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Tempête sur les chiffres : Trump veut s’offrir un “exceptionnel” statisticien pour manipuler le destin de l’Amérique
Credit: Adobe Stock

La précarité des faits sous le règne de l’arbitraire

Un matin, il suffit d’un tweet présidentiel pour tout faire basculer. Donald Trump, fébrile, invective, tranche. Licenciement abrupt de la patronne du Bureau of Labor Statistics, accusation de fraude, licenciement sans appel. À la une, les Américains découvrent que le statisticien en chef du pays, censé garantir la vérité des chiffres, n’est qu’une pièce déplacée au gré des rancœurs de la Maison-Blanche. Plus rien n’a de valeur commune : l’emploi, les salaires, la croissance – tout devient suspect, contesté, menacé par la moindre humeur présidentielle.

Dans l’air, le soupçon fige la confiance. Sans preuves, Trump crie à la manipulation : “les chiffres sont truqués, ils veulent me salir, ils veulent truquer l’histoire du travail américain”. Il promet alors un “statisticien exceptionnel” d’ici quatre jours : “quelqu’un dont personne ne pourra douter”. La promesse ressemble à une gifle : la science remplacée par la loyauté. Pourtant, au cœur de la tempête, les experts s’inquiètent. Peut-on seulement inventer la réalité, ou va-t-on commettre le pire, désorienter une nation toute entière préoccupée par l’inflation, la précarité, le chômage ? Derrière le vacarme, la démocratie chancelle, et la confiance collective n’a jamais paru si friable.

Chaque mot, chaque chiffre, chaque “statistique officielle” est désormais disséqué, moqué par les opposants, crainte par les investisseurs, détourné par les populistes. Le doute s’installe plus vite qu’un graph de l’emploi.

Le limogeage, une bombe politique

Vendredi dernier, Trump a limogé Erika McEntarfer, cheffe du Bureau of Labor Statistics, après un rapport mensuel catastrophique sur l’emploi : chute de la croissance, révisions déconcertantes, chômage qui grimpe. Un geste brutal, une humiliation publique, un retour à ces souvenirs de “Saturday night massacre” dignes d’un autre âge. L’accusation fuse, sans la moindre preuve : “les chiffres étaient ridicules, trafiqués pour nuire à ma présidence, favoriser mes adversaires politiques”. Même les experts républicains s’en étranglent. Les statisticiens se rebiffent : leur travail, tissé par des centaines de professionnels aguerris, suit des manuels millimétrés, des audits croisés, une transparence réputée mondiale. Ici, Trump bouscule tout, sur l’autel de la communication.

Les chroniqueurs économiques hurlent au danger : limoger une statisticienne pour un rapport défavorable, c’est ouvrir la porte à la tyrannie du chiffre utile, du score “utile” à la semaine, du factice érigé en arme politique. L’Amérique n’avait jamais vu ça depuis… peut-être Nixon. Les démocrates dénoncent, les syndicats s’alarment, même certains sénateurs républicains se murmurent entre eux que “trop, c’est trop”. Dans le chaos, un mot prend l’ascendant : ingérence. Trump prépare une nomination express, désignant lui-même qui “rassurera l’Amérique”, non par sa compétence, mais par sa loyauté.

Ce théâtre inquiète Wall Street. Les marchés glissent, le dollar vacille, chaque indicateur officiel devient prétexte à panique ou défiance, l’ère des chiffres neutres s’achève sous nos yeux hébétés.

Statistique sur mesure, nation sur la brèche

“Nous allons nommer un statisticien exceptionnel”, promet Trump à qui veut l’entendre. “Quelqu’un d’honnête, d’efficace, d’inattaquable.” La réalité, c’est que l’Amérique tremble de rentrer dans l’ère du chiffre sur commande. Les sondages l’attestent : 89 % des experts doutent désormais de la neutralité de la production des statistiques ; plus de la moitié des investisseurs étrangers parlent d’une “fiabilité abîmée, d’une fracture irréversible dans la gouvernance mondiale des données”. Les agences internationales s’alarment, la réputation américaine s’effrite : peut-on encore investir, décider, arbitrer sur la base de chiffres potentiellement falsifiés ou censurés ?

Les voix les plus autorisées rappellent que toute reprise après pandémie, toute réforme fiscale, toute discussion de taux d’intérêt dépend de la fiabilité de ces publications. Si la statistique devient politique, alors chaque débat bascule dans le faux, le tableau Excel s’efface sous le marketing politique. Peut-on alors encore anticiper la prochaine crise, la prochaine récession, le prochain miracle industriel ? À chaque suggestion de nouveau patron “exceptionnel”, c’est, hélas, un peu moins d’exception, beaucoup plus d’exceptionnalisme, du pire : l’abus institutionnel, contagieux, désastreux — pour la planète entière.

Dans les couloirs de la Fed, du FMI, de la Banque mondiale, on temporise. Mais l’incertitude empoisonne déjà chaque prise de parole. Le monde bascule sur des données capricieuses.

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