
Quand un commandant en chef prend la parole pour annoncer la défaite d’une offensive ennemie, ce n’est jamais anodin. Oleksandr Syrskyi, à la tête des forces armées ukrainiennes, vient de déclarer sans détour que l’offensive russe de printemps-été a été stoppée net. Pas ralentie. Pas contenue. Stoppée. Et derrière ce mot, il y a des milliers de vies russes sacrifiées sur l’autel d’une ambition impériale qui s’effondre mois après mois, offensive après offensive. Le 17 octobre 2025, cette déclaration résonne comme un coup de tonnere dans un ciel déjà chargé de menaces. Septembre aura été un mois de carnage absolu pour l’armée russe : près de 29 000 soldats perdus en trente jours. Ce chiffre ne représente pas seulement des statistiques militaires, mais des existences fauchées, des familles brisées, des villages russes vidés de leurs fils. Et pour quoi ? Pour quelques kilomètres carrés gagnés au prix d’un déluge de sang et d’acier. L’Ukraine tient bon, et ce n’est pas une formule creuse répétée par des analystes en studio climatisé. C’est une réalité tactique, stratégique, humaine. Les forces ukrainiennes ne se contentent plus de défendre — elles contre-attaquent, elles frappent en profondeur, elles sabotent les arrières russes avec une précision chirurgicale qui affole les généraux du Kremlin.
Cette annonce de Syrskyi n’est pas isolée. Elle s’inscrit dans un contexte où chaque jour apporte son lot de nouvelles du front. Les drones ukrainiens touchent des cibles à des centaines de kilomètres à l’intérieur du territoire russe. Les raffineries brûlent. Les dépôts d’armes explosent. Les bases militaires sont frappées avec une régularité qui confine à l’acharnement stratégique. Depuis le début de l’année 2025, ce sont 45 installations critiques de l’infrastructure énergétique et militaro-industrielle russe qui ont été touchées. Quarante-cinq. Et les conséquences économiques sont vertigineuses : la production de carburants et lubrifiants a chuté de 25 % en Russie, et chaque jour qui passe fait perdre à Moscou plus de 46 millions de dollars en exportations de produits pétroliers. Voilà la guerre moderne — une guerre où les oléoducs comptent autant que les tranchées, où les transformateurs électriques deviennent des objectifs prioritaires, où l’économie ennemie devient le champ de bataille invisible mais décisif. Syrskyi ne se contente pas de repousser les Russes ; il les étrangle lentement, méthodiquement, en leur coupant les vivres, le carburant, les munitions.
Le prix du sang russe en septembre

Une hécatombe sans précédent
Septembre 2025 restera gravé dans les mémoires militaires comme l’un des mois les plus meurtriers pour l’armée russe depuis le début de cette guerre interminable. Vingt-neuf mille soldats perdus. Pensez-y un instant. C’est l’équivalent d’une petite ville rayée de la carte. Ce sont des régiments entiers qui ont cessé d’exister, des bataillons réduits à des fantômes administratifs. Ces hommes ne sont pas tombés dans des batailles glorieuses pour la défense de leur patrie — ils ont été jetés dans des assauts frontaux suicidaires contre des positions ukrainiennes fortifiées, bombardés par des drones omniprésents, déchiquetés par l’artillerie de précision. Les témoignages qui filtrent depuis le front russe parlent d’unités décimées avant même d’avoir atteint les lignes ukrainiennes, de commandants incompétents envoyant leurs hommes à la mort sans reconnaissance, sans soutien aérien, sans même une couverture d’artillerie adéquate. Cette guerre dévore la Russie de l’intérieur, village après village, mobilisation après mobilisation.
Mais ce ne sont pas seulement des hommes qui disparaissent dans ce gouffre. L’équipement russe aussi fond comme neige au soleil. Soixante-dix chars détruits ou endomagés en septembre. Soixante-cinq véhicules blindés de combat réduits en ferraille. Plus de 1 050 systèmes d’artillerie neutralisés — un chiffre qui donne le vertige quand on sait l’importance de l’artillerie dans la doctrine militaire russe. Six lanceurs multiples de roquettes, ces orgues de Staline modernes censés terroriser les défenseurs ukrainiens, ont été réduits au silence. Chaque pièce d’équipement perdue représente des mois de production industrielle, des milliards de roubles engloutis, des chaînes logistiques tendues jusqu’au point de rupture. Et pendant ce temps, les usines russes tournent à plein régime pour remplacer ces pertes colossales, puisant dans des stocks qui s’amenuisent, ressortant des T-62 et des BMP-1 de l’ère soviétique, grattant les fonds de tiroir de l’héritage militaire de l’URSS. Cette guerre use la machine militaire russe plus vite qu’elle ne peut se régénérer.
Les prisonniers qui racontent l’effondrement
Depuis le début de l’année 2025, les forces ukrainiennes ont capturé 2 060 soldats russes. Deux mille soixante. Chacun de ces prisonniers est une source d’information précieuse, un témoignage vivant de l’état réel de l’armée russe. Leurs récits convergent vers une image déstabilisante : celle d’une armée qui n’a plus grand-chose à voir avec la machine militaire redoutable que la propagande du Kremlin aime présenter. Ces prisonniers parlent de manque de munitions chronique, de rations alimentaires insuffisantes, d’équipement obsolète, de moral au plus bas. Beaucoup sont des mobilisés récents, arrachés à leur vie civile avec une formation militaire minimale, parfois quelques semaines seulement avant d’être envoyés au front. D’autres sont des mercenaires recrutés dans les prisons russes, des hommes sans alternative à qui on a promis l’amnistie en échange de six mois de service — des six mois dont peu reviendront indemnes, physiquement ou psychologiquement.
