Chronique : Carney défie Trump, « On sera là quand vous serez prêts à parler »
Auteur: Maxime Marquette
Retour en arrière. Jeudi 23 octobre, 23h15, heure de l’Est. Trump publie sur Truth Social. « LA FONDATION RONALD REAGAN VIENT D’ANNONCER QUE LE CANADA A FRAUDULEUSEMENT UTILISÉ UNE PUBLICITÉ MENSONGÈRE. » Fraude. Mensonge. Les accusations tombent. Parce que le gouvernement de l’Ontario — dirigé par le premier ministre conservateur Doug Ford — a diffusé une publicité contre les tarifs. Une publicité qui utilise un extrait d’un discours radio de Reagan en 1987. Reagan y explique les dangers des tarifs. Il dit qu’ils peuvent déclencher des guerres commerciales. Qu’ils blessent les travailleurs américains. Et cette publicité, elle coûte 75 millions de dollars selon Trump. Soixante-quinze millions. Diffusée massivement sur les réseaux américains. Et Trump voit ça comme une attaque personnelle. Comme une tentative d’« interférer avec la décision de la Cour suprême des États-Unis ». Donc il frappe. Il annonce la rupture de toutes les négociations. Toutes. Immédiatement. Sans préavis. Carney l’apprend en même temps que tout le monde. Via Truth Social. Aucun appel. Aucune discussion. Juste un message publié tard dans la nuit qui détruit des semaines de négociations délicates.
Reagan : l’arme rhétorique qui a fait enrager Trump
La publicité ontarienne dure soixante secondes. On y voit la Bourse de New York. Des drapeaux canadiens et américains côte à côte. Et on entend la voix de Ronald Reagan. Extrait de son discours radio national du 28 février 1987 sur les semi-conducteurs japonais. Reagan explique qu’il impose des tarifs ciblés sur certains produits japonais. Mais il avertit aussi. « Les tarifs élevés peuvent déclencher des guerres commerciales. Ils blessent les travailleurs américains. Ils augmentent les prix pour les consommateurs. » Ce sont ses mots. Textuels. Vérifiables. La Fondation Ronald Reagan n’a jamais dit que c’était de la fraude. Trump l’a inventé. Mais peu importe. Parce que pour Trump, utiliser Reagan — l’icône républicaine — pour critiquer ses politiques, c’est inacceptable. C’est un affront. Un acte hostile. Donc il contre-attaque. Il prétend que Reagan « AIMAIT LES TARIFS POUR NOTRE PAYS ET SA SÉCURITÉ NATIONALE ». C’est faux. Reagan a négocié des accords de libre-échange. Il a créé l’ALENA avec le Canada et le Mexique. Mais Trump s’en fiche. Il réécrit l’histoire. Et il punit le Canada pour avoir osé citer la vérité.
Samedi 26 octobre : Trump ajoute 10% supplémentaires
Trump ne s’arrête pas à la rupture des négociations. Samedi 26 octobre, il en rajoute une couche. Il annonce qu’il ajoutera 10% de droits de douane supplémentaires aux tarifs existants sur le Canada. Dix pourcent. En plus. Parce que la publicité ontarienne continue de tourner. Parce que Doug Ford n’a annoncé sa suspension que vendredi — trop tard pour calmer Trump. Donc le président américain frappe encore. Il ne dit pas quand ces 10% entreront en vigueur. Il laisse planer l’incertitude. Mais le message est clair : vous me défiez, je vous étrangle économiquement. Le Canada subit déjà un tarif de base de 35% sur la plupart de ses exportations vers les États-Unis — même si une exemption ACEUM (l’accord commercial États-Unis-Mexique-Canada) s’applique aux produits conformes. Mais les secteurs sensibles souffrent terriblement. L’acier et l’aluminium canadiens subissent 50% de tarifs. L’automobile canadienne subit 25% de tarifs avec seulement une exemption partielle. Et maintenant, Trump menace d’ajouter 10% de plus. C’est insoutenable. C’est conçu pour forcer le Canada à capituler. À accepter n’importe quel accord dicté par Washington. Mais Carney refuse de plier.
Lundi 27 octobre : Carney dit non à la capitulation
Kuala Lumpur. Sommet de l’ASEAN. Les journalistes entourent Carney. Ils veulent savoir. Comment réagit-il à la colère de Trump ? À la rupture des négociations ? Aux 10% supplémentaires ? Et Carney répond calmement. Posément. Avec cette assurance tranquille qui caractérise les anciens banquiers centraux. « Nous sommes prêts à continuer à bâtir sur ce progrès quand les Américains seront prêts. » Quand les Américains seront prêts. Pas quand Trump daignera nous parler. Pas quand Washington acceptera notre soumission. Quand les Américains seront prêts à négocier sérieusement. Carney révèle qu’il n’a pas parlé à Trump depuis jeudi. Aucun contact. Aucun appel. Aucun message. Et Trump, lui, dit publiquement qu’il ne veut pas rencontrer Carney « avant longtemps ». Longtemps. Peut-être des semaines. Peut-être des mois. Et au sommet de l’APEC mercredi en Corée du Sud — où les deux seront présents — Trump a déjà exclu toute rencontre. « Je ne veux pas le rencontrer. Je ne vais pas le rencontrer avant longtemps. » Carney hausse les épaules. Il dit qu’il respecte la décision de Trump. Mais que le Canada restera prêt. Patient. Implacable.
