Chronique : Deux mois de frappes, l’Ukraine étrangle l’industrie pétrolière russe goutte par goutte
Auteur: Maxime Marquette
Depuis le 1er août 2025, l’Ukraine a lancé 58 attaques documentées contre des installations énergétiques russes. Cinquante-huit. Raffineries, dépôts de carburant, terminaux pétroliers, usines de traitement de gaz. Chaque nuit, ou presque, un drone décolle. Parfois plusieurs. Parfois des dizaines. Ils volent à basse altitude, esquivant les radars russes, contournant les défenses S-300 et S-400. Et ils frappent. Ryazan, la quatrième plus grande raffinerie russe, arrêtée le 23 octobre après une frappe de drone. 80 000 barils par jour de capacité perdus. Novokuibyshevsk dans la région de Samara, frappée trois fois en deux mois. Orenburg, la plus grande usine de traitement de gaz au monde, incendiée le 18 octobre. Saratov, Volgograd, Salavat, toutes frappées à répétition. Certaines installations ont été touchées jusqu’à 2 000 kilomètres à l’intérieur du territoire russe. Deux mille kilomètres. C’est plus loin que Berlin-Paris. Et l’Ukraine le fait avec des drones qui coûtent une fraction du prix d’un missile de croisière. Reuters Graphics confirme que ces frappes ont perturbé 17% de la capacité de raffinage russe à la mi-août, montant à 21% fin août. Ça représente 1,4 million de barils quotidiens. Pour contextualiser : c’est l’équivalent de la production pétrolière totale de l’Algérie.
Les cibles stratégiques : pas au hasard
Ces frappes ne sont pas aléatoires. L’Ukraine cible des installations spécifiques qui maximisent l’impact économique et militaire. Les raffineries près de Moscou, comme Ryazan, qui fournissent l’essence et le diesel à la capitale et aux régions environnantes. Les installations de traitement comme Orenburg qui transforment le gaz naturel en produits utilisables. Les terminaux d’exportation comme celui de Feodosia en Crimée, détruit en août, qui expédiait le pétrole brut vers les marchés internationaux. Le Centre for Research on Energy and Clean Air note que chaque installation ciblée a été choisie pour sa valeur stratégique. Ryazan alimente Moscou. Novokuibyshevsk ravitaille les forces russes dans le sud. Saratov approvisionne les bases aériennes. Volgograd soutient les opérations logistiques vers le Donbass. L’Ukraine frappe là où ça fait le plus mal. Là où l’impact est immédiat. Là où les Russes ne peuvent pas compenser facilement.
La technologie derrière les frappes
Comment l’Ukraine atteint-elle des cibles à 2 000 kilomètres ? Avec des drones longue portée développés localement. Le commandant Charlie du 14e Régiment de frappe profonde a expliqué à Reuters que les drones ukrainiens modernes peuvent transporter des charges utiles de 40 à 75 kilogrammes d’explosifs sur des distances dépassant 1 200 kilomètres. Ils utilisent des systèmes de navigation GPS combinés à des algorithmes d’évitement anti-brouillage. Ils volent en essaims — parfois 10, 20, 30 à la fois — saturant les défenses russes. Les systèmes S-400 peuvent abattre certains drones, mais pas tous. Pas quand ils arrivent par vagues. Pas quand ils volent à 50 mètres d’altitude. Pas quand ils changent de trajectoire en vol. L’Ukraine a également développé des capacités de renseignement sophistiquées. Elle surveille les mouvements de camions-citernes. Elle analyse les images satellites pour détecter quand les réservoirs sont pleins. Elle frappe au moment optimal — exactement ce qu’elle a fait à Starobilsk et Louhansk la nuit dernière. Cette précision chirurgicale, c’est le résultat de deux ans d’apprentissage intensif. De perfectionnement constant.
L'effondrement des exportations russes : 26% de baisse en un an
Les chiffres économiques confirment l’impact. En septembre 2025, la Russie a exporté en moyenne 637 millions de dollars de carburant par jour. C’est une baisse de 4% par rapport à août. Et surtout, c’est une chute de 26% par rapport à septembre 2024. Vingt-six pourcent en douze mois. Le New York Post, citant le Centre for Research on Energy and Clean Air, note que c’est le niveau le plus bas depuis le début de la guerre en février 2022. Pourquoi ? Parce que les raffineries ukrainiennes ciblent ne peuvent plus produire au même rythme. Ryazan, par exemple, a transformé 13,1 millions de tonnes de pétrole en 2024. Après les frappes répétées de 2025, sa capacité est réduite d’au moins 25%. Novokuibyshevsk, frappée trois fois, fonctionne à capacité diminuée. Saratov, touchée à répétition, a suspendu certaines opérations. L’Atlantic Council estime que ces frappes ont forcé la Russie à rediriger davantage de pétrole brut vers l’exportation — parce qu’elle ne peut plus le raffiner localement. Mais le pétrole brut rapporte moins que les produits raffinés. Beaucoup moins. Donc même si la Russie compense en exportant plus de brut, elle gagne moins d’argent.