Ces prisonniers deviennent aussi des monnaies d’échange dans les négociations humanitaires complexes qui continuent malgré la guerre. Chaque échange de prisonniers est une petite victoire diplomatique, une reconnaissance tacite que derrière les bombardements et les offensives, il reste encore une place pour l’humanité. Mais surtout, ces chiffres illustrent quelque chose de fondamental : l’armée russe perd non seulement des hommes au combat, mais aussi la capacité de maintenir la discipline et le moral de ses troupes. Quand des soldats préfèrent se rendre plutôt que de continuer à combattre, c’est le signe que quelque chose s’est profondément fissuré dans la structure même de l’effort de guerre russe. Et Syrskyi le sait, ses généraux le savent, et ceux qui planifient les opérations à Kiev savent exploiter cette faiblesse avec une efficacité croissante.
Je me demande souvent ce que ressentent ces hommes qui se rendent. La peur, évidemment — la peur d’être tué par leurs propres camarades pour désertion, la peur de ce qui les attend en captivité. Mais aussi, peut-être, un soulagement indicible. Celui de sortir vivant d’un enfer où tant d’autres ont déjà péri. La guerre ne pardonne rien, surtout pas aux soldats ordinaires pris dans l’engrenage d’ambitions qui les dépassent.
L’initiative stratégique qui échappe à Moscou
Selon Syrskyi, l’ennemi ne possède pas pleinement l’initiative stratégique. Cette phrase, apparemment technique, est en réalité un séisme dans l’analyse militaire. L’initiative stratégique, c’est la capacité de dicter le tempo de la guerre, de choisir où et quand frapper, de forcer l’adversaire à réagir plutôt qu’à agir. Et si la Russie, avec sa supériorité numérique en hommes et en équipement, ne parvient pas à imposer sa volonté sur le champ de bataille, cela signifie que quelque chose ne fonctionne fondamentalement pas dans sa stratégie. Les avancées russes existent, certes, mais elles sont mineures, gagnées au prix de pertes disproportionnées, et surtout elles n’aboutissent pas aux objectifs stratégiques fixés par le Kremlin. Mois après mois, les plans russes sont révisés, ajustés, reportés — un signe d’échec opérationnel chronique.
Cette perte d’initiative se manifeste de multiples façons sur le terrain. Les forces ukrainiennes ne se contentent plus de défendre passivement des positions fortifiées. Elles mènent des opérations de défense active, terme militaire qui signifie contre-attaquer localement pour déstabiliser l’ennemi, récupérer du terrain perdu, créer des poches de résistance qui obligent les Russes à disperser leurs forces. Dans certains secteurs du Donbass et de Zaporijjia, les Ukrainiens ont réussi à reprendre du terrain, mètre par mètre parfois, mais chaque mètre compte quand on se bat pour sa survie nationale. Et dans la région de Soumy, les forces russes qui avaient tenté de lancer une nouvelle offensive au printemps et en été se retrouvent maintenant enlisées, incapables de progresser face à une résistance ukrainienne qui s’est renforcée, organisée, adaptée. Les 50 000 soldats russes immobilisés dans ce secteur ne peuvent pas être redéployés ailleurs — un triomphe tactique pour l’Ukraine qui fixe des forces ennemies considérables loin des axes d’attaque prioritaires.
Les frappes en profondeur qui étranglent la Russie

Quarante-cinq cibles détruites depuis janvier
La guerre moderne ne se gagne plus seulement sur la ligne de front. Elle se gagne dans les arrières, dans les dépôts logistiques, dans les raffineries, dans les usines d’armement, dans les nœuds ferroviaires. Et sur ce plan, l’Ukraine a développé une capacité de frappe en profondeur qui surprend même les observateurs les plus aguerris. Depuis le début de 2025, les forces ukrainiennes ont réussi à infliger des dégâts à 45 installations critiques du complexe énergétique et militaro-industriel russe. Quarante-cinq frappes réussies contre des objectifs hautement protégés, souvent situés à des centaines de kilomètres de la frontière ukrainienne. Cela représente une moyenne d’une frappe majeure tous les six ou sept jours — un rythme opérationnel remarquable pour une armée qui se bat simultanément sur un front de plus de mille kilomètres.
Ces frappes ne sont pas le fruit du hasard. Elles résultent d’un travail de renseignement minutieux, d’une planification méticuleuse, d’une coordination entre différents services militaires et de renseignement. Chaque objectif est sélectionné pour son impact maximal sur l’effort de guerre russe. Une raffinerie touchée, c’est du carburant qui manquera aux chars russes dans deux mois. Un dépôt de munitions qui explose, ce sont des obus qui ne tomberont jamais sur les villes ukrainiennes. Une base aérienne endommagée, ce sont des avions de chasse et des bombardiers cloués au sol. L’effet cumulatif de ces frappes commence à se faire sentir de manière tangible sur les capacités opérationnelles russes. Les commandants sur le front se plaignent de pénuries, les chaînes logistiques se grippent, les délais d’approvisionnement s’allongent. Et pendant ce temps, les usines ukrainiennes de drones continuent de produire, d’innover, de trouver de nouvelles façons de contourner les défenses russes.
La production pétrolière russe en chute libre
Vingt-cinq pour cent. C’est la baisse de la production totale de carburants et lubrifiants en Russie depuis que l’Ukraine a intensifié ses frappes sur les infrastructures énergétiques. Un quart de la capacité de production disparue, évaporée sous les flammes des drones et des missiles ukrainiens. Pour un pays dont l’économie dépend massivement de l’exportation d’hydrocarbures, c’est un coup dévastateur. Chaque jour, la Russie perd plus de 46 millions de dollars en exportations de produits pétroliers qu’elle ne peut plus livrer à ses clients internationaux. Quarante-six millions par jour, soit plus de 1,3 milliard de dollars par mois, 16 milliards par an. De l’argent qui ne rentre pas dans les caisses du Kremlin, qui ne finance pas la machine de guerre, qui ne soutient pas les programmes sociaux censés maintenir le soutien de la population à l’effort de guerre.
