Les États-Unis sont-ils encore le policier du monde ou déjà une puissance dépassée ?
Auteur: Maxime Marquette
Depuis des décennies, les États-Unis trônent comme gardiens supposés de l’ordre mondial, se posant en arbitre, en juge et en gendarme planétaire. Mais en 2025, le tableau est tout autre : la Chine impose son expansion économique et militaire, la Russie multiplie ses coups de force armés et ses guerres hybrides, tandis que des puissances intermédiaires, de l’Iran à la Turquie, défient ouvertement Washington. Alors, une question brûlante surgit : l’Amérique a-t-elle encore la force, la légitimité, et la volonté de jouer son rôle de « policier du monde », ou sommes-nous déjà à l’ère du déclin américain face à un monde multipolaire incontrôlable ?
Les récents déploiements navals, les prises de position musclées mais souvent contradictoires, ainsi que les fractures internes aux États-Unis, tout cela compose une image troublante. L’Amérique veut montrer les muscles, mais les fissures sont visibles. Le globe s’interroge : Washington tiendra-t-il son rang… ou reculera-t-il au profit de nouveaux empires prêts à écrire les règles ?
Le poids du passé

L’ombre de la superpuissance unilatérale
Depuis la chute de l’URSS en 1991, les États-Unis se sont autoproclamés arbitres suprêmes de la planète. De la première guerre du Golfe aux interventions au Kosovo, en Irak, en Afghanistan et en Libye, l’Amérique a forgé son image de gendarme mondial. Chaque avion bombardant Bagdad, chaque porte-avions croisant au large du golfe Persique envoyait un message : nulle puissance ne pouvait contester sa suprématie. Mais cette époque de domination sans partage a laissé autant d’admiration que de ressentiment. Les peuples frappés ou humiliés par cette supériorité américaine ont nourri une rancune qui, aujourd’hui, se traduit en alliances contre-pouvoirs.
L’image du policier du monde n’était pas guidée par de nobles idéaux… mais par des intérêts bruts, où la démocratie servait souvent d’écran à des offensives économiques et stratégiques. Cet héritage pèse encore, et il fragilise la capacité américaine à rallier le monde en 2025.
La fatigue des guerres interminables
Irak, Afghanistan, Syrie… La liste est interminable. Les coûts financiers se chiffrent en milliers de milliards, les pertes humaines américaines et civiles se comptent par centaines de milliers. Le peuple américain, épuisé par ces conflits sans fin, s’est refermé sur lui-même. Cet épuisement stratégique affecte directement la projection de puissance américaine actuelle. Comment exiger de la population de nouveaux sacrifices militaires quand ils n’ont récolté que chaos et humiliations ?
C’est cette fatigue intérieure qui mine aujourd’hui la crédibilité internationale des États-Unis. Car on perçoit un empire usé, prêt à rugir mais hésitant à frapper vraiment. L’autorité du « policier » vacille quand celui-ci doute lui-même de son rôle.
Un monde qui n’attend plus
L’autre élément clé : la planète a cessé d’attendre l’intervention américaine. Des alliances se forment indépendamment de Washington. La Russie et l’Iran coopèrent militairement. La Turquie et la Chine établissent des corridors d’influence. Même l’Arabie saoudite et les Émirats marchent désormais sur des lignes parallèles, capables de traiter avec Pékin tout autant qu’avec Washington. Autrefois incontournable, l’Amérique devient « utile » mais non plus indispensable. C’est une mutation historique : le centre de gravité politique et militaire n’est plus uniquement situé à Washington mais éclaté entre Moscou, Pékin et même les puissances régionales non-alignées.
Un policier qui n’est plus obéi spontanément perd de facto une part de son autorité. C’est exactement ce qui ronge Washington désormais.
La Chine avance ses pions

