La Russie s’effondre de l’intérieur : les drones ukrainiens étranglent l’or noir de Poutine
Auteur: Maxime Marquette
Il y a quelque chose de profondément ironique — presque poétique — dans ce qui se déroule actuellement en Russie. Le pays qui s’est toujours vanté d’être une superpuissance énergétique, celui qui a utilisé son gaz et son pétrole comme armes de chantage pendant des décennies, ce géant qui croyait pouvoir tenir l’Europe à genoux en fermant quelques vannes… ce même pays se retrouve aujourd’hui à genoux, non pas à cause des sanctions occidentales, mais parce que des essaims de drones ukrainiens ont décidé de frapper là où ça fait vraiment mal. Depuis août 2025, seize des trente-huit raffineries russes ont été touchées par ces attaques aériennes méthodiques, réduisant la capacité de raffinage du pays de plus d’un million de barils par jour. Un million de barils. Chaque jour. Disparus dans les flammes et la fumée noire qui s’élève au-dessus des installations pétrolières transformées en brasiers.
Ce n’est plus une simple campagne militaire. C’est une guerre économique totale, une strangulation progressive et implacable de la machine de guerre russe. Les images qui nous parviennent de Moscou, de Saint-Pétersbourg, de ces villes russes où les files d’attente s’allongent devant des stations-service à sec, ces images racontent une vérité que le Kremlin tente désespérément de cacher : la Russie, ce colosse aux pieds d’argile, est en train de manquer de carburant. Oui, vous avez bien lu. Le deuxième exportateur mondial de pétrole rationne l’essence comme un pays du tiers-monde. Dix litres par client. Vingt tout au plus. Et encore, quand il y en a. Les prix du diesel ont explosé de quarante à cinquante pourcent depuis le début de l’année, atteignant des records historiques à la bourse de Saint-Pétersbourg. Les exportations de diesel ont chuté à leur niveau le plus bas depuis 2020. Et pendant ce temps, les drones continuent de vrombir dans le ciel russe, silencieux messagers d’une défaite qui ne dit pas encore son nom.
Une campagne méthodique qui vise le cœur du système
Ce qui frappe dans cette campagne ukrainienne, c’est sa précision chirurgicale. On ne parle pas ici de frappes aveugles ou désespérées. Non. Chaque cible est soigneusement sélectionnée, chaque attaque minutieusement planifiée. Le 26 septembre dernier, la raffinerie Afipsky dans la région de Krasnodar a été frappée pour la deuxième fois en un mois. Cette installation, capable de traiter 9,1 millions de tonnes de brut par an, représente 2,1% de la capacité totale de raffinage russe. Elle fournit le carburant pour les chars, les camions militaires, les avions qui bombardent quotidiennement les villes ukrainiennes. En la touchant, Kiev ne détruit pas seulement une infrastructure économique. Kiev coupe les artères qui alimentent le monstre.
Quelques jours plus tôt, le 14 septembre, c’était au tour de la massive raffinerie de Kirishi, dans la région de Leningrad, de s’embraser sous les impacts de drones. Cette installation traite normalement 355 000 barils par jour — soit 6,4% de la capacité nationale. Imaginez l’impact. Imaginez les calculs paniqués au ministère de l’Énergie russe quand ils ont vu les flammes dévorer ce qui était censé être une installation stratégique inviolable. Car c’est bien là le problème pour Moscou : aucun endroit n’est plus sûr. Les drones ukrainiens ont frappé à plus de 1300 kilomètres de la ligne de front, atteignant des cibles en Bachkirie, dans l’Oural, presque aux confins de la Sibérie. La profondeur stratégique russe, ce concept militaire dont se gargarisaient les généraux du Kremlin, n’existe plus.
Le diesel qui disparaît, l’économie qui suffoque
Parlons maintenant des conséquences concrètes, tangibles, de cette guerre asymétrique qui se joue à 10 000 mètres d’altitude. Le Financial Times a publié des chiffres accablants : les exportations russes de diesel ont chuté à leur plus bas niveau depuis cinq ans. Cinq ans. Nous parlons d’un retour aux niveaux de 2020, année de tous les chaos. Mais cette fois, ce n’est pas une pandémie qui est responsable. C’est une volonté délibérée, une stratégie pensée, exécutée avec une efficacité redoutable par les forces ukrainiennes. Le groupe de recherche Energy Aspects confirme : plus d’un million de barils par jour de capacité de raffinage ont été neutralisés, faisant chuter les exportations en-dessous des niveaux d’avant-guerre.
Et l’impact ne se limite pas aux chiffres abstraits du commerce international. Sur le terrain, dans les provinces russes, c’est la pénurie qui s’installe. Des régions entières — la Volga, le sud, l’Extrême-Orient russe — ont instauré des rationnements stricts. Les stations-service limitent les ventes à dix ou vingt litres par client. Certaines ne proposent plus que du diesel. D’autres ferment tout simplement, incapables de s’approvisionner. Pavel Bazhenov, président de l’Union indépendante du carburant, a confirmé au quotidien pro-Kremlin Izvestia que ces mesures visaient à « traverser cette période difficile de pénuries ». Période difficile. Quel euphémisme élégant pour décrire une crise énergétique dans le pays qui se prétendait maître absolu de l’énergie mondiale. Les chauffeurs routiers bloquent les routes. Les agriculteurs ne peuvent plus récolter leurs champs. La colère monte, lentement mais sûrement.
