La guerre civile invisible au Liban : le Hezbollah entre survie et anéantissement
Auteur: Maxime Marquette
Une décision historique qui bouleverse l’équilibre
Le tonnerre vient de résonner sur les collines de Beyrouth. Le 5 août 2025, dans un silence de cathédrale, le gouvernement libanais a franchi le Rubicon. Désarmer le Hezbollah d’ici la fin de l’année. Trois mots qui font trembler la terre du Proche-Orient. Le Premier ministre Nawaf Salam, homme au regard d’acier, a chargé l’armée libanaise d’élaborer un plan d’action sans précédent : seules six entités militaires auront désormais le droit de porter les armes sur le territoire national. Une révolution qui sonne comme un glas pour le Parti de Dieu, cette armée parallèle qui fait la pluie et le beau temps au Liban depuis quatre décennies. Mais le monstre ne compte pas mourir en silence. Naïm Qassem, le secrétaire général du Hezbollah, a répliqué avec la violence d’un orage : « Cette décision n’existe pas pour nous ». Une phrase glaciale qui transforme l’air de la Méditerranée en brasier.
Un État dans l’État qui refuse de plier
Comment peut-on ignorer une décision gouvernementale ? C’est pourtant ce que fait le Hezbollah avec l’arrogance de celui qui dispose de plus de 100 000 combattants – soit davantage que l’armée nationale elle-même. Cette organisation chiite, née en 1985 des cendres de l’occupation israélienne, s’est muée en véritable État dans l’État. Ses roquettes pointent vers Israël, ses miliciens contrôlent le sud du pays, ses réseaux de tunnels quadrillent la vallée de la Bekaa. Face à cette hydre tentaculaire, l’armée libanaise fait pâle figure avec ses équipements désuets et ses soldats sous-payés. L’ironie de l’histoire veut que le Liban soit devenu l’otage de sa propre milice, celle-là même qui prétend le défendre contre l’ennemi sioniste. Une tragédie shakespearienne où l’État devient spectateur de son propre démantèlement.
Les conditions impossibles d’un dialogue de sourds
Naïm Qassem ne cède pas d’un pouce. Dans son discours télévisé du 5 août, cet homme aux traits creusés par les combats a posé ses conditions avec la fermeté du granit : retrait israélien des cinq points stratégiques occupés au Sud-Liban, libération des prisonniers, arrêt des assassinats ciblés. En somme, un retour au statu quo ante. Mais comment discuter de désarmement quand l’adversaire refuse les règles du jeu ? Le Hezbollah accuse Israël d’avoir violé le cessez-le-feu à plus de 3 700 reprises depuis novembre 2024. Chaque bombardement, chaque incursion militaire justifie selon eux le maintien de leur arsenal. Un cercle vicieux où la violence nourrit la violence, où chaque camp trouve dans l’agression de l’autre la raison de persévérer dans ses errements. Le dialogue devient impossible quand les mots se transforment en munitions.
Les enjeux géopolitiques d'un bras de fer sans merci

L’Iran dans l’ombre : le marionnettiste qui tire les ficelles
Derrière chaque mouvement du Hezbollah se cache l’ombre de Téhéran. Cette organisation n’existe que par la grâce de la République islamique, qui l’alimente en armes, en argent et en formation militaire. Les Gardiens de la Révolution iraniens ont fait du Liban leur avant-poste contre Israël, leur pièce maîtresse dans le grand échiquier régional. Chaque roquette Katioucha, chaque drone de combat qui traverse l’espace aérien libanais porte la signature de l’ingénierie militaire persane. Le désarmement du Hezbollah ne serait donc pas seulement une victoire pour l’État libanais, mais un coup fatal porté à l’influence iranienne au Levant. Téhéran ne peut pas se permettre de perdre son bras armé le plus efficace, celui qui tient en échec l’armée la plus puissante du Proche-Orient. L’argent coule à flots : plusieurs milliards de dollars par an transitent vers les caisses du Parti de Dieu.
