Infiltration à Briansk : les partisans ukrainiens au cœur d’un arsenal russe secret
Auteur: Jacques Pj Provost
Ils marchent dans l’ombre, au cœur même du territoire ennemi. Pas des soldats en uniformes, pas des commandos héliportés — non. Des citoyens ordinaires qui ont fait le choix extraordinaire de risquer leur vie chaque jour pour saboter la machine de guerre russe de l’intérieur. Le mouvement partisan Atesh vient de révéler une opération qui glace le sang des stratèges du Kremlin : ses agents ont infiltré le 120e arsenal du GRAU (Direction principale des missiles et de l’artillerie) à Briansk, en Russie — une installation militaire majeure stockant des munitions, des missiles, des armes destinées au front ukrainien. Ils y sont entrés. Ils ont observé. Ils ont documenté. Les horaires de patrouille, les failles de sécurité, les points vulnérables, l’agencement des installations — tout a été méticuleusement enregistré, photographié, cartographié. Et maintenant, ces informations sont entre les mains des Forces de défense ukrainiennes, prêtes à être exploitées pour une frappe qui pourrait paralyser un nœud critique de l’approvisionnement militaire russe. Ce n’est pas un scénario de film d’espionnage. C’est la réalité d’octobre 2025, où une guerre des ombres se déroule quotidiennement sur le territoire russe, menée par des hommes et des femmes qui vivent parmi l’ennemi, qui parlent sa langue, qui traversent ses check-points sans éveiller les soupçons — et qui travaillent inlassablement à démanteler son effort de guerre depuis l’intérieur.
Atesh — du mot tatar de Crimée signifiant « feu » — n’est pas une organisation récente. Fondé en septembre 2022, quelques mois après le début de l’invasion russe à grande échelle, ce mouvement partisan opère à la fois dans les territoires ukrainiens occupés et en profondeur sur le sol russe lui-même. Ses agents — estimés à des milliers selon certaines sources, dont 4000 soldats russes recrutés qui sabotent leur propre équipement selon le leader du mouvement — mènent une campagne de sabotage, d’espionnage et de résistance qui transforme l’arrière russe en zone hostile. Rails ferroviaires dynamités à Smolensk, perturbant l’approvisionnement d’une usine produisant des missiles Kh-59. Tours de communication détruites dans une usine de défense aérienne à Toula, où sont assemblés les systèmes Pantsir-S. Dépôts de carburant repérés et transmis aux Forces armées ukrainiennes pour frappe. Postes de commandement infiltrés à Saint-Pétersbourg. Et maintenant, l’arsenal de Briansk — une installation si sensible que sa simple mention fait probablement trembler les responsables de la sécurité militaire russe. Briansk n’est pas loin de la frontière ukrainienne — environ 150 kilomètres — mais c’est suffisamment en profondeur pour que Moscou considère la zone comme relativement sûre. Erreur fatale. Parce qu’Atesh démontre jour après jour que nulle part en Russie n’est véritablement sûr, qu’aucune installation n’est hors de portée, qu’aucun secret n’est à l’abri d’yeux déterminés à percer les défenses russes. Cette infiltration de l’arsenal de Briansk n’est qu’un exemple parmi des dizaines d’opérations menées ces derniers mois — mais elle symbolise parfaitement la transformation de cette guerre : ce n’est plus seulement un conflit de lignes de front, de batailles conventionnelles, de missiles tirés à distance. C’est une guerre totale, multidimensionnelle, où l’espionnage et le sabotage derrière les lignes ennemies jouent un rôle aussi crucial que les combats au Donbass. Et les partisans d’Atesh — ces fantômes qui hantent l’arrière russe — sont en train de prouver que même un empire autoritaire avec son appareil de sécurité massif ne peut pas contrôler complètement son propre territoire quand des gens déterminés décident de résister.
