
En Chine, un projet hors norme a récemment pris forme : une montagne a été littéralement coupée en deux afin de bâtir une route et un pont uniques au monde. Cette prouesse d’ingénierie ne relève pas d’une simple exagération, elle est bien réelle, mais elle soulève des questions profondes sur l’impact environnemental, les défis techniques et l’ambition géopolitique chinoise. Le chantier terminé en 2025, situé dans la province du Guizhou, dans le Grand Canyon de Huajiang, a permis la réalisation du pont suspendu le plus haut du monde. Cette route de 2,8 km a réduit un trajet d’une heure à seulement deux minutes, offrant un accès inédit à cette région jusque-là enclavée, avec toutes les implications que cela entraîne.
Découvrir comment et pourquoi cette montagne a été « éventrée » de cette manière impose de dépasser l’émerveillement pour interroger la complexité d’un tel chantier, entre nécessité technique, enjeux de sécurité, développement touristique et conséquences écologiques. Ce texte vous invite à explorer le sens et l’ampleur de ce projet atypique qui bouscule les standards traditionnels de construction ou de conservation des paysages de montagne.
La montagne coupée en deux : une solution technique démesurée pour un terrain extrême

Sur les contreforts montagneux du Grand Canyon de Huajiang, la topographie foisonnante et difficile imposait un défi colossal. L’altitude et la nature du terrain rendaient la construction d’un tunnel impraticable à cause des coûts considérables, des risques géotechniques et des contraintes de sécurité liées à l’environnement très instable et exposé aux aléas climatiques extrêmes (fortes pluies, vents violents). Plutôt qu’une conception classique, les ingénieurs ont choisi de couper la montagne en deux pour y insérer la structure du pont suspendu, culminant à 625 mètres de hauteur et s’étendant sur environ 1,4 km.
Ce choix architectural audacieux a été considéré comme la réponse la plus adaptée à la complexité du site. Il a aussi été imposé par le besoin impérieux de raccourcir les temps de trajet et d’améliorer considérablement la sécurité routière regionale. Le pont, dont le poids total avoisine celui de trois tours Eiffel, fait désormais office de passage stratégique, facilitant les échanges et dynamisant l’économie locale en désenclavant des zones autrefois difficilement accessibles.
Un chantier pharaonique au cœur du Guizhou
Initiée en 2022, la construction a mobilisé une armée d’ingénieurs, de techniciens, d’ouvriers et une machinerie lourde spécifique pour déplacer des millions de mètres cubes de roche. La montagne n’a pas été simplement traversée, mais littéralement coupée et remodelée pour permettre à la route – et au pont qui la supporte – d’épouser les contraintes naturelles du site. Les travaux ont nécessité une planification méticuleuse, doublée d’une expertise pointue pour minimiser les erreurs coûteuses et pour contenir les risques d’éboulements ou d’instabilités.
Les enjeux environnementaux de la construction d’une route en montagne

Au-delà de l’exploit technique, cet aménagement n’est pas dénué de conséquences écologiques. Couper une montagne en deux entraine une altération majeure des écosystèmes locaux, affectant la biodiversité végétale et animale ainsi que les flux hydrologiques naturels. Ces perturbations peuvent fragiliser les sols et bouleverser les équilibres naturels, menaçant la pérennité des habitats autour du site. En Chine, ce type de travaux généralisé alimente un débat intense entre développement rapide et préservation environnementale, souvent en tension.
Le choix du pont plutôt qu’un tunnel n’est pas innocent non plus du point de vue écologique : malgré une empreinte au sol réduite, la construction et la maintenance d’une telle infrastructure implique une consommation énergétique et matérielle considérable, ainsi que l’émission de polluants et gaz à effet de serre. Ces questions rejoignent plus largement le défi chinois d’intégrer croissance économique et responsabilité environnementale dans un contexte mondial sous pression.
Un impact contrasté sur la région et ses habitants
Dans cette région rurale du Guizhou, l’ouverture de la route et du pont entraîne un double effet. D’un côté, elle ouvre la voie à une nouvelle dynamique touristique, promettant un essor économique et des opportunités d’emplois qui étaient absents jusqu’ici. De l’autre, elle modifie profondément un paysage auparavant préservé, et pose la question des dégradations potentielles et du tourisme de masse. Une transformation sociale et culturelle s’annonce.
Pourquoi ce projet est-il un signe fort de l’ambition chinoise ?

Cette route emblématique s’inscrit dans le cadre plus large des investissements chinois massifs dans les infrastructures, notamment avec la stratégie dite des Nouvelles routes de la Soie. La volonté est claire : renforcer la connectivité intérieure et extérieure du pays, mais aussi affirmer une puissance technologique et économique par la réalisation d’infrastructures impressionnantes. Le choix d’un chantier aussi spectaculaire traduit une forme de démonstration de force et d’innovation capable de repousser les limites de ce qui est faisable.
Paradoxalement, il illustre aussi les contradictions du modèle chinois : une volonté affichée de développement durable face à des projets qui perturbent les milieux naturels. La pression pour moderniser rapidement les régions montagneuses, souvent moins développées, entre en collision avec les impératifs de sauvegarde. Si la Chine proclame son engagement pour la neutralité carbone en 2060, ces gigantesques travaux posent la question de la cohérence entre discours et réalités sur le terrain.
Un avenir en question entre défis environnementaux et développement
Les résultats à court terme portent certes des promesses considérables pour améliorer la qualité de vie, mais ils ne doivent pas faire oublier les risques à plus long terme. L’entretien, la gestion des risques naturels exacerbés par les travaux et l’équilibre fragile des écosystèmes montagnards restent des défis qui nécessitent des solutions innovantes et durables. Le cas de cette route-phare est un révélateur des tensions qui traversent le développement chinois, oscillant entre volonté d’expansion et impératifs écologiques mondiaux.