L’Ukraine frappe au cœur de l’industrie russe : raffineries et dépôts en flammes
Auteur: Maxime Marquette
Dans la nuit du 18 au 19 octobre 2025, le ciel russe s’est embrasé. Trois frappes simultanées, trois explosions coordonnées, trois incendies qui ont illuminé l’obscurité à des centaines, voire des milliers de kilomètres à l’intérieur du territoire russe. Les Forces de défense ukrainiennes ont frappé avec une précision chirurgicale : la raffinerie de pétrole de Novokuibyshevsk dans la région de Samara, l’usine de traitement de gaz d’Orenburg — la plus grande installation de ce type au monde — et un dépôt de carburant à Berdiansk, en territoire ukrainien occupé. Les images qui ont circulé sur les réseaux sociaux montrent des flammes gigantesques, des colonnes de fumée noire montant vers le ciel, des résidents russes filmant, incrédules, l’incendie qui consume les infrastructures énergétiques dont dépend la machine de guerre de Poutine. Ce n’est pas une frappe isolée. C’est la continuation d’une campagne systématique, calculée, implacable.
Depuis août 2025, l’Ukraine intensifie ses attaques contre l’industrie pétrolière et gazière russe. Au moins 21 des 38 raffineries majeures russes ont été touchées et partiellement endommagées cette année, certaines installations ayant été frappées à plusieurs reprises, provoquant des arrêts opérationnels de plusieurs semaines. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a déclaré que ces frappes sur les raffineries sont « les plus efficaces, celles qui fonctionnent le plus rapidement ». La logique est simple et brutale : sans pétrole, la Russie ne peut pas financer sa guerre. Sans carburant, ses chars ne roulent pas, ses avions ne volent pas, ses camions logistiques restent immobilisés. Chaque raffinerie détruite, chaque dépôt incendié, chaque pipeline rompu est un coup porté directement au cœur de l’effort de guerre russe. Et pendant que Moscou tente désespérément de colmater les brèches — important du carburant, fermant des stations-service, rationnant l’essence — l’Ukraine continue de frapper, nuit après nuit, avec une intensité croissante. Cette guerre économique souterraine pourrait s’avérer plus décisive que toutes les batailles terrestres combinées.
La nuit du 19 octobre : trois cibles, trois incendies

Novokuibyshevsk, la raffinerie en flammes
La raffinerie de pétrole de Novokuibyshevsk, située dans la région de Samara à environ 900 kilomètres de la frontière ukrainienne, a été frappée dans la nuit du 18 au 19 octobre par des drones ukrainiens. Selon l’État-Major général des Forces armées ukrainiennes, les unités de raffinage primaire du pétrole brut — les fameuses ELOU AVT (unités de distillation atmosphérique et sous vide) — ont été touchées, déclenchant un incendie massif qui a continué de brûler tout au long de la journée suivante. Ces unités ELOU AVT sont le cœur de toute raffinerie : elles séparent le pétrole brut en différentes fractions (essence, diesel, kérosène, mazout). Lorsqu’elles sont détruites, toute la production s’arrête, même si d’autres sections de la raffinerie restent intactes.
La raffinerie de Novokuibyshevsk produit plus de 20 types de produits pétroliers, avec une capacité de traitement annuelle de 4,9 millions de tonnes de pétrole brut. Elle approvisionne directement l’armée russe en carburants et lubrifiants essentiels pour les opérations militaires. Ce n’est pas la première fois que cette installation est ciblée : au moins quatre attaques ont été enregistrées entre 2024 et 2025, la dernière remontant au 20 septembre. Après cette frappe, la raffinerie, ainsi que plusieurs autres entreprises pétrolières russes, avait cessé de raffiner du pétrole pendant plusieurs semaines. La nouvelle attaque du 19 octobre aggrave encore la situation : des vidéos filmées par des civils russes montrent des explosions massives et des flammes dévorant les installations, tandis que des résidents locaux se demandent où se trouvent les défenses aériennes censées protéger ces infrastructures stratégiques.