Le 120e arsenal du GRAU : une cible stratégique majeure

Briansk : un hub logistique militaire critique
Le 120e arsenal du GRAU à Briansk n’est pas un simple dépôt d’armes parmi tant d’autres. C’est l’une des installations logistiques militaires les plus importantes de l’ouest de la Russie, servant de point de stockage et de distribution pour les munitions, les missiles, l’artillerie destinés aux forces russes combattant en Ukraine. Le GRAU — Direction principale des missiles et de l’artillerie du ministère russe de la Défense — gère un réseau d’arsenaux à travers tout le pays, chacun spécialisé dans différents types d’armements. Celui de Briansk, situé stratégiquement près de la frontière ukrainienne, joue un rôle central dans l’approvisionnement des unités déployées sur le front. Des obus d’artillerie de 152mm qui pilonnent quotidiennement les positions ukrainiennes, des missiles balistiques tactiques Iskander qui frappent les villes, des roquettes de systèmes BM-21 Grad et Tornado-S — tout transite probablement par des installations comme celle-ci avant d’atteindre les unités combattantes. Frapper ou perturber un tel arsenal ne détruit pas seulement des stocks de munitions ; cela coupe une artère d’approvisionnement vitale, force la redirection logistique vers d’autres installations plus éloignées, ralentit le rythme des opérations militaires russes, et surtout — envoie un message psychologique dévastateur : même vos installations les plus protégées ne sont pas à l’abri.
L’infiltration : une opération de reconnaissance minutieuse
Selon les informations publiées par Atesh sur leurs canaux Telegram — la plateforme qu’ils utilisent pour communiquer leurs opérations et coordonner leurs activités — les agents du mouvement ont réussi à pénétrer le périmètre du 120e arsenal et à y mener une reconnaissance détaillée. Ils ont documenté le mode opératoire de l’installation : les horaires des patrouilles, les changements de garde, les moments de vulnérabilité maximale. Ils ont identifié le système de sécurité : caméras de surveillance, clôtures, points d’accès, zones moins surveillées. Ils ont cartographié l’agencement des bâtiments, des dépôts de munitions, des véhicules, des infrastructures critiques. Toutes ces données — coordonnées GPS précises, photographies, schémas — ont été transmises aux Forces de défense ukrainiennes pour une exploitation future. Le communiqué d’Atesh précise que ces informations serviront à planifier une frappe de haute précision contre l’installation. On peut imaginer ce que cela signifie : des drones à longue portée ukrainiens, des missiles, ciblant spécifiquement les dépôts de munitions les plus importants, les systèmes de commande et contrôle, les infrastructures logistiques — transformant cet arsenal en brasier et paralysant temporairement un nœud critique de la chaîne d’approvisionnement russe.
Le risque colossal pris par les agents infiltrés
Il faut prendre un moment pour réaliser l’audace insensée de cette opération. Les agents d’Atesh qui ont infiltré cet arsenal ne portaient pas d’uniformes ukrainiens les identifiant comme combattants protégés par les conventions de Genève. Ils se font passer pour des civils russes ordinaires — ou dans certains cas, pour du personnel militaire russe lui-même. Si capturés, ils ne seraient pas traités comme des prisonniers de guerre. Ils seraient considérés comme des espions, des saboteurs, des traîtres — et la Russie a démontré à maintes reprises qu’elle ne traite pas ces catégories avec clémence. Torture. Exécution sommaire. Disparition pure et simple. Ces agents le savent. Et pourtant, ils continuent. Parce qu’ils croient en ce qu’ils font. Parce qu’ils ont vu ce que la Russie a fait à leur pays, à leurs familles, à leurs compatriotes. Parce qu’ils refusent d’accepter l’occupation passivement. Cette forme de courage — silencieux, invisible, sans gloire publique — est peut-être la plus pure qui existe. Personne ne connaît leurs noms. Personne ne verra leurs visages. S’ils réussissent, l’installation brûlera et le monde attribuera la frappe aux drones ukrainiens sans réaliser que des hommes et des femmes ont risqué leur vie pour rendre cette frappe possible. S’ils échouent, ils disparaîtront sans trace, et leurs familles ne sauront peut-être jamais ce qui leur est arrivé. C’est le sacrifice ultime, fait dans l’ombre absolue.
Atesh : l'histoire d'un mouvement partisan pas comme les autres

Septembre 2022 : la naissance d’un feu de résistance
Atesh — qui signifie littéralement « feu » en tatar de Crimée — a été fondé en septembre 2022, quelques mois après le début de l’invasion russe à grande échelle de l’Ukraine. Le timing n’est pas accidentel. À cette époque, la Russie venait de subir sa défaite humiliante à Kharkiv, où une contre-offensive ukrainienne éclair avait libéré des milliers de kilomètres carrés de territoire en quelques jours. Mais parallèlement, Moscou organisait des « référendums » grotesques dans les régions occupées de Donetsk, Louhansk, Zaporizhzhia et Kherson, préparant leur annexion formelle. C’est dans ce contexte — entre victoires ukrainiennes sur le champ de bataille et oppression russe dans les territoires occupés — qu’Atesh est né. Le mouvement s’est initialement concentré sur les territoires ukrainiens occupés, menant des campagnes d’information, distribuant des tracts anti-référendum, marquant les bâtiments où les votes frauduleux auraient lieu avec la lettre « Ї » — une lettre unique à l’alphabet ukrainien, aussi présente dans le mot « Україна » (Ukraine), qui est devenue le symbole du mouvement. Mais rapidement, Atesh est passé de la résistance passive à l’action directe. Assassinats ciblés de collaborateurs russes dans Kherson et Melitopol occupés. Empoisonnements d’officiels pro-russes. Embuscades contre les patrouilles de police russes. Et surtout — sabotages systématiques d’infrastructures militaires.
