Un soldat russe trahit sa position : drone ukrainien pulvérise système de guerre électronique
Auteur: Maxime Marquette
Une vidéo qui fait le tour du monde en quelques heures
Les images sont apparues ce 13 octobre 2025 sur les réseaux sociaux — et elles racontent une histoire qui résume à elle seule l’absurdité meurtrière de la guerre moderne. Un soldat russe, probablement fier de son affectation, filme son environnement dans la région de Belgorod. Il montre son pickup militaire, son unité, peut-être même ses camarades. Et surtout… il révèle sans le savoir la position exacte d’un système de guerre électronique sophistiqué, ces équipements qui coûtent des millions de roubles et qui sont censés brouiller les communications ennemies, neutraliser les drones, protéger les forces russes. Quelques heures plus tard — parfois même quelques minutes — un drone ukrainien surgit du ciel. L’explosion est massive. Le système EW est détruit. Le pickup part en fumée. Des vies s’évaporent dans le souffle. Et tout ça… parce qu’un type voulait poster une vidéo cool sur Telegram.
L’erreur fatale qui coûte une guerre
Ce n’est pas la première fois que ça arrive — loin de là. Depuis le début du conflit en février 2022, les réseaux sociaux sont devenus un champ de bataille parallèle où les soldats des deux camps exposent involontairement des informations stratégiques. Un selfie devant un char révèle son emplacement. Une story Instagram géolocalisée trahit un point de rassemblement. Un appel vidéo à la famille montre en arrière-plan des équipements sensibles. Les services de renseignement ukrainiens — particulièrement efficaces dans ce domaine — scrutent en permanence ces publications, les analysent, triangulent les positions, transmettent aux unités de drones. C’est devenu une science exacte. Et les Russes… continuent de tomber dans le piège. Encore et encore. Avec une régularité stupéfiante qui pose des questions sérieuses sur la discipline militaire, la formation, ou simplement l’intelligence collective d’une armée censée être la deuxième plus puissante du monde (elle ne l’est plus depuis longtemps).
Belgorod, le symbole d’une guerre qui déborde
Que cette frappe se produise dans la région de Belgorod n’est pas anodin. Cette zone frontalière russe, théoriquement sanctuarisée, théoriquement protégée, subit depuis des mois des attaques ukrainiennes de plus en plus audacieuses. Drones kamikazes, missiles à longue portée, incursions terrestres même — rien ne semble plus hors de portée pour Kiev. Et Moscou… encaisse. Les autorités locales évacuent des villages, déclarent l’état d’urgence, mais la machine de guerre ukrainienne continue de frapper. Ce qui devait être une guerre éclair en Ukraine s’est transformé en cauchemar défensif pour la Russie elle-même. Les populations de Belgorod, Koursk, Briansk vivent désormais sous la menace permanente — exactement ce que Poutine promettait d’éviter en lançant son invasion. L’ironie est cruelle. La réalité l’est encore plus.
L'anatomie d'une frappe de précision

Comment les Ukrainiens traquent leurs cibles
Le processus est devenu d’une efficacité redoutable. Des équipes spécialisées ukrainiennes — mélange d’analystes de renseignement, de geeks informatiques et de militaires — passent leurs journées à scanner les réseaux sociaux russes. Telegram surtout, mais aussi VKontakte, Odnoklassniki, même TikTok. Ils recherchent les publications de soldats russes, examinent chaque détail des photos et vidéos. Un bâtiment reconnaissable en arrière-plan. Une route spécifique. Des coordonnées GPS intégrées dans les métadonnées des images (oui, beaucoup de soldats oublient de désactiver cette fonction). Parfois, c’est encore plus simple : le soldat géolocalise directement sa publication, tellement habitué aux réseaux sociaux qu’il en oublie qu’il est en zone de guerre. Une fois la position identifiée, l’information remonte la chaîne de commandement. Un drone FPV, quadricoptère modifié transportant une charge explosive, est lancé. Temps de réaction : parfois moins de trente minutes entre la publication et l’impact. C’est la guerre à la vitesse d’Internet.
