militaires du Hamas encore en vie ? Ils se cachent dans des tunnels, communiquent par messagers interposés, changent de planque toutes les nuits. Les « notables » gazaouis ? La plupart ont fui ou sont morts. Cette absence d’interlocuteur identifié complique dramatiquement la mission de Witkoff. Comment négocier avec des fantômes ? Comment obtenir des garanties de gens qui n’existent plus officiellement ? L’émissaire américain devra probablement passer par des intermédiaires : l’Égypte, le Qatar, peut-être la Turquie. Mais ces médiations multiples diluent le message, déforment les propositions, ralentissent les processus. Chaque information doit transiter par trois ou quatre canaux avant d’atteindre son destinataire. Dans ces conditions, comment espérer des négociations fluides et efficaces ?
Logistique cauchemardesque dans un territoire dévasté
Organiser une mission diplomatique à Gaza relève de l’exploit logistique. Aucun hôtel ne fonctionne, aucun restaurant n’est ouvert, aucune infrastructure d’accueil n’existe. Witkoff et son équipe devront probablement dormir dans des containers blindés, se nourrir de rations militaires, utiliser des générateurs pour l’électricité. L’eau potable ? Il faudra l’importer. Les communications ? Satellites uniquement, les réseaux locaux étant détruits. Les déplacements ? Uniquement en véhicules blindés, sur des routes criblées de trous d’obus. Même les besoins les plus élémentaires posent problème. Où installer des toilettes sécurisées ? Comment évacuer les déchets ? Comment assurer un minimum d’hygiène dans un environnement contaminé ? L’équipe médicale d’urgence devra être sur place en permanence, avec un hélicoptère d’évacuation sanitaire en stand-by. Car à Gaza, un simple malaise peut tourner au drame si l’évacuation n’est pas immédiate. Les Américains étudient même la possibilité d’installer une base temporaire dans la zone tampon contrôlée par Tsahal, quitte à faire la navette quotidiennement. Mais cette solution présente l’inconvénient majeur de donner l’impression que Witkoff négocie depuis le territoire israélien. Symboliquement désastreux pour crédibiliser sa médiation auprès des Palestiniens.
Les pièges juridiques et diplomatiques du statut de Gaza
Le statut juridique de Gaza constitue un casse-tête inextricable pour Witkoff. Officiellement, l’enclave n’est ni un État souverain, ni une province israélienne, ni un territoire autonome reconnu. Cette ambiguïté statutaire complique toute négociation formelle. Avec quelle autorité Witkoff peut-il signer des accords ? Au nom de qui les Palestiniens peuvent-ils s’engager ? Ces questions apparemment techniques ont des implications majeures. Un accord signé avec des représentants non reconnus internationalement n’a aucune valeur juridique. Pire : il peut être dénoncé à tout moment par les parties signataires. Les juristes du département d’État américain planchent jour et nuit sur ces aspects procéduraux. Faut-il passer par l’ONU pour légitimer les accords ? Solliciter l’aval de la Cour internationale de justice ? Obtenir une résolution du Conseil de sécurité ? Chaque option présente des avantages et des inconvénients. L’ONU garantit la légitimité internationale mais dilue la responsabilité américaine. La CIJ apporte la caution juridique mais ralentit considérablement les processus. Le Conseil de sécurité offre la force exécutoire mais expose aux vétos russe et chinois. Witkoff devra trancher entre ces différentes approches, sachant que son choix conditionnera la pérennité de sa mission. Un mauvais calcul juridique peut anéantir des mois d’efforts diplomatiques.