Cette guerre économique parallèle affaiblit la Russie d’une manière que les batailles frontales ne pourraient jamais accomplir seules. Les sanctions occidentales ont déjà mis l’économie russe sous pression ; maintenant, les frappes ukrainiennes ajoutent une dimension physique, concrète, à cet étranglement économique. Les raffineries touchées mettent des mois à être réparées. Les installations de stockage détruites nécessitent des investissements massifs pour être reconstruites. Et chaque nouvelle frappe force les autorités russes à disperser leurs ressources énergétiques, à multiplier les sites de stockage, à renforcer les défenses aériennes autour de chaque installation critique — autant de ressources détournées qui ne vont pas au front. Syrskyi comprend parfaitement cette dynamique : affaiblir les arrières russes, c’est affaiblir leur capacité à soutenir les opérations militaires à long terme. C’est une guerre d’attrition économique autant que militaire.
Les cibles qui font mal au Kremlin
Toutes les cibles ne se valent pas. Certaines ont une valeur symbolique, d’autres une valeur opérationnelle. Mais les plus précieuses sont celles qui combinent les deux. Quand un drone ukrainien frappe une base militaire en Crimée occupée, comme cela s’est produit récemment à Hvardiiske, ce n’est pas seulement une installation qui brûle — c’est le mythe de l’invulnérabilité de la Crimée annexée qui part en fumée. Quand des missiles touchent des usines d’armement à des centaines de kilomètres de la frontière, dans des villes russes que Moscou croyait hors de portée, c’est toute la narrative du Kremlin sur une guerre limitée aux zones frontalières qui s’effondre. Les citoyens russes voient des explosions dans leurs villes, sentent la fumée des incendies, entendent les sirènes d’alerte aérienne — et réalisent progressivement que cette guerre n’est pas aussi lointaine et contrôlée que leur gouvernement le prétend.
Les frappes ukrainiennes visent aussi les nœuds logistiques — ces points de passage obligés où convergent les lignes de chemin de fer, où se croisent les routes principales, où s’accumulent les stocks avant d’être acheminés vers le front. Détruire un pont ferroviaire stratégique, c’est paralyser le ravitaillement de plusieurs divisions pendant des semaines. Toucher un hub logistique majeur, c’est créer un goulot d’étranglement qui ralentit tout le flux de matériel vers les unités combattantes. Et l’armée ukrainienne, après plus de trois ans de guerre, a développé une connaissance intime de la géographie logistique russe, de ses points forts et surtout de ses points faibles. Cette connaissance, associée à des capacités de frappe toujours croissantes, transforme chaque jour un peu plus la profondeur stratégique russe en un territoire vulnérable, où aucune installation n’est vraiment à l’abri.
La situation dans la région de Soumy

Cinquante mille soldats russes immobilisés
La région de Soumy, au nord-est de l’Ukraine, est devenue l’un des théâtres d’opérations les plus critiques de cette guerre. C’est là que la Russie avait tenté de lancer une offensive majeure au printemps et pendant l’été 2025, avec pour objectif de percer les défenses ukrainiennes et de créer une nouvelle zone d’occupation. Moscou y a déployé environ 50 000 soldats — un effectif considérable qui représente plusieurs divisions, incluant des unités d’élite comme les forces aéroportées et les brigades de marine. Mais cette offensive, présentée comme devant être décisive, s’est heurtée à une résistance ukrainienne féroce et méthodiquement préparée. Les forces ukrainiennes ont réussi à stabiliser la ligne de contact, à stopper la progression ennemie, et même par endroits à reprendre du terrain perdu lors des premières semaines de l’assaut. Aujourd’hui, ces 50 000 soldats russes sont cloués sur place, incapables d’avancer mais aussi incapables de se désengager sans risquer un effondrement de leurs positions.
Cette immobilisation représente une victoire stratégique majeure pour l’Ukraine. Cinquante mille soldats qui ne peuvent pas être redéployés vers le Donbass, vers Zaporijjia, vers d’autres secteurs où la pression russe pourrait être décisive. Ces troupes consomment des ressources — nourriture, munitions, carburant — sans produire les résultats escomptés par le commandement russe. Elles subissent des pertes régulières face aux attaques de drones ukrainiens, aux tirs d’artillerie de précision, aux raids de petites unités spécialisées. Et surtout, leur présence dans cette région force les Russes à étendre leurs lignes logistiques, à disperser leurs moyens de défense aérienne, à maintenir une infrastructure de commandement et de contrôle complexe pour coordonner ces forces. Chaque jour qui passe sans avancée significative est un jour de gagné pour l’Ukraine, un jour de perdu pour la Russie dans sa course contre le temps et contre l’usure de sa machine militaire.
Les opérations dans le district de Glushkovo
Pour comprendre pourquoi l’offensive russe dans la région de Soumy a échoué, il faut regarder de l’autre côté de la frontière, dans le district russe de Glushkovo, dans la région de Koursk. C’est là que les forces ukrainiennes ont mené des opérations transfrontalières qui ont forcé Moscou à redéployer des unités d’élite pour défendre son propre territoire. Ces opérations, lancées stratégiquement au moment où les Russes concentraient leurs efforts sur Soumy, ont créé un dilemme tactique insolvable pour le commandement russe : continuer à pousser en Ukraine en laissant le territoire russe vulnérable, ou retirer des forces de l’offensive pour sécuriser l’arrière. Moscou a choisi la deuxième option, sacrifiant ainsi le momentum de son offensive pour éviter l’humiliation politique d’une incursion ukrainienne profonde en territoire russe.
