Dans le donbass, l’armée ukrainienne s’accroche à ses dernières forteresses urbaines
Auteur: Maxime Marquette
Il reste des noms, quelques villes, des bastions devenus plus que des points sur une carte : des symboles. Dans le Donbass, alors que la guerre dévore ses paysages un à un, l’armée ukrainienne retient les assauts russes dans ses ultimes poches en milieu urbain. Ce ne sont pas des cités ordinaires, mais des forteresses urbaines, construites dans l’urgence, saturées de barricades, transformées en labyrinthes de béton et de feu. Les civils les ont désertées, ou se terrent dans des caves. Chaque rue devient une tranchée, chaque immeuble une ligne de front. En s’accrochant ainsi, l’armée ukrainienne n’essaie plus seulement de protéger du terrain, elle cherche à préserver une identité : prouver qu’elle existe encore, qu’elle tient encore, que la chute n’est pas une option. Mais chaque jour consumé dans ces forteresses coûte des vies, des armes, des forces, et l’équilibre s’amincit. Les Ukrainiens, soutenus par leurs rares alliés mais privés de ressources infinies, se battent dans un silence qui hurle. Ici, dans cette partie du Donbass, ce n’est plus la victoire qu’on cherche. C’est l’empêchement de disparaitre.
Le front figé dans la pierre

Des ruines devenues bastions
Les villes du Donbass encore tenues par les forces ukrainiennes ne ressemblent plus à des villes. Elles sont des squelettes de béton, des ruines qui ne tiennent debout que par miracle, mais qu’on transforme en forteresses. Des immeubles crevés servent de miradors, des sous-sols d’usines se muent en bunkers, les rues explosées deviennent des couloirs de mort. Pour les Russes, avancer dans ces environnements signifie subir embuscade sur embuscade. Pour les Ukrainiens, défendre signifie se condamner à vivre en rats sous terre. C’est une double logique infernale : on brûle ces cités pour les rendre imprenables, mais on les détruit par la même occasion. Elles ne sont plus des lieux de vie : elles sont devenues des charniers de résistance.
Des ressources qui s’effritent
La réalité est brutale : les soldats ukrainiens tiennent ces bastions avec une endurance marquée par la fatigue extrême. Munitions rationnées, eau rare, transmissions brouillées. La logistique peine à atteindre ces poches encerclées ou menacées d’encerclement. Chaque convoi d’approvisionnement est une cible, chaque tentative de ravitaillement devient une mission suicide. Les armes modernes envoyées par les alliés ne suffisent pas à masquer la réalité : beaucoup de positions se défendent encore avec de vieux stocks, des grenades usées, des fusils à peine calibrés. Et malgré tout, ils tiennent. Mais à quel prix ? La ligne entre héroïsme et épuisement se brouille, et chaque jour gagné semble être une journée volée à une fin inévitable.
Un urbanisme piégé
Dans ces villes, tout ce qui avait été conçu pour des vies civiles sert maintenant la guerre. Les rues, larges ou étroites, piègent les blindés. Les appartements éventrés, ouverts sur le vide, servent de caches aux snipers. Les canalisations transportent les soldats plus discrètement qu’elles ne transportaient autrefois l’eau. Même les écoles détruites deviennent des points d’appui. C’est un urbanisme à l’envers, un territoire civil retourné contre l’envahisseur et contre lui-même. Dans le Donbass, ces cités sont devenues des labyrinthes meurtriers, où le temps, la géographie et la poussière s’allient aux défenseurs. Mais elles ne sont pas éternelles. Chaque coup d’artillerie arrache une part de leur résistance. Et à force de mordre, elles finiront par céder si rien ne change.
L’acharnement russe à briser les bastions