Le progrès perdu : acier, aluminium, énergie
Ce qui rend cette rupture encore plus frustrante, c’est qu’un accord semblait proche. Carney l’a confirmé lundi. Avant la publicité ontarienne, les négociations avaient fait « des progrès considérables ». Sur l’acier. Sur l’aluminium. Sur l’énergie. Des discussions « très détaillées, très spécifiques, très complètes » selon ses propres mots. Les équipes canadiennes et américaines travaillaient depuis des semaines. Elles étaient proches d’un accord sectoriel qui aurait réduit les tarifs sur ces industries critiques. L’acier canadien alimente l’industrie automobile américaine. L’aluminium canadien construit les avions Boeing. L’énergie canadienne chauffe les maisons américaines. Un accord aurait bénéficié aux deux pays. Mais Trump a tout jeté par la fenêtre. Pour une publicité. Une publicité qui cite Ronald Reagan. Le Globe and Mail confirme que les négociateurs canadiens étaient optimistes jeudi matin. Qu’ils voyaient la ligne d’arrivée. Et puis 23h15 jeudi soir, tout s’est effondré. Un message sur Truth Social. Et des semaines de travail réduites à néant.
Carney refuse de blâmer Doug Ford
Les journalistes ont tenté de pousser Carney. De le forcer à critiquer Doug Ford. Après tout, c’est le gouvernement ontarien qui a diffusé la publicité. C’est Ford qui a provoqué la colère de Trump. Mais Carney refuse de mordre. « Les négociations commerciales sont la responsabilité exclusive du gouvernement fédéral. » Exclusive. Point final. Il ajoute que d’autres peuvent avoir leurs opinions. Que chaque Canadien peut donner des conseils. Mais que les décisions finales appartiennent à Ottawa. C’est une masterclass diplomatique. Parce que Carney sait que blâmer Ford publiquement ne ferait qu’aggraver la situation. Ça créerait une division interne que Trump exploiterait immédiatement. Donc il reste calme. Il reste uni. Il dit simplement : « Dans toute négociation complexe et à enjeux élevés, des développements inattendus peuvent survenir, et maintenir son calme est essentiel. » Maintenir son calme. Pendant que Trump hurle sur Truth Social. Pendant que les tarifs augmentent. Pendant que l’économie canadienne saigne.
Mercredi en Corée : Carney rencontrera Xi, pas Trump
Mercredi, sommet de l’APEC en Corée du Sud. Carney y sera. Trump y sera. Mais ils ne se rencontreront pas. Trump l’a dit clairement. Carney l’a accepté. Par contre, Carney rencontrera quelqu’un d’autre. Xi Jinping. Le président chinois. Le rival géopolitique majeur des États-Unis. Et voilà le coup de génie stratégique de Carney. Si Washington refuse de négocier, Beijing négociera. Si Trump ferme la porte, Xi l’ouvre. Le premier ministre canadien est à Kuala Lumpur pour le sommet de l’ASEAN précisément pour ça. Pour diversifier les partenaires commerciaux du Canada. Pour réduire la dépendance à 75% aux États-Unis. Carney l’a dit clairement : son objectif est de doubler les exportations canadiennes vers les marchés non américains d’ici dix ans. Doubler. Ça signifie passer d’environ 25% aujourd’hui à 50%. Ça signifie que dans dix ans, le Canada ne sera plus économiquement otage de Washington. Et Trump peut bien bouder. Il peut bien refuser de rencontrer Carney. Pendant ce temps, le Canada construit des ponts avec l’Asie. Avec l’Europe. Avec quiconque accepte de commercer équitablement.
Le budget du 4 novembre : construire chez soi
Carney a également évoqué le budget du 4 novembre. Un budget qui détaillera la stratégie canadienne pour résister aux tarifs américains. Pour « construire chez soi et construire fort ». Investir massivement dans l’industrie canadienne. Dans les infrastructures. Dans la technologie. Créer des centaines de milliards de dollars d’investissements domestiques. Pour que — quoi que fasse Washington — le Canada survive. Prospère même. Carney l’a dit avant même d’être élu premier ministre en mars 2025. Il a répété cette philosophie pendant toute la campagne. Et maintenant, il la met en œuvre. Parce qu’il a compris quelque chose d’essentiel. On ne peut pas contrôler la politique commerciale américaine. On ne peut pas raisonner avec Trump. On ne peut pas prédire ses caprices. Donc on construit chez soi. On se rend résilient. On fait en sorte qu’aucun gouvernement étranger — peu importe ses tarifs — ne puisse briser l’économie canadienne. C’est audacieux. C’est coûteux. Mais c’est nécessaire. Parce que Trump a prouvé qu’il sacrifiera les intérêts économiques de son propre pays pour punir un allié à cause d’une publicité.