Quand le prix de l’essence devient un problème politique
Il faut comprendre une chose fondamentale sur la Russie de Poutine : le pacte social qui lie le pouvoir au peuple repose sur une promesse simple. Le Kremlin garantit la stabilité économique, des prix accessibles pour les biens essentiels, et en échange, la population ferme les yeux sur les dérives autoritaires. Mais que se passe-t-il quand cette promesse vole en éclats ? Quand le prix de l’essence atteint des sommets records, avec une augmentation de quarante à cinquante pourcent en moins d’un an ? Quand l’AI-92 se négocie à 73 600 roubles la tonne à la bourse de Saint-Pétersbourg, et l’AI-95 à 71 100 roubles ? Ces chiffres ne parlent peut-être pas à tout le monde, mais pour les Russes ordinaires, ils signifient une chose : leur pouvoir d’achat s’effondre.
La stratégie ukrainienne : asphyxier l'économie de guerre russe

Frapper les revenus, pas seulement les tanks
Ce que beaucoup d’observateurs occidentaux n’ont pas immédiatement compris, c’est que cette campagne contre les raffineries obéit à une logique double, redoutablement efficace. D’un côté, en détruisant les capacités de raffinage russes, Kiev prive directement l’armée russe du carburant dont elle a besoin. Chaque tank immobilisé faute de diesel, c’est un tank de moins sur le front du Donbass. Chaque avion cloué au sol faute de kérosène, c’est un bombardement en moins sur Kharkiv ou Zaporijjia. Mais il y a un deuxième effet, peut-être encore plus dévastateur à long terme : en forçant la Russie à exporter du brut plutôt que des produits raffinés, l’Ukraine réduit considérablement les marges bénéficiaires de Moscou.
Car voilà le secret que personne ne crie sur les toits : le pétrole brut se vend beaucoup moins cher que l’essence ou le diesel. En détruisant ses raffineries, en forçant la Russie à vendre du brut avec des réductions massives pour garder ses clients — quatre dollars le baril de moins que le Brent, contre un dollar en juillet — l’Ukraine sape directement les revenus qui financent la machine de guerre du Kremlin. C’est brillant. C’est implacable. C’est exactement le genre de guerre économique qui peut faire plier un régime. Le président Volodymyr Zelensky l’a dit lui-même lors du Yalta European Strategy Meeting : « La machine de guerre russe ne s’arrêtera que lorsqu’elle manquera de carburant. Et Poutine commencera à l’arrêter lui-même quand il sentira vraiment que les ressources pour la guerre s’épuisent. »
Des drones qui volent à 1300 kilomètres du front
L’exploit technologique mérite qu’on s’y attarde. Ces drones ukrainiens, développés localement par une industrie de défense qui a dû s’adapter à marche forcée depuis février 2022, sont capables de parcourir des distances folles. Plus de 1300 kilomètres dans certains cas, pour aller frapper des cibles en plein cœur de la Russie. Ils volent bas, très bas, pour échapper aux radars. Ils utilisent la guerre électronique pour brouiller les systèmes de défense russes. Ils arrivent par vagues, par dizaines, saturant les défenses aériennes qui ne peuvent pas tous les intercepter. Et surtout, ils sont précis. Terriblement précis.
Quand un drone ukrainien frappe une unité de distillation dans une raffinerie, ce n’est pas un hasard. C’est le résultat d’un travail de renseignement minutieux, d’une planification méticuleuse. Les services de sécurité ukrainiens, le HUR et le SBU, ont développé une connaissance encyclopédique de l’infrastructure énergétique russe. Ils savent où frapper pour causer un maximum de dégâts, pour des réparations qui prendront des semaines, voire des mois. Car contrairement à une usine de drones — qu’on peut reconstruire en quelques jours — une raffinerie touchée, c’est une catastrophe industrielle. Les équipements sont européens et américains, impossibles à remplacer sous sanctions. Les unités de craquage, les colonnes de distillation, tout ce matériel sophistiqué qui transforme le brut en essence… une fois détruit, il ne se remplace pas comme ça. Un économiste russe exilé, Vladislav Inozemtsev, l’a confirmé : « Si vous touchez une raffinerie, les conséquences sont beaucoup plus graves, elle brûlera pendant des semaines. »
La double peine : économie civile et machine militaire
Voilà donc la beauté diabolique de cette stratégie. En frappant les raffineries, l’Ukraine inflige une double peine à la Russie. Première peine : la population civile russe souffre directement des pénuries et de la flambée des prix. Les manifestations sporadiques commencent à éclater. Les chauffeurs routiers bloquent les routes. Les agriculteurs dénoncent l’incapacité du gouvernement. Cette grogne sociale, le Kremlin la redoute plus que tout. Car l’histoire du XXe siècle l’a montré : les révolutions commencent souvent à la pompe à essence. Deuxième peine : l’armée russe voit sa mobilité réduite, son approvisionnement compliqué. Chaque litre qui manque dans une station-service de Rostov ou de Riazan, c’est un litre de moins pour les blindés massés dans le Donbass.
L'impact sur le terrain : des régions russes paralysées

Le rationnement qui s’étend comme une traînée de poudre
Revenons maintenant aux faits bruts, aux réalités quotidiennes qui se vivent dans les provinces russes. Car c’est bien beau de parler de millions de barils et de pourcentages, mais sur le terrain, ça donne quoi ? Ça donne des stations-service fermées dans la région de Moscou, de Léningrad, de Riazan, de Nijni Novgorod. Ça donne des limitations strictes : dix litres par personne, vingt au maximum. Ça donne des chaînes de stations qui ne proposent plus que du diesel, quand elles en ont. Pavel Bazhenov, le président de l’Union indépendante du carburant, explique que ces mesures visent à éviter la fermeture temporaire complète des stations, comme ça s’est déjà produit pour certaines petites installations. Mais qui dit rationnement dit aussi marché noir, prix gonflés, tensions sociales.