Les scénarios possibles : entre espoir fou et désastre annoncé

Le scénario optimiste : l’accord du siècle version Gaza
Imaginons un instant que Witkoff réussisse l’impossible. Que son pragmatisme d’homme d’affaires parvienne là où des décennies de diplomatie traditionnelle ont échoué. À quoi ressemblerait ce miracle géopolitique ? D’abord, un cessez-le-feu immédiat et durable, garanti par une force internationale d’interposition. Ensuite, un plan de reconstruction massif financé par les pétrodollars du Golfe et supervisé par les États-Unis. Gaza deviendrait effectivement ce « Singapour de la Méditerranée » dont rêve Witkoff : zone franche, port en eaux profondes, aéroport international, centres financiers offshore. Les Palestiniens obtiendraient une autonomie élargie, sinon l’indépendance complète. Israël conserverait ses garanties sécuritaires mais lèverait le blocus. Le Hamas se transformerait en parti politique « normal », renonçant définitivement à la lutte armée. L’Iran perdrait son principal proxy au Levant, affaiblissant considérablement l’axe de la résistance. Les accords d’Abraham s’étendraient à l’Arabie saoudite, créant un front sunnite uni face à Téhéran. Ce scénario idyllique ferait de Trump le président de la paix, effaçant d’un coup toutes les polémiques de ses mandats. Witkoff entrerait dans l’histoire comme l’homme qui a résolu l’insoluble. Mais soyons honnêtes : les chances que ce scénario se réalise sont proches de zéro.
Le scénario pessimiste : l’enlisement et l’escalade
La réalité sera probablement plus cruelle. Witkoff risque de se heurter à des obstacles insurmontables qui transformeront sa mission en fiasco retentissant. Premier écueil : l’impossibilité de trouver des interlocuteurs palestiniens légitimes et représentatifs. Sans mandataires crédibles, aucune négociation sérieuse n’est envisageable. Deuxième piège : l’intransigeance israélienne. Netanyahou, affaibli politiquement, ne peut se permettre aucune concession majeure sans risquer la chute de son gouvernement. Ses alliés d’extrême droite, Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich, ont déjà menacé de claquer la porte en cas d’accord « trop généreux » avec les Palestiniens. Troisième obstacle : la résistance iranienne. Téhéran fera tout pour saboter une initiative américaine qui l’affaiblirait régionalement. Attentats, provocations, relance des hostilités : tous les moyens seront bons pour faire échouer Witkoff. Dans ce scénario noir, la mission américaine capotera dans les premières semaines. Pire : elle pourrait déclencher une escalade incontrôlable. Les groupes radicaux palestiniens, frustrés par l’échec des négociations, reprendraient les attaques. Israël riposterait massivement. Le Hezbollah entrerait dans la danse, puis l’Iran directement. La région s’embraserait, entraînant potentiellement une guerre mondiale.
Le scénario intermédiaire : des avancées partielles et fragiles
Entre l’euphorie et l’apocalypse, un scénario médian semble plus probable. Witkoff obtiendrait quelques succès limités mais significatifs, sans révolutionner fondamentalement la situation. Un cessez-le-feu prolongé, pas définitif. Une levée partielle du blocus israélien, pas totale. Un début de reconstruction, pas un plan Marshall. Des négociations qui reprennent, pas un accord final. Ce scénario « petits pas » présente l’avantage de la faisabilité. Il ne demande pas aux parties de renoncer à leurs positions fondamentales, juste de les assouplir temporairement. Israël conserverait ses garanties sécuritaires essentielles tout en faisant des gestes humanitaires. Les Palestiniens obtiendraient des améliorations concrètes de leurs conditions de vie sans renoncer à leurs revendications politiques. L’Iran pourrait accepter une trêve tactique sans perdre la face stratégiquement. Pour Trump, ce serait un demi-succès présentable comme une victoire majeure. « J’ai ramené la paix au Moyen-Orient », pourrait-il clamer, même si cette paix reste précaire et incomplète. Witkoff passerait pour un négociateur habile, pas pour un génie diplomatique. Ce scénario intermédiaire a un défaut majeur : sa fragilité. Sans règlement de fond du conflit, les tensions resurgiront tôt ou tard, peut-être plus violemment encore.