Une structure opérationnelle sophistiquée
Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, Atesh n’est pas un groupe amateur désorganisé. C’est une organisation structurée avec des cellules opérant de manière compartimentée — chaque agent ne connaît qu’un nombre limité d’autres membres, réduisant les risques si quelqu’un est capturé. Le mouvement utilise Telegram comme principal moyen de communication et de coordination, publiant régulièrement des comptes rendus d’opérations réussies, des appels au recrutement, et surtout — des instructions détaillées pour ceux qui voudraient rejoindre la résistance. Mustafa Dzhemilev, leader du mouvement, a déclaré dans une interview au Guardian en 2023 que l’organisation maintient des contacts avec environ 4000 citoyens russes mobilisés de force dans l’armée russe, leur enseignant comment saboter leur propre équipement — détruire des moteurs de véhicules, endommager des systèmes de communication, fournir des renseignements sur les positions et mouvements de leurs unités. Cette capacité d’infiltrer l’armée russe elle-même transforme Atesh en une menace de cinquième colonne que Moscou ne peut pas facilement neutraliser. Comment identifier les saboteurs quand ils portent l’uniforme russe ? Comment faire confiance à vos propres soldats quand certains pourraient travailler pour l’ennemi ?
Une portée géographique qui défie l’imagination
Ce qui rend Atesh véritablement unique, c’est sa portée opérationnelle. Le mouvement ne se limite pas aux territoires occupés d’Ukraine — il opère en profondeur sur le territoire russe lui-même, parfois à des milliers de kilomètres du front. En septembre 2025, des agents Atesh ont saboté une ligne ferroviaire près de Yekaterinbourg — à plus de 2000 kilomètres de l’Ukraine — perturbant les approvisionnements militaires transitant par cette artère stratégique de l’Oural. En août 2025, ils ont détruit un armoire de relais ferroviaire dans le Primorsky Krai, dans l’Extrême-Orient russe près de Vladivostok — à près de 9000 kilomètres de Kiev. En septembre, ils ont dynamité des rails à Smolensk, perturbant la production de missiles Kh-59 dans une usine aéronautique locale. À Saint-Pétersbourg, ils ont infiltré un quartier général militaire pour collecter des renseignements. À Toula, ils ont détruit une tour de communication dans une usine produisant des systèmes de défense aérienne Pantsir. Cette capacité à frapper n’importe où en Russie — du Caucase à l’Extrême-Orient, de la frontière ukrainienne aux profondeurs sibériennes — transforme l’ensemble du territoire russe en zone d’opérations. Moscou ne peut plus considérer aucune région comme totalement sûre, aucune installation comme hors de portée. C’est une inversion psychologique majeure pour un régime habitué à projeter sa puissance au-delà de ses frontières sans craindre de représailles sur son propre sol.
Un historique d'opérations qui fait trembler Moscou

Septembre 2025 : sabotage à l’usine de défense aérienne de Toula
Le 11 septembre 2025, Atesh a revendiqué la destruction d’une tour de communication à l’usine de défense de Toula — une installation du complexe militaro-industriel russe qui développe des systèmes de défense aérienne, des canons à tir rapide, et des armes légères. C’est dans cette usine que sont assemblés les systèmes de missiles antichars Kornet et les systèmes de défense aérienne Pantsir-S, régulièrement utilisés contre les drones et missiles ukrainiens. Atesh a publié un communiqué sans équivoque : « Nous avons effectué une reconnaissance préalable. Les Forces ukrainiennes ont déjà frappé cette usine avec succès dans le passé. Maintenant, nous passons à des actions plus actives et détruisons l’infrastructure de l’entreprise — et ce n’est que le début ! » Toula se trouve à environ 329 kilomètres de la frontière ukrainienne et à 174 kilomètres au sud de Moscou. Ce n’est pas une zone de guerre. C’est le cœur industriel de la Russie. Et pourtant, des agents d’Atesh y opèrent librement, identifient des cibles, planifient des sabotages, et les exécutent. La destruction d’une tour de communication peut sembler mineure comparée à l’explosion d’un dépôt de munitions, mais son impact symbolique est énorme : si Atesh peut frapper une usine militaire aussi proche de Moscou, qu’est-ce qui l’empêche de frapper n’importe quoi d’autre ?
