Gaza sous emprise : Israël revendique 40% du territoire et le monde retient son souffle
Auteur: Jacques Pj Provost
L’annonce est tombée comme un couperet dans la nuit méditerranéenne. Tsahal affirme désormais contrôler 40% de la bande de Gaza, une déclaration qui résonne comme un tournant décisif dans ce conflit qui déchire la région depuis bientôt onze mois. Cette progression territoriale, la plus importante depuis le début des opérations militaires d’octobre 2023, marque une nouvelle phase dans ce qui s’annonce comme l’une des campagnes militaires les plus intenses de l’histoire récente du Moyen-Orient. Les cartes se redessinent, les lignes bougent, et avec elles, le destin de 2,3 millions de Palestiniens pris au piège dans ce territoire de 365 kilomètres carrés.
La stratégie israélienne se dévoile progressivement, méthodique et implacable. Du nord au sud, les forces de Tsahal avancent, consolidant leurs positions dans ce qui ressemble de plus en plus à une partition de facto du territoire. Les analystes militaires internationaux observent avec une attention particulière cette progression qui bouleverse tous les équilibres régionaux établis depuis des décennies. L’armée israélienne, forte de ses 170 000 soldats mobilisés, poursuit son avancée malgré les condamnations internationales qui se multiplient. Cette annonce des 40% n’est pas qu’un simple chiffre — c’est un message envoyé au monde entier sur la détermination d’Israël à redéfinir complètement l’architecture sécuritaire de la région.
La cartographie d'une conquête méthodique

Les zones stratégiques tombées sous contrôle israélien
La géographie de cette prise de contrôle révèle une stratégie militaire d’une précision chirurgicale. Le corridor de Philadelphie, cette bande frontalière cruciale entre Gaza et l’Égypte, est désormais entièrement sous contrôle israélien. Cette zone, longtemps considérée comme le poumon économique de Gaza via ses tunnels de contrebande, représente un verrou stratégique majeur. Les forces israéliennes ont également établi un contrôle total sur le corridor de Netzarim, coupant effectivement Gaza en deux parties distinctes, isolant le nord du sud. Cette division n’est pas anodine — elle permet à Tsahal de contrôler tous les mouvements de population et de marchandises entre les deux zones.
Au nord, les quartiers de Beit Hanoun, Beit Lahia et une grande partie de Gaza City sont désormais sous administration militaire israélienne directe. Les images satellites montrent une transformation radicale du paysage urbain : des zones entières ont été rasées pour créer des zones tampons, des routes militaires ont été tracées à travers d’anciens quartiers résidentiels. Plus de 60% des infrastructures du nord de Gaza seraient détruites ou gravement endommagées selon les estimations des organisations humanitaires. Cette destruction systématique semble viser à rendre ces zones inhabitables sur le long terme, forçant un déplacement permanent des populations vers le sud.
L’architecture militaire de l’occupation
L’armée israélienne a mis en place un réseau complexe de bases opérationnelles avancées à travers le territoire conquis. Ces installations, construites sur les ruines d’anciens bâtiments palestiniens, servent de points d’ancrage pour une présence militaire qui semble s’installer dans la durée. Les rapports militaires évoquent la construction de plus de quinze postes de commandement permanents, équipés de systèmes de surveillance sophistiqués et de capacités de frappe rapide. Chaque base est reliée par un réseau de routes sécurisées, créant ainsi une toile d’araignée militaire qui quadrille le territoire.
La technologie joue un rôle central dans cette nouvelle configuration. Des tours de surveillance automatisées, équipées de caméras thermiques et de systèmes de détection de mouvement, ont été érigées tous les deux kilomètres le long des principales artères. Les drones survolent en permanence les zones contrôlées, créant une surveillance panoptique qui ne laisse aucun angle mort. Cette architecture de contrôle s’inspire directement des méthodes développées en Cisjordanie, mais avec une intensité et une densité sans précédent. Les experts en stratégie militaire parlent d’un nouveau modèle de contrôle territorial, mélant présence physique et domination technologique.