Le rationnement touche désormais la Russie centrale, la région de la Volga, le sud, l’Extrême-Orient. C’est presque la moitié du territoire qui connaît des restrictions. En Crimée — cette péninsule que la Russie a annexée illégalement en 2014 et dont elle se gargarise comme d’un trophée — les stations-service sont pratiquement vides. Un habitant a confié à Radio Free Europe : « Ce que les Criméens craignaient est arrivé. Les stations n’ont plus d’essence, et beaucoup ferment complètement pour éviter de payer inutilement les salaires des employés. » En Crimée. Cette terre que Poutine avait promis de transformer en vitrine de la grandeur russe. Cette péninsule qui devait montrer au monde la supériorité du modèle russe. Elle n’a plus d’essence.
Les prix qui explosent et la colère qui monte
Mais au-delà du rationnement, c’est l’explosion des prix qui crée le plus de ressentiment. À la bourse internationale de Saint-Pétersbourg, l’essence AI-92 a atteint 73 600 roubles la tonne mardi dernier, un record absolu. L’AI-95 se négociait à 71 100 roubles. Ces prix ont augmenté de quarante à cinquante pourcent depuis janvier. En moins d’un an. Pour un Russe moyen dont le salaire n’a certainement pas suivi cette courbe infernale, c’est une catastrophe. Faire le plein devient un luxe. Se déplacer pour travailler devient un calcul financier. Et pendant ce temps, le gouvernement russe ordonne aux compagnies pétrolières d’activer leurs capacités de réserve, de retarder les maintenances prévues, de coordonner les expéditions ferroviaires de carburant. Des mesures d’urgence qui sentent la panique.
Le Kremlin envisage même d’étendre l’interdiction d’exportation d’essence et d’imposer une interdiction temporaire sur les exportations de diesel pour tous les fournisseurs jusqu’à la fin de l’année. Comprenez bien ce que cela signifie : la Russie, deuxième exportateur mondial de pétrole, est obligée d’interdire l’exportation de ses produits raffinés pour essayer — désespérément — de stabiliser son marché intérieur. C’est une défaite économique massive, un aveu d’impuissance qui ne dit pas son nom. Et les Ukrainiens le savent. Ils ont compris qu’ils avaient mis le doigt sur une faille béante dans l’armure russe. Alors ils continuent. Inlassablement. Nuit après nuit, leurs drones décollent vers de nouvelles cibles.
Les entreprises qui s’effondrent, l’économie qui vacille
L’impact économique dépasse largement le seul secteur énergétique. Le service de renseignement étranger ukrainien a publié des chiffres édifiants : depuis 2022, environ 486 000 entreprises ont fermé en Russie. Quatre cent quatre-vingt-six mille. Le pays ne compte plus que 3,17 millions d’entreprises actives au 1er septembre 2025, soit un retour aux niveaux de 2010. Quinze ans de développement économique effacés. Et ce n’est pas fini. Car quand le carburant manque, quand les prix explosent, c’est toute la chaîne logistique qui se grippe. Les camions ne roulent plus. Les marchandises n’arrivent plus. Les usines ralentissent. Les commerces ferment. L’économie russe, déjà affaiblie par trois ans de guerre et de sanctions, chancelle sous les coups répétés de cette campagne ukrainienne.
Les cibles stratégiques : une géographie de la destruction

Afipsky : la raffinerie du sud frappée à répétition
Prenons maintenant le temps d’examiner quelques-unes des cibles majeures de cette campagne de drones. Car chaque raffinerie touchée raconte une histoire, révèle une vulnérabilité, démontre l’efficacité de la stratégie ukrainienne. Commençons par la raffinerie Afipsky, dans le kraï de Krasnodar. Située à environ 200 kilomètres de la ligne de front — donc à portée relativement facile des drones ukrainiens — cette installation a été frappée trois fois en l’espace de quelques semaines : le 7 août, le 28 août, et de nouveau le 26 septembre. Trois fois. À chaque fois, les unités ont été endommagées, les opérations perturbées, les livraisons retardées. La raffinerie Afipsky traite normalement 6,25 millions de tonnes de pétrole par an et représente 2,1% de la production nationale de produits raffinés.
Mais voici ce qui rend cette cible particulièrement stratégique : Afipsky est un hub logistique crucial pour l’approvisionnement en diesel et en kérosène aviation des forces russes. C’est de là que partent les camions-citernes qui alimentent les unités déployées dans le sud de l’Ukraine, en Crimée, dans le Donbass. En la frappant, en la forçant à réduire ses opérations, l’Ukraine complique directement la logistique militaire russe dans toute cette région. L’état-major ukrainien a confirmé : « Dans le cadre de la réduction du potentiel offensif de l’ennemi et de la complication de l’approvisionnement en carburant et en munitions des unités militaires des occupants, dans la nuit du 26 septembre, des unités des forces de systèmes sans pilote des forces armées ukrainiennes, en coopération avec d’autres composantes des forces de défense, ont frappé les installations de la raffinerie de pétrole Afipsky. »
Kirishi : le géant du nord en flammes
Maintenant, dirigeons notre regard vers le nord, vers la région de Léningrad, là où se dresse la massive raffinerie de Kirishi. Cette installation, exploitée par Surgutneftegas, est l’une des trois plus grandes de Russie. Elle traite normalement près de 17,7 millions de tonnes de brut par an, soit 355 000 barils par jour. C’est énorme. C’est 6,4% de la capacité totale du pays concentrée en un seul endroit. Quand les drones ukrainiens l’ont frappée dans la nuit du 14 septembre, les explosions ont été visibles à des kilomètres à la ronde. Les photos publiées par l’état-major ukrainien montrent un brasier colossal, des nuages de fumée noire qui montent vers le ciel nocturne. Le gouverneur de la région, Alexander Drozdenko, a d’abord tenté de minimiser, parlant de « débris de drones abattus » qui auraient déclenché un incendie. Débris. Comme si c’était un accident.
