Le mirage de paix israélo-palestinien : quand Trump joue les sauveurs du monde
Auteur: Maxime Marquette
Le 8 octobre 2025, Donald Trump annonçait sur Truth Social la signature du « premier acte » d’un accord de cessez-le-feu entre Israël et le Hamas. Exactement deux ans après le massacre du 7 octobre 2023, cette annonce fracassante promet la libération de tous les otages israéliens encore détenus à Gaza et le retrait partiel des troupes israéliennes vers une « ligne convenue ». Mais derrière cette fanfare médiatique, une réalité brutale se cache : ce n’est pas la paix qui s’annonce, c’est un nouveau cycle de violence différée. Car jamais, dans l’histoire tourmentée du conflit israélo-palestinien, un cessez-le-feu n’a tenu ses promesses sans que les racines du mal ne soient extirpées.
Cette entente, négociée dans le luxueux complexe de Charm el-Cheikh sous l’égide des médiateurs qataris, égyptiens et turcs, marque pourtant un tournant géopolitique majeur. Après 730 jours de carnage ayant fait plus de 67 000 morts palestiniens selon le ministère gazaoui de la Santé, et 1 200 Israéliens tués lors de l’attaque du Hamas, l’espoir renaît… temporairement. Car cette trêve n’est qu’un répit, une pause dans l’engrenage infernal qui broie cette région depuis des décennies. Le véritable test ne sera pas la signature de papiers, mais la capacité des acteurs à briser le cycle mortifère de la vengeance.
L’annonce triomphale de Trump
À 19h02, heure de Washington, Trump publie son message de victoire : « Tous les otages seront libérés très bientôt ». Cette déclaration, savamment orchestrée après qu’un petit papier glissé par Marco Rubio l’ait informé que les négociations touchaient à leur fin, transforme instantanément le président américain en « faiseur de paix ». L’ironie est saisissante : celui qui promettait de « faire exploser » ses ennemis se présente désormais en médiateur providentiel. Cette métamorphose politique révèle autant l’opportunisme trumpien que l’urgence géostratégique de stabiliser une région au bord de l’embrasement généralisé.
La mise en scène ne doit rien au hasard. Alors que Trump préside une table ronde sur l’antifa à la Maison Blanche, Rubio lui transmet discrètement l’information cruciale. Quelques minutes plus tard, le président américain déclare devant les caméras : « Nous sommes très proches d’un accord au Moyen-Orient ». Cette théâtralisation de l’annonce souligne la dimension éminemment politique de cette « victoire diplomatique », orchestrée pour redorer le blason d’une administration contestée.
Les conditions de la première phase
L’accord prévoit la libération des 48 otages encore détenus à Gaza, dont 20 seraient encore vivants selon les sources israéliennes. En échange, Israël devra libérer environ 2 000 prisonniers palestiniens, dont 250 condamnés à vie. Cette asymétrie numérique — un Israélien contre 40 Palestiniens — illustre parfaitement les rapports de force déséquilibrés qui caractérisent ce conflit depuis ses origines. Mais ces chiffres masquent une réalité plus complexe : beaucoup de ces « prisonniers » palestiniens ont été arrêtés après le 7 octobre sans inculpation formelle, dans une logique de détention administrative qui bafoue les droits humains les plus élémentaires.
Le retrait israélien vers une « ligne convenue » reste volontairement flou dans les communiqués officiels. Les forces de Tsahal conserveront le contrôle de plus de la moitié de la bande de Gaza, notamment les zones frontalières avec l’Égypte et les corridors stratégiques. Cette occupation partielle maintient de facto la pression militaire sur le Hamas tout en préservant les intérêts sécuritaires israéliens. Mais elle hypothèque aussi toute reconstruction durable de Gaza, transformée en territoire sous tutelle militaire.
La signature prévue pour jeudi
L’accord sera formellement paraphé ce jeudi en Égypte, selon les sources diplomatiques. Le cabinet israélien se réunira le même jour pour ratifier l’entente, avant que les premières libérations n’aient lieu samedi. Ce calendrier serré témoigne de l’urgence politique ressentie par toutes les parties : Trump veut capitaliser sur ce succès diplomatique, Netanyahu a besoin de ramener les otages pour sauver sa carrière politique, et le Hamas cherche à sortir de l’étau militaire qui l’étrangle depuis deux ans.
L'illusion de la paix durable

