L’alerte rouge chez Thales Belgique : quand des drones encerclent l’usine secrète
Auteur: Maxime Marquette
Depuis début octobre 2025, un ballet de drones non identifiés tournoie nuit après nuit au-dessus de l’usine ultra-secrète de Thales Belgium à Évegnée Fort, dans la province de Liège. Cette installation sensible, habilitée à assembler et stocker des explosifs pour roquettes de 70 mm, se retrouve prise en étau par des appareils silencieux et furtifs. La direction de Thales tire la sonnette d’alarme et réclame des règles claires pour brouiller ou abattre ces intrus aériens. Le spectre d’une menace hybride plane sur l’Europe et interroge sur notre capacité à protéger nos lignes de production de défense.
Le silence de la nuit rompu
Aux abords du site, les radars détectent des silhouettes blanches fendant l’air à basse altitude. Sans émettre de givre, sans avertir, ces drones s’approchent au plus près des hangars où sont entreposées des munitions stratégiques. « Je n’avais jamais vu ça », confie un technicien de Thales, effaré par cette intrusion systématique. Depuis le 3 octobre, les vols suspects se répètent, jusqu’à quinze par nuit.
Une usine sous haute surveillance
Classé « secret », le complexe d’Évegnée Fort bénéficie de systèmes de détection sophistiqués. Pourtant, les signaux émis par ces drones semblent contourner les jammers installés. Chaque alerte déclenche l’activation des suspensions automatiques de production et la mise en alerte des équipes de sécurité, soumises à un stress permanent. « On sait les localiser, mais pas toujours les neutraliser », admet un cadre de Thales.
Le piège réglementaire
Alain Quevrin, directeur pays de Thales Belgium, déplore l’absence de cadre légal permettant d’intervenir efficacement. « On peut brouiller les commandes, on pourrait tirer dessus, mais la loi ne nous y autorise pas », explique-t-il avec exaspération. Le dilemme est cruel : neutraliser un drone non identifié risque de faire tomber des débris sur des civils ou des infrastructures vitales.
L’impact stratégique d’une surveillance constante

Une usine au cœur de la production de munitions
Thales Belgium détient une licence exclusive pour assembler les moteurs à propergol et charger les têtes explosives des roquettes FZ275. Ces munitions, déployées massivement en Ukraine, soutiennent l’effort de guerre face à l’invasion russe. Évegnée Fort est donc un point nodal de la logistique occidentale, une artère que Bruxelles et l’OTAN ne peuvent se permettre de voir paralysée.
La flèche vers la Russie… ou l’inverse ?
Historiquement, les incursions de drones se faisaient à l’est, venant de Russie. Aujourd’hui, l’Europe est elle-même survolée : Hongrie, Pologne, Allemagne, Danemark, et désormais Belgique sont frappées. Qui pilote ces appareils ? Moscou nie toute implication mais la rumeur se nourrit de soupçons. Des experts évoquent des entreprises de renseignement hybrides au service d’États-hostiles, exploitant les failles légales de l’Europe.
Une campagne de « harcèlement aérien »
Le phénomène s’apparente à une guérilla technologique : inonder l’espace aérien de cibles difficiles à identifier pour épuiser les moyens de défense. Les coûts de neutralisation (missiles antiaériens, drones-intercepteurs, lasers cw) sont astronomiques face à des appareils à quelques milliers d’euros. Cette asymétrie économique devient une arme redoutable.
Les limites actuelles des contre-mesures européennes

Détection oui, interception non
La Belgique a déployé des radars, des jammers et des capteurs optiques autour des sites sensibles. Malgré cela, aucun drone n’a été abattu depuis le début de la série d’intrusions. Les interceptions sont jugées trop risquées : un drone tombé sur une route, un jardin d’école, un hôpital… Les ministères de l’Intérieur et de la Défense piétinent devant la complexité juridique.
Le défi technique des jammers
Brouilleurs d’ondes, lasers à fibre, filets anti-drones sont expérimentés, mais chaque terrain présente ses contraintes. À Évegnée, la forêt voisine et les villages alentour limitent l’usage de certains systèmes. Les lasers risquent de blesser la faune, les jammers perturbent les ondes civiles. L’équation est insoluble à ce stade.
La coopération européenne en panne de décisions
Bruxelles a lancé le programme Eastern Sentinel pour combler les lacunes de l’OTAN en matière de défense aérienne à l’est. Mais l’initiative peine à se concrétiser sur le terrain : manque de financement, résistances nationales, divergences sur le partage des responsabilités. Pendant ce temps, Thales Belgium reste exposée, sans mandat clair pour riposter.
Les enjeux industriels et sécuritaires

