Pourquoi le sommet Alaska de Trump ne pourra pas stopper la guerre de Poutine en Ukraine
Auteur: Maxime Marquette
Si l’histoire s’écrivait à coups de superlatifs, cette journée du 15 août, à Anchorage, aurait sans doute déjà changé le monde. Tous les projecteurs convergent vers l’Alaska : Donald Trump, en arbitre auto-désigné de la paix, rencontre le maître du Kremlin Vladimir Poutine, décidé à réinventer ses frontières et ses rapports de force. Mais derrière les images, la réalité géopolitique déchire le storytelling. L’Ukraine, absente et vulnérable, n’est ni autour de la table ni dans les promesses. Le sommet fascine, inquiète, alimente tous les fantasmes de trêve : en vérité, il ne peut, ni par ses acteurs, ni par ses modalités, mettre fin à la logique brutale de la guerre voulue par Moscou. Les raisons ? Dures, structurelles, et souvent dissimulées sous le vernis des communiqués.
L’Ukraine absente : marchander la paix sans l’essentiel

Un sommet sans Kyiv, une trahison sous-jacente
La première faiblesse de ce sommet tient dans son architecture : le principal concerné, Volodymyr Zelensky, est sciemment exclu des discussions initiales. Les États-Unis prétendent pourtant œuvrer pour la souveraineté du pays agressé. Mais un accord négocié sans Kyiv, ou imposé d’en haut, portera en lui le germe d’un ressentiment profond, d’une défiance nationale, d’un refus structurel qui condamnera la paix à être vécue comme une humiliation ou un abandon. Toute “solution” ficelée à huis clos tient davantage du dictat que du compromis durable.
Un terrain qui change à chaque heure, une guerre dictée par Moscou
Sur le front, la Russie multiplie les frappes, grignote du terrain, accumule des gains à la veille du sommet. La réalité militaire ne s’ajuste pas au calendrier diplomatique. Les faits accomplis, non les espoirs, dictent la carte : Moscou peut geler, relancer ou durcir le conflit à chaque pas selon ses intérêts stratégiques. L’Alaska, pour Poutine, n’est rien de plus qu’une scène annexe – la vraie bataille est sur le Dniepr et autour de Donetsk, pas sur les fauteuils tendus d’Anchorage.
Des négociations biaisées : donner sans donner, céder sans fin
La tentation du “donnant-donnant” – cessions de territoires contre promesse de paix – rôde. Or, une paix obtenue par démontage progressif de l’Ukraine ne fait que préparer, à terme, la prochaine offensive : l’agresseur sera tenté de grignoter encore, d’exiger davantage, d’utiliser l’accord lui-même comme marchepied pour le rapport de force futur. L’histoire récente (de Minsk à l’Arménie) l’a cruellement montré.
Poutine dicte ses conditions, Trump négocie avec le vent

Des exigences impossibles à satisfaire pour Kyiv
Le Kremlin n’a jamais varié : contrôle intégral sur la Crimée, annexion reconnue du Donbass, gel de toute aide et garantie que l’Ukraine ne rejoindra jamais l’OTAN. Pour l’Ukraine, l’acceptation de telles exigences signerait une capitulation en “douceur”, inacceptable pour la société et source d’instabilité immédiate. Poutine joue le temps, la lassitude, l’enlisement occidental — rien dans le sommet ne force un véritable compromis, la Russie considérant la simple tenue du sommet comme une victoire symbolique.
Trump hors-sol, sans garantie de levier
Le président américain, rêveur de Nobel et de “deal” grandiose, arrive sans la main sur aucun des instruments qui garantissent la paix sur le terrain. Il l’a d’ailleurs reconnu : “Je ne négocie pas pour l’Ukraine.” Les troupes ne bougent pas sur une phrase, les armes russes ne se taisent pas à la première poignée de main. Pour forcer Moscou à céder, il faudrait une pression militaire, économique et politique massive : ce que ni l’Europe ni Washington n’offrent pour l’instant.
Sanctions, OTAN, sécurité : l’accord en trompe-l’œil
Des discussions circulent sur un possible allègement des sanctions ou sur des “contreparties” symboliques – mais rien n’offre le filet de sécurité nécessaire à la survie d’une Ukraine indépendante. Sans engagement occidental sur l’intégrité et la défense du pays, un accord Alaska a toutes les chances d’être un prélude à la reprise prochaine de la guerre, pas à sa clôture.
Le piège du cessez-le-feu sans garanties : quand la paix prépare la guerre

Des armistices vides endossés par la force
La Russie a déjà prouvé qu’elle pouvait exploiter chaque trêve pour reconstituer ses forces, rouvrir l’offensive une fois la vigilance occidentale retombée. L’Alaska risque d’accoucher non d’un désarmement mais d’une interruption tactique, à l’avantage de Moscou. L’histoire le martèle : une paix désarmée, sans observateurs internationaux indépendants, sans calendrier de retrait des troupes, sans justice pour les crimes commis, n’est qu’une pause dans la violence.
La stratégie de l’épuisement, non de la solution
Les analystes partagent le même scepticisme : seul un équilibre décourageant la reprise des hostilités pourrait avoir un effet apaisant durable. Or, les garanties de Washington ont déjà été relativisées, l’OTAN a répété ne pas vouloir s’engager sur le sol ukrainien, et la Russie continue d’exiger une neutralisation absolue du pays. Pour l’Ukraine, attendre un apaisement “aksaqué” promet des lendemains de braises, pas de reconstruction.
L’absence totale de calendrier crédible
Chaque fois qu’une solution “miracle” est évoquée, les échéances glissent : ni retrait formel, ni sécurité pour les familles déplacées, ni mécanisme de retour des réfugiés n’est attentivement discuté. Ce flou favorise le retour de l’incertitude stratégique, rendant tout accord éminemment précaire.
Ukraine en résistance, Europe divisée, paix illusoire

L’Occident face à la tentation du repli
L’Europe, épuisée, préfère parfois le retour au business que l’escalade des coûts. Or, une telle lassitude ne nourrit qu’un adversaire déterminé ; elle fragilise l’allié ukrainien et in fine l’ensemble de la sécurité du continent. Des débats internes font rage, mais la crainte de perdre l’unité l’emporte bien souvent sur le courage de la fermeté.
L’Ukraine, enfermée dans la logique de survie
Les forces ukrainiennes, même si elles devaient accepter un cessez-le-feu, continueraient de s’organiser pour résister à la prochaine poussée de Moscou. Pour Kyiv, la guerre n’est pas une ligne dans un texte d’accord, mais une nécessité de ne pas disparaitre sous la pression d’un impérialisme permanent – sentiment auquel nulle table ronde ne saurait offrir de garantie ou de répit réel.
La paix sur papier, la guerre sur le terrain
Au final, chaque sommet qui prétend régler un conflit en une journée néglige la profondeur des haines, la structure des rapports de force, la nécessité de refonder la confiance perdue entre Moscou et Kyiv. On pourra suspendre les armes, mais jamais arrêter le temps d’un traumatisme qui couve encore sous chaque ruine.
Conclusion : La carte du réel, pas celle du théâtre

Le sommet Alaska, pour fascinant qu’il soit, n’a ni la profondeur géopolitique, ni la légitimité morale, ni la rigueur stratégique pour suspendre ou écraser la guerre déclenchée par Poutine contre l’Ukraine. Hors d’un engagement massif, durable, et d’un respect véritable de la souveraineté des peuples, la paix ne sera qu’un effet d’annonce, promesse vite déchirée par l’usure. Se méfier des scènes trop bien éclairées : l’histoire, elle, continue de saigner hors-cadre.