L’impact sur la présidence Trump : quitte ou double géopolitique
Pour Donald Trump, la mission Witkoff constitue un pari à très haut risque. En cas de succès, même partiel, le président américain renforcerait considérablement sa stature internationale. Ses détracteurs seraient contraints de reconnaître ses talents de négociateur. Ses partisans y verraient la confirmation de sa supériorité sur les élites traditionnelles. Trump pourrait capitaliser sur ce succès pour relancer sa politique étrangère, notamment face à la Chine et à la Russie. « Si j’ai réussi à pacifier le Moyen-Orient, je peux résoudre n’importe quel conflit », argumenterait-il. Mais en cas d’échec, les conséquences seraient désastreuses. L’opposition démocrate ne manquerait pas de dénoncer l’amateurisme trumpien, l’improvisation dangereuse, l’incompétence diplomatique. Les alliés européens prendraient leurs distances, doutant de la capacité américaine à gérer les crises internationales. Pire : un fiasco gazaoui pourrait encourager les adversaires des États-Unis à tester la détermination américaine ailleurs. Poutine en Ukraine, Xi Jinping à Taïwan, Kim Jong-un en Corée… Tous observent attentivement la mission Witkoff. Son échec serait interprété comme un signe de faiblesse, une invitation à l’aventurisme. Trump le sait : il joue gros, très gros. Sa crédibilité présidentielle, l’influence américaine, l’équilibre géopolitique mondial sont en jeu dans les ruines de Gaza.
Les répercussions sur l’opinion publique américaine divisée
L’Amérique observe la mission Witkoff avec des sentiments mélangés. Les électeurs républicains, majoritairement pro-israéliens, soutiennent massivement l’initiative présidentielle. Pour eux, Trump fait ce qu’il faut : soutenir l’allié israélien tout en cherchant une solution pragmatique au chaos gazaoui. Les sondages montrent que 78% des républicains approuvent l’envoi de Witkoff. Chez les démocrates, c’est plus compliqué. L’aile progressiste du parti, incarnée par Alexandria Ocasio-Cortez ou Bernie Sanders, dénonce une mission « biaisée en faveur d’Israël ». Ces élus réclament des sanctions contre l’État hébreu, la suspension de l’aide militaire, la reconnaissance immédiate d’un État palestinien. À l’inverse, les démocrates modérés, comme Chuck Schumer ou Nancy Pelosi, saluent discrètement l’initiative trumpienne. Ils espèrent qu’elle aboutira à une stabilisation régionale, même si elle ne correspond pas à leurs préférences idéologiques. Cette division démocrate affaiblit l’opposition à Trump, lui donnant une marge de manœuvre appréciable. Mais elle révèle aussi la polarisation croissante de la société américaine sur les questions internationales. Désormais, même la politique étrangère se lit à travers le prisme partisan. Cette politisation excessive complique la tâche de Witkoff, qui doit naviguer entre les attentes contradictoires de ses compatriotes.
Les précédents historiques qui hantent cette mission

L’ombre d’Oslo : quand l’espoir vire au cauchemar
Impossible d’évoquer la mission Witkoff sans penser aux accords d’Oslo de 1993. Cette poignée de main historique entre Yitzhak Rabin et Yasser Arafat sur la pelouse de la Maison Blanche avait fait naître un immense espoir. Enfin, Israéliens et Palestiniens semblaient prêts à coexister pacifiquement. Bill Clinton, médiateur de l’accord, était auréolé de gloire. Trente ans plus tard, le bilan est accablant. Non seulement la paix promise n’est jamais venue, mais la situation s’est considérablement dégradée. Les colonies israéliennes ont triplé, le Hamas a pris le pouvoir à Gaza, les attentats-suicides ont ensanglanté Israël, les opérations militaires se sont multipliées. Oslo n’a pas apporté la paix, mais une guerre de basse intensité permanente. Cette faillite historique hante littéralement la mission Witkoff. Comment éviter de reproduire les erreurs d’Oslo ? Comment s’assurer que les accords éventuels ne resteront pas lettre morte ? Les analystes pointent plusieurs défauts structurels du processus d’Oslo : absence de calendrier précis, flou sur les questions essentielles (Jérusalem, réfugiés, frontières), manque de mécanismes de contrôle, sous-estimation des oppositions internes. Witkoff devra impérativement corriger ces défaillances s’il veut éviter un nouvel Oslo. Mais comment faire quand les positions des parties se sont encore durcies depuis 1993 ? Le défi semble insurmontable.
