Chronique : 181 combats en 24 heures, le mur de Pokrovsk tient bon sous la tempête
Auteur: Maxime Marquette 
    Ce qui se passe le 25 octobre n’est pas une bataille isolée. C’est une avalanche de combats. L’État-major ukrainien l’a confirmé le 26 octobre à 08h00 : 181 engagements en 24 heures. Répartis sur toute la ligne de front. Mais concentrés, surtout, dans trois secteurs : le secteur de Pokrovsk, le secteur de Kharkiv, et le secteur de Donetsk central. Les Russes testent les défenses partout. Ils frappent à mort chaque centimètre. Ils envoient des vagues — certaines composées de 30, 40, parfois plus de 100 soldats — contre les mêmes positions, chaque jour, chaque heure. La tactique est primitive. Brutale. Froide. Il s’agit d’user les défenses ukrainiennes par la répétition des assauts. De les épuiser. D’exploiter la moindre faiblesse. Trois mille et vingt-et-un bombardements d’artillerie. C’est plus de 125 obus par heure. Imagine ça. Un obus toutes les 30 secondes. Pendant 24 heures. Pendant 24 heures d’affilée. Et à l’intérieur de cette bourrasque de métal, des soldats restent debout dans leurs tranchées. Ils tiennent bon.
La menace qui tombe du ciel
Mais ce ne sont pas que les obus. Quatre mille six cent quatre-vingt-dix-huit drones kamikazes. Des Shahed. Des Gerbera. Des drones FPV improvisés. Volant vers les positions ukrainiennes par vagues, par centaines. Parfois presque 5 000 en une journée. Des bombes volantes sans cerveau qui n’ont qu’une mission : exploser. L’Ukraine en intercepte environ 70 à 80 %. Mais cela signifie que entre 20 et 30 % passent. C’est des milliers de drones. Chaque jour. Une ville fortifiée comme Pokrovsk subit une pluie quotidienne de centaines à un millier de ces machines volantes. Les intercepteurs ukrainiens — ces drones Sting, ces systèmes acoustiques Sky Fortress — travaillent à plein régime. Mais même eux ont des limites. Le défi est mathématiquement surhumain : arrêter 70 % de 5 000 drones. Chaque jour. Pour éternité. Les Ukrainiens le font grâce à l’innovation, au courage, à une adaptation tactique constante. Mais le coût humain monte, monte, monte.
Soixante-quinze frappes aériennes, 144 bombes guidées
En parallèle, les Russes déploient leurs bombardiers Tupolev Tu-95, Tu-22M, Tu-160 depuis des bases loin derrière les lignes. 75 frappes aériennes en 24 heures. C’est trois frappes par heure. Et chacune lâche deux bombes guidées en moyenne. 144 bombes guidées qui descendent en spiral, guidées par GPS, ciblant des positions militaires et souvent des zones civiles. Des bombes à 500 kilos, 1 000 kilos, voire plus. Les bâtiments s’effondrent. Les cratères s’ouvrent. Les défenses aériennes ukrainiennes — les systèmes Patriot, les Koud, les Osa — font leur maximum. Mais on ne peut pas intercepter une bombe qui vole à 500 km/h vers le bas. Quand une bombe guidée russe est visible au radar, elle n’y reste que quelques secondes avant d’atteindre son objectif. L’Ukraine détruit certains bombardiers avec des missiles longue portée, frappant près de 40 aérodromes russes. Mais Moscou peut se permettre de perdre quelques bombardiers. Il y en a toujours d’autres. Toujours.
Pokrovsk : le cul-de-sac russo à 70 kilomètres de la frontière
 