Mais la réalité s’impose : Kirishi a été touchée en plein cœur, ses unités de traitement endommagées, sa production interrompue. Et ce n’était pas la première fois. La raffinerie avait déjà été ciblée en mars, avec des dégâts mineurs à l’époque. Mais cette fois, l’impact a été bien plus sérieux. Kirishi, c’est 355 000 barils par jour qui disparaissent du marché. C’est du diesel qui n’arrive plus dans les stations-service de Saint-Pétersbourg, de Moscou, du nord-ouest russe. C’est du kérosène qui manque pour les avions de chasse basés dans la région. Et surtout, c’est un message : même à plus de 800 kilomètres de la frontière ukrainienne, personne n’est en sécurité. Les drones peuvent frapper n’importe où.
Salavat et les frappes dans la profondeur stratégique
Mais le summum de l’audace ukrainienne, c’est peut-être la frappe du 18 septembre contre le complexe pétrochimique Gazprom Neftekhim Salavat, en Bachkirie. Nous parlons d’une installation située à plus de 1300 kilomètres de tout territoire contrôlé par l’Ukraine. Treize cents kilomètres. C’est la distance Paris-Varsovie. Imaginez des drones qui traversent tout ça, qui évitent les défenses aériennes russes, qui échappent aux intercepteurs, et qui finalement atteignent leur cible pour la mettre en feu. Le gouverneur Radiy Khabirov a dû l’admettre publiquement : « Aujourd’hui, l’installation de Bashneft a été soumise à une attaque terroriste par des drones de type avion. » Attaque terroriste. Le vocabulaire du Kremlin pour qualifier des frappes militaires légitimes contre des infrastructures qui alimentent une guerre d’agression.
Salavat, c’est la dixième plus grande raffinerie de Russie, avec une capacité de 10 millions de tonnes métriques de pétrole par an. C’est aussi un complexe pétrochimique majeur qui produit plus de 150 types de produits pétroliers différents. En 2016, le Kremlin l’avait décrit comme « l’un des plus grands du pays ». Et voilà qu’il brûle sous les impacts de drones ukrainiens. Les vidéos publiées sur les réseaux sociaux montrent un drone qui dérive vers l’installation avant d’exploser dans une boule de feu, envoyant un nuage de fumée massif vers le ciel. Une source de la défense à Kiev a confirmé que l’agence de renseignement militaire ukrainienne, le GUR, était derrière ces frappes. Et ils promettent de continuer.
Les conséquences sociales : quand le peuple russe découvre la réalité

Les files d’attente qui s’allongent
Abandonnons maintenant les chiffres et les statistiques pour parler des gens. Des Russes ordinaires qui se retrouvent pris au piège d’une situation qu’ils n’ont pas choisie. Imaginez-vous habitant de Riazan, de Rostov, de n’importe quelle ville de province russe. Vous vous réveillez un matin, vous devez aller travailler, et vous constatez que votre réservoir est presque vide. Vous vous rendez à la station-service habituelle. Fermée. Vous essayez la suivante. Une file d’attente interminable. Vous attendez une heure, deux heures peut-être. Quand enfin votre tour arrive, l’employé vous annonce : « Désolé, maximum dix litres par personne. » Dix litres. De quoi faire quoi ? Cinquante kilomètres ? Cent si vous roulez doucement ? Et encore, vous avez de la chance. Parce que dans certaines stations, il n’y a plus rien du tout.
Ces scènes se répètent dans des dizaines de villes russes. Les chauffeurs routiers, ces hommes et ces femmes qui assurent le transport de marchandises à travers l’immense territoire russe, commencent à bloquer les routes. Ils ne peuvent plus travailler. Leurs camions sont immobilisés faute de diesel. Les agriculteurs, en pleine période de récolte, découvrent qu’ils ne peuvent pas faire fonctionner leurs tracteurs. Les moissons pourrissent dans les champs pendant que le Kremlin assure que « tout est sous contrôle ». Sous contrôle. Vraiment ? Les témoignages affluent sur les réseaux sociaux russes, même si la censure tente de les étouffer. Des gens ordinaires qui filment les stations fermées, qui partagent leurs factures d’essence hallucinantes, qui expriment leur frustration, leur colère, leur incompréhension.
La grogne sociale qui inquiète le Kremlin
Car voilà ce que le Kremlin redoute plus que tout : que cette crise du carburant devienne un problème politique. Que les Russes commencent à se demander pourquoi ils doivent rationner l’essence alors que leur pays est censé être une superpuissance énergétique. Que les questions fusent : où est passé tout ce pétrole dont on nous parle ? Pourquoi les exportations continuent alors que nous, on fait la queue ? Pourquoi cette guerre en Ukraine coûte-t-elle si cher à nos vies quotidiennes ? Ce sont des questions dangereuses pour un régime autoritaire. Des questions qui peuvent mener à des manifestations. À des mouvements sociaux. À des remises en question du pouvoir lui-même. L’histoire russe — et soviétique avant elle — regorge d’exemples de régimes tombés parce qu’ils n’avaient plus rien à mettre dans l’assiette du peuple.