Orenburg, le géant gazier touché
La centrale de traitement de gaz d’Orenburg est l’une des plus grandes installations de traitement de gaz au monde. Située dans la région d’Orenburg, près de la frontière avec le Kazakhstan et à environ 1 200 kilomètres de la ligne de front ukrainienne, elle fait partie du complexe gazochimique d’Orenburg exploité par Gazprom, le géant gazier russe contrôlé par l’État. Cette installation a une capacité de traitement annuelle de 45 milliards de mètres cubes de gaz naturel et de 6,2 millions de tonnes de condensat de gaz ou de pétrole. Elle traite le gaz provenant du champ de condensat de gaz et de pétrole d’Orenburg, ainsi que du champ de Karachaganak au Kazakhstan, dans le cadre du projet international KazRosGaz.
Selon le gouverneur de la région d’Orenburg, Yevgeny Solntsev, l’attaque de drones ukrainiens a provoqué un incendie dans l’un des ateliers de l’usine et endommagé partiellement les infrastructures. Les Forces de l’État-Major ukrainien ont précisé qu’une des unités de traitement et de purification du gaz a été touchée, déclenchant un « incendie à grande échelle ». Aucune victime parmi le personnel n’a été signalée, mais les dégâts matériels sont considérables. Cette attaque marque la première fois documentée que cette installation stratégique est ciblée. L’usine produit du gaz naturel purifié, du condensat de gaz stable, du soufre, des gaz d’hydrocarbures liquéfiés (propane, butane), de l’éthane, et exploite également une installation de production d’hélium, une ressource stratégique essentielle pour l’industrie russe.
Berdiansk, dépôt de carburant en territoire occupé
Parallèlement aux frappes en profondeur sur le territoire russe, les Forces de défense ukrainiennes ont également frappé un dépôt de carburant et de lubrifiants dans la ville de Berdiansk, située en territoire ukrainien occupé dans l’oblast de Zaporizhzhia. Berdiansk, à plus de 90 kilomètres de la ligne de front, sert de centre logistique majeur pour les forces russes dans le sud de l’Ukraine. Le dépôt de carburant ciblé approvisionne directement les unités militaires russes opérant dans la région, fournissant le diesel, l’essence et les lubrifiants nécessaires aux véhicules blindés, aux camions logistiques et aux générateurs électriques.
Des explosions ont été signalées près de la cible, suivies d’un incendie qui a ravagé les installations de stockage. Cette frappe s’inscrit dans une stratégie plus large visant à couper les lignes de ravitaillement russes en territoire occupé. En paralysant les dépôts de carburant, l’Ukraine force les Russes à allonger leurs lignes logistiques, à transporter le carburant depuis des bases plus éloignées, augmentant ainsi les coûts, les délais et les risques d’interception. Chaque litre de carburant qui ne parvient pas aux unités russes sur le front est une victoire tactique pour Kyiv. Et chaque dépôt qui brûle est un message : même en territoire occupé, rien n’est hors de portée des forces ukrainiennes.
Une campagne systématique contre l'industrie énergétique russe

Août-octobre 2025 : l’escalade des frappes
La nuit du 19 octobre n’est pas un événement isolé. C’est l’apogée d’une campagne de plusieurs mois visant à démanteler méthodiquement l’infrastructure énergétique russe. En août 2025, les Forces de défense ukrainiennes ont mené 17 frappes sur l’infrastructure énergétique russe, selon le commandant des Forces de systèmes non pilotés, Robert Brovdi (connu sous le nom de Madjar). Parmi les cibles touchées figuraient neuf raffineries de pétrole dans diverses régions de Russie, dont les raffineries de Ryazan, Saratov, Volgograd, Syzran, Kuibyshev, Krasnodar et Afipsky. Deux stations de pompage de Transneft-Druzhba et deux dépôts de carburant ont également été frappés.
En septembre 2025, la fréquence des attaques a atteint son apogée, avec 40 frappes enregistrées ce mois-là, selon une analyse de Re: Russia, une plateforme en ligne créée par des analystes russes en exil. Cette intensification a eu des conséquences économiques immédiates : la production de gaz à travers la Russie a chuté de jusqu’à 27 %, provoquant des pénuries, des hausses de prix et une baisse de la qualité du carburant dans plusieurs régions. Les exportations russes de combustibles fossiles ont chuté à leur plus bas niveau depuis le début de l’invasion, atteignant une moyenne de 637 millions de dollars par jour en septembre, soit une baisse de 4 % par rapport à août et de 26 % par rapport à septembre 2024.