Les précédents échecs des cessez-le-feu
L’histoire récente du conflit gazaoui est jalonnée d’accords mort-nés et de trêves brisées. Le cessez-le-feu de janvier 2025, négocié sous l’administration Biden, n’a tenu que 58 jours avant qu’Israël ne reprenne ses bombardements le 18 mars, prétextant des violations du Hamas. Celui de novembre 2023 n’avait duré qu’une semaine. Ces précédents illustrent une constante tragique : sans règlement politique global du conflit israélo-palestinien, toute trêve n’est qu’un armistice précaire, une respiration avant la reprise des hostilités.
La mécanique de l’échec est toujours la même : chaque camp interprète l’accord selon ses intérêts immédiats, sans volonté réelle de compromis durable. Israël maintient son blocus, poursuit sa colonisation en Cisjordanie et refuse tout horizon politique aux Palestiniens. Le Hamas, de son côté, reconstitue ses capacités militaires, creuse de nouveaux tunnels et prépare la prochaine confrontation. Cette logique cyclique transforme chaque cessez-le-feu en simple « pause technique » dans une guerre sans fin.
Les non-dits de l’accord Trump
L’accord Trump évite soigneusement les questions de fond qui empoisonnent la région depuis 75 ans. Aucune mention n’est faite du statut final de Gaza, de l’avenir politique des Palestiniens ou de la reconnaissance mutuelle des droits nationaux. Le plan se contente de gérer l’urgence humanitaire sans s’attaquer aux causes structurelles du conflit. Cette approche « technocratique » de la paix reflète l’illusion américaine selon laquelle des arrangements sécuritaires peuvent remplacer une solution politique juste et équitable.
Plus problématique encore, l’exigence de désarmement du Hamas formulée par Trump reste lettre morte dans cette première phase. Le mouvement islamiste a accepté de « ne plus gouverner Gaza » après la guerre, mais refuse catégoriquement de rendre les armes. Cette contradiction fondamentale mine dès le départ la crédibilité de l’accord : comment imaginer une paix durable avec une organisation qui conserve sa capacité militaire et son idéologie de destruction d’Israël ?
Le piège de la gouvernance internationale
Le plan Trump prévoit l’instauration d’une « gouvernance internationale » à Gaza, avec lui-même et Tony Blair comme superviseurs. Cette tutelle occidentale sur un territoire palestinien soulève d’immenses questions de légitimité et de souveraineté. Comment les Gazaouis, qui ont élu démocratiquement le Hamas en 2006, accepteront-ils cette mise sous tutelle ? Cette approche néocoloniale risque de créer les conditions d’une nouvelle résistance, plus radicale encore que la précédente.
Les enjeux géopolitiques cachés

La stratégie de containment de l’Iran
Derrière cette trêve se cache un objectif géostratégique majeur : affaiblir l’axe iranien au Moyen-Orient. La neutralisation du Hamas prive Téhéran de son principal proxy dans la confrontation avec Israël et brise l’« axe de la résistance » qui reliait l’Iran au Hezbollah libanais et aux Houthis yéménites. Cette dimension régionale explique l’empressement de Trump à conclure cet accord : il s’agit moins de faire la paix que de redessiner les équilibres géopolitiques régionaux en faveur d’Israël et de l’Arabie saoudite.
L’Iran, conscient de cet enjeu, a multiplié les pressions sur le Hamas pour qu’il rejette l’accord. Mais l’organisation palestinienne, exsangue après deux ans de guerre, n’avait guère le choix : accepter la trêve ou disparaître sous les bombes israéliennes. Cette capitulation stratégique du Hamas marque un tournant historique dans l’équilibre des forces au Moyen-Orient, avec des conséquences imprévisibles pour la stabilité régionale.
Le calcul électoral de Netanyahu
Pour Benjamin Netanyahu, cet accord représente une bouée de sauvetage politique. Englué dans des scandales de corruption et confronté à une opposition farouche à sa gestion de la guerre, le Premier ministre israélien mise tout sur le retour des otages pour redorer son blason. Son invitation à Trump de s’adresser à la Knesset illustre parfaitement cette stratégie : s’accrocher au président américain pour survivre politiquement à ses échecs stratégiques.
Mais cette instrumentalisation de la souffrance des familles d’otages révèle aussi la faillite morale d’une classe politique israélienne incapable de penser au-delà des calculs électoraux. En acceptant de libérer 2 000 prisonniers palestiniens contre 48 otages, Netanyahu reconnaît implicitement l’échec de sa stratégie militaire. Deux ans de bombardements intensifs n’ont pas permis de libérer les captifs par la force, contraignant Israël à négocier avec ceux qu’il qualifiait de « nazis ».
L’opportunisme turc et qatari
La présence de la Turquie et du Qatar parmi les médiateurs illustre la recomposition des alliances régionales. Erdogan, qui courtise alternativement l’Occident et la Russie, saisit cette opportunité pour se repositner en « homme de paix » au Moyen-Orient. Le Qatar, de son côté, valorise son rôle d’intermédiaire privilégié entre l’Occident et les mouvements islamistes, justifiant ainsi sa politique d’accueil des Frères musulmans.
Les failles béantes de l'accord