Août-septembre 2025 : une campagne ferroviaire systématique
Les chemins de fer sont l’artère vitale de la logistique militaire russe. Contrairement aux armées occidentales qui dépendent fortement du transport aérien et routier, la Russie s’appuie massivement sur son réseau ferroviaire pour déplacer troupes, équipements, munitions à travers son immense territoire. Atesh l’a compris et a lancé une campagne systématique de sabotage ferroviaire qui paralyse régulièrement les lignes d’approvisionnement. Le 21 septembre 2025, des agents ont dynamité une voie ferrée à Smolensk menant directement à l’usine aéronautique de Smolensk, qui produit des missiles Kh-59, des drones, et des composants pour l’aviation de combat. L’explosion a désactivé plus de dix éléments de contrôle de voie. Des membres d’Atesh ayant des contacts dans l’usine ont confirmé que la logistique des missiles avait déjà été perturbée. Le 24 août, ils ont saboté une ligne ferroviaire dans le Primorsky Krai, dans l’Extrême-Orient russe, détruisant une armoire de relais et perturbant le trafic ferroviaire. Mi-septembre, près de Yekaterinbourg dans l’Oural, ils ont coupé « toutes les lignes d’approvisionnement stratégiques » selon leurs propres termes, à 2087 kilomètres des lignes de front. Chaque sabotage force des détours, des retards, des réaffectations logistiques. Cumulativement, ces actions dégradent significativement la capacité russe à maintenir le rythme d’approvisionnement nécessaire pour soutenir une guerre d’attrition prolongée.
Crimée occupée : surveillance constante des bases navales
Atesh accorde une attention particulière à la Crimée — la péninsule ukrainienne illégalement annexée par la Russie en 2014, qui sert de base majeure pour la flotte de la mer Noire et les opérations aériennes contre l’Ukraine. Des agents du mouvement surveillent constamment les baies clés de Sébastopol — les baies Kruglaya et Grafskaya — documentant les mouvements de navires et d’équipements. Ils ont récemment découvert un poste de commandement coordonnant les frappes aériennes russes contre le sud de l’Ukraine, situé sur le territoire de l’ancienne usine d’aviation de Sébastopol. Ils ont révélé la situation à l’aérodrome de Kacha en Crimée occupée, identifiant les installations militaires clés. Ces renseignements permettent aux Forces ukrainiennes de planifier des frappes précises — comme celle qui a récemment endommagé le navire lance-missiles Grad sur le lac Onega, probablement grâce à des informations fournies par des réseaux de renseignement incluant Atesh. En août 2025, des agents ont également identifié le principal dépôt de carburant de Louhansk occupé, documentant les réservoirs de stockage, les stations de pompage, les infrastructures critiques — et transmis ces coordonnées aux Forces armées ukrainiennes pour planification de frappe. Ce dépôt alimente les groupes d’assaut russes opérant dans les directions de Koupiansk, Izioum et Kramatorsk.
La guerre hybride : quand les civils deviennent combattants

Le recrutement : qui rejoint Atesh et pourquoi ?
La question fascinante est : qui sont ces gens ? Selon les informations disponibles, Atesh recrute parmi plusieurs catégories. D’abord, les Ukrainiens vivant en territoire occupé — ceux qui ont refusé d’évacuer ou n’ont pas pu partir quand les Russes ont envahi. Ils vivent sous occupation, subissent les humiliations quotidiennes, voient leurs enfants forcés d’étudier en russe dans des écoles enseignant une version falsifiée de l’histoire. Pour beaucoup, rejoindre la résistance est un choix moral impératif. Ensuite, les Tatars de Crimée — une minorité ethnique qui a historiquement souffert sous domination russe, déportée en masse par Staline en 1944. Le leader d’Atesh, Mustafa Dzhemilev, est lui-même un activiste tatar de Crimée de longue date. La communauté tatare a massivement rejeté l’annexion de 2014 et constitue un réservoir naturel de résistance. Troisièmement, des citoyens russes — oui, des Russes ethniques — qui rejettent la guerre de Poutine, qui voient l’invasion comme une catastrophe morale et stratégique, et qui choisissent de saboter l’effort de guerre de leur propre pays. Certains sont des conscrits forcés qui préfèrent trahir l’armée russe plutôt que de tuer des Ukrainiens. D’autres sont simplement des gens de conscience qui refusent d’être complices. Cette diversité rend Atesh presque impossible à profiler pour les services de sécurité russes — il n’y a pas de « type » unique de partisan.