Les systèmes de guerre électronique russes dans le viseur
Les équipements EW — Electronic Warfare — sont des cibles prioritaires pour l’Ukraine. Pourquoi ? Parce qu’ils représentent la principale défense russe contre l’essaim de drones ukrainiens qui harcèle quotidiennement leurs positions. Ces systèmes peuvent brouiller les communications, perturber les signaux GPS, même prendre le contrôle de drones ennemis. Ils coûtent entre cinq et quinze millions de dollars selon les modèles — des investissements massifs que la Russie ne peut pas remplacer facilement sous sanctions. Détruire un système EW, c’est ouvrir une brèche dans le bouclier ennemi. Soudain, toute une zone devient vulnérable aux drones ukrainiens. Les convois logistiques, les positions d’artillerie, les centres de commandement — tout redevient accessible. C’est pour ça que Kiev investit autant d’efforts à les localiser. Et c’est pour ça que chaque soldat russe qui poste une photo près d’un de ces systèmes commet une trahison involontaire mais dévastatrice pour son propre camp.
Le drone FPV, arme démocratique et terrifiante
Les drones utilisés pour ce genre de frappes ne sont pas des Reaper américains à plusieurs millions de dollars. Ce sont souvent des quadricoptères commerciaux modifiés — des modèles qu’on peut acheter sur Amazon pour quelques centaines de dollars — équipés d’explosifs artisanaux ou de grenades militaires. Les Ukrainiens sont devenus des maîtres dans cette improvisation létale. Des ateliers clandestins assemblent des centaines de ces drones chaque semaine. Des pilotes, souvent de très jeunes hommes ayant grandi avec des jeux vidéo, les contrôlent depuis des positions éloignées via des lunettes FPV — First Person View. Ils voient exactement ce que voit le drone, volent à toute vitesse à quelques mètres du sol pour éviter la détection, puis plongent sur leur cible avec une précision chirurgicale. Le coût d’un tel drone ? Moins de mille dollars tout compris. Le coût du système EW qu’il détruit ? Des millions. C’est l’asymétrie parfaite — et un cauchemar pour les planificateurs militaires russes qui réalisent qu’on ne peut pas gagner une guerre d’attrition économique contre des armes aussi bon marché.
La discipline militaire russe en lambeaux

Des interdictions répétées, systématiquement ignorées
Le commandement militaire russe a émis des dizaines de directives interdisant l’utilisation de téléphones personnels en zone de combat. Dès 2022, après plusieurs incidents catastrophiques, des ordres stricts ont été donnés : pas de smartphones, pas de réseaux sociaux, pas de géolocalisation. Les officiers étaient censés confisquer les appareils, menacer de sanctions disciplinaires, même de cours martiales. Mais… rien n’y fait. Les soldats continuent de poster. Pourquoi ? D’abord parce que beaucoup n’ont aucune autre façon de communiquer avec leurs familles — les systèmes de communication militaires russes sont notoirement défaillants. Ensuite parce que la culture des réseaux sociaux est profondément ancrée, particulièrement chez les jeunes recrues. Et enfin… parce que la discipline elle-même s’est effondrée dans une armée rongée par la corruption, l’alcoolisme, les violences internes, le moral en chute libre. Les officiers eux-mêmes utilisent leurs téléphones. Comment pourraient-ils sanctionner leurs hommes ? C’est un cercle vicieux qui se traduit par des catastrophes opérationnelles à répétition.