Les brigades d’élite qui devaient constituer le fer de lance de l’offensive dans Soumy — des unités aéroportées aguerries, des marines expérimentés — ont été rapatriées en urgence pour boucher les trous dans les défenses russes à Koursk. Ce redéploiement a affaibli l’offensive principale au moment critique où elle aurait pu exploiter quelques percées initiales. Les Ukrainiens ont immédiatement saisi cette opportunité, contre-attaquant sur les flancs, reprenant des positions perdues, stabilisant une situation qui aurait pu devenir catastrophique. Cette séquence d’opérations illustre parfaitement la capacité ukrainienne à mener une guerre asymétrique, à exploiter les vulnérabilités russes même face à un ennemi numériquement supérieur. En forçant les Russes à se battre sur deux fronts simultanément, en les obligeant à défendre leur propre territoire plutôt que de concentrer toutes leurs forces sur l’offensive, l’Ukraine a réussi à diluer l’effort de guerre russe et à préserver ses propres positions vitales.
La défense active qui libère le territoire
Syrskyi a souligné que dans certains secteurs, les forces ukrainiennes ne se contentent pas de tenir leurs positions — elles mènent ce qu’on appelle une défense active, qui consiste à lancer des contre-attaques localisées pour reprendre du terrain. Cette approche, plus dynamique que la défense statique, présente plusieurs avantages. D’abord, elle maintient l’ennemi sous pression constante, l’empêchant de consolider les territoires récemment capturés. Ensuite, elle oblige les Russes à maintenir des réserves importantes pour parer aux contre-offensives, réduisant ainsi leur capacité à masser des forces pour de nouvelles attaques. Et enfin, elle a un impact psychologique considérable sur le moral des troupes : les soldats ukrainiens qui voient qu’ils ne font pas que subir mais aussi reprendre l’initiative combattent avec une détermination renouvelée.
Dans la région de Soumy, cette défense active a permis de récupérer plusieurs localités et d’avancer de quelques centaines de mètres à plusieurs kilomètres selon les secteurs. Chaque village repris, chaque colline reconquise représente non seulement un gain territorial mais aussi un avantage tactique — une meilleure position d’observation, un relief favorable pour l’artillerie, un point d’appui pour de futures opérations. Les Russes, qui pensaient consolider leurs gains et préparer la prochaine phase de leur offensive, se retrouvent à la place en train de défendre des positions précaires, harcelés par des raids ukrainiens, usés par une guerre de position qu’ils n’avaient pas anticipée. Cette inversion des rôles sur certains segments du front montre que l’équilibre des forces, bien que toujours favorable aux Russes en termes numériques, s’est déplacé en faveur de l’Ukraine en termes d’efficacité opérationnelle et de capacité d’initiative.
L'échec des objectifs stratégiques russes

Les plans constamment révisés du Kremlin
Une armée qui doit constamment réviser ses plans opérationnels est une armée en difficulté. Et c’est exactement ce qui arrive à la Russie depuis des mois. Les objectifs initiaux fixés pour l’offensive de printemps n’ont pas été atteints. Les nouvelles dates butoirs fixées pour l’été ont été dépassées sans résultats probants. Les cibles stratégiques désignées comme prioritaires — certaines villes du Donbass, des axes routiers critiques, des nœuds logistiques ukrainiens — restent hors d’atteinte malgré des assauts répétés et coûteux. Chaque fois qu’un plan échoue, le commandement russe en concocte un nouveau, avec de nouveaux axes d’attaque, de nouveaux calendriers, de nouveaux effectifs. Mais ce cycle de planification, d’attaque, d’échec et de replanification consume des ressources précieuses et érode la confiance des troupes dans leurs supérieurs.
Les analystes militaires occidentaux observent ce phénomène avec un mélange de surprise et de compréhension. La surprise vient du fait que la Russie, avec tous ses avantages en hommes et en matériel, n’arrive pas à percer les défenses ukrainiennes de manière décisive. La compréhension vient de la reconnaissance que la guerre moderne favorise souvent le défenseur, surtout quand celui-ci est motivé, bien équipé en systèmes antichars et antiaériens, et bénéficie d’un soutien logistique et de renseignement occidental. Les Russes se heurtent à un mur flexible mais résistant : les lignes ukrainiennes peuvent plier sous la pression, céder localement, mais elles ne se brisent pas complètement. Et dès que la pression russe diminue, ne serait-ce que temporairement, les Ukrainiens contre-attaquent et stabilisent la situation.
Les gains territoriaux insignifiants
Si on regarde une carte du front et qu’on compare la situation d’aujourd’hui à celle d’il y a six mois, les changements sont minimes. Quelques poches ici et là, des villages qui changent de mains, des lignes qui se déplacent de quelques kilomètres dans un sens ou dans l’autre. Mais aucune percée majeure. Aucune avancée stratégique significative. Les Russes ont payé des dizaines de milliers de vies pour gagner des territoires qui n’ont souvent qu’une valeur tactique limitée. Des champs bombardés, des villages rasés, des routes détruites — voilà ce que Moscou peut inscrire au crédit de son offensive de printemps-été. C’est une victoire à la Pyrrhus version XXIe siècle : techniquement tu gagnes du terrain, mais à un coût tellement élevé que ça ressemble davantage à une défaite.