Les méthodes : de la résistance passive au sabotage actif
Atesh opère sur un spectre d’activités allant de la résistance passive au sabotage violent. À l’extrémité douce, il y a les campagnes d’information — distribution de tracts, graffitis anti-russes, utilisation des réseaux sociaux pour contrer la propagande du Kremlin. Ensuite, la collecte de renseignement — photographier des installations militaires, documenter les mouvements de troupes, identifier les collaborateurs. Puis le sabotage d’infrastructures — couper des lignes électriques, endommager des rails ferroviaires, détruire des relais de communication. Et à l’extrémité dure, les opérations violentes — assassinats ciblés de collaborateurs russes particulièrement brutaux, empoisonnements d’officiels, embuscades contre des patrouilles isolées. Le mouvement a publiquement revendiqué plusieurs assassinats dans Kherson et Melitopol occupés au début de la guerre. Ces actions sont controversées — elles franchissent la ligne entre résistance et terrorisme selon certaines définitions. Mais du point de vue d’Atesh, tuer un officier russe organisant des déportations de civils ukrainiens vers la Russie n’est pas du terrorisme — c’est de la légitime défense d’une population sous occupation brutale. Le débat moral sur ces méthodes est complexe et dépasse le cadre de cet article, mais il est important de reconnaître que la résistance armée en territoire occupé a toujours impliqué des zones grises éthiques.
Les risques : vivre sous la menace constante du FSB
Le FSB — Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie, héritier du KGB — traque activement les membres d’Atesh. Des dizaines, peut-être des centaines d’agents ont été arrêtés depuis 2022. Beaucoup ont simplement disparu — un euphémisme pour torture et exécution extrajudiciaire. En septembre 2025, Atesh a publié des informations selon lesquelles la police russe dans les territoires occupés menait une campagne massive de pression sur les hommes, les forçant à signer des contrats avec l’armée russe sous menace de poursuites pénales. Les policiers reçoivent des primes pour chaque « contractant » recruté, indiquant le caractère systémique de ces actions. Cette pression vise explicitement à identifier les personnes refusant de collaborer — marqueurs potentiels d’appartenance à la résistance. Pour les agents d’Atesh, chaque jour est une roulette russe. Chaque opération pourrait être la dernière. Chaque interaction avec les autorités russes pourrait révéler leur véritable allégeance. Ils vivent dans une tension psychologique permanente que peu d’entre nous peuvent vraiment comprendre. Et pourtant, ils continuent. Parce que l’alternative — accepter l’occupation passivement — est pour eux pire que le risque de mort.
L'impact stratégique : au-delà des sabotages individuels

La dégradation cumulative des capacités logistiques russes
Pris individuellement, chaque sabotage d’Atesh peut sembler relativement mineur. Un rail ferroviaire coupé sera réparé en quelques heures ou jours. Une tour de communication détruite sera remplacée. Mais l’effet cumulatif de dizaines, de centaines de telles opérations menées sur des mois et des années transforme le paysage stratégique. La Russie doit maintenant protéger des milliers de kilomètres de voies ferrées, des centaines d’usines militaires, des dizaines de bases navales, des milliers de dépôts de munitions et de carburant — à travers un territoire qui s’étend sur onze fuseaux horaires. C’est une tâche littéralement impossible. Chaque rouble dépensé en sécurité accrue est un rouble qui ne va pas vers la production de munitions ou l’achat d’équipements. Chaque soldat affecté à la garde d’une usine est un soldat qui ne combattra pas en Ukraine. Chaque perturbation logistique force des détours, des retards, augmente les coûts, réduit l’efficacité. L’Institut d’études de la guerre a noté que les frappes ukrainiennes contre les raffineries russes — souvent guidées par des renseignements fournis par des partisans — ont réduit la capacité de raffinage russe de près de 40%. Les sabotages ferroviaires perturbent régulièrement le transport de munitions et de carburant. Les usines militaires doivent ralentir ou arrêter la production après des sabotages. Collectivement, Atesh et d’autres mouvements similaires imposent un coût d’attrition significatif à l’effort de guerre russe.