Camp David 2000 : l’échec cuisant de Clinton et Barak
Juillet 2000, Camp David. Bill Clinton tente un ultime effort pour boucler le processus d’Oslo avant la fin de son mandat. Il réunit Ehud Barak et Yasser Arafat dans le refuge présidentiel du Maryland, loin des pressions médiatiques et politiques. Pendant quinze jours, les trois hommes négocient âprement. Barak fait des concessions inédites : retrait de 95% de la Cisjordanie, partage de Jérusalem, reconnaissance d’un État palestinien. Mais Arafat refuse, réclamant le retour de tous les réfugiés palestiniens et la souveraineté totale sur l’esplanade des Mosquées. L’échec est cuisant, les conséquences dramatiques. Quelques mois plus tard éclate la seconde Intifada, qui fera plus de 4000 morts en cinq ans. Cet échec de Camp David II obsède les diplomates américains. Il démontre que même des concessions majeures ne suffisent pas toujours à conclure un accord. Il révèle aussi l’importance des symboles et de l’émotion dans ce conflit. Arafat ne pouvait pas rentrer à Ramallah en ayant « bradé » Jérusalem et les réfugiés, quelles que soient les compensations obtenues. Cette leçon est cruciale pour Witkoff. Il ne suffit pas de trouver des compromis rationnels, il faut aussi préserver la dignité et l’honneur des parties. Exercice d’équilibriste particulièrement délicat dans un contexte aussi passionnel que le conflit israélo-palestinien.
Les initiatives arabes mort-nées : de Fahd à l’Initiative arabe
Les pays arabes ont multiplié les plans de paix depuis quarante ans, tous restés sans suite. Le plan Fahd de 1981, l’Initiative de paix arabe de 2002, les propositions égyptiennes de 2014… Chaque fois, le même scénario : lancement en fanfare, négociations laborieuses, enlisement progressif, oubli final. Ces échecs répétés illustrent la difficulté à imposer une solution externe aux protagonistes du conflit. L’Initiative de paix arabe de 2002 était pourtant révolutionnaire. Pour la première fois, l’ensemble du monde arabe proposait une normalisation complète avec Israël en échange d’un retrait total des territoires occupés et de la création d’un État palestinien. Vingt-deux pays arabes s’engageaient à reconnaître Israël, à établir des relations diplomatiques, à développer des échanges économiques. Une offre inespérée pour l’État hébreu, qui l’a pourtant boudée. Pourquoi ? Parce qu’elle exigeait un retour aux frontières de 1967, inacceptable pour la droite israélienne. Parce qu’elle réclamait le « retour » des réfugiés palestiniens, épouvantail démographique pour les Israéliens. Parce qu’elle ne garantissait pas suffisamment la sécurité d’Israël face aux menaces régionales. Cette incompréhension mutuelle entre offre arabe et demande israélienne perdure aujourd’hui. Witkoff devra en tenir compte s’il veut éviter un énième plan de paix mort-né.
Kerry et la diplomatie de la navette : l’épuisement méthodologique
John Kerry a incarné la diplomatie américaine au Moyen-Orient entre 2013 et 2017. Secrétaire d’État infatigable, il a multiplié les voyages, les rencontres, les propositions. Résultat : zéro. Pire que zéro : une dégradation de la situation. Pendant que Kerry négociait, les colonies se développaient, Gaza explosait, la région s’embrasait. Cette faillite de la « diplomatie de la navette » interroge sur les méthodes traditionnelles de résolution des conflits. Kerry appliquait pourtant la recette classique : rencontres bilatérales, négociations multilatérales, pressions diplomatiques, incitations économiques. Mais cette approche graduelle et procédurière s’est révélée inadaptée à l’urgence moyen-orientale. Pendant que les diplomates palabraient, les extrémistes agissaient. Pendant que les négociateurs cherchaient des compromis, les radicaux préparaient la guerre. Cette leçon est essentielle pour Witkoff. Il ne peut pas se contenter de reproduire les méthodes de Kerry, sous peine de subir le même échec. D’où son approche « disruptive », inspirée du monde des affaires. Négociations express, ultimatums assumés, coups de poker calculés. Cette méthode peut choquer les puristes de la diplomatie, elle a au moins le mérite de la nouveauté. Reste à prouver son efficacité sur le terrain.