Des cibles stratégiques minutieusement sélectionnées
Les frappes ukrainiennes ne sont pas aléatoires. Elles suivent une logique claire et cohérente, ciblant les équipements essentiels plutôt que les réservoirs de stockage, comme c’était le cas lors des campagnes précédentes. Selon une analyse détaillée publiée par Ukrainska Pravda en octobre 2025, le plus grand nombre de frappes réussies — neuf au total — ont visé des unités de distillation atmosphérique et sous vide. Ces unités sont les installations de base du traitement du pétrole brut, et tout dommage qu’elles subissent paralyse effectivement la raffinerie, réduisant la production de produits pétroliers ou l’arrêtant complètement.
Le deuxième type de cible le plus fréquent — cinq attaques réussies — concerne les pipe racks technologiques, ces réseaux complexes de tuyauterie qui transportent le pétrole et les produits pétroliers entre les différentes unités d’une raffinerie. Quatre de ces attaques ont eu lieu dans des raffineries et une à une station de pompage. Les pipe racks sont des points extrêmement vulnérables des communications internes, car ils acheminent le pétrole et les produits raffinés entre les unités. Tout dommage les concernant empêchera d’autres sections de fonctionner, même celles qui n’ont pas été directement détruites. En troisième position — quatre attaques — figurent les unités de fractionnement de gaz et les installations de traitement de gaz et de condensat. Leur rôle est stratégique, car elles produisent du gaz liquéfié et des produits pétrochimiques vitaux non seulement pour la consommation intérieure mais aussi pour les exportations.
Les armes de cette guerre : drones et missiles
L’arme principale utilisée dans cette campagne est le drone longue portée. Selon les vidéos publiées en ligne, le drone prédominant semble être le FP-1 de Firepoint, bien que les légendaires UAV Liutyi continuent également de voler, même s’ils sont moins fréquemment observés. Ces drones peuvent parcourir des distances énormes — certains ont frappé des cibles à plus de 1 000 kilomètres de la frontière ukrainienne. Le président Zelensky a déclaré que l’Ukraine est désormais capable de lancer 100 à 150 drones sur la Russie par jour, un chiffre plusieurs fois inférieur à ce que lancent les Russes, mais qui a un effet tangible visible dans les informations presque chaque jour.
Les drones ukrainiens ne sont pas les seules armes employées. Des missiles de croisière Neptune ont été utilisés pour frapper des cibles à longue distance, notamment des usines militaires et des installations industrielles dans la région de Bryansk. Ces missiles, développés par l’Ukraine elle-même, offrent une capacité de frappe précise sur des cibles situées à des centaines de kilomètres, complétant les drones qui privilégient la furtivité et le faible coût. L’utilisation combinée de drones bon marché et de missiles guidés de précision permet à l’Ukraine de saturer les défenses aériennes russes, forçant Moscou à choisir quelles cibles protéger et lesquelles abandonner. Et souvent, les raffineries et les dépôts de carburant passent entre les mailles du filet, trop nombreux, trop dispersés pour être tous défendus simultanément.
Les conséquences économiques : une Russie à court de carburant

Des pénuries de carburant en Crimée et dans les régions russes
Les frappes ukrainiennes ont des conséquences concrètes et mesurables sur l’économie russe. En Crimée occupée, environ 50 % des stations-service ont arrêté la vente d’essence, selon le média économique russe Kommersant qui a cité des données provenant de 17 000 stations-service. Le District fédéral du Sud — que la Russie prétend inclure la Crimée occupée — a été parmi les plus durement touchés, avec plus de 14 % des stations suspendant la vente de carburant. Ces pénuries suivent une série de frappes de drones ukrainiens sur les raffineries de pétrole russes en août et septembre.