L’effet psychologique : transformer l’arrière russe en zone hostile
Au-delà de l’impact matériel, il y a l’impact psychologique sur la population et les autorités russes. Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, les citoyens russes vivant en profondeur dans leur territoire ne se sentent plus complètement en sécurité. Des explosions dans des usines à Toula. Des sabotages ferroviaires à Smolensk, Yekaterinbourg, Vladivostok. Des drones ukrainiens frappant des raffineries à 1400 kilomètres de la frontière. Cette transformation de l’arrière russe en zone d’opérations crée une anxiété collective qui mine le soutien à la guerre. Les gens commencent à se demander : pourquoi cette « opération militaire spéciale » qui devait durer quelques semaines continue-t-elle après plus de trois ans ? Pourquoi notre propre territoire n’est-il plus sûr ? Ces questions érodent progressivement la narrative du Kremlin selon laquelle tout se passe comme prévu. Pour les autorités russes, cette situation est un cauchemar. Le FSB doit traquer des milliers de partisans potentiels parmi une population de 145 millions. Comment identifier un agent d’Atesh qui se fait passer pour un civil ordinaire ? Comment faire confiance à vos propres soldats quand certains pourraient saboter leur équipement ? Cette paranoïa généralisée dégrade la cohésion sociale et l’efficacité bureaucratique — exactement ce qu’Atesh cherche à accomplir.
Le modèle pour les futures résistances
Atesh démontre également quelque chose de crucial pour l’avenir : un modèle de résistance moderne utilisant les technologies de communication décentralisées (Telegram), les réseaux sociaux pour la coordination et la propagande, et les tactiques de guerre hybride combinant sabotage physique et guerre de l’information. Ce modèle est transférable à d’autres contextes. Si la Russie occupe davantage de territoire ukrainien, Atesh servira de blueprint pour organiser la résistance. Si d’autres pays sont envahis ou occupés dans le futur, ils étudieront les méthodes d’Atesh. Le mouvement publie régulièrement des guides pratiques sur comment saboter des équipements, comment éviter la détection, comment organiser des cellules résistantes — transformant l’expérience accumulée en connaissances transférables. Cette dimension éducative amplifie l’impact d’Atesh bien au-delà de ses opérations directes. Chaque personne qui lit leurs guides et décide de mener sa propre action devient une extension du mouvement, même sans contact direct. C’est une forme de résistance virale — auto-réplicante, décentralisée, extrêmement difficile à éradiquer.
Les limites et défis du mouvement partisan

Le problème de l’attribution et de la vérification
Un des défis majeurs dans l’évaluation d’Atesh est le manque de vérification indépendante de beaucoup de leurs revendications. Le mouvement publie des communiqués sur Telegram annonçant des sabotages, des reconnaissances, des assassinats — mais il est souvent impossible de confirmer indépendamment ces affirmations. Parfois, des sources russes confirment involontairement en rapportant des « accidents » ou des « incidents » dans les installations mentionnées par Atesh. Parfois, des vidéos ou photos géolocalisées corroborent les revendications. Mais d’autres fois, il n’y a aucune confirmation externe. Cela crée un risque d’exagération — Atesh pourrait gonfler ses accomplissements pour des raisons de propagande, pour maintenir le moral de ses membres, pour impressionner les recruteurs potentiels. Les services de renseignement occidentaux qui suivent le mouvement ont probablement des évaluations plus précises, mais ils ne les partagent pas publiquement. Cette zone grise d’attribution rend difficile de mesurer l’impact réel d’Atesh par rapport à son impact perçu. Cela dit, même si seulement la moitié de leurs revendications sont véridiques, cela représente toujours une campagne de sabotage impressionnante.
Le risque d’épuisement et d’infiltration par le FSB
Un mouvement clandestin opérant sur plusieurs années fait face à deux menaces existentielles : l’épuisement et l’infiltration. L’épuisement — physique, mental, moral — affecte inévitablement les agents qui vivent sous tension constante pendant des mois ou des années. Les erreurs augmentent avec la fatigue. La vigilance baisse. Les gens craquent psychologiquement. Certains abandonnent, d’autres sont capturés parce qu’ils deviennent moins prudents. Maintenir un mouvement partisan vigoureux sur une période prolongée nécessite un renouvellement constant des effectifs — mais recruter de nouveaux membres expose à la seconde menace : l’infiltration. Le FSB essaie certainement de pénétrer Atesh en envoyant des agents infiltrés se faire passer pour des recruteurs volontaires. Si le FSB réussit à placer un agent dans une position de confiance au sein d’Atesh, il peut identifier des dizaines d’autres membres, compromettre des opérations futures, voire retourner le réseau entier. Atesh utilise probablement des techniques de compartimentation — chaque cellule ne connaît que quelques autres membres — pour limiter les dégâts en cas d’infiltration. Mais ce n’est jamais une protection parfaite.