Les manifestations sporadiques ont déjà commencé. Rien de massif encore, rien qui puisse faire trembler le pouvoir. Mais des signaux faibles, des grognements qui montent des provinces. Des chauffeurs routiers qui bloquent une autoroute ici. Des agriculteurs qui manifestent devant un bâtiment administratif là. Des habitants qui interpellent leurs élus locaux, exigeant des explications. Et les élus locaux, que répondent-ils ? Ils disent que toutes les décisions sont prises à Moscou. Qu’ils n’y peuvent rien. Qu’il faut comprendre le contexte difficile de l' »opération militaire spéciale ». Mais les gens en ont assez des excuses. Ils veulent du carburant à prix normal. Ils veulent pouvoir vivre normalement. Et chaque jour qui passe sans amélioration, c’est un jour de plus où le ressentiment grandit.
Le contraste entre la propagande et la réalité
Et puis il y a ce décalage surréaliste entre la propagande officielle et la réalité vécue. À la télévision d’État russe, les présentateurs continuent de parler des « succès » de l' »opération militaire spéciale », de la « marche inexorable » vers la victoire, de la « dégradation » de l’Ukraine. Mais dans les rues, les gens voient leurs stations-service fermées. Ils voient les prix grimper. Ils entendent parler de raffineries qui brûlent, d’infrastructures détruites, de pénuries qui s’étendent. Comment réconcilier ces deux réalités ? Comment croire aux discours triomphalistes quand on ne peut même plus faire le plein ? Ce hiatus entre le discours du pouvoir et l’expérience quotidienne, c’est ce qui mine les régimes de l’intérieur. C’est ce qui érode lentement mais sûrement la légitimité d’un pouvoir.
L'efficacité redoutable d'une stratégie asymétrique

Des drones à quelques milliers contre des raffineries à des milliards
Parlons maintenant de l’aspect purement stratégique et militaire de cette campagne de drones. Car il y a quelque chose de profondément déséquilibré — dans le bon sens du terme pour l’Ukraine — dans ce rapport coût-efficacité. Un drone ukrainien de longue portée, même sophistiqué, coûte quelques dizaines de milliers de dollars. Peut-être cent mille pour les plus avancés. Disons cent mille pour être généreux. Une raffinerie moderne, avec toutes ses unités de traitement, ses colonnes de distillation, ses systèmes de contrôle, ses installations de stockage… on parle de milliards de dollars. Plusieurs milliards. Et il suffit qu’un drone à cent mille dollars touche le bon endroit — une unité de craquage, un réservoir de stockage, un nœud critique — pour causer des centaines de millions de dollars de dégâts et des mois d’interruption de production.
C’est ça, la beauté terrible de la guerre asymétrique moderne. Vous n’avez pas besoin d’avoir l’armée la plus puissante, les avions les plus rapides, les missiles les plus destructeurs. Vous avez besoin d’intelligence, de précision, de patience. Vous avez besoin de savoir où frapper pour faire le plus de mal avec le minimum de ressources. Et manifestement, les Ukrainiens ont compris cette leçon à la perfection. Ils ont développé toute une industrie de drones — des petits FPV pour le front, des moyens pour la reconnaissance, des longue portée pour les frappes en profondeur — et ils l’utilisent avec une efficacité remarquable. Le commandant des forces de systèmes sans pilote ukrainiennes a estimé que la Russie avait perdu un cinquième de sa capacité de raffinage. Un cinquième. Vingt pourcent. Disparus.
Une guerre économique qui peut changer la donne
Mais au-delà des aspects purement militaires, c’est toute la dimension économique de cette stratégie qui mérite qu’on s’y attarde. Car comprenez bien : l’objectif n’est pas seulement de priver l’armée russe de carburant. C’est aussi — peut-être même surtout — de tarir les revenus qui financent cette guerre. Le pétrole et le gaz, c’est l’oxygène de l’économie russe. C’est ce qui permet à Moscou de payer ses soldats, d’acheter des munitions, de faire tourner ses usines d’armement. En frappant cette source de revenus, en forçant la Russie à vendre du brut avec des décotes massives plutôt que des produits raffinés à haute valeur ajoutée, l’Ukraine sape directement la capacité du Kremlin à poursuivre la guerre.
Et les chiffres le confirment. Les exportations russes de diesel — un produit à forte marge — ont chuté à leur plus bas niveau depuis 2020. En août seul, selon les calculs de Reuters, l’Ukraine aurait neutralisé dix-sept pourcent de la capacité de raffinage russe. Dix-sept pourcent en un mois. Le président Zelensky a été très clair sur ce point lors de son allocution du dimanche soir : « Les sanctions les plus efficaces — celles qui fonctionnent le plus rapidement — ce sont les incendies dans les raffineries de pétrole russes, dans ses terminaux, ses dépôts de carburant. La guerre de la Russie est essentiellement une fonction du pétrole, du gaz, de toutes ses autres ressources énergétiques. » Il a raison. Chaque raffinerie qui brûle, c’est un peu moins d’argent pour les missiles qui tombent sur les villes ukrainiennes.