L’artillerie comme marteau
Pour l’armée russe, ces villes forteresses du Donbass représentent des abcès impossibles à tolérer. Alors elle martèle sans répit. L’artillerie lourde s’abat nuit et jour sur les ruines déjà ravagées. Des immeubles entiers disparaissent sous les salves de Grad et d’obus explosifs. La tactique est claire : écraser, pulvériser, annihiler tout ce qui pourrait encore servir de refuge. Peu importe les civils restants, peu importe l’empreinte urbaine : il ne doit rester que la poussière. C’est une guerre de compression, une volonté d’écraser une poche jusqu’à ce que rien ne respire. Le bruit est constant, l’air saturé de poudre. Ici, le temps ne se compte plus en jours mais en éclats tombés.
La stratégie de l’encerclement
Les Russes ne se contentent pas de frapper en frontal. Ils contournent, enveloppent, resserrent. Chaque axe routier est ciblé, chaque voie d’évacuation piégée. Le but : transformer les bastions en nasses où les défenseurs s’épuisent. Une fois encerclés, les Ukrainiens savent que la porte de sortie est refermée. Ceux qui restent n’ont alors que deux choix : rallonger l’agonie ou tomber. Cette tactique, héritée des sièges médiévaux, écrase toute volonté de manœuvre. Et dans ce jeu, le temps joue toujours contre les assiégés. Pour les Russes, c’est une stratégie lente mais sûre. Pour les Ukrainiens, c’est une horloge fatale.
Une démonstration de force politique
Ces batailles urbaines ne sont pas seulement militaires. Elles sont des étendards. Chaque ville prise est brandie par Moscou comme une victoire symbolique, une preuve de progression inexorable. Peu importe qu’elle soit réduite en cendres : elle devient un trophée. Pour Kiev, ces bastions ont donc la même importance symbolique. Les perdre serait concéder au monde entier que le Donbass est en train de glisser. Alors les deux camps se battent férocement pour quelques rues désertées, quelques murs encore debout, parce que ces ruines portent en elles un poids politique démesuré.
La survie quotidienne des civils

Des caves transformées en refuges
Les quelques civils restés dans ces forteresses urbaines mènent une existence rétrécie. Caves, sous-sols, abris improvisés deviennent leurs prisons. Ils vivent sans électricité, souvent sans eau, parfois presque sans nourriture. Le jour, ils n’osent sortir qu’entre deux accalmies ; la nuit, les bombardements les réveillent dans des sursauts interminables. Les enfants apprennent à distinguer les sons des roquettes comme d’autres apprennent l’alphabet. Ces civils ne survivent pas par choix mais par incapacité de fuir. Certains n’ont pas de véhicules, d’autres refusent d’abandonner une maison qui ne vaut plus rien mais qui reste la seule attache à une identité. Ils savent qu’ils sont otages de cette guerre, mais ils continuent à respirer dans la poussière.
L’évacuation devenue chimère
À chaque tentative d’évacuation organisée, les convois humanitaires deviennent des cibles. Les routes sont minées, surveillées, bombardées. Quitter ces forteresses est presque aussi mortel que d’y rester. Alors beaucoup hésitent, repoussent, renoncent. Les villes deviennent des prisons à ciel ouvert où la sortie est aussi dangereuse que la captivité. Ceux qui parviennent à fuir racontent les check-points angoissants, les tirs proches, les cris. Ceux qui restent n’ont souvent pas de nouvelles de proches partis. La communication avec l’extérieur s’effrite. Ainsi, l’isolement complète la destruction physique, encerclant les habitants autant que les soldats.
La résilience d’une mémoire
Mais malgré ce chaos, une mémoire s’accroche. Les habitants savent que leurs cités sont détruites, mais ils refusent d’admettre qu’elles disparaîtront de la carte. Certains chantent dans les caves, d’autres organisent des prières, quelques-uns notent chaque jour survivant comme une preuve qu’il reste possible de tenir. Cette mémoire est déjà tournée vers demain. Ils le disent eux-mêmes : « Nous reconstruirons. » La résilience humaine devient un rempart invisible, aussi puissant que les barricades visibles. Et paradoxalement, c’est peut-être ce rempart qui empêche l’effacement total, car on ne tue pas une mémoire aussi facilement qu’on rase un immeuble.
Conclusion sur une guerre figée dans les ruines

Dans le Donbass, l’armée ukrainienne s’accroche à ses dernières forteresses urbaines. Ces ruines, ces briques carbonisées, ces couloirs de poussière ne sont pas seulement du terrain militaire : elles sont l’incarnation d’une résistance qui refuse de céder, même piégée, même asphyxiée. Chaque rue encore tenue est une déclaration au monde : nous tenons, même si nous tombons demain. Mais ces bastions ne peuvent pas durer éternellement. Ils finiront par céder, et les survivants avec eux. Ce qui restera, ce n’est pas une victoire, mais une mémoire sanglante, une cicatrice. Alors la question résonne : combien de vies seront encore offertes sur l’autel de ces forteresses, jusqu’à ce que la pierre capitule ? L’histoire nous rappellera cette guerre non par son avancée mais par ses ruines, par ses villes mortes qui auront servi de preuve ultime que l’humain, parfois, s’accroche plus à une idée qu’à sa propre existence.