Le déserteur devenu traître : complot terroriste déjoué à Zaporizhzhia en Ukraine
Auteur: Maxime Marquette
Quand l’ennemi vient de l’intérieur
Le 12 octobre 2025, le Service de sécurité ukrainien SBU annonce avoir déjoué un attentat terroriste majeur à Zaporizhzhia — une des villes stratégiques du sud de l’Ukraine, partiellement occupée par les forces russes. Mais ce qui rend cette affaire particulièrement choquante, c’est l’identité du suspect arrêté : un ancien soldat ukrainien. Un déserteur qui a abandonné son unité, traversé les lignes, et offert ses services au renseignement russe. Un traître qui planifiait de faire exploser des infrastructures civiles dans sa propre ville, tuant potentiellement des dizaines de ses compatriotes. Les détails révélés par le SBU sont glaçants. L’homme avait reçu des explosifs, des instructions détaillées, même des avances financières de ses maîtres russes. Il avait repéré ses cibles — un pont crucial, une station électrique, peut-être même des bâtiments résidentiels. Et il était à quelques jours seulement de passer à l’action quand les services de sécurité l’ont arrêté. Cette histoire résume à elle seule une des dimensions les plus sombres de cette guerre : la trahison venue de l’intérieur, les Ukrainiens retournés contre leur propre peuple, la désintégration des loyautés sous la pression de la peur, de la cupidité, ou du désespoir.
Zaporizhzhia, une ville en première ligne
Zaporizhzhia occupe une position unique et précaire dans cette guerre. La ville elle-même reste sous contrôle ukrainien, mais la majeure partie de l’oblast — la région administrative — est occupée par les forces russes. Cela crée une situation schizophrénique où la ville sert de refuge pour des centaines de milliers de personnes ayant fui les territoires occupés, tout en étant constamment menacée par l’artillerie russe positionnée à quelques dizaines de kilomètres. La centrale nucléaire de Zaporizhzhia — la plus grande d’Europe — se trouve en territoire occupé, source permanente d’anxiété internationale. Et au milieu de tout ça, des dizaines de milliers de personnes essaient de vivre une vie normale, travaillent, envoient leurs enfants à l’école, espèrent que l’obus suivant tombera ailleurs. Dans ce contexte tendu, un attentat terroriste aurait eu des conséquences dévastatrices. Pas seulement les morts et blessés directs, mais la panique, la destruction du moral civil, le message envoyé que nulle part n’est sûr, que l’ennemi peut frapper de l’intérieur. C’est précisément ce que Moscou recherche — terroriser la population ukrainienne au point qu’elle exige de son gouvernement de négocier, de capituler, de mettre fin à la résistance.
Le profil du traître et ses motivations obscures
Qui est cet homme ? Le SBU n’a pas publié son identité complète — procédure standard pendant une enquête en cours — mais les détails fournis dressent un portrait troublant. Un ancien soldat qui a servi dans les forces armées ukrainiennes au début de la guerre. Pas un conscrit forcé, mais apparemment un engagé volontaire. À un moment donné en 2024, il a déserté. Les raisons ? Elles restent floues. Peut-être la fatigue, la peur, le traumatisme psychologique que génère le combat prolongé. Peut-être des griefs personnels contre ses supérieurs. Peut-être simplement la lâcheté pure. Quoi qu’il en soit, il a fui. Et au lieu de disparaître simplement, de se cacher, de tenter de refaire sa vie ailleurs… il a contacté les services de renseignement russes. Activement. Volontairement. Il s’est offert comme agent, comme saboteur, comme terroriste. Les Russes ont accepté — bien sûr qu’ils ont accepté. Un Ukrainien retourné, connaissant le terrain, parlant la langue sans accent, capable de se fondre dans la population… c’est le rêve de tout service de renseignement ennemi. Ils l’ont formé, équipé, financé. Et ils l’ont renvoyé à Zaporizhzhia avec une mission simple : détruire. Tuer. Terroriser. Peu importe qui meurt, tant que ça sème le chaos.