Trump I et les accords d’Abraham : succès partiel ou illusion dangereuse ?
Le premier mandat de Trump a accouché des accords d’Abraham, normalisation historique entre Israël et plusieurs pays arabes (Émirats, Bahreïn, Maroc, Soudan). Ces accords ont été salués comme une révolution géopolitique, une preuve de l’efficacité de la méthode Trump. Mais ils ont aussi été critiqués pour leur contournement de la question palestinienne. En normalisant avec Israël sans contrepartie palestinienne, les pays arabes ont affaibli leur pouvoir de négociation traditionnel. Ils ne peuvent plus brandir la menace de l’isolement régional pour contraindre Israël aux concessions. Cette stratégie de « paix séparée » a-t-elle facilité ou compliqué la résolution du conflit palestinien ? Les avis divergent. Les partisans y voient une marginalisation salutaire des extrémistes palestiniens, contraints désormais d’accepter des compromis. Les détracteurs dénoncent un abandon des Palestiniens, livrés à leur sort face à un Israël renforcé diplomatiquement. La mission Witkoff s’inscrit dans cette ambiguïté. D’un côté, elle bénéficie du capital de confiance acquis par Trump auprès des dirigeants arabes et israéliens. De l’autre, elle doit réparer les dégâts causés par cette marginalisation palestinienne. Exercice de haute voltige diplomatique dont l’issue reste incertaine.
L'opinion internationale face au pari de Witkoff

L’ONU entre scepticisme et espoir prudent
António Guterres observe la mission Witkoff avec la prudence d’un secrétaire général échaudé par quarante ans d’échecs diplomatiques au Moyen-Orient. Officiellement, l’ONU « salue toute initiative sincère de paix » et « se tient prête à apporter son soutien ». Officieusement, les couloirs du siège new-yorkais bruissent de scepticisme. « Encore un Américain qui croit pouvoir résoudre en six mois ce que nous n’avons pas réussi à régler en soixante-dix ans », ironise un haut fonctionnaire onusien. Cette méfiance n’est pas injustifiée. L’ONU a multiplié les résolutions sur la Palestine (plus de 200 depuis 1947), déployé des forces de maintien de la paix, organisé des conférences internationales, financé des programmes de développement. Résultat : la situation n’a cessé de se dégrader. Pire : les États-Unis ont souvent contrecarré l’action onusienne en usant de leur droit de véto au Conseil de sécurité. Comment faire confiance aujourd’hui à une initiative américaine unilatérale ? Pourtant, Guterres ne peut se permettre de bouder cette mission. L’ONU a besoin du soutien américain pour fonctionner, et Trump n’hésiterait pas à réduire encore la contribution financière des États-Unis en cas de non-coopération onusienne. D’où cette position d’équilibriste : soutien public, réserves privées. Guterres a d’ailleurs proposé discrètement ses « bons offices » à Witkoff, manière élégante de rappeler l’expertise onusienne tout en évitant la confrontation avec Washington.