La question éthique des représailles contre les civils
Un dernier défi, souvent ignoré, concerne les représailles. Quand Atesh tue un collaborateur russe ou sabote une installation militaire, les autorités russes répondent parfois en arrêtant massivement des civils dans la zone, en imposant des couvre-feux draconiens, en torturant des suspects pour obtenir des informations. Ces représailles frappent souvent des gens innocents qui n’ont aucun lien avec la résistance. Cela crée un dilemme moral pour Atesh : continuer les opérations sachant que des civils innocents paieront le prix des représailles russes ? Ou cesser pour protéger la population civile, mais au prix de laisser l’occupation se consolider sans résistance ? Il n’y a pas de bonne réponse à cette question. Historiquement, tous les mouvements de résistance ont fait face à ce dilemme. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les partisans français, polonais, soviétiques ont continué à combattre malgré les représailles nazies massives contre les civils. Ils ont jugé que la lutte pour la libération justifiait ces sacrifices tragiques. Atesh semble avoir fait le même calcul. Mais cela ne rend pas la décision moins déchirante pour ceux qui doivent la prendre.
L'avenir : vers une intensification ou un essoufflement ?

Les signaux d’une campagne qui s’intensifie
Les données disponibles suggèrent qu’Atesh non seulement persiste, mais intensifie ses opérations en 2025. La fréquence des sabotages reportés a augmenté comparé à 2024. La portée géographique s’est élargie — atteignant maintenant des zones comme Yekaterinbourg et Vladivostok qui étaient auparavant hors de portée. La sophistication des opérations s’améliore — l’infiltration de l’arsenal de Briansk démontre des capacités de renseignement avancées. Le mouvement publie également de plus en plus d’appels au recrutement, suggérant qu’il cherche à élargir son réseau. Le communiqué de septembre sur le sabotage à Toula était explicite : « Nous passons maintenant à des actions plus actives… et ce n’est que le début ! » Cette rhétorique d’escalade indique une confiance croissante dans les capacités du mouvement. Si cette tendance continue, nous pourrions voir Atesh devenir un facteur encore plus significatif dans le conflit — pas seulement un irritant pour la Russie, mais une contrainte stratégique sérieuse qui force Moscou à détourner des ressources massives pour protéger son propre territoire.
Le soutien occidental : jusqu’où va-t-il ?
Une question cruciale, souvent non discutée publiquement, concerne le niveau de soutien occidental à Atesh. Il est presque certain que les services de renseignement ukrainiens — notamment le GUR (Direction principale du renseignement) et le SBU (Service de sécurité d’Ukraine) — coordonnent avec Atesh, fournissant formation, équipements, cibles prioritaires, et exfiltration d’agents en danger. Mais qu’en est-il des services occidentaux ? La CIA, le MI6, le BND allemand, la DGSE française fournissent-ils également un soutien indirect — par exemple en partageant des renseignements satellites sur les installations militaires russes, en fournissant des technologies de communication sécurisée, en aidant au blanchiment financier pour financer les opérations ? Officiellement, bien sûr, aucun gouvernement occidental n’admettra soutenir des opérations de sabotage en territoire russe. Mais historiquement, c’est exactement le genre d’activités que les services de renseignement mènent dans les guerres par procuration. Si ce soutien existe et s’intensifie, Atesh pourrait devenir encore plus efficace. Mais cela comporte aussi des risques d’escalade — si Moscou obtient des preuves de soutien direct occidental à des sabotages en Russie, cela pourrait justifier des représailles russes contre des cibles occidentales.
Le scénario post-guerre : que devient Atesh si l’Ukraine gagne ?