L'anatomie d'un complot terroriste

Le recrutement et la manipulation russe
Les services de renseignement russes — FSB, GRU, et diverses autres branches de l’appareil sécuritaire de Moscou — ont développé une expertise redoutable dans le recrutement d’agents parmi les populations ukrainiennes. Leur approche combine opportunisme et méthodologie. Ils ciblent des individus vulnérables : déserteurs cherchant à échapper aux poursuites, personnes endettées ayant besoin d’argent, citoyens mécontents du gouvernement ukrainien, familles séparées entre territoires contrôlés et occupés. Le premier contact se fait souvent via les réseaux sociaux — Telegram principalement, où l’anonymat est facile à maintenir. Un message apparemment anodin. Une offre d’aide. Une proposition de travail bien payé. Puis progressivement, l’escalade : des demandes de renseignements apparemment innocents — combien de soldats ukrainiens dans tel secteur, quel type d’équipement militaire passe par telle route. Ensuite, des demandes plus sérieuses — placer un dispositif de traçage, photographier des installations militaires. Et finalement… l’ultime étape : accepter de mener une opération de sabotage ou terroriste. Beaucoup refusent à ce stade. Certains dénoncent aux autorités ukrainiennes. Mais quelques-uns… acceptent. Par cupidité, par peur de représailles contre des proches en territoire occupé, ou simplement parce qu’ils ont franchi tellement de lignes qu’une de plus ne fait plus de différence.
La préparation de l’attentat et les cibles visées
Une fois le déserteur recruté et sa loyauté assurée — ou du moins sa compliance obtenue par un mélange de paiements et de menaces — les Russes l’ont équipé pour sa mission. Selon le SBU, l’homme avait reçu des explosifs militaires de qualité, probablement acheminés depuis le territoire occupé via des canaux clandestins que le renseignement russe maintient à travers les lignes. Ces explosifs n’étaient pas improvisés — c’était du matériel professionnel, des charges façonnées capables de détruire des structures en béton armé. Il avait également reçu des détonateurs, des minuteries, et des instructions détaillées sur la construction de dispositifs explosifs. Les cibles identifiées par le SBU incluaient des infrastructures critiques : un pont routier crucial pour l’approvisionnement militaire et civil de Zaporizhzhia, une sous-station électrique alimentant une partie de la ville, et possiblement des bâtiments gouvernementaux ou résidentiels pour maximiser l’impact psychologique. L’objectif n’était pas seulement de causer des dégâts matériels, mais de créer une atmosphère de terreur permanente. Si un pont peut exploser, si une station électrique peut être sabotée, si un immeuble résidentiel peut s’effondrer… alors personne n’est en sécurité. Et une population terrorisée exige de son gouvernement qu’il mette fin à la guerre, qu’il accepte les conditions ennemies, qu’il capitule pour retrouver une illusion de sécurité.
L’arrestation et la collecte de preuves
Le SBU ne révèle jamais précisément comment il obtient ses renseignements — pour des raisons évidentes de sécurité opérationnelle — mais on peut reconstituer le processus probable. Soit les services ukrainiens surveillaient déjà cet individu suite à sa désertion, soit ils ont intercepté des communications entre lui et ses contrôleurs russes, soit un informateur l’a dénoncé. Dans tous les cas, le SBU a monté une opération de surveillance, documentant les mouvements du suspect, ses contacts, ses acquisitions d’équipements. Ils l’ont probablement laissé avancer suffisamment dans sa préparation pour accumuler des preuves irréfutables — mais pas au point de risquer qu’il passe à l’action. L’arrestation elle-même a probablement été rapide et brutale : équipes d’intervention spécialisées, armes pointées, aucune chance de résistance. Les explosifs ont été saisis, les dispositifs neutralisés. L’homme est maintenant en détention, face à des accusations de haute trahison, terrorisme, et collaboration avec l’ennemi — des crimes passibles de la prison à vie en Ukraine, voire de la peine de mort si elle était encore appliquée. Les interrogatoires révéleront probablement d’autres informations : d’autres agents potentiels, des réseaux de soutien, des détails sur les opérations du renseignement russe en Ukraine. Chaque traître arrêté devient une mine d’informations pour démanteler d’autres cellules.