    Je dois vous expliquer pourquoi Pokrovsk est devenue le centre de gravité de cette guerre. Pokrovsk n’est pas une ville militaire fortifiée depuis des générations comme Marioupol. C’est une cité industrielle normale, avec des usines, des écoles, des appartements résidentiels. En 2014, quand la Crimée est tombée, personne ne pensait que Pokrovsk serait un jour une ligne de front. En 2024, la Russie a décidé que c’était sa cible. Plus de 110 000 troupes russes ont été rassemblées pour l’offensive d’été 2025. L’objectif affiché : encercler et capturer Pokrovsk. Transformerla en nouveau Marioupol. La détruire. Éliminer le foyer de résistance. En août 2025, les Russes avaient avancé à seulement 15 à 20 kilomètres de la ville. Ils prétendaient que trois semaines suffiraient. Trois semaines. C’est ce qu’ils disaient en août. Nous sommes maintenant fin octobre. Deux mois plus tard. Et les Russes ? Ils n’ont pas avancé d’un kilomètre depuis septembre. Plus que ça : ils ont perdu du terrain. Des contre-offensives ukrainiennes comme l’opération Dobropillia, lancée le 21 août 2025, ont reconquis 182,8 kilomètres carrés en deux mois. Libéré plus de villages. Et infligé des pertes catastrophiques aux Russes.
Treize mille neuf cent quarante-cinq russes perdus en deux mois
Les chiffres sont stupéfiants. Du 21 août au 16 octobre 2025 — deux mois exactement — l’Ukraine rapporte que 13 945 soldats russes ont été perdus dans le seul secteur de Pokrovsk. 8 402 morts. Irrémédiablement éliminés du champ de bataille. 5 419 blessés. 124 capturés. Treize mille neuf cent quarante-cinq hommes. En deux mois. Pensez à ce que ça signifie. Ça signifie qu’en moyenne, la Russie perd 233 hommes par jour dans ce secteur. Chaque jour. Jour après jour. Sans avancer. L’Institut pour l’étude de la guerre estime que ces chiffres sont vraisemblablement fiables ou légèrement sous-estimés. Les drones ukrainiens en Pokrovsk sont d’une efficacité redoutable. Les positions russes sont vidéos. Analysées. Documentées. Les frappes se font à moins de deux kilomètres. C’est du tir de précision. Et les Russes ne peuvent rien faire pour s’échapper. Au cours de cette même période, l’Ukraine rapporte avoir détruit : 32 chars russes, 101 véhicules blindés, plus de 150 systèmes d’artillerie, 435 véhicules, et plus de 4 000 drones. Quatre mille drones.
Un encerclement qui ne s’est jamais produit
La stratégie russe était claire. Percer les défenses au nord de Pokrovsk. Atteindre les routes de ravitaillement. Encercler la ville. Affamer les défenseurs. Forcer la reddition. Mais ça n’a pas fonctionné. Pourquoi ? Parce que l’Ukraine avait anticipé ce mouvement. Les réserves ukrainiennes — notamment la 1ère Corps Azov — étaient prêtes. Dès que la Russie a commencé son offensive en Dobropillia, les Ukrainiens ont contre-attaqué. Le commandant de la 1ère Corps Azov, lors d’une interview exclusive avec The War Zone, a révélé que seuls à Dobropillia, les Russes ont perdu 5 000 soldats tués en trois semaines. Trois semaines. Après ça, la Russie a abandonné son plan d’encerclement. Elle a pivotée vers une stratégie de guerre d’attrition lente. Essayer de grignoter le terrain, village après village, en acceptant les pertes massives. C’est plus lent. C’est moins glorieux. Mais c’est plus durable. Du moins, c’est ce que le Kremlin espère.
L'intensité des combats en octobre 2025 : record historique
 
    Les 181 engagements du 25 octobre ne sortent pas de nulle part. C’est le point culminant de trois mois d’intensification. En septembre 2025, le nombre quotidien moyen d’engagements était autour de 120 à 130. En octobre, ça monte à 150 à 180. Le 17 octobre, le chiffre était de 128 engagements — un jour que les médias ukrainiens ont désigné comme l’une des journées les plus sanglantes de la guerre. Mais on l’a peut-être dépassé le 25 octobre avec 181 engagements. Les Russes ont déployé 268 bombes guidées le 18 octobre — un record en une seule journée. En comparaison, le nombre quotidien moyen de bombes guidées est d’environ 100 à 120. Donc le 18 octobre a vu une escalade massive. Pourquoi ? Probablement en réaction aux annonces de Biden concernant l’utilisation d’ATACMS contre le territoire russe. Poutine a voulu montrer sa force. Il a ordonné une intensification massive des attaques. Et ça a marché pour un ou deux jours. Puis les chiffres sont retombés à des niveaux légèrement élevés, mais normaux pour octobre 2025.
La stratégie du rouleau compresseur usé
Ce qui se déploie maintenant, c’est ce que j’appelle la stratégie du rouleau compresseur usé. Les Russes lancent toujours plus d’attaques. Toujours plus de drones. Toujours plus de bombes. Ils acceptent les pertes massives parce qu’ils comptent sur le fait que l’Ukraine finira par être épuisée. Que les stocks de munitions vont se tarir. Que les défenseurs vont craquer psychologiquement. Que l’Occident va se lasser de soutenir Kiev. Il y a une logique perverse là-dedans. Les Russes ne croient pas pouvoir battre l’Ukraine militairement. Pas en 2025. Donc ils essaient de la briser psychologiquement. De la faire plier par l’usure. Mais ils ont mal calculé une chose. L’Ukraine ne se brise pas. Elle s’adapte. Elle innove. Elle crée de nouvelles solutions. Les drones intercepteurs que j’ai mentionnés dans mes articles précédents — le Sting, l’Octopus produit en Grande-Bretagne — ce ne sont pas des pensées abstraites. Ce sont des réalités concrètes en production. Et chaque jour qui passe, il y en a plus. Pendant que la Russie dépense ses munitions, l’Ukraine construit son industrie de défense. C’est un marathon, pas un sprint. Et les Russes courent trop vite.
Pokrovsk infirmerie à ciel ouvert : le coût humain
 