Le moral en déroute des forces russes
Ces publications sur les réseaux sociaux révèlent autre chose : l’état psychologique désastreux des troupes russes. Quand un soldat filme son environnement et le poste publiquement malgré les interdictions, ça traduit soit une inconscience totale, soit — plus probablement — un besoin désespéré de validation, de connexion avec le monde extérieur, de prouver qu’il existe encore en tant qu’être humain et pas juste chair à canon. Les témoignages de déserteurs russes décrivent une armée en décomposition : officiers absents ou incompétents, équipements vétustes ou carrément absents, rations insuffisantes, soins médicaux inexistants, ordres suicidaires donnés par des commandants planqués à des centaines de kilomètres. Dans ce contexte, poster une vidéo devient un acte de rébellion inconscient — une façon de dire « je suis encore humain, je suis encore connecté au monde normal, cette guerre de fous n’est pas toute ma réalité ». Sauf que… cette connexion au monde normal devient précisément ce qui les tue.
Les conséquences en cascade sur l’efficacité militaire
Chaque incident de ce type — et ils se comptent par dizaines chaque semaine — érode un peu plus l’efficacité opérationnelle russe. Un système EW détruit, c’est une zone entière exposée. Un dépôt de munitions localisé via une publication sociale puis détruit, c’est des jours d’opérations compromises. Un officier supérieur tué parce qu’un subordonné a filmé le QG, c’est toute une chaîne de commandement désorganisée. L’accumulation de ces petites catastrophes crée un effet papillon stratégique. L’armée russe doit constamment réorganiser ses positions, déplacer ses équipements, changer ses fréquences de communication — tout ça parce qu’elle ne peut pas empêcher ses propres soldats de trahir involontairement leurs positions. C’est une hémorragie d’informations qui transforme chaque smartphone en outil de renseignement ennemi. Et le pire ? Moscou ne semble avoir aucune solution. La confiscation totale des téléphones est impossible à appliquer. Le blocage d’Internet en zone de combat créerait d’autres problèmes. Alors ils continuent… et continuent de perdre des hommes et du matériel pour des raisons complètement évitables.
Belgorod, la guerre qui revient au bercail

Une région russe transformée en zone de guerre
Belgorod était censée être sanctuarisée. Une région russe tranquille, loin des combats, servant de base logistique pour les opérations en Ukraine. Mais depuis début 2024, tout a changé. Les frappes ukrainiennes se sont multipliées : drones, missiles, même incursions terrestres spectaculaires menées par des groupes paramilitaires russes anti-Poutine combattant aux côtés de Kiev. Les infrastructures énergétiques sont touchées. Les dépôts de carburant explosent régulièrement. Les bases militaires subissent des attaques de précision. Et maintenant… même les systèmes de défense censés protéger la région deviennent des cibles. La population locale vit dans une anxiété permanente. Le gouverneur décrète des évacuations, mais où aller ? La Russie est immense, certes, mais qui veut accueillir des réfugiés internes quand l’économie s’effondre ? Belgorod devient le symbole d’une vérité que la propagande du Kremlin ne peut plus cacher : la guerre n’est plus « là-bas », elle est ici, sur le sol russe, et personne n’est à l’abri.
L’impuissance de la défense aérienne russe
Comment des drones ukrainiens peuvent-ils pénétrer aussi profondément en territoire russe, frapper des cibles militaires, et repartir (ou exploser) sans être interceptés ? La réponse révèle les faiblesses béantes de la défense aérienne russe. D’abord, ces systèmes — même les fameux S-400 — sont optimisés pour détecter et abattre des avions ou des missiles, pas des petits drones volant à basse altitude. Le profil radar d’un quadricoptère est minuscule, presque invisible pour des radars conçus dans les années 1980 et 1990. Ensuite, la défense aérienne russe est saturée. Avec des centaines de drones ukrainiens lancés chaque jour, impossible de tous les intercepter. Il faut choisir : protéger les grandes villes ? Les installations militaires critiques ? Les infrastructures énergétiques ? On ne peut pas tout défendre — alors des trous béants se créent dans le bouclier. Et les Ukrainiens, avec leur renseignement sophistiqué, identifient précisément ces trous et les exploitent. C’est une version moderne du jeu du chat et de la souris… sauf que la souris gagne de plus en plus souvent.