La double dépendance de l’Europe
L’Union européenne dépend de Thales Belgium pour ses roquettes, et Thales dépend d’un cadre légal protecteur pour fonctionner. Cette interdépendance crée une zone de fragilité : un arrêt de la production par précaution juridique pourrait priver l’Ukraine et les armées alliées de munitions essentielles au moment crucial.
La montée en puissance des roquettes FZ275
La demande pour les roquettes antidrone a explosé cette année. Thales prévoit de doubler sa production à 70 000 unités par an pour répondre aux besoins de l’OTAN et de l’Ukraine. Chaque nuit d’intrusion retarde la chaîne logistique, pèse sur les délais de livraison et diminue la confiance des clients stratégiques.
Un risque de réputation pour l’Europe
Si la plus grande usine de roquettes du continent reste impuissante face à des drones, quel message envoie-t-on aux alliés ? Comment convaincre de nouveaux partenaires de confier leurs commandes si le maillage législatif ne protège pas les infrastructures critiques ? L’enjeu de crédibilité est aussi majeur que celui de la sécurité physique.
Les réponses envisagées à court terme

Projets de loi en Belgique
Un avant-projet de loi soumis au parlement belge prévoit de définir clairement les zones dans lesquelles les entreprises pourront neutraliser des drones menaçants. Il fixe les responsabilités respectives de la police et des opérateurs privés, et instaure des couloirs aériens protégés autour des sites sensibles.
Renforcement des capacités techniques
Thales expérimente déjà des lasers à haute énergie capables de cibler un drone à 2 km, mais attend une dérogation pour les tester pleinement. Des filets automatisés et des drones-intercepteurs autonomes sont également en phase de prototype avancé, avec des essais prévus fin octobre dans le nord de la France.
Création d’une task force EU-OTAN
Bruxelles et l’OTAN veulent lancer d’ici fin octobre une force conjointe de réaction rapide contre les drones hostiles. Composée de spécialistes civils et militaires, elle disposera d’un mandat clair pour intervenir sur le territoire de chaque État membre, en coordination avec les autorités locales.
Les leçons à tirer pour l’avenir

La guerre des drones, nouveau paradigme
Les intrusions à Évegnée incarnent la mutation des conflits : désormais, chaque site industriel devient un champ de bataille potentiel. La guerre se joue par petits appareils furtifs plutôt que par blindés et avions de chasse. Les États et les entreprises doivent s’adapter à cette réalité pour survivre.
L’urgence d’une harmonisation législative
Sans cadre européen unifié, chaque pays avance à son rythme, laissant des brèches dans la défense collective. Il est impératif de codifier le droit de neutraliser une menace aérienne privative, sans craindre des poursuites excessives, tout en garantissant la sécurité des populations civiles.
Le rôle central des industriels
Les fabricants d’armement ne sont plus de simples fournisseurs, mais des acteurs stratégiques de la sécurité nationale. Leur expertise technique doit être intégrée aux processus décisionnels publics. Cet échange mutuel enrichira la résilience de l’Europe face aux nouvelles menaces.
Conclusion

L’alerte lancée par Thales Belgium n’est pas un simple fait divers, c’est le signal d’un tournant stratégique. L’Europe doit impérativement combler ses vides législatifs et renforcer ses défenses techniques pour faire face à la guerre des drones. Entre la forêt d’Évegnée et les couloirs aériens de Bruxelles, se joue l’avenir de notre capacité à protéger nos infrastructures vitales. Le temps presse : chaque nuit où un drone s’enivre de nos failles légales est une victoire pour les ennemis invisibles qui rôdent autour de nos usines secrètes.