L’accord entre la Russie et la Nasa : vers une nouvelle ère pour la Station spatiale internationale jusqu’en 2028
Auteur: Jacques Pj Provost
Des frissons, c’est ce que procure cette actualité. Oui, contre toute attente, l’agence spatiale russe Roscosmos et la Nasa ont scellé un accord historique : l’exploitation de la légendaire Station spatiale internationale (ISS) se prolonge jusqu’en 2028. Un contexte tendu, la guerre froide a beau s’être muée, l’ombre de l’Ukraine continue de planer – mais là-haut, parmi les étoiles, l’esprit de coopération internationale fait de la résistance. C’est fascinant, c’est inattendu, c’est vital : pourquoi ? Comment ? Quels enjeux pour l’humanité, la recherche scientifique, les ambitions spatiales ? Décollons sans transition – cette nouvelle n’attend personne.
L’ISS, symbole et laboratoire vivant : retour sur 25 ans d’orbite et d’incertitudes

L’ISS – dites-le, écrivez-le, gravez-le : ce nom est synonyme d’un rêve commun entre les puissances naguère rivales du globe. Démarrée en 1998, son histoire ressemble à un conte moderne, oscillant entre prouesse technologique et intrigues diplomatiques. Russie, États-Unis, Europe, Japon : tous ont posé un peu d’eux-mêmes autour de ces modules argentés qui filent à plus de 28,000km/h. Mais depuis quelques années, le suspens planait : la fin prévue en 2024, les doutes, les budgets qui s’effritent, la guerre à nos frontières terrestres… On sentait bien venir, dans la tension des discours, la menace d’un abîme.
Et voilà que le chef de Roscosmos, Dmitry Bakanov, s’envole pour le Texas. Il retrouve l’administrateur par intérim de la Nasa, Sean Duffy. C’est la première rencontre officielle à ce niveau depuis 2018 : on aurait parié sur un échec, ou sur de simples salutations polies. Mais non : la discussion s’engage, le souffle cosmique s’invite. En sort un compromis franc : l’ISS continuera à tourner, donc : 2028 comme nouvelle échéance officielle. Et l’on devra sérieusement plancher sur le « démantèlement » de la station à l’horizon 2030. Une négociation serrée, pas d’esbroufe, que du factuel. Un court-circuit dans la logique des tensions.
Pourquoi continuer à faire vivre l’ISS ?
C’est la question pilier. Financièrement, l’ISS est un gouffre, les projets privés astronomiques s’accumulent, la conquête de la Lune brille à l’horizon. Alors, pourquoi cet entêtement à prolonger l’expérience ? Parce que la science, la vraie, la pure, celle qui se passe du spectacle, n’offre pas de raccourci. Là-haut, on observe les effets de la microgravité sur le corps, on prépare les futurs voyages interplanétaires, on scrute la Terre depuis le firmament, on peaufine la résistance des matériaux – l’accumulation, la répétition, l’humilité devant le cosmos deviennent vertus cardinales.
Et puis, il y a cette difficulté typiquement humaine à saborder un navire encore vaillant. L’ISS n’est pas éternelle ; mais elle fonctionne encore. Chaque équipage, chaque expérience, chaque progrès, c’est un pas de plus sur la route, interminable, vers l’inconnu. Les politiciens passent, les programmes changent ; la connaissance, elle, s’entête, nourrie à la patience.
La diplomatie hors gravité : entre coopération forcée et nécessité pragmatique
Le contraste est saisissant. Sur Terre, Russie et États-Unis jouent à se faire peur, s’affrontent sur mille terrains, s’observent… Mais dans l’orbite basse, une dépendance mutuelle subsiste : ravitaillement, maintenance, évacuation des astronautes, coordination technique… aucun pays, aujourd’hui, ne saurait composer l’ISS en solo. Corollaire : cette extension officialisée, c’est autant le cri d’une ambition que l’aveu d’une vulnérabilité partagée. L’espace, il faut le dire, reste l’un des derniers bastions de la diplomatie scientifique.
La Russie, pour sa part, voit là un ballon d’oxygène. Fierté d’autrefois (on se souvient de Spoutnik, de Gagarine), l’agence spatiale russe accumule depuis des années les déficits, les scandales, les missions tronquées. Rester dans le jeu, garder la tête haute, capitaliser sur l’héritage de l’ISS : la stratégie a du bon, même s’il a fallu mettre de côté – temporairement – les rêves d’une station proprement russe. C’est un peu la trêve, l’appel à la raison.
Et la Nasa ? Malgré ses projets prospectifs (base lunaire Artemis, Mars, satellites privés…), elle a besoin de relais, de redondance, de points de comparaison. Quitter l’ISS trop tôt, ce serait perdre l’avantage accumulé sur deux décennies d’expertise. Allier la continuité de l’exploitation à la préparation de la relève, en égrainant les collaborations avec les partenaires privés : un jeu équilibriste, mais pas dépourvu d’arrière-pensées politiques.
Les autres acteurs, les grands oubliés ? Europe, Japon et le spectre de la relève
Dans cette histoire, on parle, on négocie, mais on oublie presque que l’ISS fut, dès le départ, une œuvre multilatérale. L’agence spatiale européenne, le Japon, le Canada, tous investissent, tous capitalisent. Pour l’Europe, cette prolongation signifie garder un pied dans la cour des grands, continuer à envoyer des chercheurs et des modules. Le Japon, obsédé par l’innovation, profite aussi des possibilités uniques offertes par la plateforme.
Mais chacun prépare l’après : en 2028 ou 2030, l’ISS cessera de vivre. Déjà, des programmes concurrents poignent à l’horizon : la Chine avec sa propre station, les projets américains privés (Starlab, Axiom…), l’Europe qui rêve d’indépendance et de rover martien. Ce sursis, c’est du temps acheté, pas une fin en soi. En coulisses, l’avenir s’écrira ailleurs – sur la Lune, vers Mars, au sein de stations plus petites, plus spécialisées, moins « politico-symboliques ».
Derrière le rideau des étoiles : que retenir de ce sursis inattendu ?

