Saviez-vous que En 1952, Albert Einstein s’est vu offrir la présidence d’Israël après la mort de Chaim Weizmann.
Auteur: Jacques Pj Provost
Imaginez un instant – Albert Einstein, le génie du XXe siècle, presque propulsé à la tête du tout jeune État d’Israël. Non non, ce n’est pas un scénario de science-fiction ni un délire d’historien en roue libre. Après la disparition de Chaim Weizmann en 1952, le gouvernement israélien, guidé par l’ambigu David Ben-Gourion, décide d’offrir la plus haute fonction symbolique du pays à l’un des esprits les plus visionnaires, mais aussi les plus imprévisibles, du monde moderne. Curieux théâtre politique où la science et l’histoire bousculent les conventions du pouvoir.
Le contexte incandescent de 1952 : Israël, un jeune État en quête d’icône
Israël vient à peine de souffler sa cinquième bougie. La nation est fragile, entourée d’incertitudes, obsédée par la question de la légitimité et du rayonnement. Si Chaim Weizmann, premier président du pays, incarnait la caution morale et scientifique, son décès laisse un vide sidéral. Et quoi de mieux pour affirmer une identité, rassurer une diaspora, qu’un homme dont la notoriété surpasse les frontières ? Albert Einstein, ce nom qui claque et rassure, devient l’objet de toutes les supplications. L’idée ne fait pas immédiatement l’unanimité – ni à Jérusalem, ni à Princeton – mais l’enthousiasme déborde dans les journaux, infuse les cercles sionistes et agite le gouvernement qui rêve d’une figure universelle, transcendante, bref, d’un symbole.
Pourquoi offrir la présidence à Albert Einstein ? Un calcul d’image plus que de gouvernance

À cette époque, la fonction de président d’Israël se veut essentiellement honorifique. Le véritable pouvoir reste entre les mains du Premier ministre. Mais l’image compte, l’aura compte encore plus. Pour Ben-Gourion, c’est simple : attirer une personnalité comme Einstein, c’est prolonger l’élan messianique de la création d’Israël. Afficher un leadership moral devant le monde entier, donner à la fois un coup de projecteur scientifique et un gage de continuité intellectuelle à une nation en gestation. Bref, c’est faire d’Éinstein, malgré lui, un super-héros diplomatique.
Einstein, incarnation paradoxale du rêve sioniste
Vous pensiez qu’Albert allait se jeter sur l’occasion ? La réalité est bien plus nuancée. Tout au long de sa vie, le savant a fait preuve de sympathie envers les causes juives et particulièrement envers la fondation d’un foyer national en Palestine. Il savait aussi manier la distance : critique à l’égard du gouvernement israélien, sceptique du nationalisme, farouche défenseur d’un idéal humaniste bien au-delà du contexte juif. Déjà en 1947, il affirmait voir dans le sionisme un moyen de corriger les injustices de l’histoire, tout en appelant à l’apaisement et à la coexistence avec les peuples arabes.
Le moment fatidique : une lettre, une proposition, un refus magistral
Tout se déroule à travers un échange épistolaire digne d’une grande tragédie moderne. L’ambassadeur d’Israël à Washington, Abba Eban, missionné par Ben-Gourion, transmet la demande officielle à Einstein. Il évoque la grandeur d’Israël, la liberté promise au savant pour poursuivre ses recherches, la possibilité même de marier la science et l’engagement public. Mais derrière l’envolée politique, Einstein pressent le piège. Il respecte l’honneur, mais décline poliment, insistant sur son manque total d’expérience politique, son inaptitude naturelle à gérer des responsabilités humaines et sa santé faiblissante.
Analyse personnelle : Einstein, le refus et ses résonances dans l’histoire

Ce choix, il détonne. La lucidité d’Einstein sur ses limites humaines – et le refus catégorique d’assumer un pouvoir qu’il juge vide de sens pour lui – sonne comme un coup de tonnerre dans le concert des ambitions politiques. La lettre de refus, empreinte d’humilité, frappe par son honnêteté : “Je n’ai ni l’aptitude naturelle, ni l’expérience pour traiter convenablement avec les gens.” L’homme préfère contempler l’univers que s’égarer dans les arcanes du protocole. Mais ce geste est tout sauf anodin. Il pose la question : un intellectuel de génie fait-il nécessairement un bon chef d’État ? Einstein, toujours aussi inattendu, ancre sa légende dans la simplicité et la fidélité à ses valeurs profondes.
Un président malgré lui ? Ce qu’aurait pu être une Présidence Einstein
À quoi aurait ressemblé une présidence d’Einstein ? Évacuons le fantasme vite fait : le président d’Israël n’a pas de véritables pouvoirs exécutifs, mais il est un repère symbolique. On aurait assisté à un Einstein catapulté dans le tumulte du Proche-Orient, sommé de jongler avec la diplomatie, l’histoire brûlante d’une terre conflictuelle, les espoirs d’une jeunesse assoiffée de reconnaissance, la pression des diasporas et la dureté du réel. Peut-être aurait-il insufflé dans la fonction un souffle humaniste, plaidé pour la paix, tenté quelques audaces intellectuelles pour briser le cycle violence-exclusion. Peut-être aussi aurait-il été prisonnier de l’appareil, incompris dans ses aspirations utopistes, ou carrément isolé face à la complexité politique d’un nouvel État.
Les dessous politiques : une offre, beaucoup d’arrière-pensées
On découvre, au fil des mémos et témoignages, que Ben-Gourion lui-même, quoiqu’enthousiaste pour la façade, n’était pas très pressé de voir Einstein accepter. “Je dois lui offrir le poste car il est impossible de ne pas le faire. Mais s’il accepte, on est dans de beaux draps !” résume-t-il à ses proches. D’un côté, la nécessité de flatter la communauté juive internationale. De l’autre, la crainte qu’un esprit aussi indépendant vienne gripper la machine politique. Preuve que la question était moins celle du renouvellement politique qu’une gigantesque opération de communication internationale.
Et la suite ? Israël, sans Einstein, cherche sa voie
Finalement, c’est Itzhak Ben-Zvi, grande figure du sionisme travailliste, qui hérite du poste. La nation poursuit sa route, tiraillée entre aspirations morales et pragmatismes politiques. Si l’épisode de la “présidence Einstein” flotte encore dans les manuels et les conversations d’historiens, il témoigne d’un moment charnière où la science aurait pu croiser, pour de bon, la politique, et où la rigueur théorique aurait pu s’acoquiner avec le tumulte des passions humaines.
Conclusion : Le refus d’Einstein, miroir de notre rapport au pouvoir

L’histoire d’Albert Einstein et de la présidence d’Israël ne se résume pas à un simple “non merci”. C’est le récit d’une époque fiévreuse, d’un génie qui refuse l’évidence, d’un pays en quête de figures tutélaires et d’une humanité confrontée à la tentation de confier les clés du destin collectif aux meilleurs esprits. En refusant la présidence, Einstein réaffirme qu’il n’y a jamais, jamais, d’évidence dans le rapport entre le savoir et le pouvoir. C’est aussi la preuve qu’un vrai savant sait où passe sa frontière avec la politique, et ose dire non même à l’appel de l’Histoire. Sa décision n’est ni héroïque ni lâche : elle est simplement lucide. Et si vous trouvez, au fond, cette histoire un peu triste ou frustrante, c’est qu’elle nous interroge tous, collectivement : sur la place du symbole, du scientifique, du penseur – et sur notre quête, parfois insatiable, d’incarner le rêve, jusqu’à en oublier la réalité.