Conclusion
Mark Carney se tient debout. Calme. Résolu. Pendant que Trump tempête sur Truth Social. Pendant que les tarifs montent. Pendant qu’Ottawa saigne économiquement. « Nous sommes prêts quand vous l’êtes. » Six mots. Mais ils disent tout. Le Canada ne supplie pas. Il ne capitule pas. Il attend. Patient. Confiant. Parce que Carney sait que Trump ne peut pas se permettre de perdre le Canada indéfiniment. Le Canada est le deuxième partenaire commercial des États-Unis. Il fournit l’acier, l’aluminium, l’énergie qui font tourner l’économie américaine. Les usines automobiles du Michigan dépendent de l’acier canadien. Les raffineries du Texas dépendent du pétrole canadien. Les réseaux électriques de New York dépendent de l’hydroélectricité canadienne. Trump peut bien bouder. Il peut bien ajouter 10% de tarifs. Mais à un moment donné, l’industrie américaine criera assez fort pour qu’il revienne à la table. Et ce jour-là, Carney sera prêt. Pas suppliant. Pas désespéré. Juste prêt. En attendant, il rencontre Xi Jinping. Il diversifie vers l’Asie. Il construit des alternatives. Il prépare le budget du 4 novembre qui injectera des centaines de milliards dans l’économie canadienne. Il transforme une crise en opportunité. Une rupture en renaissance. Trump pensait punir le Canada avec sa colère. Il l’a forcé à se libérer de sa dépendance à Washington. Dans dix ans, quand les exportations canadiennes vers les marchés non américains auront doublé, Trump réalisera son erreur. Qu’il a sacrifié l’influence américaine au Canada pour une publicité qui citait Ronald Reagan. Et Carney ? Il sera toujours là. Prêt à parler. Quand les États-Unis seront prêts à écouter.
Encadré de transparence du chroniqueur
Je ne suis pas journaliste, mais chroniqueur, je suis analyste, observateur des relations commerciales bilatérales et des ruptures diplomatiques qui redéfinissent les alliances stratégiques mondiales. Mon travail consiste à décortiquer les guerres commerciales, à comprendre l’impact des tarifs punitifs sur les économies interconnectées, à anticiper les conséquences géopolitiques des caprices présidentiels. Je ne prétends pas à l’objectivité froide du journalisme traditionnel. Je prétends à la lucidité, à l’analyse économique sans complaisance, à la compréhension profonde de la manière dont les démocraties alliées survivent aux tempêtes protectionnistes.
Ce texte respecte la distinction fondamentale entre faits vérifiés et commentaires interprétatifs. Les informations factuelles présentées dans cet article proviennent de sources officielles et vérifiables, notamment les déclarations du premier ministre canadien Mark Carney lors de la conférence de presse à Kuala Lumpur le 27 octobre 2025 confirmant qu’il n’a pas parlé à Trump depuis jeudi et qu’il est prêt à reprendre les négociations quand les États-Unis seront prêts, le message de Donald Trump sur Truth Social publié le 23 octobre 2025 à 23h15 annonçant la rupture de toutes les négociations commerciales avec le Canada, les déclarations de Trump le 27 octobre excluant toute rencontre avec Carney avant longtemps, l’annonce du 26 octobre par Trump d’ajouter 10% de droits de douane supplémentaires sur le Canada, les rapports concernant la publicité ontarienne de 75 millions de dollars utilisant un extrait du discours radio de Ronald Reagan du 28 février 1987, les déclarations de Carney confirmant que des progrès considérables avaient été réalisés sur l’acier, l’aluminium et l’énergie avant la rupture, les rapports d’agences de presse internationales reconnues telles que Reuters, Associated Press, CBC News, CTV News, Globe and Mail, Le Monde, BBC, CNN, ainsi que les analyses du National Post et de Politico. Les statistiques concernant le tarif de base de 35%, les tarifs de 50% sur l’acier et l’aluminium, les tarifs de 25% sur l’automobile, et l’objectif de doubler les exportations vers les marchés non américains proviennent de ces sources vérifiables.
Les analyses et interprétations contextuelles présentées dans les sections analytiques de cet article représentent une synthèse critique basée sur l’évaluation de la stratégie de résilience économique du Canada face aux tarifs punitifs américains, l’analyse de la rupture diplomatique causée par la publicité ontarienne, et les commentaires d’experts en commerce international cités dans les sources consultées. Mon rôle est d’interpréter cette crise commerciale bilatérale, de contextualiser son impact sur l’alliance historique canado-américaine, et de donner un sens à la stratégie de diversification commerciale du Canada vers l’Asie. Toute évolution ultérieure de la situation — reprise des négociations, rencontre Trump-Carney, nouveaux tarifs additionnels — pourrait modifier les perspectives présentées ici. Cet article sera mis à jour si de nouvelles informations officielles majeures concernant les négociations commerciales ou les décisions tarifaires sont publiées par les gouvernements canadien ou américain ou des sources diplomatiques vérifiables.