Le phénomène des déserteurs et des traîtres

Les chiffres et l’ampleur du problème
La désertion est un problème endémique dans toute guerre prolongée, et le conflit en Ukraine ne fait pas exception. Les chiffres exacts sont classifiés — aucun gouvernement ne veut admettre publiquement l’ampleur de ses désertions — mais les fuites et estimations suggèrent que des dizaines de milliers de soldats ukrainiens ont déserté depuis février 2022. La plupart ne deviennent pas des traîtres actifs. Beaucoup se cachent simplement, tentent de survivre sans être détectés, espèrent qu’une amnistie viendra un jour. D’autres fuient à l’étranger, rejoignent les millions de réfugiés ukrainiens dispersés à travers l’Europe. Mais une minorité — impossible de quantifier précisément, mais probablement des centaines au minimum — franchit la ligne vers la collaboration active avec les Russes. Certains le font par idéologie, croyant vraiment à la propagande russe. D’autres par opportunisme pur. Et d’autres encore sous contrainte, menacés par les Russes qui ont capturé des membres de leur famille en territoire occupé. Quelle que soit la motivation, le résultat est le même : des Ukrainiens travaillant activement contre leur propre pays, fournissant des renseignements, menant des sabotages, parfois même combattant directement aux côtés des forces russes. C’est une guerre civile à basse intensité superposée à la guerre inter-étatique principale — et elle empoisonne toute la société ukrainienne.
Les facteurs psychologiques et sociaux
Qu’est-ce qui pousse un homme à trahir ? Les psychologues militaires identifient plusieurs facteurs convergents. D’abord, le traumatisme du combat prolongé. Beaucoup de soldats ukrainiens combattent depuis plus de trois ans maintenant, avec peu de rotations, peu de repos, une exposition constante à la violence extrême. Le stress post-traumatique s’accumule, érode le jugement, détruit la capacité à penser rationnellement. Dans cet état de détérioration mentale, des décisions qui sembleraient impensables en temps normal deviennent possibles. Ensuite, il y a la désillusion. Des soldats qui se sentent abandonnés par leur commandement, mal équipés, envoyés en missions suicidaires sans soutien adéquat. Cette amertume peut se transformer en haine du gouvernement ukrainien, créant une ouverture psychologique pour la propagande russe qui offre une alternative — même si cette alternative est objectivement pire. Puis il y a la dimension économique : la Russie paie. Bien. Un agent réussissant une opération de sabotage peut recevoir des dizaines de milliers de dollars — une fortune pour quelqu’un venant d’une Ukraine appauvrie par la guerre. Et finalement… il y a simplement la lâcheté humaine. Certains hommes ne peuvent pas supporter la pression, craquent, et cherchent n’importe quelle sortie, même si cette sortie passe par la trahison.
Les conséquences pour la cohésion sociale ukrainienne
Chaque traître découvert ronge un peu plus le tissu social ukrainien. Parce que soudain, la confiance devient impossible. Votre voisin est-il un agent russe ? Votre collègue rapporte-t-il vos conversations au FSB ? Ce soldat à côté de vous dans la tranchée désertera-t-il au moment critique ? Cette suspicion permanente est toxique. Elle crée une atmosphère de paranoïa qui empoisonne les relations humaines normales. Les communautés se fragmentent. Les gens s’isolent. Et ironiquement, cette fragmentation sociale est précisément ce que Moscou recherche. Une société divisée, méfiante, incapable de maintenir la cohésion nécessaire pour une résistance prolongée. Le SBU essaie de contrer cela avec des campagnes de sensibilisation — encourageant les citoyens à signaler les comportements suspects, offrant des lignes téléphoniques anonymes pour les dénonciations. Mais cela crée ses propres problèmes : des dénonciations malveillantes pour régler des comptes personnels, des innocents arrêtés sur la base d’accusations sans fondement. C’est un équilibre impossible entre sécurité et liberté, entre vigilance et paranoïa. Et pendant que l’Ukraine lutte pour trouver cet équilibre… les Russes continuent de recruter, de manipuler, de retourner des Ukrainiens contre leur propre pays. C’est une guerre de l’ombre qui se mène parallèlement à la guerre ouverte — et qui pourrait, à terme, être tout aussi déterminante pour l’issue du conflit.