Les limites technologiques russes face aux essaims de drones
Maintenant, examinons pourquoi les défenses aériennes russes — pourtant réputées parmi les plus sophistiquées au monde — peinent tant à arrêter ces vagues de drones ukrainiens. Car c’est quand même paradoxal, non ? La Russie, qui vend ses systèmes S-400 au monde entier, qui se vante de pouvoir abattre n’importe quel missile, n’arrive pas à empêcher des drones relativement lents de frapper ses installations stratégiques. Plusieurs raisons expliquent ce phénomène. D’abord, les drones volent bas, très bas, sous le faisceau des radars longue portée. Ensuite, ils sont petits, fabriqués en matériaux composites qui réfléchissent peu les ondes radar. Leur signature radar est minuscule comparée à celle d’un avion ou d’un missile de croisière.
Mais surtout — et c’est peut-être le plus important — ils arrivent en essaims. Quand vous lancez cinquante, cent, deux cents drones en même temps sur différentes trajectoires, même le meilleur système de défense aérienne du monde ne peut pas tous les intercepter. Les S-400 russes ont un nombre limité de missiles. Les canons antiaériens Pantsir ont une cadence de tir limitée. Et pendant qu’ils s’occupent de vingt drones au-dessus de Belgorod, trente autres passent par Koursk, et vingt autres encore par Briansk. C’est mathématique. C’est inéluctable. Et c’est précisément pour cette raison que les drones sont devenus l’arme du futur. Ils saturent les défenses. Ils rendent obsolètes les systèmes d’armes traditionnels. Ils changent fondamentalement la nature de la guerre moderne.
Les réponses désespérées de Moscou

Interdire les exportations pour sauver le marché intérieur
Face à cette crise qui s’aggrave, le gouvernement russe multiplie les mesures d’urgence. Mais ce sont des mesures qui sentent la panique, le bricolage, l’improvisation. Première décision : interdire les exportations d’essence jusqu’au 30 septembre, puis les prolonger jusqu’au 31 octobre pour certains intermédiaires. Une interdiction totale. La Russie, qui exporte normalement des millions de tonnes de produits raffinés, est obligée de tout garder pour son marché intérieur. C’est un aveu d’échec retentissant. Imaginez l’Arabie Saoudite interdisant l’exportation de pétrole. C’est à peu près aussi absurde. Mais Moscou n’a plus le choix. Les pénuries deviennent tellement criantes qu’il faut choisir : soit on continue à exporter et on laisse le marché intérieur s’effondrer complètement, soit on interdit les exportations et on essaie de limiter les dégâts sociaux.
Le gouvernement envisage même d’étendre cette interdiction au diesel. Le diesel, ce carburant essentiel pour les camions, pour l’agriculture, pour une partie de l’industrie. Si cette mesure est mise en œuvre, ce sera la reconnaissance officielle que la situation est hors de contrôle. Parce qu’interdire l’exportation de diesel, ça veut dire renoncer à des revenus massifs. Le diesel russe se vend bien sur les marchés internationaux, notamment en Turquie et dans d’autres pays qui n’ont pas appliqué les sanctions occidentales. Mais là encore, le Kremlin devra choisir : les revenus ou la stabilité sociale. Et manifestement, avec la grogne qui monte dans les provinces, la stabilité sociale commence à devenir la priorité numéro un.
Activer les capacités de réserve et retarder les maintenances
Deuxième série de mesures : ordonner aux compagnies pétrolières d’activer leurs capacités de réserve. En clair, faire tourner les raffineries à fond, au-delà même de leurs capacités normales, en utilisant des unités de traitement qui sont habituellement maintenues en réserve pour les urgences. C’est une stratégie à court terme, qui peut fonctionner quelques semaines, peut-être quelques mois. Mais ça use les équipements. Ça augmente les risques de panne. Et surtout, ça ne résout pas le problème fondamental : si les Ukrainiens continuent à frapper les raffineries, peu importe que vous fassiez tourner les autres à deux cents pourcent, vous ne compenserez jamais les pertes. C’est comme essayer de remplir une baignoire dont le bouchon est enlevé. Vous pouvez ouvrir le robinet à fond, l’eau va quand même s’écouler.
Troisième mesure, encore plus révélatrice : retarder les maintenances programmées. Les raffineries, ce sont des installations complexes qui nécessitent un entretien régulier. Des unités doivent être arrêtées, inspectées, réparées, modernisées. C’est prévu des mois, parfois des années à l’avance. Eh bien là, le gouvernement dit aux compagnies : « Débrouillez-vous, mais reportez tout ce que vous pouvez reporter. » C’est dangereux. Les équipements non entretenus, ça finit par tomber en panne au pire moment. Ça peut même causer des accidents industriels graves. Mais Moscou n’a plus le luxe de penser à long terme. Il faut tenir maintenant, aujourd’hui, cette semaine. Le reste, on verra plus tard. C’est la gestion de crise dans toute sa brutalité.
Coordonner les expéditions ferroviaires : un cauchemar logistique
Quatrième axe d’action : coordonner les expéditions ferroviaires de carburant. Car oui, en Russie, avec ses distances immenses, le train reste le moyen le plus efficace de transporter de grandes quantités de produits pétroliers. Mais coordonner tout ça, c’est un casse-tête logistique monumental. Il faut trouver les wagons-citernes disponibles. Il faut planifier les itinéraires en tenant compte des capacités des différentes lignes. Il faut éviter les goulets d’étranglement. Il faut s’assurer que les trains arrivent là où les besoins sont les plus criants. Et tout ça pendant que les Ukrainiens frappent aussi les nœuds ferroviaires, les locomotives, les infrastructures de transport. Car oui, les drones ukrainiens ne visent pas que les raffineries. Ils frappent aussi la logistique.