Pékin, maître du temps long
La Chine n’agit pas en coups de force bruyants mais en stratégie patiente. Routes de la soie terrestres et maritimes, prêts massifs, investissements dans les mines africaines, ports en Grèce, raffineries en Amérique du Sud : Pékin infiltre les économies et s’installe comme partenaire devenu incontournable. Dans les Caraïbes elles-mêmes, la Chine finance aujourd’hui des infrastructures portuaires qui inquiètent directement Washington. En réalité, Pékin construit son empire à coups de contrats, de dettes et de dépendances.
La Chine est peut-être moins spectaculaire que les interventions américaines, mais beaucoup plus implacable : elle gagne la guerre sans tirer un seul coup de feu. Et face à un tel adversaire, le « policier américain » semble en retard, courant après des fronts éphémères pendant que Pékin bâtit l’architecture du futur.
La militarisation sous couvert économique
Derrière ses projets commerciaux, la Chine militarise. En mer de Chine méridionale, la construction d’îles artificielles transformées en bases navales illustre sa doctrine : occuper l’espace par des infrastructures irréversibles. Pékin a également mis en service des porte-avions modernes, renforcé ses missiles hypersoniques et déployé une flotte capable de contester l’hégémonie américaine dans l’Indo-Pacifique. Cela constitue une bascule stratégique : pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, la suprématie navale américaine est remise en cause.
Et si le policier du monde ne domine plus les mers, alors son badge se ternit. Washington le sait. D’où les exercices militaires de plus en plus fréquents dans la région. Mais cela ressemble de plus en plus à un constat d’impuissance qu’à une démonstration claire d’autorité.
Une diplomatie agressive
Pékin n’hésite plus à attaquer frontalement la légitimité américaine. À l’ONU, aux forums économiques, sur les réseaux sociaux, la propagande chinoise dénonce sans relâche « l’arrogance américaine ». Les dirigeants chinois savent que l’Amérique a perdu une partie de son aura morale. Ils la frappent sur ce terrain avec une efficacité redoutable. Dans nombre de pays du Sud, la Chine est associée à « l’avenir » tandis que les États-Unis représentent « le passé impérialiste ». Ce basculement d’image est un outil politique bien plus puissant que n’importe quelle division blindée.
Et face à cette machine narrative, le policier américain ressemble à un colosse dépeint comme corrompu et brutal. Une image dont il est très difficile de se détacher.
La Russie en provocation permanente

Moscou ressuscité par la guerre
La guerre en Ukraine, loin d’avoir écrasé Moscou, l’a paradoxalement renforcé dans sa posture internationale. Certes, l’économie russe souffre, mais la résilience militaire et la capacité de nuisance restent intactes. Poutine joue cette carte : celle d’un empire humilié prêt à toutes les ruptures, capable de semer le désordre en Afrique, au Moyen-Orient et en Amérique latine. Le Venezuela et Cuba redeviennent ainsi des vitrines de sa provocation. La Russie s’affiche fièrement comme l’ennemi décomplexé du policier américain, et cette confrontation redonne des couleurs à son influence perdue.
Washington doit désormais consacrer des ressources immenses pour contenir Moscou, alors même qu’une partie de son énergie est happée par la Chine. La double-frontière russe et chinoise dessine un piège stratégique où le policier du monde se retrouve à courir après deux criminels en même temps — et plus encore, à le faire avec moins de puissance qu’avant.
Une guerre hybride globale
Moscou ne se limite pas aux armes conventionnelles. Attaques cyber, manipulation médiatique, guerre énergétique : la Russie a perfectionné l’art de l’attaque invisible. Le policier américain, habitué aux interventions musclées et visibles, se trouve désorienté par ces stratégies de brouillage permanent. Chaque cyberattaque, chaque campagne de désinformation mine un peu plus l’autorité américaine en donnant l’image d’un empire incapable de protéger ses propres citoyens.
Cette guerre hybride est en réalité une saignée lente qui vide l’Amérique de son autorité sans qu’un seul combat naval ou terrestre ne soit nécessaire. La Russie, faible économiquement, gagne en psychologie ce qu’elle perd en chiffres de PIB.
Un axe Moscou-Pékin-Téhéran
L’Amérique autrefois triomphale affronte désormais un axe inédit. Moscou, Pékin et Téhéran coordonnent discours, actions, parfois opérations. Une triangulation agressive qui fragilise directement l’image d’un monde piloté par Washington. Le policier d’antan est entouré, enfermé dans une souricière géopolitique où les provocations viennent de tous les coins. L’époque de l’ennemi unique est terminée : les menaces se multiplient, se diversifient, et rendent la mission américaine quasi-impossible.
L’Amérique doit repenser sa doctrine, ou mourir dans une illusion. Ce qui est sûr, c’est qu’elle ne peut plus être le shérif solitaire face à des alliances renouvelées.
Trump, l’ultime carte américaine