Les États-Unis et la pression diplomatique
Washington n’est pas resté les bras croisés face à cette situation explosique. L’émissaire américain Tom Barrack multiplie les voyages à Beyrouth, porteur d’un message clair : désarmement ou sanctions économiques. Les États-Unis voient dans le Hezbollah une menace directe à la stabilité régionale et à la sécurité d’Israël, leur allié indéfectible. Le président Joseph Aoun, fraîchement élu, subit une pression énorme pour respecter ses engagements. L’aide financière américaine au Liban – plusieurs centaines de millions de dollars par an – est conditionnée au respect de la résolution 1701 de l’ONU, qui prévoit le désarmement de toutes les milices. Un chantage diplomatique qui met le gouvernement libanais dans une position impossible : trahir une partie de sa population ou perdre le soutien occidental indispensable à sa survie économique.
Israël en embuscade : la menace permanente
De l’autre côté de la frontière, Israël observe avec attention cette crise institutionnelle libanaise. L’État hébreu ne cache pas sa satisfaction de voir enfin un gouvernement libanais oser défier le Hezbollah. Mais cette satisfaction est teintée de méfiance : que se passera-t-il si les négociations échouent ? Que se passera-t-il si le Hezbollah décide de frapper en premier ? L’armée israélienne maintient un état d’alerte permanent le long de la Ligne bleue, cette frontière invisible qui sépare les deux pays depuis 2000. Les généraux de Tsahal savent que le moindre incident peut déclencher une guerre totale, bien plus destructrice que celle de 2006. Le paradoxe est saisissant : Israël souhaite le désarmement du Hezbollah, mais redoute les conséquences d’un échec de cette tentative. Car un Hezbollah acculé peut devenir encore plus dangereux qu’un Hezbollah confiant.
L'armée libanaise face à son destin

Une institution affaiblie par des décennies de négligence
L’armée libanaise ressemble à un géant aux pieds d’argile. Officiellement forte de 85 000 hommes, elle peine à équiper correctement ses soldats et à maintenir ses équipements en état de marche. Les salaires de ses militaires ont été réduits à peau de chagrin par la crise économique qui frappe le pays depuis 2019. Comment demander à des soldats qui gagnent l’équivalent de 50 dollars par mois de risquer leur vie contre une milice suréquipée ? L’institution militaire souffre également d’un manque chronique d’armement lourd : pas de chars modernes, pas de systèmes anti-aériens efficaces, pas de drones de combat. Face aux arsenaux sophistiqués du Hezbollah – missiles guidés, lanceurs multiples, systèmes de défense anti-aérienne – l’armée nationale fait figure de parent pauvre. Cette asymétrie militaire explique en partie pourquoi les autorités libanaises ont toujours hésité à affronter directement le Parti de Dieu.
Le défi de la loyauté confessionnelle
L’armée libanaise reflète la mosaïque confessionnelle du pays. Un tiers de ses soldats sont chiites, donc potentiellement sympathisants du Hezbollah. Comment ces hommes réagiront-ils si on leur ordonne de désarmer leurs frères d’armes ? Cette question lancinante hante les états-majors de Beyrouth. Les précédents historiques ne prêtent pas à l’optimisme : en 2008, lorsque le gouvernement avait tenté de démanteler le réseau de télécommunications du Hezbollah, les miliciens chiites avaient pris le contrôle de la moitié ouest de Beyrouth en quelques heures. L’armée était restée l’arme au pied, paralysée par ses divisions internes. Aujourd’hui encore, les officiers supérieurs redoutent qu’un ordre de confrontation avec le Hezbollah ne provoque une scission au sein de l’institution militaire. Une mutinerie qui signerait l’arrêt de mort de l’État libanais et ouvrirait la voie à une nouvelle guerre civile.
Le plan d’action : entre espoir et illusion
Le plan que doit élaborer l’armée libanaise d’ici le 31 août ressemble à la quadrature du cercle. Comment désarmer en quelques mois une organisation qui s’est militarisée pendant quarante ans ? Comment reprendre le contrôle de territoires que le Hezbollah considère comme ses fiefs ? Le sud du Liban et la vallée de la Bekaa sont truffés de caches d’armes, de tunnels, de positions fortifiées. Chaque village chiite abrite potentiellement un dépôt de munitions ou une rampe de lancement. L’opération de désarmement nécessiterait des moyens colossaux : des milliers de soldats, des équipements de déminage, des spécialistes en explosifs. Sans compter la résistance passive de la population locale, qui considère les combattants du Hezbollah comme des héros nationaux. Le gouvernement Salam navigue à vue, espérant peut-être que la pression internationale suffira à faire plier l’organisation chiite. Une stratégie risquée qui pourrait se retourner contre ses initiateurs.