La situation est encore pire dans certaines régions de la Russie profonde. Dans la région de Saratov, où la raffinerie locale a été frappée à deux reprises en septembre et octobre, les résidents signalent des files d’attente aux stations-service et des hausses de prix de l’essence d’environ 10 %. À Kirishi, près de Saint-Pétersbourg, où la raffinerie a été incendiée en septembre, un homme a crié de frustration : « Où est la défense aérienne ? Est-ce que vous prévoyez de tirer sur les drones avec des frondes ? » Cette colère populaire témoigne d’une réalité que le Kremlin tente désespérément de cacher : les défenses aériennes russes ne peuvent pas protéger toutes les infrastructures stratégiques simultanément.
L’effondrement des exportations pétrolières russes
Les exportations russes de produits pétroliers ont chuté de 17,1 % en septembre par rapport à août, totalisant 7,58 millions de tonnes, en raison des attaques continues de drones ukrainiens, selon Reuters. Cette baisse des exportations a un impact direct sur les revenus de l’État russe, car le pétrole et le gaz représentent une part massive du budget fédéral. Selon le Centre de Recherche sur l’Énergie et l’Air Pur, les exportations russes de combustibles fossiles ont rapporté en moyenne 637 millions de dollars par jour en septembre, contre 665 millions en août et 858 millions en septembre 2024. Cette chute de 26 % en un an est catastrophique pour une économie déjà affaiblie par les sanctions occidentales.
En août 2025, les frappes de drones ont mis hors service environ 17 % de la capacité de raffinage russe, soit 1,2 million de barils par jour. À la fin du mois, ce chiffre était monté à 21 %, soit 1,4 million de barils par jour, selon les calculs de Reuters. Cette paralysie partielle de l’industrie de raffinage a forcé la Russie à exporter davantage de pétrole brut non raffiné — car elle ne peut plus le traiter elle-même — et à importer des produits raffinés comme l’essence et le diesel pour sa consommation intérieure. Une situation absurde pour un pays qui se vante d’être une puissance énergétique mondiale. Le commandant en chef ukrainien Oleksandr Syrskyi a déclaré le 11 octobre que la capacité de raffinage pétrolier de la Russie a chuté de 21 % en raison des attaques ukrainiennes.
Crimée : le terminal de Feodosia détruit
L’un des coups les plus durs portés à l’infrastructure énergétique russe concerne le terminal pétrolier de Feodosia, en Crimée occupée. Cette installation, la plus grande de la péninsule, peut stocker jusqu’à 250 000 tonnes de carburant et approvisionne directement les forces russes. Entre le 6 et le 13 octobre, l’Ukraine a frappé le terminal à trois reprises, détruisant ou endommageant gravement au moins 11 réservoirs de stockage principaux et au moins six réservoirs additifs ou journaliers plus petits, selon l’organisation OSINT ukrainienne Frontelligence Insight. Des images satellitaires publiées le 18 octobre montrent l’ampleur des dégâts : des réservoirs effondrés, des structures métalliques tordues par la chaleur, des zones noircies par les incendies.
Selon Frontelligence Insight, au total 19 réservoirs principaux et six réservoirs plus petits sont endommagés au 17 octobre. Plusieurs réservoirs détruits sont probablement irréparables. Le journaliste d’investigation de Radio Free Europe/Radio Liberty, Mark Krutov, a publié des images satellitaires de 2022 et d’octobre 2024 montrant les dégâts que les frappes ukrainiennes ont infligés aux infrastructures pétrolières de Feodosia depuis 2022, suggérant que la Russie n’a pas encore réparé les installations endommagées lors de précédentes frappes. Cette incapacité à reconstruire rapidement les infrastructures détruites révèle les limites des capacités russes : entre les sanctions qui limitent l’accès aux technologies occidentales et la menace constante de nouvelles frappes, Moscou peine à maintenir ses installations énergétiques opérationnelles.