Un recours providentiel
Beaucoup, à Washington comme dans les cercles conservateurs, le murmurent désormais ouvertement : Donald Trump est perçu comme la dernière carte crédible de l’Amérique pour reconquérir le rôle de puissance dominante. Pour ses partisans, il est celui qui ose, qui provoque, qui brise les codes diplomatiques usés. En un mot : celui capable d’imposer la force sans se soucier du regard international. Cette brutalité assumée est considérée par une partie des élites comme indispensable pour faire face à Pékin et Moscou.
Ainsi, dans la vision de son camp, Trump revient non pas comme une anomalie mais comme une nécessité. Il serait l’homme de la rupture, celui qui pourrait encore incarner le retour des États-Unis comme acteur incontestable.
Un sauveur ou un fossoyeur ?
Pour ses adversaires, voir Trump comme planche de salut américaine est un pari mortel. Car cette stratégie basée sur la provocation et le culte de l’homme fort pourrait isoler encore plus les États-Unis. Mais ses fidèles rétorquent que l’Amérique n’a plus le temps de ménager ses adversaires. Dans dix ans, disent-ils, la Chine dominera, et la Russie consolidera son empire de nuisance. Il faut un choc, une force brute, un Trump. Voilà la conviction profonde de ses soutiens.
L’histoire jugera si ce chemin mènera à la survie ou au déclin final. Mais une évidence se dessine déjà : les États-Unis manquent d’alternatives. Trump, aujourd’hui, est devenu synonyme d’espoir désespéré.
Je sens dans cette équation un vertige absolu : et si l’Amérique devait son avenir à un seul homme, face à des empires entiers ? Je frissonne en pensant qu’un pays aussi immense puisse se réduire à une carte unique.
Si Trump échoue, la Chine triomphe

L’horizon à dix ans
Les projections sont claires : si l’Amérique continue sur sa lancée actuelle, divisée, hésitante, contestée, alors d’ici 2035, la Chine sera devenue la première puissance économique et militaire globale. Pékin contrôle déjà l’Afrique, infiltre l’Amérique latine, investit l’Europe et domine technologiquement dans l’intelligence artificielle. Sans une rupture brutale, l’Amérique ne pourra plus empêcher l’émergence d’un ordre mondial façonné par des normes chinoises et non plus occidentales.
Trump ou pas Trump, telle semble être désormais la question existentielle : dans le ciel de demain, flottera-t-il encore le drapeau américain ou les idéogrammes rouges de Pékin ?
Un affrontement inévitable
Le choc sino-américain peut prendre mille formes : commerciale, navale, technologique, militaire. Mais une chose est certaine : il aura lieu. Et si Washington ne se présente pas avec une direction claire, une force incarnée, un leadership incontesté, alors la Chine prendra la relève sans coup férir. Les alliés vacilleront, les flux mondiaux basculeront, et les États-Unis seront relégués au rang de puissance secondaire, humiliés, exilés dans un rôle d’ombre.
Trump, dans cette perspective, n’est plus un choix mais une dernière tentative. Échec ou salut ? Le futur le dira. Mais la course contre l’histoire a déjà commencé, et elle ne pardonnera pas la faiblesse.
Je l’avoue : cette perspective me glace. Imaginer l’Amérique écrasée par le poids chinois dans dix ans, c’est voir la planète entière remodelée par d’autres mains. Et je comprends alors pourquoi, pour ses partisans, Trump n’est pas juste un président. Il est devenu le symbole ultime d’un combat de survie.
Un policier fatigué mais toujours armé