Le Hezbollah entre résistance et calcul politique

Une organisation affaiblie mais toujours dangereuse
La guerre de 2023-2024 contre Israël a profondément marqué le Hezbollah dans sa chair. L’organisation a perdu une grande partie de son encadrement militaire dans les bombardements ciblés de Tsahal. Hassan Nasrallah, son leader charismatique, est mort sous les décombres de son bunker en septembre 2024. Des milliers de combattants ont péri, des quartiers entiers de la banlieue sud de Beyrouth ont été rasés. Cette saignée a affaibli considérablement la capacité opérationnelle du Parti de Dieu, qui peine encore à reconstituer ses cadres moyens. Mais attention aux conclusions hâtives : le Hezbollah reste une force militaire redoutable, capable de tirer des milliers de roquettes sur le territoire israélien. Ses dépôts d’armes, dispersés sur tout le territoire, ont été largement épargnés par les frappes. Son réseau de tunnels demeure intact. Sa base sociale, traumatisée mais fidèle, continue de le soutenir massivement.
La stratégie du bras de fer
Naïm Qassem a choisi la ligne dure face aux pressions gouvernementales. Cet homme de 71 ans, théologien de formation, représente l’aile la plus radicale de l’organisation. Pour lui, accepter le désarmement équivaudrait à un suicide politique et militaire. Le Hezbollah tire sa légitité de son rôle de résistance armée contre Israël. Sans ses armes, il ne serait plus qu’un parti politique parmi d’autres, condamné à négocier les miettes du pouvoir avec ses rivaux. Cette logique explique l’intransigeance du secrétaire général, qui préfère affronter l’armée libanaise plutôt que de capituler sans combattre. Sa stratégie consiste à faire monter la pression jusqu’à ce que le gouvernement renonce à son projet. Les manifestations de soutien organisées dans les bastions chiites, les déclarations enflammées de ses députés, tout concourt à démontrer que l’organisation n’entend pas se laisser faire.
Les divisions internes de l’organisation
Mais le Hezbollah n’est pas monolithique. Des voix s’élèvent en interne pour préconiser une approche plus pragmatique. Certains responsables, conscients de l’affaiblissement militaire de l’organisation, plaident pour des négociations secrètes avec le gouvernement. Ils savent que l’Iran, principal soutien du mouvement, traverse lui-même une période difficile sur le plan économique et diplomatique. Les sanctions occidentales pèsent lourd sur les finances de Téhéran, qui pourrait être tenté de sacrifier quelques pions pour préserver l’essentiel. Cette aile modérée du Hezbollah, incarnée par des figures comme Ali Fayyad, cherche une porte de sortie honorable : un désarmement partiel en échange de garanties politiques et sécuritaires. Mais pour l’instant, cette tendance reste minoritaire face aux partisans de la confrontation.
Les forces politiques libanaises face au défi du désarmement

Les Forces libanaises en première ligne
Samir Geagea ne cache pas sa satisfaction. Le leader des Forces libanaises, cette milice chrétienne reconvertie en parti politique après la guerre civile, milite depuis des décennies pour le désarmement du Hezbollah. Pour cet homme au passé sulfureux – il a passé onze ans en prison pour crimes de guerre – l’heure de la revanche a sonné. Ses députés applaudissent à tout rompre la décision gouvernementale, y voyant enfin une chance de rétablir l’équilibre des forces au Liban. Geagea sait que son propre avenir politique se joue dans cette confrontation : si le Hezbollah sort vainqueur, les Forces libanaises resteront confinées dans leur ghetto chrétien. Si c’est l’inverse, elles pourraient redevenir un acteur majeur de la scène nationale. Cette logique partisane explique l’acharnement de Geagea à pousser le gouvernement vers la confrontation, quitte à risquer un nouvel embrasement du pays.