Les conséquences humanitaires immédiates
Cette prise de contrôle de 40% du territoire a provoqué le déplacement forcé de plus de 800 000 personnes selon les dernières estimations de l’UNRWA. Les camps de réfugiés du sud, déjà surpeuplés, voient leur population doubler, voire tripler. Khan Younis et Rafah croulent sous le poids de cette vague humaine, transformant ces villes en gigantesques camps de fortune où les conditions de vie se dégradent chaque jour davantage. L’accès à l’eau potable est devenu un luxe — moins de 10 litres par personne et par jour dans certaines zones, bien en dessous des standards humanitaires minimaux.
Les hôpitaux encore fonctionnels sont débordés, opérant à plus de 300% de leur capacité normale. Le personnel médical, épuisé après des mois de crise continue, travaille dans des conditions impossibles. Les médicaments essentiels manquent cruellement, les générateurs tombent en panne faute de carburant, et les salles d’opération improvisées se multiplient dans les couloirs. Le directeur de l’hôpital Nasser de Khan Younis témoigne : des amputations sont pratiquées sans anesthésie adéquate, des césariennes réalisées à la lueur des téléphones portables lors des coupures d’électricité. Cette réalité cauchemardesque est devenue le quotidien de centaines de milliers de civils pris au piège.
La stratégie militaire décryptée

Les trois phases de l’opération israélienne
L’analyse des mouvements militaires israéliens révèle une stratégie en trois phases distinctes, minutieusement planifiée. La première phase, achevée en décembre 2023, visait la destruction systématique des infrastructures militaires du Hamas. Plus de 15 000 frappes aériennes ont été menées, ciblant les tunnels, les centres de commandement et les dépôts d’armes. La deuxième phase, en cours jusqu’en avril 2024, s’est concentrée sur l’établissement de corridors de contrôle, divisant Gaza en secteurs isolés les uns des autres. Nous sommes maintenant entrés dans la troisième phase : la consolidation territoriale et l’établissement d’une présence permanente.
Cette progression méthodique n’est pas le fruit du hasard. Les documents militaires israéliens, partiellement divulgués dans la presse, évoquent un plan baptisé « Muraille de fer 2.0 », une référence directe à la doctrine sécuritaire historique d’Israël. L’objectif affiché : créer une nouvelle réalité sur le terrain qui rende impossible tout retour au statu quo ante. Les stratèges militaires israéliens semblent avoir tiré les leçons des précédentes opérations à Gaza — cette fois, il ne s’agit plus d’une opération punitive temporaire, mais d’une reconfiguration durable de l’espace palestinien.
L’utilisation de l’intelligence artificielle dans la conquête
Une révolution technologique silencieuse accompagne cette offensive. L’armée israélienne utilise massivement des systèmes d’IA baptisés « Lavender » et « Gospel » pour identifier et cibler des objectifs. Ces algorithmes analysent en temps réel des millions de données — mouvements de population, communications interceptées, images satellites — pour prédire les mouvements de la résistance palestinienne. L’IA génère automatiquement des listes de cibles, classées par ordre de priorité, transformant la guerre en un processus quasi-automatisé où la décision humaine devient secondaire.
Les implications éthiques de cette guerre algorithmique sont vertigineuses. Des vies humaines sont réduites à des probabilités statistiques, des décisions de vie ou de mort prises en millisecondes par des machines. Les témoignages d’anciens officiers du renseignement israélien révèlent que le système peut générer jusqu’à 100 cibles par jour, un rythme impossible à atteindre avec des méthodes traditionnelles. Cette industrialisation de la guerre marque un tournant dans l’histoire militaire moderne, où la technologie ne se contente plus d’assister mais dirige activement les opérations.
La doctrine du « gazon à tondre » revisitée
La stratégie israélienne actuelle dépasse largement la doctrine traditionnelle du « tondre le gazon » — ces opérations périodiques visant à affaiblir les capacités militaires palestiniennes. Ce que nous observons aujourd’hui ressemble davantage à un labour en profondeur du terrain, une transformation radicale et irréversible du territoire. Les zones tampons créées ne sont pas temporaires ; elles sont conçues pour durer, avec des infrastructures militaires permanentes et des systèmes de surveillance intégrés.