Projetons-nous dans un futur hypothétique où la guerre se termine par un retrait russe et une libération des territoires occupés. Que devient Atesh dans ce scénario ? Idéalement, le mouvement se dissout pacifiquement, ses membres réintégrant la société civile ukrainienne comme héros de la résistance. Mais l’histoire nous enseigne que la démobilisation de groupes paramilitaires entraînés au sabotage et à la violence est rarement aussi simple. Certains membres auront du mal à revenir à une vie normale après des années d’opérations clandestines. D’autres pourraient vouloir continuer à « punir » les collaborateurs même après la libération, créant des problèmes de justice vigilante. Il y a aussi le risque que des éléments du mouvement soient cooptés par des acteurs criminels — les compétences acquises dans la résistance (sabotage, usage d’explosifs, évasion de la surveillance) sont malheureusement transférables au crime organisé. L’Ukraine devra gérer ce processus de démobilisation avec soin, offrant reconnaissance, soutien psychologique, réintégration économique aux anciens partisans. Sinon, Atesh pourrait devenir un problème post-conflit plutôt qu’une solution en temps de guerre.
Conclusion

L’infiltration du 120e arsenal du GRAU à Briansk par des agents d’Atesh n’est qu’une opération parmi des centaines menées par ce mouvement partisan depuis septembre 2022. Mais elle symbolise parfaitement la transformation de cette guerre : ce n’est plus un conflit conventionnel limité aux lignes de front, aux batailles d’artillerie, aux duels de chars. C’est une guerre totale, multidimensionnelle, où des citoyens ordinaires transformés en combattants de l’ombre mènent une campagne de sabotage et d’espionnage qui s’étend sur tout le territoire russe, de la frontière ukrainienne à Vladivostok, de Crimée au Caucase. Ces agents — dont nous ne connaîtrons probablement jamais les noms — risquent quotidiennement leur vie pour collecter des renseignements, saboter des infrastructures, perturber la logistique militaire russe. Ils infiltrent des arsenaux secrets, photographient des installations sensibles, dynamitent des rails ferroviaires, détruisent des tours de communication dans des usines militaires. Et grâce à leurs informations, les Forces ukrainiennes peuvent frapper avec précision des cibles à 1000 kilomètres à l’intérieur de la Russie, paralysant des raffineries, endommageant des navires de guerre, perturbant des chaînes d’approvisionnement critiques. L’impact cumulatif de cette guerre des ombres est difficile à quantifier précisément, mais il est certainement significatif. Chaque sabotage ferroviaire retarde l’arrivée de munitions au front. Chaque usine militaire perturbée réduit la production d’armes. Chaque dépôt de carburant identifié et frappé prive les forces russes du diesel nécessaire à leurs operations.
Mais au-delà de l’impact matériel, Atesh accomplit quelque chose de plus profond et plus subversif : il transforme l’arrière russe en zone hostile, minant la narrative du Kremlin selon laquelle tout est sous contrôle, créant une anxiété collective qui érode le soutien à la guerre. Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, des citoyens russes vivant loin du front ne se sentent plus en sécurité — des explosions à Toula, des sabotages à Smolensk, des frappes de drones sur des raffineries à 1400 kilomètres de l’Ukraine. Cette transformation psychologique du territoire russe pourrait, à long terme, avoir un impact aussi important que les pertes militaires sur le champ de bataille. Le mouvement partisan Atesh démontre également un modèle de résistance moderne utilisant les technologies décentralisées, les réseaux sociaux, et les tactiques hybrides — un modèle qui sera étudié et potentiellement reproduit dans de futurs conflits. Chaque guide pratique qu’ils publient, chaque opération réussie qu’ils documentent, devient une leçon pour les résistances futures face à des occupations autoritaires. Cette dimension éducative amplifie leur impact bien au-delà de leurs actions directes. Bien sûr, le mouvement fait face à des défis majeurs — épuisement des agents, infiltration par le FSB, dilemmes moraux concernant les représailles contre les civils innocents, difficultés de vérification indépendante de leurs revendications. Mais malgré ces obstacles, Atesh non seulement persiste mais semble intensifier ses opérations en 2025, élargissant sa portée géographique et augmentant la sophistication de ses missions. L’infiltration de l’arsenal de Briansk en est la preuve la plus récente. Et si cette tendance continue, nous pourrions assister à une escalade significative de cette guerre clandestine menée sur le territoire russe — une guerre dont les fantômes d’Atesh sont les soldats invisibles, marchant dans l’ombre, frappant sans prévenir, disparaissant sans laisser de trace. Leur sacrifice silencieux mérite d’être reconnu, même si leurs noms resteront à jamais cachés. Parce qu’en fin de compte, ce sont eux — autant que les soldats dans les tranchées du Donbass — qui tiennent la ligne entre la survie de l’Ukraine et sa disparition.