    Les 181 engagements, c’est des statistiques. Mais chaque engagement, c’est du sang. Chaque combat, c’est des blessés. Pokrovsk est devenue une ville-infirmerie. Des hôpitaux improvisés dans les sous-sols. Des tentes médicales de fortune. Des médecins qui opèrent sous les bombardements. Le maire de Pokrovsk, Oleksandr Nedashkovskiy, a admis la réalité crue : il reste moins de 600 civils dans la partie ouest de la ville. Rappel : avant la guerre, la ville comptait 330 000 habitants. Donc plus de 99,8 % des civils ont quitté les lieux. Ce qui reste ? Des soldats. Des familles qui refusent de partir. Des personnes âgées qui ne peuvent pas se déplacer. Une population en agonie. Les évacuations se font quotidiennement. Les roquettes russe visent systématiquement la gare, les routes de sortie, les points de rassemblement. C’est une stratégie consciente : rendre l’évacuation impossible. Garder les civils en otage. Utiliser leur présence pour dissuader les frappes ukrainiennes.
Les soldats russes infiltrés dans la ville
Et puis, il y a cet élément révélateur qui montre comment la guerre a changé. Les Russes envoient maintenant des groupes de saboteurs infiltrés directement dans Pokrovsk. Des petites équipes à pied — pas de véhicules parce que les drones les détruiraient instantanément. Juste des hommes munis de mitrailleuses, se cachant dans les bâtiments abandonnés. L’État-major ukrainien a annoncé le 16 octobre que des groupes de reconnaissance et de sabotage russes pénétraient plus profondément dans la ville. Certains se sont retranchés. Ont attendu les renforts qui ne sont jamais venus. D’autres ont été écrasés par les contre-équipes ukrainiennes. Le Centre spécialisé des opérations spéciales 138, une unité d’élite ukrainienne, signale qu’elle est constamment engagée dans des combats rapprochés contre ces infiltrés russes. Chaque bâtiment devient un champ de bataille. Chaque intersection est une position contestée. C’est la guerre urbaine à petite échelle, prélude à la grande bataille pour la ville si elle tombe aux mains des Russes. Mais pour l’instant, elle tient.
Une guerre d'intelligence et de technologie qui change la dynamique
 
    Je veux souligner quelque chose qui est souvent oublié dans les reportages occidentaux. 181 engagements en 24 heures, ce n’est pas un signe de victoire russe. C’est un signe de faiblesse russe. Pourquoi ? Parce que ça signifie que la Russie doit attaquer massivement, continuellement, pour faire des avances mesurables. Les engagements multiples reflètent l’incapacité russe à briser les défenses en un seul coup. Donc ils essaient 181 fois. Espérant que la 182e fois fonctionnera. Ça n’arrive jamais. L’Ukraine, elle, n’a besoin que de quelques engagements bien placés pour arrêter les Russes. Des drones pour détruire les colonnes de transport. De l’artillerie de précision pour neutraliser les positions russes. Des intercep teurs pour abattre les drones russes. L’asymétrie favorable est en train de basculer vers l’Ukraine. Le Kyiv Independent a déjà annoncé que Pokrovsk a tenu bon, malgré les tentatives répétées de la Russie. La 82e Brigade ukrainienne a même libéré le village de Sukhetske le 25 octobre, capturant 44 Russes tués dans l’engagement. Quarante-quatre. En une seule bataille. La Russie aurait besoin de centaines d’engagements de ce niveau pour reconquérir ce qu’elle a perdu.
La symphonie des contre-attaques
Ce qui se passe en Pokrovsk, c’est une danse mortelle. Les Russes attaquent. L’Ukraine défend. Et quand une opportunité s’ouvre, l’Ukraine contre-attaque. Le cycle est permanent. Incessant. Usant pour la Russie, mais vivifiant pour l’Ukraine qui retrouve une agentivité, une capacité à prendre l’initiative. Depuis septembre 2025, l’Ukraine a engagé une stratégie explicitement défensive mais tactiquement offensivo : maintenir les lignes, accepter que certains villages soient perdus temporairement, puis les reconquérir avec des contre-offensives éclair. C’est exactement ce qui s’est produit à Dobropillia et Pokrovsk. Les contre-offensives ukrainiennes — l’opération Dobropillia lancée le 21 août — ont retourné la dynamique. Elles ont prouvé que la Russie n’était pas invincible. Que ses colonnes pouvaient être embusquées. Que ses dépôts de munitions pouvaient être frappés. Que ses soldats pouvaient être vaincus.
Conclusion
 