Dans la nuit du 28 au 29 septembre, des rapports font état de frappes contre un convoi de fret militaire sur la ligne Kyiv-Tchernihiv utilisant des drones — ah non pardon, c’était l’inverse, c’était les Russes qui frappaient en Ukraine. Mais l’Ukraine fait pareil dans l’autre sens : elle cible les trains russes qui transportent du carburant vers le front, les dépôts ferroviaires, les gares de triage. C’est une guerre tous azimuts, une guerre où chaque maillon de la chaîne logistique devient une cible potentielle. Et le Kremlin découvre, avec horreur peut-être, que coordonner tout ça dans un contexte de conflit actif, c’est presque mission impossible. Les trains déraillent. Les expéditions sont retardées. Les pénuries persistent malgré tous les efforts.
Les implications géopolitiques et l'avenir du conflit

L’Ukraine qui redéfinit les règles de la guerre moderne
Prenons maintenant du recul pour observer les implications géopolitiques plus larges de cette campagne ukrainienne. Car ce qui se joue ici dépasse largement le simple cadre du conflit russo-ukrainien. L’Ukraine est en train de démontrer au monde entier qu’un pays de taille moyenne, avec des ressources limitées, peut tenir tête à une grande puissance nucléaire en utilisant intelligemment des technologies relativement accessibles. Les drones ne coûtent pas des milliards. Ils ne nécessitent pas une industrie de défense colossale. Ils peuvent être fabriqués localement, rapidement, en grande quantité. Et utilisés avec intelligence, ils peuvent causer des dégâts disproportionnés par rapport à leur coût.
Cette leçon n’est pas passée inaperçue dans les capitales du monde entier. À Washington, à Pékin, à Tel-Aviv, dans toutes les salles d’état-major du monde, des généraux et des analystes étudient minutieusement la campagne ukrainienne. Ils prennent des notes. Ils comprennent que la nature de la guerre est en train de changer sous leurs yeux. Les drones ne sont plus des gadgets pour espionner l’ennemi ou pour des frappes occasionnelles. Ce sont devenus des armes stratégiques à part entière, capables de changer le cours d’un conflit. Et l’Ukraine, par nécessité, par ingéniosité, par détermination, est devenue le laboratoire où s’invente cette nouvelle forme de guerre.
Le soutien occidental qui reste crucial
Mais soyons clairs : cette campagne ukrainienne ne serait pas possible sans le soutien occidental. Pas forcément parce que l’Occident fournit directement les drones — la plupart sont fabriqués en Ukraine. Mais parce que le soutien militaire, financier, en renseignement, en formation, permet à l’Ukraine de tenir sur tous les fronts pendant qu’elle développe ces nouvelles capacités. Les satellites occidentaux fournissent des images cruciales pour identifier et cibler les raffineries. Les systèmes de défense aérienne fournis par les États-Unis et l’Europe protègent les villes ukrainiennes et les installations de production de drones. L’aide financière permet de maintenir l’économie à flot malgré la guerre. Tout est interconnecté.
Le président américain Donald Trump a récemment affirmé que l’Ukraine, avec le soutien de l’Union européenne, était « en position de se battre et de GAGNER toute l’Ukraine dans sa forme originale ». C’est un changement de ton notable après des mois de doutes. Et ce changement est largement dû aux succès de cette campagne contre les raffineries russes. Car Washington voit bien que l’Ukraine n’est pas en train de perdre. Au contraire, elle est en train d’infliger à la Russie des dégâts économiques considérables qui pourraient, à terme, forcer Moscou à la table des négociations. L’envoyé spécial américain Keith Kellogg a confirmé le 28 septembre que les États-Unis autorisaient désormais certaines frappes ukrainiennes en profondeur sur le territoire russe. Les missiles Tomahawk dont on parle, c’est justement pour donner à l’Ukraine encore plus de capacité à frapper loin.
Un conflit qui pourrait durer encore longtemps
Mais ne nous voilons pas la face : malgré tous ces succès ukrainiens, malgré les pénuries russes, malgré la grogne sociale à Moscou, ce conflit n’est pas près de se terminer. La Russie a encore d’énormes ressources. Elle continue de produire des munitions. Ses usines d’armement tournent à plein régime. Elle reçoit des drones et des missiles de la Corée du Nord, du matériel de l’Iran. Sur le front, dans le Donbass, les forces russes progressent lentement mais sûrement, gagnant village après village au prix de pertes énormes. L’Ukraine tient, certes, mais au prix d’efforts colossaux, d’une mobilisation totale de sa société. La question n’est pas de savoir si l’Ukraine peut tenir — manifestement, elle le peut. La question est : combien de temps ?
L’hiver approche. Le quatrième hiver de guerre pour les Ukrainiens. Et comme chaque année, la Russie va intensifier ses frappes contre les infrastructures énergétiques ukrainiennes, essayant de plonger le pays dans le froid et l’obscurité. L’Ukraine répliquera en frappant les raffineries et les installations de production électrique russes. Ce sera un échange de coups brutal, où les populations civiles des deux côtés paieront le prix. Mais cette guerre d’attrition, cette guerre d’usure, elle favorise qui au final ? Difficile à dire. Ce qui est certain, c’est que plus elle dure, plus les dégâts s’accumulent des deux côtés, plus il sera difficile de reconstruire quoi que ce soit après.