Les ONG humanitaires entre colère et pragmatisme
Médecins Sans Frontières, Oxfam, Human Rights Watch, Amnesty International : toutes les grandes ONG internationales suivent la mission Witkoff avec un mélange de colère et d’espoir. Colère parce qu’elles dénoncent depuis des mois l’inaction de la communauté internationale face au « génocide » gazaoui. Espoir parce qu’elles voient dans cette initiative une dernière chance d’arrêter le massacre. Cette ambivalence se traduit par des positions publiques nuancées. « Nous jugeons sur les actes, pas sur les intentions », déclare prudemment le président de MSF. « Si M. Witkoff parvient à faire cesser les bombardements et à faire entrer l’aide humanitaire, nous le soutiendrons. S’il échoue, nous le dénoncerons. » Cette approche pragmatique tranche avec l’habituelle intransigeance des ONG. Elle révèle leur désespoir face à l’ampleur de la catastrophe humanitaire. Sur le terrain, leurs équipes voient mourir quotidiennement des enfants qu’elles pourraient sauver avec quelques antibiotiques. Dans ces conditions, peu importe que Witkoff soit un « amateur » de la diplomatie. L’essentiel est qu’il réussisse à débloquer la situation. Certaines ONG vont même plus loin, proposant discrètement leur expertise à l’émissaire américain. « Nous connaissons Gaza mieux que quiconque », explique un responsable d’Oxfam. « Nos analyses peuvent l’aider à éviter certains pièges. » Cette coopération inédite entre ONG et diplomatie officielle illustre l’exceptionnalité de la crise gazaouie.
La rue arabe entre espoir et défiance
De Casablanca à Bagdad, la rue arabe observe la mission Witkoff avec des sentiments contradictoires. D’un côté, l’espoir fou qu’enfin quelqu’un fasse quelque chose pour arrêter le massacre des Palestiniens. De l’autre, la méfiance viscérale envers toute initiative américaine au Moyen-Orient. Cette ambivalence se traduit par des manifestations paradoxales. Au Caire, des milliers d’Égyptiens défilent pour « soutenir la paix en Palestine » tout en brûlant des drapeaux américains. À Amman, les Jordaniens d’origine palestinienne organisent des sit-in « pour encourager les négociations » tout en scandant « Mort à l’Amérique ». Cette schizophrénie apparente révèle la complexité des sentiments arabes. Quarante ans d’échecs diplomatiques américains ont créé une défiance profonde envers Washington. Mais la tragédie gazaouie est telle que même les plus anti-américains sont prêts à donner sa chance à Witkoff. « Si le diable en personne pouvait sauver Gaza, nous l’accueillerions », confie un manifestant tunisien. Cette ouverture conditionnelle offre une fenêtre d’opportunité à l’émissaire américain. Mais elle est fragile, révocable au premier faux pas. Un échec de Witkoff radicaliserait durablement l’opinion arabe contre les États-Unis, avec des conséquences géopolitiques majeures pour Washington dans la région.
Israël divisé face à l’initiative américaine
La société israélienne accueille la mission Witkoff avec des sentiments partagés. Les partisans de Netanyahou y voient une validation de leur politique sécuritaire. « Trump comprend qu’Israël a le droit de se défendre », se félicite un député du Likoud. « Witkoff ne viendra pas nous faire la morale comme Biden. » Cette confiance dans l’administration Trump rassure la droite israélienne, traditionnellement méfiante envers les initiatives de paix américaines. Mais l’opposition israélienne exprime des réserves. « Netanyahou va instrumentaliser cette mission pour prolonger la guerre », dénonce Yaïr Lapid, leader de l’opposition centriste. « Il préférera faire échouer Witkoff plutôt que de risquer des élections anticipées. » Cette analyse n’est pas dénuée de fondement. Le Premier ministre israélien sait que la fin de la guerre signifiera probablement la fin de son règne. Les sondages le donnent largement battu en cas d’élections immédiates. Dans ces conditions, il a intérêt à prolonger le conflit, quitte à saboter discrètement les négociations. Les familles d’otages israéliens constituent un troisième acteur crucial. Elles font pression pour un accord rapide, même imparfait, qui permettrait la libération de leurs proches. « Peu nous importe qui négocie, du moment qu’il ramène nos enfants », martèle une mère d’otage. Cette pression émotionnelle considérable pourrait contraindre Netanyahou à plus de flexibilité qu’il ne le souhaiterait.