Et pendant ce temps, l’Ukraine tient. Non seulement elle tient, mais elle se renforce. Les livraisons d’armes occidentales continuent, même si elles sont parfois lentes et sujettes à des contraintes politiques frustrantes. La production locale d’équipement militaire, notamment de drones, s’accélère. Les soldats ukrainiens accumulent de l’expérience, apprennent des erreurs, développent de nouvelles tactiques. Les fortifications se multiplient et se perfectionnent. Chaque mois qui passe sans effondrement ukrainien est un mois qui rapproche davantage la Russie de l’épuisement de ses ressources militaires et économiques. Syrskyi comprend cette dynamique temporelle : il n’a pas besoin de vaincre l’armée russe dans des batailles décisives spectaculaires. Il lui suffit de ne pas perdre, de tenir suffisamment longtemps pour que le poids cumulatif des pertes russes, des problèmes logistiques, des tensions économiques et des fractures politiques internes finisse par faire basculer l’équilibre.
Le coût humain intenable
Vingt-neuf mille soldats en un mois. Si ce rythme se maintenait sur une année entière, cela représenterait près de 350 000 pertes russes. Trois cent cinquante mille. C’est une armée entière qui disparaîtrait. Bien sûr, tous les mois ne sont pas aussi meurtriers, et les chiffres ukrainiens peuvent être sujets à caution comme toute donnée venant d’une partie belligérante. Mais même en appliquant un coefficient de prudence, les pertes russes restent colossales. Et contrairement à ce que la propagande du Kremlin veut faire croire, ces pertes ne sont pas infiniment soutenables. La Russie n’a pas une population illimitée. Chaque vague de mobilisation devient plus difficile à organiser, provoque plus de tensions sociales, force le régime à puiser dans des réservoirs démographiques de plus en plus problématiques — hommes plus âgés, recrues de moins en moins bien formées, prisonniers auxquels on promet l’amnistie.
Ces pertes se répercutent aussi sur la qualité des unités russes. Les soldats expérimentés, ceux qui ont survécu aux premiers mois de la guerre, sont de plus en plus rares. Les remplaçants qui arrivent au front ont souvent une formation minimale, parfois à peine quelques semaines d’entraînement de base. Ils ne connaissent pas les tactiques ukrainiennes, ils n’ont pas développé les réflexes de survie, ils ne comprennent pas la coordination nécessaire entre infanterie, blindés et artillerie. Résultat : ils meurent plus vite, leurs unités deviennent moins efficaces, les opérations qui auraient pu réussir avec des troupes aguerries échouent avec des novices. C’est un cercle vicieux que Syrskyi exploite méthodiquement : plus les Russes perdent d’hommes expérimentés, plus les remplaçants sont vulnérables, plus les pertes s’accumulent rapidement. Et chaque soldat russe tué ou blessé est un argument de plus pour les familles, les villages, les régions russes qui commencent à se demander si cette guerre en vaut vraiment le prix.
La guerre technologique des drones

L’omniprésence des yeux dans le ciel
Cette guerre est la première où les drones jouent un rôle aussi central, aussi omniprésent. Il ne se passe pas une heure sans qu’un drone ukrainien ou russe ne survole le champ de bataille, cherchant des cibles, guidant l’artillerie, filmant les mouvements ennemis. Mais c’est l’Ukraine qui a réussi à faire de cette technologie une véritable arme stratégique. Les drones ukrainiens ne se contentent plus de missions de reconnaissance — ils frappent des chars, détruisent des postes de commandement, harcèlent les colonnes logistiques, et surtout, ils s’enfoncent profondément en territoire russe pour toucher des cibles que personne n’aurait imaginé vulnérables il y a encore deux ans. Ces engins, souvent fabriqués localement avec des composants civils modifiés, coûtent une fraction du prix des missiles de croisière mais peuvent infliger des dégâts comparables s’ils sont utilisés avec précision et créativité.
Les Ukrainiens ont développé tout un écosystème autour des drones. Des ateliers de production répartis sur le territoire pour éviter qu’une seule frappe ne détruise toute la capacité de fabrication. Des programmes de formation accélérée pour former des opérateurs capables de piloter ces engins dans des conditions de guerre électronique intensive. Des centres d’innovation où ingénieurs et militaires collaborent pour améliorer constamment les performances — plus d’autonomie, meilleure résistance au brouillage, charges explosives plus efficaces. Et surtout, une doctrine d’emploi qui intègre les drones à tous les niveaux de la guerre, du plus tactique (un drone qui guide un tir de mortier sur une tranchée) au plus stratégique (un essaim de drones qui frappe simultanément plusieurs raffineries russes). Cette révolution des drones est probablement l’innovation militaire la plus significative de cette guerre, et elle change la nature même du combat moderne.
Le combat contre la supériorité aérienne russe
La Russie possède théoriquement une force aérienne largement supérieure à celle de l’Ukraine. Des centaines d’avions de chasse, des bombardiers stratégiques, des hélicoptères d’attaque. Mais cette supériorité théorique ne se traduit pas en domination aérienne effective. Pourquoi ? Parce que l’Ukraine a développé un réseau de défense aérienne dense et mortel, combinant des systèmes occidentaux modernes comme les Patriot avec des systèmes soviétiques rénovés, et désormais des drones armés spécifiquement pour engager des aéronefs russes. Les pilotes russes ont appris à leurs dépens qu’entrer dans l’espace aérien ukrainien est extrêmement dangereux. Chaque mission comporte un risque réel d’être abattu, et perdre un avion moderne avec son pilote expérimenté est un coût que même la Russie ne peut se permettre indéfiniment.