La stratégie ukrainienne : frapper l'économie de guerre

Pourquoi cibler les raffineries plutôt que les champs de bataille
Le président Zelensky a été clair sur la stratégie ukrainienne : « Limiter de manière significative l’industrie pétrolière de la Russie, c’est limiter de manière significative la guerre. » Cette logique économique guide les frappes ukrainiennes depuis des mois. Plutôt que de concentrer toutes les ressources sur le front terrestre, où la supériorité numérique russe rend chaque avancée coûteuse, l’Ukraine frappe à la source : l’argent et le carburant qui alimentent la machine de guerre russe. Chaque raffinerie détruite réduit les revenus de Moscou et sa capacité à produire le carburant nécessaire à ses opérations militaires.
Cette stratégie a été adoptée après une période de retenue au printemps et à l’été 2025, lorsque l’Ukraine avait largement évité de frapper l’infrastructure énergétique russe — peut-être en raison des tentatives de médiation de Donald Trump pour mettre fin à la guerre, ou à cause d’une « trêve énergétique » semi-mythique. Entre le 20 mars et le 30 juin 2025, la communauté OSINT CyberBoroshno a enregistré 19 frappes confirmées sur des usines de défense, cinq sur des installations militaires, et aucune sur les infrastructures énergétiques. Mais après des attaques russes implacables contre les installations électriques ukrainiennes qui ont coûté la vie à des civils ukrainiens, la retenue unilatérale n’avait plus de sens, et les opérateurs de drones ont recommencé à frapper les raffineries et les pipelines russes.
Les négociations à Istanbul : la Russie voulait un répit
Selon Ihor Romanenko, ancien chef adjoint d’état-major des forces armées ukrainiennes, lors de discussions préliminaires à Istanbul, Moscou a demandé à Kyiv de cesser les attaques contre les raffineries. Cependant, Kyiv a exigé des restrictions plus larges, notamment un arrêt complet des frappes aériennes russes, ce que Moscou a refusé. « Ils voulaient que nous cessions les actions qui leur sont sensibles », a noté Romanenko. Cette demande russe révèle à quel point les frappes ukrainiennes sur les raffineries sont douloureuses pour le Kremlin. Moscou peut absorber des pertes militaires massives — des centaines de milliers de soldats tués ou blessés — mais la paralysie de son industrie énergétique menace directement sa capacité à financer et à soutenir la guerre à long terme.
Les raffineries de pétrole sont des cibles militaires légitimes, selon Romanenko. « Le carburant et les lubrifiants sont essentiels au soutien logistique de la Russie. Les équipements militaires nécessitent des quantités importantes de carburant et de lubrifiant. » L’Ukraine dépend principalement de ses propres drones et missiles, car les discussions concernant la fourniture de missiles Tomahawk avancés par les États-Unis sont toujours en cours. Cette dépendance à l’égard de technologies domestiques — drones fabriqués localement, missiles Neptune développés en Ukraine — témoigne de l’ingéniosité ukrainienne face aux contraintes imposées par ses alliés occidentaux, qui hésitent toujours à fournir des armes capables de frapper profondément en Russie.
Une campagne qui s’intensifie à l’approche de l’hiver
L’intensification des frappes ukrainiennes en octobre 2025 n’est pas un hasard. À l’approche de l’hiver, chaque litre de carburant devient encore plus précieux. Les forces russes ont besoin de diesel pour leurs véhicules blindés, d’essence pour leurs camions logistiques, de mazout pour chauffer leurs bases et casernes. En paralysant les raffineries maintenant, l’Ukraine espère créer des pénuries critiques au moment où elles seront les plus difficiles à gérer. Les frappes simultanées sur des cibles aussi éloignées que Samara (900 km de la frontière) et Orenburg (1 200 km de la frontière) démontrent que l’Ukraine peut désormais frapper partout en Russie, à tout moment.
Le ministère russe de la Défense a affirmé que ses forces de défense aérienne avaient abattu 45 drones ukrainiens dans la nuit du 18 au 19 octobre, dont 12 au-dessus de la région de Samara, 11 au-dessus de la région de Saratov, et un au-dessus de la région d’Orenburg. Mais ces chiffres, même s’ils sont exacts, révèlent une réalité troublante : les défenses russes abattent des drones, certes, mais pas suffisamment pour empêcher les frappes sur les cibles stratégiques. Les drones qui passent à travers — ceux qui ne sont pas comptabilisés dans les statistiques officielles — sont ceux qui comptent. Et ils continuent de frapper, jour après jour, nuit après nuit.