La guerre de l'ombre du renseignement russe

Les méthodes et tactiques du FSB en Ukraine
Le Service fédéral de sécurité russe FSB — héritier direct du KGB soviétique — mène en Ukraine une campagne de subversion sophistiquée qui va bien au-delà du simple espionnage. Leurs opérations incluent le sabotage d’infrastructures critiques, l’assassinat ciblé de figures ukrainiennes importantes, la manipulation informationnelle massive via les réseaux sociaux, et le recrutement d’agents au sein même de la société ukrainienne. Les méthodes employées mélangent techniques traditionnelles d’espionnage et innovations technologiques modernes. Le recrutement se fait souvent via Telegram, application de messagerie cryptée difficile à surveiller. Les paiements transitent par des cryptomonnaies pour éviter la traçabilité. Les instructions sont transmises via des messages codés, des dead drops numériques, des canaux de communication éphémères qui s’autodétruisent après lecture. Et quand un agent est activé pour une opération, il reçoit tout le soutien nécessaire : explosifs acheminés clandestinement, armes si besoin, fausses identités, routes d’exfiltration vers le territoire occupé si la mission tourne mal. C’est une machine bien huilée, bénéficiant de décennies d’expérience du FSB dans les opérations clandestines. Et elle fonctionne — peut-être pas parfaitement, beaucoup d’agents sont arrêtés comme celui de Zaporizhzhia, mais suffisamment pour causer des dégâts réels et maintenir une menace permanente.
Les succès russes et leurs impacts
Tous les complots ne sont pas déjoués. Le SBU est efficace, mais pas omniscient. Des attentats réussissent. Des sabotages passent. Des assassinats sont menés à bien. En 2023 et 2024, plusieurs explosions mystérieuses ont frappé des installations militaires ukrainiennes — officiellement attribuées à des accidents, mais probablement des sabotages internes. Des officiels ukrainiens ont été tués dans des circonstances suspectes — accidents de voiture, empoisonnements, tirs de snipers non élucidés. Des ponts ont été endommagés, des voies ferrées sabotées, des dépôts de munitions ont explosé de manière inexpliquée. Chaque incident génère des enquêtes, parfois des arrestations, mais rarement des révélations publiques complètes — le SBU préfère maintenir le secret sur ses capacités et limitations. L’impact cumulatif de ces opérations réussies est difficile à quantifier précisément, mais il est réel. Des vies perdues. Des équipements détruits. Des opérations militaires compromises. Et surtout, l’effet psychologique : la démonstration constante que l’ennemi peut frapper de l’intérieur, que nulle part n’est vraiment sûr. C’est de la guerre psychologique autant que du sabotage matériel. Et dans une guerre d’attrition où le moral devient aussi important que les munitions… ces coups portés de l’intérieur peuvent avoir un impact stratégique disproportionné.
Les contre-mesures ukrainiennes et leur efficacité
Face à cette menace, le SBU a considérablement renforcé ses capacités de contre-espionnage. Les budgets ont augmenté. Le personnel a été élargi. Les technologies de surveillance ont été modernisées, souvent avec l’aide des services de renseignement occidentaux qui partagent expertise et équipements. Le résultat est visible dans le nombre croissant d’arrestations annoncées — presque chaque semaine, le SBU publie des communiqués sur des agents russes démantelés, des complots déjoués, des traîtres arrêtés. Mais cette réussite apparente cache une réalité plus complexe. D’abord, on ne connaît que les succès. Combien d’agents russes opèrent sans être détectés ? Impossible à savoir par définition. Ensuite, il y a la question de la qualité versus la quantité. Arrêter cent agents mineurs fournissant des renseignements de faible valeur est moins important que neutraliser un seul agent bien placé au sein du gouvernement ou de l’armée. Et finalement, il y a le coût social de cette vigilance accrue. Les libertés civiles s’érodent. Les arrestations arbitraires augmentent. La paranoïa s’installe. L’Ukraine risque de devenir un État sécuritaire où tout le monde surveille tout le monde — exactement le genre de société dystopique que beaucoup d’Ukrainiens pensaient avoir laissée derrière eux en quittant l’orbite soviétique. C’est le dilemme tragique de toute démocratie en guerre : survivre nécessite des mesures qui contredisent les valeurs mêmes qu’on prétend défendre.