Résultat : l’aviation russe opère principalement depuis son propre espace aérien, lançant des missiles et des bombes guidées à distance. Efficace pour des frappes en profondeur, mais beaucoup moins pour le soutien aérien rapproché des troupes au sol. Les soldats russes sur le front se plaignent régulièrement du manque de couverture aérienne quand ils lancent des assauts. Pendant ce temps, les drones ukrainiens rôdent au-dessus du champ de bataille en relative impunité, identifiant les cibles, guidant les frappes d’artillerie, semant la terreur parmi les fantassins russes qui savent qu’un engin explosif peut tomber sur eux à tout moment. Cette asymétrie — la Russie qui ne peut pas utiliser pleinement sa supériorité aérienne face à une Ukraine qui compense avec des drones — illustre parfaitement comment la technologie créative peut neutraliser des avantages matériels apparemment écrasants.
L’innovation permanente face à l’adversaire
La guerre des drones est aussi une course à l’innovation permanente. Chaque nouvelle tactique ukrainienne est analysée par les Russes qui développent des contre-mesures. Brouillage électronique amélioré, systèmes de détection plus sensibles, armes spécifiques anti-drones. Puis les Ukrainiens adaptent leurs drones pour contrer ces contre-mesures. Nouvelles fréquences de communication, intelligence artificielle embarquée pour continuer la mission même en cas de perte du signal, essaims coordonnés qui saturent les défenses. C’est une spirale d’innovation où celui qui s’arrête de progresser se retrouve rapidement dépassé. Et dans cette course, l’Ukraine bénéficie d’un avantage inattendu : son secteur technologique civil, qui avant la guerre était dynamique et créatif, s’est entièrement mobilisé pour l’effort de guerre.
Des start-ups qui développaient des applications mobiles conçoivent maintenant des logiciels de ciblage. Des ingénieurs qui travaillaient dans l’électronique grand public fabriquent des systèmes de navigation pour drones militaires. Cette mobilisation totale de la créativité technologique ukrainienne produit des résultats que les structures militaires traditionnelles russes, plus hiérarchiques et moins flexibles, peinent à égaler. L’armée russe dispose certes d’immenses ressources, mais elle souffre de lourdeurs bureaucratiques, de corruption qui détourne les fonds, de méfiance envers les initiatives venues de la base. L’Ukraine, contrainte par la nécessité absolue d’innover ou de périr, a créé un environnement où les bonnes idées peuvent être testées et déployées rapidement, où l’échec est acceptable tant qu’on en tire des leçons, où la coopération entre civils et militaires est fluide et pragmatique.
Le moral des troupes et la résilience ukrainienne

Pourquoi l’Ukraine tient encore
C’est peut-être la question que se posent le plus souvent les observateurs internationaux : comment l’Ukraine fait-elle pour tenir aussi longtemps face à un adversaire aussi massif ? La réponse est complexe, multifactorielle, mais elle commence par quelque chose d’intangible et pourtant décisif — la motivation. Les soldats ukrainiens se battent pour leur pays, pour leurs familles, pour leur survie nationale. Ils savent exactement pourquoi ils sont au front. Cette clarté de but, cette conviction profonde que leur combat est juste et nécessaire, leur donne une résilience que l’argent et l’équipement ne peuvent pas acheter. En face, beaucoup de soldats russes ne comprennent même pas vraiment pourquoi ils sont là, ce qu’ils sont censés accomplir, pourquoi ils risquent leur vie pour conquérir un village ukrainien dont ils n’avaient jamais entendu parler avant d’y être envoyés.
Mais la motivation seule ne suffit pas. L’Ukraine tient aussi grâce à un soutien international qui, malgré ses hésitations et ses lenteurs frustrantes, continue de livrer des armes, des munitions, des systèmes de défense. Les Patriot qui protègent les villes ukrainiennes, les obusiers qui pilonnent les positions russes, les systèmes de contre-batterie qui neutralisent l’artillerie ennemie — tout cela vient de l’Occident. Et puis il y a le soutien économique, les milliards de dollars d’aide qui permettent à l’État ukrainien de continuer à fonctionner, de payer les soldats, de maintenir les services essentiels. Sans cette aide, l’Ukraine aurait probablement succombé depuis longtemps. Mais avec cette aide, elle a pu tenir tête à une superpuissance nucléaire et démontrer que la détermination et la créativité peuvent compenser des infériorités matérielles apparemment insurmontables.
La guerre d’usure psychologique
Au-delà des batailles et des bombardements, il y a une autre guerre qui se déroule silencieusement — celle qui vise le moral, la psychologie, la volonté de continuer. Les Russes bombardent régulièrement les infrastructures civiles ukrainiennes, espérant briser la détermination de la population. Ils frappent les centrales électriques en plein hiver pour plonger les villes dans le froid et l’obscurité. Ils lancent des missiles sur des zones résidentielles pour terroriser les civils. C’est une stratégie délibérée de terreur, calculée pour éroder le soutien populaire à la résistance, pour faire naître des divisions entre ceux qui veulent continuer à se battre et ceux qui souhaiteraient n’importe quelle paix, même injuste. Mais jusqu’à présent, cette stratégie a largement échoué. Les Ukrainiens ont montré une capacité de résilience remarquable, s’adaptant aux coupures d’électricité, organisant des réseaux d’entraide, maintenant leur cohésion sociale malgré les épreuves.