Le statut flou du désarmement
L’exigence de désarmement complet du Hamas reste le point le plus controversé de l’accord Trump. Si le mouvement islamiste a accepté de renoncer au pouvoir à Gaza, il refuse catégoriquement de rendre ses armes, estimant qu’il s’agit de sa « garantie de survie » face à Israël. Cette contradiction fondamentale mine la crédibilité de toute solution durable : comment imaginer une paix stable avec une milice armée qui conserve ses capacités de nuisance ?
L’accord table sur un processus graduel de désarmement, conditionné aux progrès de la reconstruction et à la levée progressive du blocus israélien. Mais cette approche séquentielle crée un piège stratégique : si le Hamas conserve ses armes pendant la transition, rien ne garantit qu’il acceptera de s’en défaire ultérieurement. L’expérience libanaise avec le Hezbollah montre qu’une milice armée finit toujours par redevenir un « État dans l’État », capable de défier le pouvoir central.
L’impasse de la reconstruction
La reconstruction de Gaza, détruite à 70% selon l’ONU, nécessitera des investissements colossaux estimés à plus de 50 milliards de dollars sur cinq ans. Mais qui financera cette reconstruction ? L’accord Trump évoque vaguement un « plan Marshall » pour Gaza, sans préciser les modalités de financement ni les pays contributeurs. Cette imprécision budgétaire révèle l’irréalisme de nombreuses promesses contenues dans l’accord.
Plus fondamentalement, la reconstruction sous occupation militaire partielle pose des défis insurmontables. Comment reconstruire des écoles, des hôpitaux et des infrastructures civiles tant qu’Israël maintient son contrôle sur les frontières, l’espace aérien et maritime ? Cette situation créerait un « Bantustan palestinien » dépendant du bon vouloir israélien, nourrissant inévitablement de nouvelles frustrations et radicalisation.
La question des réfugiés ignorée
L’accord passe sous silence la question cruciale des réfugiés palestiniens, pourtant au cœur du conflit depuis 1948. Plus de 1,5 million de Gazaouis sont aujourd’hui déplacés à l’intérieur de la bande, entassés dans des camps de fortune. Leur retour dans leurs foyers détruits nécessitera une coordination complexe avec les autorités israéliennes et internationales, sans garantie de succès.
Les réactions contrastées sur le terrain

L’espoir des familles d’otages
Pour les familles des 48 otages encore détenus à Gaza, cet accord représente enfin l’« espoir du retour ». Après 730 jours d’angoisse, de manifestations et de combats juridiques contre leur propre gouvernement, elles voient enfin la lumière au bout du tunnel. Mais cet espoir se mêle à l’amertume : fallait-il attendre deux ans et 67 000 morts palestiniens pour obtenir ce qui aurait pu être négocié dès novembre 2023 ?
L’association « Familles des otages » a salué l’accord tout en dénonçant les « deux années perdues » de la stratégie militaire de Netanyahu. « Nos proches auraient pu être libérés il y a longtemps si le gouvernement avait privilégié la négociation à la guerre », témoigne Rachel Goldberg, mère d’un otage. Cette colère légitime révèle l’échec stratégique d’une approche purement militaire du conflit.
La résignation palestinienne
À Gaza, l’annonce de l’accord suscite des réactions mitigées. Après deux ans de bombardements incessants, de famine organisée et de destruction systématique, la population gazaouie aspire avant tout au « silence des armes ». Mais beaucoup redoutent que cette trêve ne soit qu’un répit avant une nouvelle escalade, comme en 2021 et 2014.
« Nous n’avons plus rien à perdre », témoigne Amira, mère de famille de Gaza-ville. « Nos maisons sont détruites, nos enfants traumatisés, notre économie anéantie. Si cet accord nous apporte quelques mois de paix, nous les prendrons. » Cette résignation douloureuse illustre l’épuisement d’une population prise en otage par des dirigeants incapables de lui offrir un horizon politique crédible.
Les divisions au sein de la résistance palestinienne
L’accord divise profondément le mouvement de résistance palestinien. Si le Hamas l’a accepté par pragmatisme, le Jihad islamique palestinien y voit une « capitulation » face à l’occupant. Cette fracture au sein de la résistance armée risque de créer de nouvelles tensions intra-palestiniennes, affaiblissant encore davantage la position palestinienne dans les négociations futures
L'échéancier de tous les dangers