Les implications plus larges pour la guerre

La dimension invisible du conflit
L’affaire de Zaporizhzhia rappelle que cette guerre ne se limite pas aux combats spectaculaires sur le front. Il y a toute une dimension cachée : la guerre du renseignement, le sabotage, les opérations clandestines, les assassinats, la subversion. Cette guerre de l’ombre ne fait jamais les gros titres — sauf quand un complot est déjoué et médiatisé comme celui-ci. Mais elle se mène quotidiennement, silencieusement, impitoyablement. Des agents infiltrent, collectent, sabotent. Des contre-espions traquent, surveillent, arrêtent. Et parfois, des gens meurent sans que personne ne sache jamais vraiment pourquoi. Cette dimension invisible pourrait, à terme, être aussi déterminante pour l’issue de la guerre que les batailles d’artillerie à Pokrovsk ou les frappes de drones sur Belgorod. Parce que si le renseignement russe réussit suffisamment d’opérations — suffisamment de sabotages pour paralyser la logistique ukrainienne, suffisamment d’assassinats pour décapiter le leadership, suffisamment de manipulations pour fracturer la société — alors l’Ukraine pourrait s’effondrer de l’intérieur avant même d’être vaincue militairement. C’est le cauchemar stratégique que le SBU travaille jour et nuit à prévenir.
Le coût humain des trahisons
Mais au-delà des considérations stratégiques, il y a le coût humain tragique de ces trahisons. Chaque déserteur devenu agent russe était autrefois un Ukrainien ordinaire. Il avait une famille, des amis, des rêves. Peut-être avait-il vraiment cru en la cause ukrainienne au début. Mais quelque chose s’est brisé. Le traumatisme, la peur, la cupidité, le désespoir — quelque chose l’a poussé à franchir cette ligne. Et maintenant, il passera probablement le reste de sa vie en prison. Sa famille vivra avec la honte. Ses anciens camarades se demanderont s’ils auraient pu voir les signes, faire quelque chose pour l’empêcher de basculer. Et les victimes potentielles de son attentat avorté — qui ne sauront peut-être jamais à quel point elles sont passées près de la mort — continueront leur vie dans l’ignorance. C’est la tragédie humaine qui se cache derrière ces affaires d’espionnage : des vies détruites, des familles brisées, des amitiés trahies. La guerre ne détruit pas seulement les corps et les bâtiments. Elle détruit aussi les âmes, corrode les valeurs morales, transforme des hommes ordinaires en monstres capables de tuer leurs propres compatriotes. Et cette destruction de l’humanité… c’est peut-être la blessure la plus profonde que cette guerre inflige à l’Ukraine.
Les leçons pour l’après-guerre
Quand cette guerre finira — si elle finit — l’Ukraine devra affronter une question déchirante : que faire avec les milliers de collaborateurs, traîtres, agents russes qui auront été arrêtés ? Les emprisonner tous à vie ? Impossible logistiquement et financièrement. Les exécuter ? L’Ukraine a aboli la peine de mort. Et même si elle ne l’avait pas fait, des exécutions de masse créeraient une spirale de vengeance qui empoisonnerait la société pour des générations. Alors quoi ? Une amnistie partielle, comme l’Afrique du Sud post-apartheid ? Des commissions vérité et réconciliation ? Des procès publics pour les cas les plus graves et du pardon pour les autres ? Chaque option comporte des risques énormes. Trop de clémence et on envoie le message que la trahison est acceptable, qu’elle ne sera pas vraiment punie. Trop de sévérité et on crée une sous-classe de citoyens marqués à vie, alimentant ressentiment et instabilité future. C’est un dilemme moral et pratique auquel l’Ukraine n’est pas encore préparée — parce qu’elle est trop occupée à survivre pour planifier l’après. Mais ce jour viendra. Et les décisions prises alors détermineront quel type de société l’Ukraine deviendra. Une société qui pardonne et guérit ? Ou une société qui se venge et perpétue les divisions ? Je ne sais pas quelle option est la bonne. Peut-être qu’il n’y en a pas de bonne.