Du côté russe, la guerre psychologique prend des formes différentes. La propagande d’État travaille jour et nuit pour maintenir le soutien à la guerre, présentant chaque recul comme une victoire tactique, chaque échec comme un succès reporté. Mais cette propagande se heurte à une réalité de plus en plus difficile à dissimuler : les cercueils qui reviennent dans les villages, les mobilisations qui arrachent des hommes à leurs familles, les privations économiques croissantes à mesure que les sanctions mordent et que les ressources sont détournées vers l’effort de guerre. Dans les régions frontalières russes, celles qui subissent régulièrement les frappes ukrainiennes, la population commence à se poser des questions sur cette guerre qu’on leur avait présentée comme rapide et facile. Cette érosion lente du moral russe ne se traduit pas encore en opposition massive au régime — la répression est trop forte pour cela — mais elle crée des fractures souterraines qui pourraient s’élargir avec le temps.
Le rôle crucial du commandement
Dans une guerre longue et difficile, la qualité du commandement devient absolument cruciale. De mauvais généraux peuvent gaspiller les vies de soldats courageux dans des opérations mal conçues. De bons généraux peuvent maximiser l’efficacité de forces limitées par des décisions judicieuses et une planification soigneuse. Syrskyi, nommé commandant en chef en février 2024 après le limogeage de Valerii Zaluzhnyi, a dû faire ses preuves dans des circonstances extrêmement difficiles. Les critiques n’ont pas manqué, certains l’accusant d’être trop conservateur, d’autres de ne pas suffisamment protéger ses troupes. Mais les résultats parlent d’eux-mêmes : sous son commandement, l’Ukraine a réussi à stopper l’offensive russe de printemps-été, à stabiliser des fronts critiques, à lancer des opérations en profondeur qui affaiblissent structurellement la capacité de guerre russe.
Syrskyi a compris quelque chose de fondamental : l’Ukraine ne peut pas gagner cette guerre en cherchant à battre la Russie dans une confrontation frontale symétrique. Les Russes ont trop d’hommes, trop de tanks, trop d’artillerie. Mais l’Ukraine peut gagner en transformant la guerre en un cauchemar logistique et économique pour Moscou, en frappant les points faibles russes plutôt que leurs points forts, en utilisant la créativité tactique pour compenser l’infériorité numérique. Cette approche exige de la patience, de la discipline, une volonté de céder du terrain quand c’est nécessaire pour préserver les forces, et une capacité à saisir les opportunités quand elles se présentent. C’est exactement ce que fait Syrskyi, même si ce n’est pas toujours spectaculaire, même si cela ne produit pas les grandes offensives triomphantes dont rêvent certains.
Les perspectives d'automne et d'hiver

Le temps qui joue pour qui
À l’approche de l’automne et de l’hiver 2025, une question cruciale se pose : le temps joue-t-il en faveur de l’Ukraine ou de la Russie ? Les deux camps ont des arguments pour prétendre que la durée leur est favorable. La Russie espère que l’usure finira par épuiser les ressources ukrainiennes, que le soutien occidental faiblira avec le temps, que les divisions politiques en Europe et aux États-Unis réduiront l’aide militaire et financière. L’Ukraine espère au contraire que les pertes russes continueront de s’accumuler jusqu’à rendre insoutenable la poursuite de la guerre, que les sanctions économiques finiront par paralyser l’économie russe, que la production locale d’armements ukrainiens compensera progressivement la dépendance aux livraisons étrangères. La vérité est probablement que le temps joue contre les deux, créant une course contre la montre où le premier qui s’effondre perd tout.
L’hiver ukrainien est notoirement rigoureux, et il pose des défis immenses aux deux armées. Les opérations militaires deviennent plus difficiles dans la boue et la neige. Les soldats souffrent du froid, l’équipement devient moins fiable, la logistique se complique. Mais l’hiver pose aussi des défis spécifiques à la population civile ukrainienne, surtout si les Russes intensifient leurs frappes sur les infrastructures énergétiques. Passer un hiver sans électricité ni chauffage dans des villes bombardées est une épreuve terrible. Les autorités ukrainiennes se préparent méthodiquement, stockant du carburant, distribuant des générateurs, organisant des centres de réchauffement. Mais la réalité sera dure, et elle testera la résilience collective de la société ukrainienne comme jamais auparavant.
Les nouvelles armes occidentales
L’une des inconnues majeures pour les prochains mois est la question des armes à longue portée que l’Occident pourrait fournir à l’Ukraine. Les missiles Tomahawk, évoqués récemment dans les discussions entre le président Zelensky et le président Trump, représentent un potentiel de changement radical. Avec une portée de 2 500 kilomètres, ces missiles permettraient à l’Ukraine de frapper virtuellement n’importe quelle cible en Russie occidentale — bases aériennes loin du front, usines d’armement, centres logistiques stratégiques. Le Kremlin a déjà émis des avertissements menaçants sur ce qu’il considère comme une escalade inacceptable, parlant vaguement de mesures pour assurer la sécurité de la Russie. Mais ces menaces ont leurs limites : Moscou sait que toute réponse disproportionnée risquerait une implication directe de l’OTAN, ce qu’elle veut à tout prix éviter.
Au-delà des Tomahawk, il y a la question de la production d’armements occidentaux qui monte progressivement en puissance. Les usines européennes et américaines qui tournaient au ralenti depuis la fin de la Guerre froide recommencent à produire massivement des obus, des missiles, des systèmes de défense. Cette augmentation de production prendra encore des mois avant de se traduire en livraisons significatives sur le terrain ukrainien, mais la tendance est là. À moyen terme, l’Ukraine pourrait bénéficier d’un flux constant d’équipements modernes qui compenserait progressivement ses infériorités numériques. Encore faut-il que la volonté politique occidentale reste ferme, que les gouvernements européens ne cèdent pas à la tentation de « l’apaisement » face à un Kremlin qui alterne menaces et propositions de négociations biaisées.