Les analystes militaires internationaux notent un changement fondamental dans la doctrine israélienne. Il ne s’agit plus de maintenir un équilibre précaire, mais de créer une nouvelle géographie sécuritaire. Les zones de non-construction établies s’étendent sur des kilomètres, créant des no man’s land où toute présence humaine est automatiquement considérée comme hostile. Cette stratégie de la terre brûlée vise non seulement à éliminer la menace actuelle, mais à rendre structurellement impossible toute reconstitution future d’une force de résistance organisée.
Les répercussions géopolitiques mondiales

La paralysie du Conseil de sécurité de l’ONU
Le Conseil de sécurité des Nations Unies reste spectaculairement impuissant face à cette escalade. Depuis octobre 2023, plus de vingt-sept résolutions ont été proposées, toutes bloquées par le veto américain ou l’abstention stratégique de certains membres permanents. Cette paralysie institutionnelle révèle les limites criantes du système onusien face aux crises majeures impliquant des alliés des grandes puissances. Les diplomates européens, frustrés par cette impasse, multiplient les initiatives parallèles, mais sans réel pouvoir coercitif.
La représentante palestinienne à l’ONU a qualifié cette situation de « faillite morale historique » de la communauté internationale. Les séances du Conseil de sécurité sont devenues un théâtre de l’absurde où les mêmes discours se répètent inlassablement, pendant que sur le terrain, la réalité se transforme irréversiblement. Les pays du Sud Global observent avec amertume cette démonstration d’impuissance, y voyant la confirmation que le droit international n’est qu’une fiction quand les intérêts des grandes puissances sont en jeu.
Le repositionnement des acteurs régionaux
Les monarchies du Golfe naviguent dans des eaux troubles, tiraillées entre leur rapprochement récent avec Israël via les Accords d’Abraham et la pression de leurs opinions publiques outragées. L’Arabie Saoudite a suspendu sine die les négociations de normalisation, mais maintient des canaux de communication officieux. Les Émirats arabes unis, tout en condamnant publiquement l’offensive, continuent leurs échanges commerciaux qui ont atteint 2,8 milliards de dollars en 2024. Cette schizophrénie diplomatique illustre la complexité des enjeux régionaux.
L’Égypte se trouve dans une position particulièrement délicate. Le contrôle israélien du corridor de Philadelphie viole techniquement les accords de Camp David, mais Le Caire reste étrangement silencieux. Les analystes y voient un accord tacite : l’Égypte ferme les yeux sur cette violation en échange de garanties israéliennes contre un afflux massif de réfugiés palestiniens sur son territoire. Cette complicité passive du régime égyptien provoque des manifestations sporadiques au Caire et à Alexandrie, rapidement réprimées par les forces de sécurité.
L’impact sur l’ordre international libéral
Cette crise marque peut-être le coup de grâce à l’ordre international libéral établi après 1945. Les principes fondamentaux — respect de la souveraineté territoriale, protection des civils, primauté du droit international — sont bafoués quotidiennement sans conséquence réelle. Les pays du BRICS observent attentivement, y voyant la confirmation que seule la force brute compte vraiment dans les relations internationales. La Chine et la Russie exploitent cette crise pour dénoncer l’hypocrisie occidentale et renforcer leur narrative d’un monde multipolaire.
Les conséquences vont bien au-delà du Moyen-Orient. Si Israël peut conquérir et contrôler 40% d’un territoire sous les yeux du monde entier, quel précédent cela crée-t-il pour d’autres conflits territoriaux ? Taiwan observe avec inquiétude, l’Ukraine s’interroge sur la solidité des garanties occidentales, et de nombreux petits États réalisent qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes. Le système westphalien lui-même semble vaciller, remplacé par une nouvelle ère où la loi du plus fort redevient la norme.
L'économie de guerre et ses ramifications

Le coût astronomique de l’occupation
Les chiffres donnent le vertige. L’opération israélienne à Gaza coûterait plus de 250 millions de dollars par jour, un montant qui dépasse largement toutes les prévisions initiales. Le budget de défense israélien pour 2024 a été augmenté de 45%, atteignant un record historique de 32 milliards de dollars. Cette hémorragie financière commence à peser lourdement sur l’économie israélienne : le shekel s’est déprécié de 18% face au dollar, l’inflation atteint 5,8%, et les investissements étrangers directs ont chuté de 60%.