Les défis pour la Russie : réparer ou remplacer

L’incapacité à reconstruire rapidement
L’un des aspects les plus révélateurs de cette campagne ukrainienne est l’incapacité de la Russie à réparer rapidement ses infrastructures endommagées. Des images satellitaires publiées par Radio Free Europe/Radio Liberty montrent que les installations pétrolières de Feodosia endommagées lors de frappes en 2022 n’ont toujours pas été réparées en octobre 2025 — plus de trois ans plus tard. Cette lenteur s’explique par plusieurs facteurs : les sanctions occidentales limitent l’accès de la Russie aux technologies et équipements de raffinage avancés, la menace constante de nouvelles frappes dissuade les investissements dans la reconstruction, et les capacités industrielles russes sont déjà étirées au maximum pour soutenir l’effort de guerre.
Lorsque l’Ukraine frappe une raffinerie, elle ne se contente pas de détruire des équipements. Elle force la Russie à faire des choix difficiles : investir des ressources limitées dans la réparation d’une installation qui pourrait être à nouveau frappée dans quelques semaines, ou accepter la perte de capacité de production et importer du carburant à des prix élevés. Dans les deux cas, Moscou perd. Selon Frontelligence Insight, la Russie aura du mal à réparer le terminal pétrolier de Feodosia, et l’Ukraine pourrait frapper toutes les installations réparées. Cette menace permanente transforme chaque investissement dans la reconstruction en pari risqué, décourageant les efforts de réparation à grande échelle.
Les sanctions et leurs effets cumulatifs
Les sanctions occidentales imposées depuis 2022 ont considérablement affaibli l’industrie énergétique russe. L’accès aux technologies de pointe, aux pièces de rechange, aux logiciels de gestion industrielle — tout cela est désormais limité ou interdit. Les raffineries russes dépendent de technologies occidentales pour leurs unités les plus complexes, notamment les unités de craquage catalytique qui transforment les fractions lourdes en produits légers de haute valeur comme l’essence. Lorsque ces unités sont endommagées, les remplacer devient extrêmement difficile sans accès aux équipements et à l’expertise occidentaux. Les sanctions frappent également les exportations russes de gaz de pétrole liquéfié (propane et butane), compliquant les livraisons sur les marchés internationaux.
L’usine de traitement de gaz d’Orenburg, frappée le 19 octobre, est particulièrement affectée par les sanctions de l’UE, notamment en ce qui concerne l’exportation de GPL. Cette installation fournit également une partie de la demande russe en hélium, une ressource stratégique utilisée dans les secteurs de haute technologie et militaires. La destruction d’une de ses unités de traitement réduit non seulement la production de gaz, mais également la capacité de la Russie à fournir de l’hélium pour ses industries stratégiques. Ces effets cumulatifs — frappes ukrainiennes + sanctions occidentales — créent une spirale descendante dont il est de plus en plus difficile pour Moscou de se sortir.
Importer du carburant : l’humiliation stratégique
La Russie, autrefois exportatrice nette de produits pétroliers, est désormais contrainte d’importer du carburant pour répondre à la demande intérieure. Cette situation est profondément humiliante pour un pays qui fonde une grande partie de son identité nationale sur son statut de superpuissance énergétique. Des rapports indiquent que certaines régions russes font face à des pénuries d’essence, avec des files d’attente aux stations-service et des hausses de prix qui pèsent sur les consommateurs. Le gouvernement russe a tenté de minimiser ces problèmes, mais les preuves s’accumulent : vidéos de stations-service fermées, témoignages de résidents en colère, rapports de médias locaux sur les difficultés d’approvisionnement.
Cette dépendance croissante aux importations de carburant a également des implications géopolitiques. La Russie doit désormais acheter des produits raffinés à des pays tiers — souvent à des prix gonflés — pour compenser la baisse de sa propre production. Cela affaiblit encore sa balance commerciale, déjà mise à mal par la chute des exportations de pétrole. À long terme, si l’Ukraine continue de frapper systématiquement les raffineries russes, Moscou pourrait se retrouver dans une position insoutenable : incapable de produire suffisamment de carburant pour soutenir à la fois son économie et sa machine de guerre. Et à ce moment-là, les calculs stratégiques changeront radicalement.