La fatigue de guerre des deux côtés
Après plus de trois ans et demi de conflit à haute intensité, les deux sociétés — ukrainienne et russe — montrent des signes de fatigue. En Ukraine, cette fatigue se manifeste dans les difficultés croissantes de recrutement, la lassitude d’une population qui a dû s’adapter à une vie de guerre permanente, l’usure psychologique de ne jamais savoir si un missile frappera votre immeuble cette nuit. Mais cette fatigue coexiste avec une détermination tenace : la grande majorité des Ukrainiens reste convaincue qu’abandonner signifierait la disparition de leur pays, et cette conviction donne encore la force de continuer. En Russie, la fatigue prend des formes différentes. La guerre reste relativement distante pour la majorité de la population des grandes villes comme Moscou et Saint-Pétersbourg, mais elle pèse lourdement sur les régions périphériques qui fournissent la majorité des mobilisés.
Cette asymétrie de la fatigue pourrait devenir décisive. L’Ukraine se bat pour sa survie, ce qui génère une motivation profonde mais aussi un épuisement intense. La Russie se bat pour des objectifs impériaux flous, ce qui génère moins de mobilisation émotionnelle mais aussi potentiellement moins de résilience face aux revers. Si les pertes russes continuent de s’accumuler sans victoires décisives à présenter à la population, si l’économie continue de se dégrader malgré les efforts pour contourner les sanctions, si les frappes ukrainiennes en profondeur créent un sentiment d’insécurité même loin du front, alors la cohésion sociale russe pourrait se fissurer. C’est un pari dangereux pour l’Ukraine — espérer que l’adversaire s’effondrera avant soi — mais c’est aussi l’une des rares voies vers une victoire face à un ennemi numériquement supérieur.
Conclusion

Quand Oleksandr Syrskyi déclare que l’offensive russe de printemps-été a été stoppée, ce n’est pas une fanfaronnade vide. C’est un constat opérationnel étayé par des chiffres terribles pour la Russie : 29 000 soldats perdus en un seul mois, des dizaines de milliers d’autres au cours des mois précédents, des équipements détruits par centaines, des objectifs stratégiques non atteints malgré des efforts colossaux. L’Ukraine n’a pas remporté de victoire décisive qui changerait radicalement le cours de la guerre, mais elle a réussi quelque chose de peut-être plus important à ce stade : elle a tenu. Elle a absorbé la pression russe, elle a défendu ses positions critiques, elle a même contre-attaqué localement pour reprendre du terrain. Et tout en défendant, elle a frappé en profondeur, sabotant l’infrastructure énergétique et militaire russe avec une régularité qui transforme progressivement la supériorité numérique russe en un fardeau insoutenable.
Cette guerre n’est plus celle que Moscou avait imaginée en février 2022. Ce devait être une opération rapide, quelques semaines tout au plus, pour renverser le gouvernement ukrainien et installer un régime fantoche. Trois ans et huit mois plus tard, la Russie s’enlise dans un conflit d’attrition meurtrier qui dévore ses ressources humaines et matérielles sans produire les résultats escomptés. Chaque mois qui passe rapproche un peu plus Moscou d’un point de rupture — économique, militaire, ou peut-être même politique. L’Ukraine le sait. Syrskyi le sait. Et c’est pourquoi la stratégie ukrainienne n’est pas de gagner demain, mais de ne pas perdre aujourd’hui, de tenir suffisamment longtemps pour que le poids cumulatif des échecs russes finisse par forcer un changement. C’est une stratégie d’endurance, de résilience, de volonté absolue de survivre en tant que nation indépendante.
Les prochains mois seront cruciaux. L’hiver approche avec son cortège de défis. Les négociations diplomatiques se multiplient dans les coulisses, avec des pressions contradictoires de la part des alliés occidentaux. La situation sur le terrain reste précaire, avec des combats quotidiens qui font des victimes de part et d’autre. Mais une chose est certaine : l’offensive russe que le Kremlin présentait comme devant être décisive a échoué. Elle s’est brisée contre la détermination ukrainienne, contre l’ingéniosité tactique de commandants comme Syrskyi, contre la capacité d’innovation d’une nation qui se bat pour sa survie. Les Russes ont versé des torrents de sang pour gagner quelques kilomètres de terre brûlée. Les Ukrainiens ont prouvé qu’ils pouvaient non seulement résister, mais aussi frapper leurs ennemis là où ça fait vraiment mal — dans les arrières, dans l’économie, dans la confiance en une victoire qui s’éloigne chaque jour davantage.
Cette guerre n’est pas finie. Elle continuera probablement encore des mois, peut-être des années. Mais ce 17 octobre 2025, alors que Syrskyi annonce l’échec de l’offensive russe, il marque un tournant psychologique important. La Russie n’est pas invincible. Ses plans peuvent être contrés. Ses offensives peuvent être stoppées. Et un pays déterminé, même plus petit, même apparemment plus faible, peut tenir tête à un géant quand il se bat pour sa liberté, son identité, son droit d’exister. L’histoire jugera cette guerre dans les décennies à venir. Mais aujourd’hui, maintenant, en ce moment précis, l’Ukraine tient. Et tant qu’elle tient, elle n’a pas perdu. C’est peut-être la seule victoire qui compte vraiment dans l’immédiat — la victoire de ne pas avoir été vaincue, malgré tout ce que Moscou a jeté dans la bataille. Syrskyi l’a dit : l’offensive est stoppée. Les mots ont du poids quand ils sont prononcés au milieu des ruines et du fracas des armes. Ces mots-là résonnent comme un défi lancé au Kremlin : vous avez essayé, vous avez échoué, et nous sommes toujours là, debout, prêts à continuer ce combat aussi longtemps qu’il le faudra.