Paradoxalement, certains secteurs de l’économie israélienne prospèrent. L’industrie de défense connaît une croissance explosive, avec des carnets de commandes remplis pour les cinq prochaines années. Les entreprises de cybersécurité et de surveillance voient leurs actions s’envoler en bourse. Rafael Advanced Defense Systems a vu son chiffre d’affaires augmenter de 78% depuis le début du conflit. Cette économie de guerre crée une dynamique perverse où la prolongation du conflit devient économiquement rentable pour certains acteurs.
La destruction de l’économie palestinienne
À Gaza, l’économie n’existe plus qu’à l’état de souvenir. Le PIB du territoire s’est effondré de plus de 85%, une destruction économique sans précédent dans l’histoire moderne. Le taux de chômage frôle les 80%, et les 20% restants travaillent principalement dans l’humanitaire ou les services d’urgence. L’agriculture, qui employait 13% de la population active, a été anéantie : les terres arables sont soit détruites, soit inaccessibles, soit contaminées par les résidus d’explosifs.
Le secteur privé a virtuellement disparu. Sur les 17 000 entreprises recensées avant octobre 2023, moins de 500 fonctionnent encore, et de manière extrêmement limitée. Les infrastructures économiques — ports, zones industrielles, marchés — ont été systématiquement détruites. La reconstruction, quand elle sera possible, nécessitera des décennies et des investissements colossaux estimés à plus de 50 milliards de dollars. Mais qui investira dans un territoire dont 40% reste sous contrôle militaire israélien ?
Les profiteurs de guerre internationaux
L’industrie de l’armement mondiale observe cette guerre comme un laboratoire grandeur nature. Les systèmes d’armes utilisés à Gaza deviennent des arguments de vente sur les marchés internationaux. Les commandes pour les systèmes de défense aérienne ont augmenté de 140% globalement, les pays cherchant à se protéger contre d’éventuelles attaques de drones ou de roquettes. Les États-Unis ont déjà signé pour 18 milliards de dollars de nouveaux contrats d’armement avec des pays du Moyen-Orient depuis le début du conflit.
Les entreprises de reconstruction se positionnent déjà pour l’après-guerre. Des consortiums internationaux élaborent des plans pour la « nouvelle Gaza », une version reconstruite et « sécurisée » du territoire. Ces projets, qui circulent discrètement dans les couloirs du pouvoir, envisagent une transformation radicale : smart cities surveillées, zones économiques spéciales sous contrôle international, infrastructures conçues pour prévenir toute résurgence militaire. Le cynisme atteint des sommets quand les mêmes entreprises qui profitent de la destruction planifient déjà la reconstruction.
La résistance palestinienne face à l'étau

L’adaptation tactique des groupes armés
Face à la supériorité militaire écrasante d’Israël, les groupes de résistance palestiniens ont radicalement modifié leurs tactiques. Le Hamas et le Jihad islamique ont abandonné les confrontations directes pour adopter une stratégie d’usure asymétrique. Les attaques sont devenues plus sporadiques mais plus ciblées, utilisant des engins explosifs improvisés et des embuscades éclair. Les combattants opèrent en cellules autonomes de 3 à 5 personnes, rendant leur neutralisation extrêmement difficile pour Tsahal.
Les tunnels, bien que largement détruits, continuent de jouer un rôle crucial. Les factions palestiniennes auraient creusé de nouveaux réseaux plus profonds, atteignant parfois 70 mètres sous terre, au-delà de la portée des bunker busters israéliens. Ces tunnels ne servent plus seulement au transport d’armes mais abritent des hôpitaux de fortune, des centres de commandement mobiles et même des ateliers de fabrication d’armes artisanales. La résistance s’est litteralement enfouie sous terre, créant une ville fantôme souterraine impossible à contrôler totalement.
La guerre de l’information et la bataille des narratifs
Sur le front médiatique, les Palestiniens mènent une guerre d’un nouveau genre. Malgré les coupures internet fréquentes, des citoyens-journalistes documentent quotidiennement les exactions via des vidéos courtes diffusées sur les réseaux sociaux. Ces témoignages bruts, non filtrés, ont un impact émotionnel considérable sur l’opinion publique mondiale. Le hashtag #Gaza40Percent a généré plus de 2,3 milliards de vues sur TikTok et Instagram, contournant les médias traditionnels souvent accusés de partialité.