Les 72 heures cruciales
L’accord prévoit un calendrier serré qui laisse peu de place à l’improvisation : ratification par le cabinet israélien jeudi, retrait militaire partiel sous 24 heures, puis libération des otages dans les 72 heures suivantes. Cette chronologie précise vise à éviter les atermoiements et les tentatives de sabotage, mais elle crée aussi une pression énorme sur tous les acteurs.
Le moindre incident — tir isolé, manifestation incontrôlée, retard dans l’exécution — pourrait faire dérailler l’ensemble du processus. L’expérience des précédents cessez-le-feu montre que les premières heures sont toujours les plus dangereuses, chaque camp scrutant les actions de l’autre pour détecter la moindre violation et justifier une éventuelle rupture.
Le défi logistique de la libération
La libération simultanée de 48 otages israéliens et 2 000 prisonniers palestiniens représente un défi logistique colossal. Il faut coordonner les transferts, vérifier les identités, assurer la sécurité des échanges et gérer les aspects médicaux pour des personnes détenues dans des conditions difficiles depuis parfois plusieurs années.
Plus délicat encore, certains otages pourraient être décédés en détention, obligeant le Hamas à restituer leurs dépouilles. Cette dimension macabre de l’échange risque de raviver les tensions et de compliquer la suite du processus. Chaque corps rendu alimentera les récriminations et les appels à la vengeance des deux côtés.
La visite annoncée de Trump
Trump a annoncé son intention de se rendre au Moyen-Orient ce week-end pour « célébrer la paix ». Cette visite présidentielle, prévue en Israël et potentiellement à Gaza, vise à capitaliser politiquement sur ce succès diplomatique. Mais elle comporte aussi des risques sécuritaires énormes et pourrait être perçue comme une humiliation par les Palestiniens.
Les leçons de l'Histoire ignorées

Oslo, Camp David et les autres échecs
Cet accord Trump s’inscrit dans une longue série de « processus de paix » avortés qui jalonnent l’histoire du conflit israélo-palestinien. D’Oslo à Camp David, d’Annapolis aux initiatives Kerry, tous ont échoué sur les mêmes écueils : refus de traiter les questions de fond (réfugiés, Jérusalem, frontières), asymétrie des rapports de force, absence de mécanismes contraignants d’application.
L’accord Trump reproduit méticuleusement les erreurs du passé : il gère l’urgence sans s’attaquer aux causes, propose des arrangements sécuritaires sans horizon politique, mise sur la fatigue des belligérants sans créer les conditions d’une réconciliation durable. Cette approche « gestionnaire » de la paix révèle l’incapacité occidentale à comprendre la dimension existentielle de ce conflit pour les deux peuples.
Le précédent libanais et ses enseignements
L’évolution du Hezbollah au Liban offre un aperçu inquiétant de ce que pourrait devenir le Hamas après ce cessez-le-feu. Créé pour résister à l’occupation israélienne, le « Parti de Dieu » s’est progressivement transformé en État dans l’État, plus puissant que l’armée libanaise officielle. Aujourd’hui, il contrôle de facto le sud-Liban et dicte sa loi au gouvernement de Beyrouth.
Si le Hamas parvient à conserver ses structures militaires pendant la période de transition, il pourrait suivre la même évolution : se transformer en « gardien » de la résistance palestinienne, plus influent que l’Autorité palestinienne officielle. Cette perspective terrifierait Israël et remettrait en cause tous les objectifs affichés de l’opération militaire de ces deux dernières années.
L’illusion de la solution militaire
L’échec de la stratégie militaire israélienne à Gaza confirme une évidence historique : on ne peut pas vaincre une idée par les armes. Deux ans de bombardements intensifs, 67 000 morts palestiniens, la destruction de 70% des infrastructures gazaouies n’ont pas éradiqué le Hamas ni découragé la résistance palestinienne. Au contraire, cette violence extrême a radicalisé une nouvelle génération de Palestiniens qui n’ont connu que la guerre et l’humiliation.
Conclusion

Cet accord de cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, présenté comme un « jour historique pour la paix », n’est en réalité qu’une trêve fragile dans un conflit sans fin. Derrière la rhétorique trumpienne de la réconciliation se cache une réalité brutale : aucune des causes profondes du conflit israélo-palestinien n’a été résolue. Gaza reste occupée, les Palestiniens sans État, les réfugiés sans foyer, et la haine intacte des deux côtés.
Cette pause dans les combats offre certes un répit bienvenu aux populations martyrisées de Gaza et aux familles d’otages israéliennes. Elle permet aussi à Trump de se draper dans les habits du « faiseur de paix » et à Netanyahu de sauver sa carrière politique. Mais elle ne change rien au fond du problème : tant que les Palestiniens n’auront pas leur État et les Israéliens leur sécurité, tant que la justice ne remplacera pas la force comme mode de règlement des différends, ce conflit renaîtra sous d’autres formes, avec d’autres acteurs, mais toujours la même violence destructrice. Le vrai défi ne sera pas de faire respecter ce cessez-le-feu, mais d’inventer enfin une paix juste qui reconnaisse les droits et la dignité des deux peuples. D’ici là, nous ne ferons que compter les morts et pleurer les occasions manquées.