Les conséquences politiques pour le Kremlin
Chaque frappe ukrainienne sur le sol russe est un camouflet politique pour Poutine. Il avait promis en février 2022 que l’opération militaire spéciale protégerait la Russie, éliminerait les menaces à ses frontières, établirait une zone tampon. Trois ans plus tard… c’est l’inverse. La guerre est arrivée en Russie. Les citoyens russes meurent sous les frappes ukrainiennes. Des régions entières sont évacuées. Et la population commence à poser des questions dangereuses : pourquoi notre armée, censée être invincible, ne peut-elle pas protéger notre propre territoire ? Pourquoi nos fils meurent en Ukraine pendant que l’Ukraine frappe librement chez nous ? Ces questions, le Kremlin ne peut pas y répondre sans admettre l’échec catastrophique de sa stratégie. Alors il ment, minimise, censure. Mais les vidéos d’explosions à Belgorod circulent quand même. Les témoignages de réfugiés filtrent quand même. Et lentement, inexorablement, la narration officielle se fissure. Ce n’est pas encore une crise politique majeure — la répression fonctionne encore trop bien. Mais les fondations tremblent.
La guerre des drones redéfinit le combat moderne

L’Ukraine, laboratoire d’innovation militaire
Ce conflit est en train de révolutionner la guerre telle qu’on la connaît. L’Ukraine, face à un ennemi disposant d’une supériorité numérique écrasante en chars, artillerie, avions, a dû innover pour survivre. Et elle a misé massivement sur les drones. Pas les drones militaires sophistiqués à plusieurs millions de dollars — elle n’en a pas assez. Non, des drones commerciaux détournés, modifiés, transformés en armes létales pour une fraction du coût. Le résultat est spectaculaire : des milliers de frappes de précision chaque mois, des chars russes détruits en masse, des lignes d’approvisionnement paralysées, des positions fortifiées devenues intenables. L’Ukraine a même développé des drones maritimes — des torpilles télécommandées — qui ont coulé plusieurs navires de la flotte russe de la mer Noire. C’est du bricolage génial, de l’improvisation tactique poussée au génie. Et le monde entier observe, prend des notes, réalise que la prochaine guerre ne ressemblera pas aux guerres du passé. Elle ressemblera à celle-ci : asymétrique, technologique, impitoyable.
Le rapport coût-efficacité qui change tout
Un drone FPV ukrainien coûte environ mille dollars. Un char russe T-90 coûte environ quatre millions de dollars. Un système de guerre électronique, entre cinq et quinze millions. Un avion de combat, cinquante millions et plus. Vous voyez le problème ? L’Ukraine peut produire des milliers de drones pour le prix d’un seul char ennemi. Et chaque drone a une chance raisonnable de détruire une cible valant des centaines ou des milliers de fois son propre coût. C’est une équation économique que les militaires du monde entier sont en train de recalculer frénétiquement. Pourquoi investir des milliards dans des plateformes lourdes et coûteuses quand un essaim de drones bon marché peut les neutraliser ? Cette logique remet en question des décennies de doctrine militaire, des budgets de défense entiers, des industries d’armement traditionnelles. La guerre des drones n’est pas l’avenir — elle est le présent. Et ceux qui ne s’adaptent pas sont déjà obsolètes.