Les réactions russes : défense et propagande

Les défenses aériennes russes débordées
Les défenses aériennes russes, malgré leur sophistication théorique, se révèlent incapables de protéger efficacement l’ensemble des infrastructures stratégiques du pays. Le système de défense aérienne russe repose sur des plateformes comme les S-300, S-400 et Pantsir-S1, conçues principalement pour abattre des avions de chasse, des missiles de croisière et des bombardiers volant à haute altitude. Mais les drones ukrainiens volent bas, lentement, souvent en dessous du seuil de détection radar optimal, et leur petite taille les rend difficiles à verrouiller et à abattre. De plus, la Russie possède des milliers de kilomètres de frontières et des dizaines de milliers d’installations stratégiques — raffineries, centrales électriques, dépôts militaires, ponts, voies ferrées. Protéger tout simultanément est tout simplement impossible.
Le ministère russe de la Défense publie régulièrement des communiqués vantant le nombre de drones ukrainiens abattus — 45 dans la nuit du 18 au 19 octobre, par exemple. Mais ces chiffres cachent une réalité moins flatteuse : les drones qui ne sont pas abattus sont ceux qui comptent. Un seul drone passant à travers et frappant une raffinerie peut causer des centaines de millions de dollars de dégâts et paralyser la production pendant des semaines. C’est une guerre d’attrition économique où chaque frappe ukrainienne réussie compense largement les dizaines de drones perdus. Les Russes ne peuvent pas gagner cette bataille en abattant des drones — ils ne peuvent la gagner qu’en éliminant la capacité ukrainienne à les produire et à les lancer. Et jusqu’à présent, ils n’y sont pas parvenus.
La propagande russe minimise les dégâts
Les autorités russes minimisent systématiquement l’impact des frappes ukrainiennes sur les infrastructures énergétiques. Lorsque la raffinerie de Kstovo a été frappée en janvier 2025, les autorités locales ont affirmé que « les dégâts étaient minimes et que toutes les menaces de drones avaient été neutralisées ». Pourtant, des sources russes ont ensuite rapporté que l’incendie avait brûlé pendant deux jours et que Sibur avait temporairement arrêté les opérations de l’usine. De même, après la frappe sur la raffinerie de Volgograd en janvier, les autorités russes ont déclaré que « l’incendie avait été rapidement éteint », sans mentionner l’ampleur des dégâts ou l’impact sur la production.
Cette stratégie de minimisation vise à éviter la panique parmi la population russe et à projeter une image de contrôle et de résilience. Mais les vidéos filmées par des civils russes — montrant des explosions massives, des incendies incontrôlables, des colonnes de fumée visibles à des kilomètres — contredisent ces déclarations officielles. Sur les réseaux sociaux russes, les critiques se multiplient. Après la frappe sur la raffinerie de Kirishi, un homme a demandé avec frustration : « Où est la défense aérienne ? Est-ce que vous prévoyez de tirer sur les drones avec des frondes ? » Ces voix dissidentes, bien que marginales et souvent censurées, révèlent une fissure croissante entre le discours officiel du Kremlin et la réalité vécue par les Russes ordinaires.
Les contre-frappes russes : inefficaces et coûteuses
En réponse aux frappes ukrainiennes sur les infrastructures énergétiques russes, Moscou a intensifié ses propres attaques contre les installations électriques ukrainiennes. En septembre 2025, des attaques massives contre des centrales électriques et des stations de transformation ont provoqué des coupures de courant et d’eau dans plusieurs régions d’Ukraine. Le 5 octobre, une attaque aérienne massive a tué quatre personnes dans l’oblast de Lviv et une chacune à Zaporizhzhia et Kherson. Mais ces contre-frappes, aussi destructrices soient-elles pour les civils ukrainiens, n’ont pas réussi à dissuader Kyiv de continuer à frapper les raffineries russes.