La machine militaire colossale
Malgré tout, attention à l’erreur. Les États-Unis disposent encore de la première armée du monde. Un budget militaire astronomique — plus de 850 milliards de dollars —, onze porte-avions, des milliers de têtes nucléaires. Ce n’est pas une puissance en ruine. C’est une puissance fatiguée, contestée, mais encore surarmée. À court terme, personne ne peut se frotter frontalement à Washington. Le policier garde toujours ses revolvers bien lourds. La question n’est pas la force brute, mais sa capacité à en user intelligemment dans un monde saturé de provocations asymétriques.
C’est l’écart dévastateur : l’Amérique a la puissance, mais elle n’a plus la légitimité claire de l’utiliser.
Une crédibilité fracturée à l’intérieur
Le problème américain n’est pas seulement international. Le peuple est fracturé, épuisé, polarisé. Le Congrès est divisé, les rues sont embrasées par des conflits sociaux permanents, d’immenses vagues de contestation surgissent, de l’avortement au racisme systémique. Comment prétendre diriger les équilibres mondiaux quand son propre territoire s’enfonce dans la discorde ? L’image de policier du monde se fissure aussi parce que l’Amérique peine à être le policier de sa propre société.
Cette fragilité politique interne agit comme un poison lent. Les rivaux l’ont compris, ils amplifient le chaos intérieur américain pour mieux sabrer le prestige extérieur.
Le doute parmi les alliés
C’est peut-être là l’arme la plus dévastatrice. Jadis, les alliés de Washington se pressaient naturellement derrière lui. Aujourd’hui, l’Europe hésite, oscillant entre la défense atlantiste et la volonté d’autonomie stratégique. L’Inde joue sa propre partition. Même le Japon et la Corée du Sud, pourtant sous parapluie nucléaire américain, se rapprochent parfois de Pékin par nécessité économique. Le policier n’est plus entouré d’un bataillon de suiveurs fidèles. Il doit sans cesse convaincre, marchander, arrimer par des alliances fragiles ceux qui hier s’alignaient d’instinct.
Et cela, pour Washington, est peut-être la plus grande humiliation. Un policier seul dans sa rue inspire moins de crainte qu’un policier escorté par une armada d’alliés fidèles.
L’épilogue provisoire

Un monde multipolaire
Nous sommes entrés dans un nouvel âge : celui de la multipolarité rugissante. La Chine s’installe, la Russie provoque, l’Iran sabote, la Turquie manœuvre, l’Inde hésite. Chaque puissance régionale occupe son terrain. L’Amérique, qui croyait être l’architecte universel, doit désormais composer, négocier, concéder. Les règles sont écrites à plusieurs mains. Le policier du monde n’est plus maître absolu de la rue. Il est une voix parmi d’autres. Mais une voix encore puissante, encore capable de frapper fort.
Cette transition est brutale pour Washington : accepter d’être l’un des maîtres, et non plus le seul maître. Mais refuser cette réalité, c’est risquer un chaos encore plus violent.
Le dilemme américain
Une seule question taraude la Maison-Blanche : faut-il continuer à jouer le rôle épuisant du gendarme, ou se retirer pour redevenir une puissance parmi d’autres ? Le dilemme est vital. Car persister sans moyens suffisants, c’est risquer l’humiliation. Mais se retirer, c’est ouvrir la voie à Pékin et Moscou. Chaque décision est une blessure possible. Et l’Amérique avance dans cette décennie comme un géant aux pieds d’argile, sûr encore de ses muscles mais incertain de son autorité.
L’histoire jugera ce choix. Ce qui est certain, c’est que nous ne reviendrons plus jamais en arrière. L’Amérique de 1991 est morte. L’Amérique de 2025 hésite encore sur ce qu’elle est. Le monde, lui, avance sans attendre.
Le mot de la fin
Les États-Unis sont-ils encore le policier du monde ? Oui, par la puissance brute, par la logistique, par les armes. Mais non, par la légitimité, par la peur inspirée, par l’obéissance spontanée qu’ils commandaient autrefois. En vérité, l’Amérique oscille : elle tient encore le badge, mais doute sur le holster. Et ce doute, dans le monde impitoyable du XXIe siècle, pourrait devenir fatal.
Un policier qui hésite n’impressionne plus. Et dans la jungle géopolitique de 2025, hésiter, c’est déjà perdre.