Le Courant patriotique libre dans l’expectative
Le parti de Gebran Bassil, gendre de l’ancien président Michel Aoun, navigue en eaux troubles. Le Courant patriotique libre a longtemps été l’allié du Hezbollah au sein de l’alliance du 8-Mars. Mais la donne a changé avec l’élection de Joseph Aoun à la présidence de la République. Bassil se retrouve isolé, contraint de choisir entre sa fidélité passée au Hezbollah et son ralliement au nouveau pouvoir. Cette hésitation traduit le malaise profond d’une formation politique qui a bâti sa légitimité sur l’alliance avec les chiites. Comment expliquer à ses électeurs chrétiens qu’il faut désormais combattre ceux qu’on présentait hier comme des partenaires ? Cette crise d’identité paralyse le mouvement de Bassil, qui préfère attendre de voir de quel côté penche la balance avant de se positionner définitivement.
Les sunnites entre opportunisme et prudence
Le Courant du Futur de Saad Hariri a officiellement suspendu ses activités politiques, mais ses anciens cadres observent attentivement l’évolution de la situation. La communauté sunnite libanaise, majoritairement hostile au Hezbollah, voit d’un bon œil les tentatives de désarmement de l’organisation chiite. Mais elle redoute également les conséquences d’un affrontement direct, qui pourrait embraser tout le pays. Les leaders sunnites préféreraient une solution négociée, qui affaiblirait le Hezbollah sans déclencher une guerre civile. Cette prudence s’explique par l’expérience traumatisante des années 2005-2008, quand les tensions communautaires avaient culminé avec les événements de mai 2008. Les sunnites n’ont pas oublié comment les miliciens du Hezbollah avaient pris le contrôle des quartiers musulmans de Beyrouth en quelques heures, les humiliant devant leurs propres électeurs.
Les enjeux sociétaux d'un pays déchiré

La communauté chiite entre fierté et inquiétude
Dans les quartiers populaires de la banlieue sud de Beyrouth, l’annonce du désarmement a provoqué un séisme. Ces familles chiites, qui ont payé le prix fort pendant la guerre contre Israël, voient dans leur milice bien plus qu’une organisation armée : un symbole de dignité retrouvée après des siècles d’humiliation. Pour ces gens simples, ouvriers, commerçants, employés, le Hezbollah représente la seule force capable de tenir tête à l’ennemi sioniste. Ils se souviennent de la libération du sud en 2000, de la « victoire divine » de 2006, de la résistance héroïque de 2023-2024. Comment accepter que cette épopée se termine par une capitulation ? Cette dimension émotionnelle explique la mobilisation massive des partisans du Hezbollah, qui manifestent chaque soir dans les rues de Dahieh. Leur colère est sincère, leur désespoir palpable. Ils ont le sentiment qu’on veut les dépouiller de leur dernière fierté.
Les chrétiens entre espoir et appréhension
Les communautés chrétiennes du Liban vivent cette crise avec des sentiments mélangés. D’un côté, elles espèrent que le désarmement du Hezbollah leur permettra de retrouver leur influence perdue. Minoritaires démographiquement (environ 30% de la population), les chrétiens ont vu leur poids politique s’éroder au fil des décennies. Le Hezbollah, avec sa puissance militaire, avait fini par imposer ses vues sur l’ensemble du système politique. Sa neutralisation pourrait rééquilibrer les rapports de force en faveur des formations chrétiennes. Mais cette satisfaction est tempérée par la peur d’un embrasement généralisé. Les chrétiens n’ont pas oublié les massacres de la guerre civile, quand leurs villages étaient pris entre les feux croisés des milices rivales. Ils savent que leur communauté, géographiquement dispersée et militairement faible, payerait un lourd tribut à un nouvel affrontement confessionnel.
Les sunnites tiraillés entre revanche et réconciliation
La rue sunnite libanaise vibre d’une sourde excitation. Après des années de marginalisation politique, les sunnites voient enfin une opportunité de reprendre l’initiative. Le départ de Saad Hariri de la scène politique avait laissé un vide béant dans la représentation de cette communauté, qui se sentait orpheline face à la montée en puissance du Hezbollah. Le projet de désarmement ranime les espoirs de revanche, la possibilité de rétablir l’équilibre d’antan quand les leaders sunnites comptaient parmi les hommes les plus influents du pays. Mais cette euphorie cache aussi des craintes légitimes. Les quartiers sunnites de Beyrouth, Tripoli ou Saïda ne disposent d’aucune protection militaire sérieuse. En cas d’affrontement généralisé, ils se retrouveraient à la merci des milices adverses. Cette vulnérabilité explique les appels à la modération lancés par certaines figures religieuses sunnites.