L’Europe entre soutien affiché et réserves profondes
L’Union européenne navigue en eaux troubles face à la mission Witkoff. Officiellement, Bruxelles « soutient tous les efforts de paix » et « se félicite de l’engagement américain ». Officieusement, les capitales européennes expriment de sérieuses réserves sur la méthode Trump. « Cette approche unilatérale marginalise l’Europe », regrette un diplomate français. « Nous finançons la reconstruction de Gaza depuis des décennies, nous mériterions d’être associés aux négociations. » Cette frustration européenne n’est pas nouvelle. Depuis les accords d’Oslo, l’Europe paie mais ne décide pas au Moyen-Orient. Elle finance l’Autorité palestinienne, reconstruit Gaza après chaque guerre, accueille les réfugiés… mais reste exclue des négociations importantes. Trump accentue cette marginalisation en privilégiant les contacts bilatéraux avec les acteurs régionaux. Pourtant, l’Europe ne peut se permettre de bouder cette initiative. Un embrasement du Moyen-Orient aurait des conséquences directes sur le continent : flux migratoires, terrorisme, approvisionnement énergétique. D’où cette position inconfortable : soutien contraint à une mission dont elle est exclue. Certains dirigeants européens tentent de s’inviter dans le processus. Emmanuel Macron a ainsi proposé d’organiser une « conférence internationale de soutien à la paix » à Paris. Manière élégante de rappeler l’existence de l’Europe tout en évitant la confrontation directe avec Trump.
Conclusion : le moment de vérité approche

Steve Witkoff s’apprête à vivre les semaines les plus importantes de sa vie. Cet homme d’affaires new-yorkais, habitué aux négociations immobilières, va découvrir un univers où les enjeux dépassent largement les profits et les pertes. À Gaza, ce ne sont pas des contrats qui se négocient, mais des vies humaines. Ce ne sont pas des tours de verre qui se construisent, mais une paix fragile qui se dessine. L’émissaire de Trump arrive dans un territoire dévasté où chaque pierre raconte une tragédie, où chaque regard exprime une souffrance indicible. Il va rencontrer des gens brisés par la guerre, traumatisés par la violence, désespérés par l’abandon international. Comment cet homme, si éloigné de cette réalité, parviendra-t-il à créer le lien de confiance indispensable à toute négociation ? Comment comprendra-t-il les aspirations profondes d’un peuple qui n’a connu que l’occupation et la guerre ? La mission Witkoff cristallise tous les espoirs et toutes les craintes. Espoir d’une solution enfin trouvée à ce conflit interminable. Crainte d’un nouvel échec qui radicaliserait encore davantage les positions. L’Histoire jugera si cette initiative audacieuse était géniale ou irresponsable. En attendant, des millions de Palestiniens et d’Israéliens retiennent leur souffle, conscients que leur avenir se joue dans les prochaines semaines. Le moment de vérité. Dans quelques jours, l’émissaire américain foulera le sol de Gaza et découvrira une réalité que ses bureaux climatisés de Manhattan ne l’ont jamais préparé à affronter. Cette mission, aussi improbable soit-elle, représente peut-être la dernière chance d’éviter un embrasement régional aux conséquences imprévisibles. Car au-delà des enjeux palestiniens, c’est l’équilibre géopolitique mondial qui se redessine dans les décombres gazaouis. L’Iran, la Chine, la Russie observent attentivement cette initiative américaine, prêts à capitaliser sur un éventuel échec de Washington. L’Europe, marginalisée mais concernée, espère secrètement que Witkoff réussira là où ses diplomates ont échoué. Les pays arabes, pris entre leurs opinions publiques révoltées et leurs intérêts stratégiques, attendent de voir de quel côté penchera la balance. Quant à Israël, il se retrouve face à un dilemme cornélien : accepter des concessions douloureuses pour une paix incertaine, ou maintenir le statu quo au risque d’un isolement croissant. Dans ce contexte explosif, Steve Witkoff porte sur ses épaules une responsabilité historique. Son succès pourrait inaugurer une nouvelle ère de stabilité régionale. Son échec risquerait de plonger le Moyen-Orient dans un chaos dont personne ne sortirait indemne. Le pari est fou, les risques énormes, mais l’enjeu en vaut peut-être la chandelle : sauver Gaza de l’apocalypse et offrir enfin une perspective d’avenir aux peuples de cette région martyrisée.