Conclusion

Ce qu’il faut retenir
L’arrestation d’un déserteur ukrainien planifiant un attentat terroriste à Zaporizhzhia n’est pas un incident isolé. C’est le symptôme d’une dimension cachée mais cruciale de cette guerre : la bataille du renseignement, la subversion interne, la trahison venue de l’intérieur. Le renseignement russe mène une campagne sophistiquée pour recruter des Ukrainiens, les retourner contre leur propre pays, et les utiliser pour semer le chaos par le sabotage et le terrorisme. Certains complots sont déjoués, comme celui-ci. D’autres réussissent, causant morts et destructions. Et chaque trahison découverte érode un peu plus le tissu social ukrainien, installe la méfiance, transforme des voisins en suspects potentiels. C’est une guerre psychologique autant que physique. Et son impact à long terme sur la société ukrainienne pourrait être aussi dévastateur que les destructions matérielles causées par l’artillerie russe. L’homme arrêté à Zaporizhzhia passera probablement le reste de sa vie en prison. Mais les questions qu’il soulève resteront : combien d’autres comme lui existent ? Combien opèrent sans être détectés ? Et quand cette guerre finira, comment l’Ukraine pourra-t-elle guérir de ces trahisons, pardonner ces traîtres, reconstruire une société basée sur la confiance plutôt que la suspicion ?
Ce qui change dès maintenant
À partir de ce moment, chaque Ukrainien vivant dans les zones proches du front ou dans les grandes villes stratégiques comme Zaporizhzhia devra vivre avec une conscience accrue que l’ennemi ne vient pas seulement de l’extérieur. Qu’il peut être le voisin du dessus, le collègue de bureau, l’ancien soldat qui habite deux rues plus loin. Cette vigilance permanente est épuisante psychologiquement. Elle transforme des sociétés en États policiers où tout le monde surveille tout le monde. Mais elle est aussi nécessaire pour la survie. Le SBU continuera d’arrêter des agents russes, de déjouer des complots, de protéger la population contre des menaces qu’elle ne verra jamais. Mais ils ne peuvent pas tout arrêter. Des attentats réussiront. Des sabotages passeront. Et chaque succès russe renforcera la détermination de Moscou à continuer cette guerre de l’ombre, à recruter plus d’agents, à tenter plus d’opérations. C’est une spirale sans fin visible, une guerre parallèle qui continuera même si le front militaire se stabilise un jour. Et elle ne cessera vraiment que quand l’une des deux parties — Ukraine ou Russie — n’existera plus, ou quand un accord de paix complet mettra fin à toutes les hostilités. Ni l’un ni l’autre scénario ne semble proche.
Ce que je recommande
Aux citoyens ukrainiens : restez vigilants mais pas paranoïaques. Signalez les comportements suspects aux autorités, mais ne laissez pas la suspicion empoisonner toutes vos relations humaines. L’ennemi veut précisément ça — vous isoler, vous diviser, détruire la cohésion sociale qui fait votre force. Résistez à cette fragmentation. Au SBU et aux services de sécurité : continuez votre travail essentiel, mais n’oubliez jamais que vous servez une démocratie, pas un État policier. Chaque arrestation doit être justifiée, chaque détention légale, chaque procès équitable. Sinon, vous deviendrez ce contre quoi l’Ukraine se bat. Aux alliés occidentaux : comprenez que cette guerre de l’ombre nécessite un soutien continu en matière de renseignement, d’équipements de surveillance, de formation des agents de sécurité. L’Ukraine ne peut pas gagner cette bataille seule contre l’appareil sécuritaire russe immense. Et aux déserteurs potentiels, à ceux qui sont tentés par les offres russes : réfléchissez bien. La prison à vie en Ukraine vaut-elle quelques milliers de dollars ? La honte éternelle pour votre famille vaut-elle une fuite temporaire de vos responsabilités ? Il existe d’autres voies — demander de l’aide psychologique, chercher un transfert d’unité, même déserter sans devenir traître. Mais franchir la ligne vers la collaboration active avec l’ennemi… c’est une décision dont vous ne reviendrez jamais. Et qui détruira non seulement votre vie, mais aussi celles de tous ceux qui vous ont fait confiance.