Les scénarios d'avenir entre guerre et paix

Le scénario de la confrontation armée
Si les négociations échouent, le Liban pourrait sombrer dans un nouveau chaos. L’affrontement entre l’armée libanaise et le Hezbollah signerait l’arrêt de mort de l’État central, déjà exsangue après des décennies de gabegie. Les combats se concentreraient d’abord dans le sud du pays et la vallée de la Bekaa, fiefs traditionnels de l’organisation chiite. Mais ils s’étendraient rapidement aux autres régions, entraînant dans leur spirale l’ensemble des communautés libanaises. Israël ne resterait pas spectateur d’un tel embrasement : l’armée israélienne interviendrait pour « protéger ses frontières », transformant le conflit interne en guerre régionale. Les conséquences humanitaires seraient catastrophiques : des centaines de milliers de déplacés, des milliers de morts, une économie déjà moribonde achevée par les destructions. Ce scénario noir n’est malheureusement pas improbable, compte tenu de l’intransigeance des parties en présence.
La voie du compromis négocié
L’alternative à la guerre passe par un compromis difficile mais possible. Le Hezbollah pourrait accepter un désarmement partiel en échange de garanties politiques et sécuritaires. Concrètement, l’organisation remettrait ses armes lourdes (missiles à longue portée, systèmes antiaériens) tout en conservant un armement léger pour ses fonctions de « garde nationale ». Cette solution, inspirée du modèle irlandais avec l’IRA, permettrait de sauver la face à tous les protagonistes. Le gouvernement pourrait revendiquer une victoire symbolique, le Hezbollah préserverait sa base militaire essentielle, les puissances internationales obtiendraient une pacification relative de la région. Mais cette hypothèse suppose une maturité politique que les acteurs libanais ont rarement démontrée par le passé. Elle nécessite aussi un soutien international massif pour financer la reconstruction et garantir les accords conclus.
Le statu quo mortifère
Le troisième scénario, le plus probable hélas, consiste en un enlisement de la crise sans véritable résolution. Le gouvernement libanais, confronté à la résistance acharnée du Hezbollah et à ses propres divisions internes, pourrait reculer devant l’ampleur de la tâche. Le projet de désarmement serait alors remisé aux calendes grecques, comme tant d’autres réformes promises et jamais appliquées. Cette capitulation déguisée renforcerait paradoxalement la position du Parti de Dieu, qui sortirait vainqueur d’un bras de fer avec l’État. Mais elle condamnerait également le Liban à une instabilité chronique, entre deux guerres, privé de souveraineté véritable. Ce scénario satisferait temporairement tous les acteurs : le Hezbollah garderait ses armes, le gouvernement éviterait un affrontement suicidaire, les puissances internationales maintiendraient leurs positions. Mais il hypothéquerait définitivement l’avenir du pays des cèdres.
Conclusion : l'heure du choix historique

Le Liban se trouve aujourd’hui à un tournant décisif de son histoire contemporaine. La décision gouvernementale de désarmer le Hezbollah, quelle que soit son issue, marquera une rupture dans l’évolution politique du pays. Pour la première fois depuis la fin de la guerre civile, un gouvernement libanais ose défier ouvertement la plus puissante des milices. Ce courage politique, longtemps attendu par une partie de la population, ouvre des perspectives inédites mais comporte aussi des risques considérables. L’échec de cette initiative pourrait signer l’arrêt de mort de l’État libanais, déjà fragilisé par des crises multiples. Sa réussite, même partielle, pourrait au contraire amorcer une renaissance institutionnelle tant espérée. Entre ces deux extrêmes, toutes les nuances restent possibles. Mais une chose est certaine : le Liban de demain ne ressemblera pas à celui d’aujourd’hui. Cette crise du désarmement révèle au grand jour les contradictions fondamentales d’un système politique à bout de souffle, incapable de concilier souveraineté nationale et équilibres confessionnels. L’issue de cette confrontation déterminera si le pays des cèdres retrouvera sa dignité d’État ou sombrera définitivement dans l’anarchie milicienne.