Les groupes de résistance ont également sophistiqué leur communication. Les vidéos de leurs opérations, montées de manière professionnelle avec des angles multiples et des graphiques explicatifs, rivalisent avec les productions militaires israéliennes. Cette guerre des images vise autant à maintenir le moral de la population palestinienne qu’à influencer l’opinion internationale. Chaque frappe réussie contre un char Merkava ou un drone israélien devient un symbole de résistance largement diffusé, créant une narrative de David contre Goliath qui résonne particulièrement dans le Sud Global.
La résistance civile non-violente
Parallèlement à la lutte armée, une résistance civile remarquable s’organise dans les zones encore sous contrôle palestinien. Des comités populaires gèrent la distribution de nourriture, organisent des écoles improvisées dans des abris anti-bombes, et maintiennent un semblant d’ordre social malgré le chaos. Les femmes jouent un rôle central dans cette résistance quotidienne, créant des réseaux d’entraide qui permettent la survie des plus vulnérables.
Les artistes palestiniens transforment les murs détruits en toiles d’expression. Des fresques monumentales apparaissent sur les ruines, défiant symboliquement l’occupation. Les musiciens organisent des concerts improvisés dans les décombres, les poètes déclament leurs vers dans les camps de réfugiés. Cette résistance culturelle, cette insistance à rester humain dans l’inhumanité absolue, représente peut-être la forme la plus puissante de défi à l’occupation. Elle affirme que même si 40% du territoire est contrôlé militairement, l’esprit palestinien reste indomptable.
Les voix dissidentes en Israël

Le mouvement refuznik en expansion
Un phénomène remarquable se développe au sein même de la société israélienne : le mouvement des refuzniks connaît une croissance sans précédent. Plus de 850 soldats et réservistes ont publiquement refusé de servir à Gaza, un chiffre record depuis la création d’Israël. Ces objecteurs de conscience, souvent issus des unités d’élite, dénoncent ce qu’ils qualifient de « participation à des crimes de guerre ». Leurs témoignages, relayés par l’organisation Breaking the Silence, décrivent des ordres de tir systématiques sur des civils non armés, des destructions gratuites d’habitations, des humiliations quotidiennes de la population.
Les conséquences pour ces refuzniks sont lourdes : prison militaire, ostracisation sociale, difficultés professionnelles. Pourtant, le mouvement continue de grossir, particulièrement parmi les jeunes de 18-25 ans. Des manifestations hebdomadaires rassemblent désormais plusieurs milliers de personnes à Tel Aviv, malgré la répression policière croissante. Les slogans « Pas en notre nom » et « L’occupation nous tue aussi » reflètent une prise de conscience douloureuse d’une partie de la société israélienne.
Les organisations de défense des droits humains sous pression
Les ONG israéliennes de défense des droits humains subissent une pression gouvernementale sans précédent. B’Tselem, Yesh Din, et HaMoked ont vu leurs bureaux perquisitionnés, leurs comptes bancaires gelés, leurs membres harcelés. Le gouvernement a tenté de faire passer une loi les classifiant comme « organisations terroristes », une mesure qui aurait effectivement criminalisé toute documentation des violations des droits humains. Bien que la loi ait été temporairement bloquée par la Cour suprême, ces organisations opèrent dans un climat de peur constante.
Malgré cette répression, ces groupes continuent leur travail crucial de documentation. Leurs rapports détaillent méticuleusement les violations du droit international : usage disproportionné de la force, punitions collectives, destructions de biens civils. Plus de 3 000 témoignages ont été collectés depuis octobre 2023, constituant une base de données qui pourrait servir dans de futurs procès internationaux. Ces Israéliens courageux, qualifiés de « traîtres » par leur gouvernement, représentent peut-être le dernier rempart moral d’une société en pleine dérive.
La fracture générationnelle et sociale
Une fracture profonde divise la société israélienne. Les sondages révèlent que 67% des moins de 30 ans souhaitent une solution négociée, contre seulement 23% des plus de 60 ans. Cette génération, née après les accords d’Oslo, ne partage pas le trauma existentiel de ses aînés. Elle voit dans la poursuite infinie du conflit une impasse qui menace l’avenir même d’Israël comme démocratie. Les manifestations étudiantes se multiplient dans les universités, malgré les menaces d’expulsion et les violences des groupes d’extrême droite.