La différence fondamentale est que l’Ukraine peut reconstruire et importer de l’électricité depuis l’Europe, tandis que la Russie ne peut pas facilement remplacer sa capacité de raffinage perdue. Chaque centrale électrique ukrainienne détruite peut être contournée — temporairement — en achetant de l’électricité aux pays voisins. Mais chaque raffinerie russe détruite représente une perte permanente de capacité de production, car reconstruire ces installations prend des années et coûte des milliards. C’est une asymétrie stratégique que l’Ukraine exploite habilement : frapper là où ça fait mal, là où les dégâts sont irréparables à court terme. Et jusqu’à présent, cette stratégie fonctionne.
Conclusion

Une guerre qui se gagne loin du front
La nuit du 19 octobre 2025 restera comme un tournant symbolique dans cette guerre. Trois frappes, trois incendies, trois coups portés au cœur de l’économie de guerre russe. La raffinerie de Novokuibyshevsk, l’usine de traitement de gaz d’Orenburg, le dépôt de carburant de Berdiansk — toutes paralysées, toutes en flammes. Ces frappes ne sont pas des victoires militaires spectaculaires, elles ne seront pas célébrées dans les défilés ou commémorées dans les monuments. Mais elles pourraient s’avérer plus décisives que toutes les batailles terrestres combinées. Parce que cette guerre ne se gagne pas seulement sur le champ de bataille. Elle se gagne aussi dans les raffineries, les dépôts de carburant, les pipe-lines. Elle se gagne en paralysant l’économie ennemie, en tarissant les revenus pétroliers, en créant des pénuries insoutenables.
L’Ukraine a compris cette réalité bien avant que les observateurs occidentaux ne s’en rendent compte. Depuis août 2025, elle mène une campagne systématique, méthodique, implacable contre l’infrastructure énergétique russe. Au moins 21 des 38 raffineries majeures russes ont été touchées, certaines à plusieurs reprises. Les exportations de combustibles fossiles russes ont chuté de 26 % en un an. La capacité de raffinage a diminué de 21 %. Des pénuries de carburant frappent la Crimée et plusieurs régions russes. Et pendant que Moscou tente désespérément de colmater les brèches — important du carburant, fermant des stations-service, rationnant l’essence — l’Ukraine continue de frapper, nuit après nuit. Chaque drone qui passe, chaque raffinerie qui brûle, chaque pipeline qui explose est un clou supplémentaire dans le cercueil de l’effort de guerre russe.
L’hiver approche, et avec lui l’épreuve de vérité
L’intensification des frappes ukrainiennes en octobre n’est pas un hasard. À l’approche de l’hiver, chaque litre de carburant devient encore plus précieux, chaque pénurie encore plus difficile à gérer. Les forces russes auront besoin de diesel pour leurs blindés, de mazout pour chauffer leurs casernes, de carburant d’aviation pour leurs bombardiers. Si l’Ukraine réussit à créer des pénuries critiques maintenant, en octobre et novembre, les conséquences se feront sentir de manière catastrophique en décembre, janvier, février. C’est une guerre de timing autant que de puissance de feu. Et pour l’instant, l’Ukraine semble avoir pris l’avantage dans cette course contre la montre.
Le président Zelensky l’a dit clairement : « Limiter de manière significative l’industrie pétrolière de la Russie, c’est limiter de manière significative la guerre. » Cette logique guide désormais la stratégie ukrainienne. Et elle fonctionne. Chaque incendie qui illumine le ciel russe, chaque colonne de fumée noire qui monte vers les nuages, chaque raffinerie réduite au silence est une victoire silencieuse, invisible pour les caméras mais tangible dans les bilans comptables. La Russie peut continuer à avancer sur le front terrestre, gagnant quelques kilomètres carrés ici et là au prix de milliers de vies. Mais si elle ne peut plus financer cette guerre, si elle ne peut plus alimenter ses chars et ses avions, si elle ne peut plus exporter suffisamment de pétrole pour remplir les caisses de l’État, alors toutes ces victoires tactiques ne signifieront rien. Et c’est exactement ce que l’Ukraine est en train de prouver, une frappe à la fois, une raffinerie à la fois, un incendie à la fois.