Une victoire stratégique aux multiples facettes
Alors que retenir de tout ça ? Que nous dit cette campagne de drones ukrainienne contre les raffineries russes sur l’état actuel du conflit et sur son évolution probable ? Plusieurs choses, je crois. D’abord, que l’Ukraine a trouvé une vulnérabilité majeure dans le dispositif russe et qu’elle l’exploite avec une efficacité remarquable. Seize raffineries sur trente-huit touchées depuis août, c’est considérable. Un million de barils par jour de capacité neutralisée, c’est énorme. Les pénuries qui s’étendent dans les régions russes, les prix qui explosent, le rationnement qui s’installe… tout ça, ce sont des victoires stratégiques ukrainiennes. Peut-être pas aussi spectaculaires qu’une grande offensive terrestre, mais potentiellement plus décisives à long terme.
Ensuite, cette campagne démontre que la guerre moderne ne se gagne plus seulement sur le champ de bataille. Elle se gagne aussi dans l’infrastructure économique de l’ennemi, dans sa capacité à financer l’effort de guerre, dans le soutien de sa population. En frappant les raffineries, l’Ukraine frappe à la fois l’armée russe qui manque de carburant, l’économie russe qui perd des revenus, et le moral de la population russe qui découvre les pénuries. C’est une stratégie à trois dimensions, sophistiquée, qui nécessite de la patience mais qui produit des résultats tangibles. Le commandant en chef ukrainien Oleksandr Syrskyi l’a dit lui-même le 25 septembre : les frappes de Kiev sur le secteur pétrolier russe ont « gravement perturbé l’approvisionnement en carburant et la logistique des forces armées de Moscou ».
Enfin, et c’est peut-être le plus important, cette campagne montre que l’Ukraine ne baisse pas les bras. Qu’elle reste capable d’innovation, d’adaptation, de résilience. Après plus de trois ans de guerre totale, après des dizaines de milliers de morts, après la destruction de villes entières, l’Ukraine trouve encore la force de développer de nouvelles stratégies, de frapper son ennemi là où ça fait mal, de lui infliger des coups qui comptent. Cette détermination, cette capacité à ne jamais abandonner, c’est peut-être l’atout le plus précieux de l’Ukraine dans cette guerre. Parce qu’au final, dans une guerre d’attrition, c’est celui qui tient le plus longtemps qui gagne. Et pour l’instant, malgré toutes les difficultés, l’Ukraine tient.
L'or noir qui devient le talon d'Achille du Kremlin

Nous voilà donc arrivés au terme de cette analyse, au bout de ce voyage à travers les flammes des raffineries russes et les files d’attente devant les stations-service. Et que constatons-nous ? Que le géant russe, ce colosse qui se croyait invulnérable, découvre qu’il peut saigner. Qu’il peut souffrir. Qu’il peut être blessé là où il pensait être le plus fort : dans son or noir, dans ces hydrocarbures qui ont fait sa richesse et sa puissance pendant des décennies. L’ironie de l’histoire est cruelle, presque trop parfaite pour être vraie. La Russie, qui a utilisé son énergie comme une arme pendant des années, se retrouve aujourd’hui étranglée par sa propre infrastructure énergétique transformée en cible.
Chaque raffinerie qui brûle, c’est un peu de la fierté russe qui part en fumée. Chaque litre d’essence qui manque dans une station-service de province, c’est un peu de la légitimité du Kremlin qui s’érode. Chaque file d’attente qui s’allonge, c’est un peu plus de questions qui surgissent dans l’esprit des Russes ordinaires. Pourquoi cette guerre ? Pourquoi ces sacrifices ? Pourquoi payons-nous le prix des ambitions impériales d’un seul homme ? Ces questions, elles ne mèneront peut-être pas immédiatement à un changement de régime. Mais elles plantent des graines de doute, de frustration, de colère. Et dans un pays autoritaire où le pouvoir repose sur un équilibre précaire entre répression et pacte social, ces graines peuvent germer rapidement.
L’Ukraine, de son côté, a prouvé qu’elle n’était pas simplement une victime passive de l’agression russe. Elle a prouvé qu’elle pouvait riposter, qu’elle pouvait innover, qu’elle pouvait frapper en profondeur. Les drones ukrainiens qui traversent des centaines, parfois plus de mille kilomètres pour aller embraser une raffinerie en Bachkirie ou dans l’Oural, ces drones sont bien plus que des armes. Ce sont des symboles. Des symboles de résistance, de détermination, de refus de se soumettre. Ils disent au monde : nous sommes toujours là, nous combattons toujours, et nous ne nous arrêterons pas tant que notre terre ne sera pas libérée. C’est un message puissant. Un message qui résonne bien au-delà des frontières de l’Ukraine.
Alors oui, cette guerre est loin d’être terminée. Oui, les souffrances continuent des deux côtés. Oui, le chemin vers la paix reste long et incertain. Mais ce qui est clair maintenant, ce qui devient évident pour quiconque suit attentivement l’évolution de ce conflit, c’est que la Russie ne gagnera pas cette guerre. Elle peut encore l’envenimer, la prolonger, infliger encore plus de dégâts. Mais la gagner, au sens de soumettre l’Ukraine et d’atteindre ses objectifs initiaux ? Non. C’est fini. Les drones qui brûlent les raffineries russes, c’est l’épitaphe des ambitions impériales de Poutine. C’est le glas qui sonne pour un monde qui n’existe déjà plus. Et dans les flammes de ces installations pétrolières qui s’embrasent nuit après nuit, on peut voir se dessiner les contours d’une nouvelle réalité géopolitique. Une réalité où les grandes puissances découvrent que la force brute ne suffit plus. Où les petits pays peuvent tenir tête aux empires. Où l’ingéniosité l’emporte sur la masse. Bienvenue dans la guerre du XXIe siècle. Bienvenue dans l’ère des drones et de la résilience. L’Ukraine est en train d’écrire le manuel. Le monde ferait bien de le lire attentivement.