Les limites et contre-mesures émergentes
Mais cette révolution des drones n’est pas une solution miracle. Les limites existent. D’abord, ces engins sont vulnérables aux systèmes de brouillage électronique sophistiqués — précisément le genre de systèmes que les Ukrainiens s’acharnent à détruire. Ensuite, leur portée est limitée : quelques dizaines de kilomètres maximum pour les modèles FPV, un peu plus pour les drones plus gros. Ils dépendent aussi de la météo — difficile de piloter un quadricoptère par vent fort ou sous la pluie battante. Et les contre-mesures se développent : systèmes de détection acoustique qui repèrent le bourdonnement caractéristique des drones, canons électromagnétiques qui grillent leur électronique, filets lancés par d’autres drones pour les capturer en vol. C’est une course aux armements permanente où chaque innovation appelle une contre-innovation. Mais pour l’instant, dans cette course… l’Ukraine mène. Et la Russie, malgré ses ressources théoriquement supérieures, peine à suivre le rythme de cette guerre d’un genre nouveau.
Les réseaux sociaux, champ de bataille invisible

Quand Instagram devient un outil de renseignement
Les services de renseignement traditionnels ont toujours existé — espions, satellites, écoutes électroniques. Mais les réseaux sociaux ont créé quelque chose de complètement nouveau : une source d’informations où les cibles se dénoncent elles-mêmes volontairement. Les soldats russes postent leurs positions. Leurs familles taguent les unités militaires. Les compagnes partagent des photos de casernes reconnaissables. Les camarades filment des colonnes de chars en mouvement. Tout ça publiquement, accessibles à quiconque sait chercher. Les Ukrainiens ont développé une véritable industrie autour de cette mine d’or informationnelle. Des logiciels scannent automatiquement Telegram à la recherche de mots-clés, de géotags, de métadonnées. Des analystes humains vérifient, recoupent, confirment. L’information remonte en quelques minutes. C’est du renseignement en temps réel, presque gratuit, d’une efficacité redoutable. Et le plus ironique ? Les Russes continuent de fournir ces informations… jour après jour, malgré les avertissements, malgré les catastrophes répétées. C’est une compulsion plus forte que la survie.
La génération smartphone incapable de se déconnecter
Pourquoi cette addiction aux réseaux sociaux persiste-t-elle même en zone de guerre ? Parce que nous avons créé une génération pour qui l’existence numérique est aussi réelle que l’existence physique. Ne pas poster, c’est ne pas exister. Ne pas partager, c’est ne pas vivre vraiment. Cette philosophie narcissique des réseaux sociaux — où chaque moment doit être documenté, validé, liké — entre en collision frontale avec les impératifs de sécurité opérationnelle militaire. Et visiblement… les réseaux sociaux gagnent. Les soldats russes — souvent de très jeunes hommes, mobilisés de force, arrachés à leur vie normale — s’accrochent à leurs smartphones comme à une bouée de sauvetage psychologique. C’est leur lien avec la normalité, avec leurs proches, avec l’idée qu’ils sont encore des humains et pas juste des numéros sacrifiables. On peut comprendre cette logique émotionnelle… tout en constatant qu’elle les tue littéralement. C’est le paradoxe tragique de la guerre moderne : la technologie qui vous connecte au monde est la même qui permet à l’ennemi de vous localiser et vous détruire.
Les leçons ignorées par les autres armées
On pourrait penser que les armées du monde entier observent ces catastrophes russes et en tirent des leçons. Interdictions strictes des smartphones, formation intensive à la sécurité opérationnelle, technologies de brouillage pour empêcher les connexions non autorisées. Mais… c’est plus compliqué. Parce que les armées modernes dépendent aussi des technologies de communication. Les soldats utilisent des applications tactiques sur tablettes. Les officiers coordonnent via des réseaux cryptés mais basés sur des infrastructures similaires. Interdire totalement les appareils connectés reviendrait à se priver d’outils essentiels. Alors on cherche des compromis : smartphones militaires sécurisés, zones blanches où les communications sont impossibles, détecteurs d’appareils non autorisés. Mais rien de tout ça n’est infaillible. Et pendant ce temps, les leçons du front ukrainien sont claires : dans la prochaine guerre majeure, chaque soldat avec un smartphone non sécurisé sera une vulnérabilité potentielle. Une cible qui s’éclaire elle-même pour l’ennemi. Un point de défaillance dans toute la chaîne de sécurité. Les armées qui ne résoudront pas ce problème perdront avant même d’avoir combattu.