Une solidarité de circonstance, c’est tentant de le voir ainsi. Mais ce serait réduire à l’anecdote un enjeu profond. La prolongation de l’ISS, c’est plus qu’un simple report – c’est l’esquisse d’une nouvelle ère de la recherche spatiale. Les frontières terrestres sont dures, crispées, mais là-haut, on expérimente sans relâche. Des traitements médicaux à la robotique, de l’astrophysique pure à l’observation de la Terre, des milliers de données capitales s’accumulent. Et si, demain, la relève échoue ou tarde, cette ISS prolongée demeure une planche de salut.
Dans le même mouvement, cet accord expose crûment nos faiblesses structurantes : l’espace n’est plus le monopole de quelques États, il devient un far-west où s’élancent milliardaires, entrepreneurs et puissances montantes. Les relations internationales autour de l’ISS préfigurent alors les alliances et rivalités qui structureront le grand jeu spatial des décennies à venir.
L’avis personnel, un instant : entre enthousiasme lucide et scepticisme poli
Dois-je me réjouir ? En partie, oui. La perspective de continuer à exploiter un laboratoire aussi singulier est une aubaine scientifique. Je suis fasciné par la résilience des équipes, la ténacité à poursuivre la collecte de données, à tester des hypothèses impossibles sur Terre. Mais l’ISS n’est pas une icône figée : elle doit évoluer, innover, se réinventer même dans la contrainte. Or, à force de repousser l’inévitable, ne risque-t-on pas de s’endormir sur des acquis, de retarder l’incontournable « saut suivant » ?
À mon sens, la coopératuion arrachée aujourd’hui doit déboucher sur plus d’audace. Un sursis, ce n’est pas une fin. S’en contenter, ce serait trahir l’esprit même de l’exploration – alors, rêvons, mais préparons-nous à prendre enfin le large lorsque l’ISS fermera ses écoutilles.
En conclusion : mission prolongée, mais l’avenir déborde déjà de l’horizon

L’accord entre la Russie et la Nasa pour prolonger l’exploitation de l’ISS jusqu’en 2028 est, à n’en pas douter, un jalon marquant. Il témoigne d’une certaine sagesse, d’une prise en compte des nécessités scientifiques et stratégiques qui transcendent les blocages géopolitiques du moment. Mais il signe aussi la fin annoncée d’une ère : l’orbite basse – ce territoire longtemps réservé – s’apprête à vivre une révolution, où public et privé, nations et entreprises, ambitions et découvertes vont s’affronter ou s’embrasser.
Ce sursis offert à l’ISS doit donc être vécu comme une opportunité d’apprendre encore, d’expérimenter, de bâtir le futur tout en respectant l’héritage commun. C’est un luxe rare, une suspension du temps et des haines terrestres. D’ici à 2028 (ou à 2030, qui sait…), il faudra aussi inventer le sens de la suite, refuser la stagnation, préparer le chapitre qui vient. Parce qu’en définitive, l’univers ne s’arrête jamais – pourquoi le ferions-nous ?