    181 combats en 24 heures. Pokrovsk qui tient bon. Treize mille neuf cent quarante-cinq Russes perdus en deux mois. Quatre mille drones détruits. Cent-cinquante systèmes d’artillerie neutralisés. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. L’Ukraine survit. Pas grâce à des armes miracles. Pas grâce à un soutien occidental illimité. Mais grâce à la volonté. À l’adaptation. À l’innovation. À l’acceptation du sacrifice. Pokrovsk n’est pas tombée. Elle n’aurait jamais dû tenir. Les stratèges militaires prédisaient sa chute en septembre. Erreur. Elle tient. Elle résiste. Elle contre-attaque. Et pendant que la Russie lance 181 engagements pour gagner quelques kilomètres, l’Ukraine en remporte quelques-uns pour en reprendre davantage. Ce n’est pas un statut quo. C’est un changement progressif de la dynamique. Lent. Douloureux. Sanglant. Mais inévitable. Le rouleau compresseur russe qui ne compresse plus rien. Il tourne sur place. Et dans les décombres de Pokrovsk, sous le déluge de drones et d’obus, l’Ukraine tient bon. Jour après jour. Nuit après nuit. Parce que ce n’est pas juste une question militaire. C’est une question d’existence. Pokrovsk, c’est l’Ukraine. Et l’Ukraine refuse de plier.
Encadré de transparence du chroniqueur
 
    Je ne suis pas journaliste, mais chroniqueur, je suis analyste, observateur des dynamiques militaires et des opérations terrestres qui transforment la guerre ukrainienne. Mon travail consiste à décortiquer les rapports opérationnels, à comprendre les implications stratégiques des données tactiques, à anticiper les évolutions du front. Je ne prétends pas à l’objectivité froide du journalisme traditionnel. Je prétends à la lucidité, à l’analyse sincère, à la compréhension profonde des dynamiques militaires qui façonnent chaque jour du conflit.
Ce texte respecte la distinction fondamentale entre faits vérifiés et commentaires interprétatifs. Les informations factuelles présentées dans cet article proviennent de sources officielles et vérifiables, notamment les communiqués de l’État-major général des forces armées ukrainiennes publiés le 26 octobre 2025 à 08h00, les rapports de l’Institute for the Study of War datés d’octobre 2025, les analyses de Kyiv Independent, les interviews exclusives avec les commandants militaires ukrainiens publiées par The War Zone, les données compilées par le CSIS et le Defence Intelligence Service, les rapports d’agences de presse internationales reconnues telles que Reuters, BBC, CNN, Al Jazeera, France 24, ainsi que les données de l’ACLED (Armed Conflict Location & Event Data Project) sur les engagements militaires. Les statistiques concernant les pertes russes dans le secteur de Pokrovsk du 21 août au 16 octobre 2025, les destructions d’équipement, et les opérations ukrainiennes proviennent de publications officielles du ministère de la Défense ukrainien et de rapports du renseignement militaire.
Les analyses et interprétations contextuelles présentées dans les sections analytiques de cet article représentent une synthèse critique basée sur les données opérationnelles disponibles et les commentaires d’experts militaires ukrainiens et occidentaux cités dans les sources consultées. Mon rôle est d’interpréter ces chiffres brutaux, de les contextualiser dans la bataille pour Pokrovsk, et de donner un sens aux tendances tactiques qui redessinent les rapports de force sur le terrain. Toute évolution ultérieure de la situation militaire — modification des objectifs russes, changements dans l’intensité des combats, mouvements stratégiques majeurs — pourrait modifier les perspectives présentées ici. Cet article sera mis à jour si de nouvelles données opérationnelles officielles majeures sont publiées par l’État-major ukrainien.
 
     
     
     
     
     
     
     
     
    