Les implications stratégiques à long terme

Une asymétrie qui favorise les petites nations
Cette guerre révèle une vérité inconfortable pour les grandes puissances militaires : la taille et les budgets colossaux ne garantissent plus la victoire. L’Ukraine, avec une économie infiniment plus petite que la Russie, tient tête depuis presque quatre ans. Comment ? Par l’innovation, l’agilité, l’utilisation intelligente de technologies accessibles. Les drones commerciaux, le renseignement open source, les tactiques asymétriques — tout cela nivelle le terrain de jeu d’une manière que les généraux traditionnels peinent à accepter. Une petite nation déterminée, technologiquement compétente, soutenue par des alliés, peut désormais infliger des dégâts catastrophiques à un adversaire théoriquement supérieur. C’est une révolution dans les relations internationales. Cela signifie que les guerres d’agression deviennent plus risquées, même pour les puissances majeures. Cela signifie aussi que de futurs conflits pourraient voir des acteurs non-étatiques — groupes terroristes, cartels, mouvements séparatistes — acquérir des capacités militaires sophistiquées pour une fraction du coût traditionnel. Le monopole de la violence organisée échappe progressivement aux États. Personne ne sait vraiment où cette tendance nous mène.
La transformation des doctrines militaires mondiales
Tous les états-majors du monde réécrivent actuellement leurs manuels de doctrine. L’offensive blindée massive, colonne vertébrale de la pensée militaire depuis la Seconde Guerre mondiale, devient obsolète face aux drones antichar. Les concentrations de troupes, essentielles pour percer les défenses, deviennent des cibles faciles pour l’artillerie guidée par drones de reconnaissance. Les grandes bases militaires permanentes, pivots de la projection de puissance, deviennent vulnérables aux frappes de précision longue portée. Qu’est-ce qui remplace tout ça ? Des unités plus petites, plus dispersées, plus mobiles. Des systèmes d’armes modulaires pouvant être déployés et redéployés rapidement. Une dépendance accrue au renseignement en temps réel et à la supériorité informationnelle. Une intégration totale entre tous les échelons — du drone individuel aux satellites en orbite. C’est la guerre en réseau, où l’information devient aussi importante que la puissance de feu. Les armées qui maîtriseront cette transition domineront les conflits du XXIe siècle. Celles qui s’accrocheront aux vieilles doctrines subiront le sort de l’armée russe en Ukraine : techniquement puissante sur le papier, mais incapable de convertir cette puissance en victoire réelle.
Le spectre de l’escalade incontrôlée
Mais toutes ces innovations comportent un risque majeur : l’escalade devient plus facile, plus rapide, plus incontrôlable. Quand un drone commercial peut détruire un système de défense valant des millions, la tentation est forte de riposter de manière disproportionnée. Quand les frontières deviennent poreuses aux attaques asymétriques, la distinction entre territoire sanctuarisé et zone de combat s’efface. Quand chaque smartphone devient un risque de sécurité, la paranoia s’installe. Ces dynamiques créent un environnement où les accidents deviennent plus probables, où les malentendus peuvent déclencher des spirales d’escalade, où la retenue devient de plus en plus difficile à maintenir. La guerre en Ukraine reste, pour l’instant, limitée géographiquement (même si elle déborde de plus en plus). Mais imaginez un conflit similaire entre puissances nucléaires majeures — Inde et Pakistan, Chine et États-Unis. La rapidité des frappes de drones, l’effacement des lignes rouges traditionnelles, la pression permanente pour riposter… tout ça pourrait précipiter une escalade vers l’usage d’armes de destruction massive avant même que les dirigeants aient le temps de réfléchir. C’est le cauchemar des stratèges : une guerre qui devient incontrôlable non par décision délibérée, mais par accumulation de petites actions qui, bout à bout, franchissent des seuils irréversibles.