La communauté tech israélienne, pilier de l’économie nationale, commence également à exprimer ses doutes. Plusieurs start-ups prominentes ont délocalisé leurs sièges sociaux, citant l’image internationale désastreuse d’Israël. Les cerveaux fuient : plus de 45 000 Israéliens hautement qualifiés ont émigré depuis le début du conflit, un exode sans précédent. Cette hémorragie de talents pourrait avoir des conséquences économiques dévastatrices à long terme, transformant la « Start-up Nation » en forteresse assiégée.
L'avenir incertain d'un territoire morcelé

Les scénarios possibles de sortie de crise
Les analystes envisagent plusieurs scénarios pour l’avenir de Gaza, tous plus sombres les uns que les autres. Le plus probable semble être une occupation militaire prolongée des 40% du territoire, transformant Gaza en une version palestinienne de la Corée, divisée entre une zone sous contrôle israélien direct et une zone « autonome » surpeuplée et appauvrie. Ce scénario condamnerait les Palestiniens à vivre dans une prison à ciel ouvert encore plus réduite, sans perspective de développement économique ou social.
Un autre scénario évoque une administration internationale temporaire, peut-être sous égide onusienne ou arabe. Mais qui accepterait de gérer ce territoire dévasté ? Les pays arabes refusent catégoriquement d’être perçus comme collaborant avec l’occupation israélienne. L’ONU n’a ni les moyens ni la volonté politique d’assumer une telle responsabilité. Cette option semble donc largement théorique, un vœu pieux des diplomates occidentaux déconnectés de la réalité du terrain.
La question démographique explosive
La démographie reste la bombe à retardement du conflit. Avec une population qui double tous les 20 ans, Gaza comptera plus de 4 millions d’habitants en 2045 si les tendances actuelles se maintiennent. Comment faire vivre autant de personnes sur 60% d’un territoire déjà invivable ? La densité de population atteindrait alors 18 000 habitants au kilomètre carré dans les zones « libres », un niveau inédit dans l’histoire humaine. Cette pression démographique rend toute solution durable quasi impossible sans un changement radical de paradigme.
Israël semble parier sur un exode massif volontaire des Palestiniens, épuisés par des années de siège et de destructions. Des plans officieux circulent pour faciliter l’émigration vers des pays tiers, avec des incitations financières substantielles. Mais où iraient ces millions de réfugiés ? L’Égypte a érigé des murs de béton le long de sa frontière, la Jordanie refuse catégoriquement tout afflux supplémentaire. L’Europe, déjà traumatisée par la « crise des réfugiés » de 2015, ne veut pas entendre parler d’un nouvel exode. Les Palestiniens semblent condamnés à rester sur une terre qui rétrécit chaque jour.
Conclusion : Le monde face à son miroir brisé

L’annonce du contrôle de 40% de Gaza par Israël n’est pas qu’une simple statistique militaire — c’est le symbole d’un effondrement civilisationnel qui nous concerne tous. Nous assistons, en temps réel et en haute définition, à la normalisation de l’innommable. Les lignes rouges que l’humanité s’était fixées après les horreurs du XXe siècle sont franchies quotidiennement, sous nos yeux ébahis et notre silence complice. Cette conquête territoriale marque peut-être la fin définitive de l’illusion d’un ordre mondial fondé sur le droit plutôt que sur la force brute.
Ce qui se joue à Gaza dépasse largement le conflit israélo-palestinien. C’est notre capacité collective à préserver un minimum d’humanité dans un monde de plus en plus brutal qui est en jeu. Quand une puissance militaire peut ouvertement conquérir et occuper 40% d’un territoire peuplé, détruire systématiquement ses infrastructures, déplacer massivement sa population, et ce sans conséquence réelle, quel message envoyons-nous aux autocrates et aux bellicistes du monde entier ? Nous leur disons, en substance, que la force prime le droit, que les conventions internationales ne sont que du papier, que les génocides sont tolérables s’ils sont commis par les « bons » camps. Cette abdication morale collective aura des répercussions qui dépasseront largement les frontières du Moyen-Orient, inaugurant peut-être une nouvelle ère de barbarie technologique où les drones et l’IA rendront les massacres plus efficaces et moins visibles.