Conclusion

Ce qu’il faut retenir
L’incident de Belgorod — un soldat russe révélant involontairement sa position, entraînant la destruction d’un système de guerre électronique coûteux et la mort probable de plusieurs hommes — n’est pas un accident isolé. C’est le symptôme d’une transformation profonde de la guerre moderne. Les réseaux sociaux sont devenus des armes de renseignement. Les drones commerciaux se sont transformés en vecteurs de mort précis et économiques. La discipline militaire traditionnelle s’effondre face à la culture numérique omnipotente. Et les grandes armées découvrent, horrifiées, que leurs budgets colossaux ne les protègent plus contre des adversaires agiles utilisant des technologies à quelques centaines de dollars. Cette frappe à Belgorod résume tout : l’absurdité, l’ironie cruelle, l’efficacité terrifiante de cette nouvelle forme de conflit. Un selfie devient un arrêt de mort. Une publication Instagram transforme des millions de roubles d’équipement militaire en ferraille fumante. Et quelque part, un analyste ukrainien passe déjà à la cible suivante, scannant Telegram à la recherche du prochain soldat russe assez imprudent pour documenter sa propre fin.
Ce qui change dès maintenant
À partir de cet instant, chaque armée du monde doit repenser sa relation avec la technologie de communication. Les smartphones ne sont plus des commodités neutres — ils sont des vulnérabilités actives, des balises qui signalent votre position à l’ennemi. Les bases militaires russes en Belgorod et ailleurs intensifient déjà les contrôles, confisquent les appareils, menacent de sanctions. Mais c’est trop peu, trop tard. La culture est installée. Les soldats trouveront des moyens de contourner les interdictions — parce qu’ils en ont besoin psychologiquement, parce que les communications officielles sont défaillantes, parce que c’est plus fort qu’eux. Pendant ce temps, l’Ukraine perfectionne ses méthodes de renseignement open source, automatise davantage les processus, réduit le temps entre détection et frappe. D’autres nations observent et copient ces techniques. La Chine analyse pour Taïwan. L’Iran étudie pour ses proxies. La Corée du Nord prend des notes. Dans les prochains conflits, cette dimension sera intégrée dès le premier jour. Et les armées qui n’auront pas résolu ce problème subiront des pertes catastrophiques avant même d’avoir tiré leur premier coup de canon. Le champ de bataille s’est déplacé — il est désormais partout où un signal numérique peut être capté, analysé, exploité.
Ce que je recommande
Si vous êtes militaire — n’importe quelle armée, n’importe quel pays — comprenez ceci : votre smartphone est une arme pointée sur vous-même. Éteignez-le. Laissez-le chez vous. Utilisez uniquement les systèmes de communication sécurisés fournis par votre commandement, aussi défaillants soient-ils. Votre vie en dépend littéralement. Si vous êtes décideur politique ou planificateur militaire, investissez massivement dans trois domaines : formations impitoyables à la sécurité opérationnelle, technologies de détection et neutralisation de drones, et systèmes de communication militaires fiables qui éliminent le besoin de recourir aux appareils personnels. Si vous êtes simple citoyen observant cette guerre depuis votre salon, tirez-en la leçon essentielle : nous vivons une révolution des affaires militaires en temps réel, et ses implications dépassent largement l’Ukraine. La prochaine guerre — qu’elle implique votre pays ou non — ne ressemblera à rien de ce que l’Histoire a connu. Elle sera plus rapide, plus technologique, plus impitoyable. Les erreurs individuelles auront des conséquences collectives dévastatrices. Et dans ce nouveau monde, la connexion permanente que nous chérissons tous pourrait bien devenir le fil qui nous pend. Moi, expert ayant suivi ce conflit depuis trois ans, je vous le dis : nous ne sommes pas prêts. Aucun de nous ne l’est. Mais nous ferions mieux de le devenir — vite.