Les pénuries intérieures en Russie
Et à l’intérieur de la Russie ? Le chaos. Les prix de l’essence ont augmenté de 10% depuis août, selon Reuters. Des files d’attente sont apparues dans certaines stations-service, notamment dans les régions éloignées de Moscou. Des gouverneurs régionaux ont commencé à rationner le carburant. La Russie a été forcée d’importer du diesel du Kazakhstan pour compenser les déficits. Du Kazakhstan. Un pays qui produit une fraction de ce que produit la Russie. C’est humiliant. C’est révélateur. Zelensky l’a dit lui-même le 9 octobre : « La Russie fait face à une pénurie de gaz et puise dans ses réserves de diesel pour les jours de pluie. » Des réserves stratégiques. Celles censées être utilisées en cas d’urgence nationale. Elles sont entamées. Dépensées. Pour maintenir l’illusion que tout va bien. Mais tout ne va pas bien. Les Russes le voient à la pompe. Ils le sentent dans leur portefeuille. Et ça crée une pression politique énorme sur Poutine.
Ryazan : le symbole de la vulnérabilité russe
Le 23 octobre 2025, un drone ukrainien a frappé la raffinerie de Ryazan. Située à seulement 200 kilomètres au sud-est de Moscou, cette installation est la quatrième plus grande raffinerie russe. Elle transformait 13,1 millions de tonnes de pétrole par an — environ 5% de la capacité totale de raffinage russe. La frappe a touché l’unité de distillation primaire CDU-4, d’une capacité de 80 000 barils par jour. Un incendie a éclaté. L’unité a été arrêtée. Et avec elle, plusieurs unités adjacentes — un reformeur, un hydrotraitement sous vide, un craqueur catalytique. Toute une chaîne de production paralysée. Reuters a confirmé le 24 octobre que la raffinerie continuait à fonctionner, mais à capacité réduite. Combien réduite ? Les sources industrielles parlent de 25% de la production totale perdue. C’est énorme. Ryazan alimente directement Moscou. Les stations-service de la capitale dépendent de cette raffinerie. Si Ryazan tombe, Moscou suffoque. Et l’Ukraine le sait. C’est pourquoi elle a frappé. Et c’est pourquoi elle frappera encore.
Une raffinerie déjà affaiblie
Ryazan n’en est pas à sa première frappe. Elle avait déjà été touchée en février 2025, puis en septembre. Chaque attaque affaiblit un peu plus l’infrastructure. Chaque réparation coûte des millions. Chaque arrêt de production perd des dizaines de millions de revenus. Et maintenant, avec la frappe d’octobre, l’unité CDU-4 est hors service pour au moins plusieurs semaines, peut-être des mois. Pendant ce temps, la Russie doit compenser. Comment ? En important du carburant raffiné. En payant plus cher. En épuisant ses réserves. Le Kyiv Independent note que depuis août, au moins 16 des 38 raffineries russes ont été touchées. Certaines, comme Ryazan, Saratov et Novokuibyshevsk, à plusieurs reprises. Les réparations prennent du temps. Et pendant ce temps, l’Ukraine continue de frapper de nouvelles cibles. C’est une course que la Russie ne peut pas gagner.
L'Ukraine réussit-elle vraiment à paralyser l'industrie pétrolière russe ?
La question brûle les lèvres. Avec toutes ces frappes, tous ces incendies, toutes ces raffineries endommagées — l’Ukraine réussit-elle vraiment à paralyser l’industrie pétrolière russe ? La réponse courte : oui, mais partiellement. La capacité de raffinage russe n’est pas détruite. Elle est perturbée. Affaiblie. Réduite. Le Carnegie Endowment for International Peace estime que les frappes ukrainiennes ont infligé des dommages « sérieux mais probablement pas critiques » à l’industrie russe. La Russie peut toujours raffiner du pétrole. Elle peut toujours exporter. Mais elle le fait à capacité réduite. Et ça suffit. Parce que dans une guerre d’usure, chaque pourcentage compte. Chaque million de dollars perdu est un million qui ne finance pas les chars, les missiles, les drones russes. L’Agence internationale de l’énergie prédit que l’impact des frappes persistera jusqu’à mi-2026 au moins. Mi-2026. C’est huit mois de perturbations continues. Huit mois où la Russie doit compenser, improviser, importer. Huit mois où son économie saigne.
Les limites de la campagne
Mais il y a des limites. La Russie a 38 raffineries majeures. L’Ukraine en a frappé 21. Cela signifie que 17 restent intactes. Certaines sont trop éloignées. D’autres trop bien défendues. Et la Russie s’adapte. Elle déploie plus de systèmes de défense aérienne autour des installations critiques. Elle construit des structures de protection renforcées. Elle disperse ses stocks de carburant pour réduire l’impact des frappes individuelles. Le Financial Times note que malgré les dommages, la Russie a réussi à maintenir ses exportations de pétrole brut relativement stables. Parce qu’elle exporte ce qu’elle ne peut plus raffiner. Mais là encore, ça joue en faveur de l’Ukraine. Parce que le pétrole brut rapporte 30 à 40% de moins que les produits raffinés comme l’essence et le diesel. Donc même en compensant, la Russie perd de l’argent. Beaucoup d’argent.
Les sanctions de Trump amplifient l’effet
Et puis, il y a les sanctions. Le 23 octobre 2025, le président américain Donald Trump a imposé des sanctions sur Rosneft et Lukoil, les deux plus grandes compagnies pétrolières russes. Ensemble, elles représentent plus de 5% de la production pétrolière mondiale. Les actifs américains de ces entreprises sont gelés. Les firmes américaines ne peuvent plus faire affaire avec elles. Reuters rapporte que ces sanctions ont fait grimper les prix du pétrole et créé une nervosité sur les marchés. Mais surtout, elles coupent l’accès de ces compagnies aux technologies occidentales, aux pièces de rechange, aux services de maintenance. Combinées aux frappes ukrainiennes, ces sanctions créent une double pression. La Russie ne peut plus raffiner normalement. Et elle ne peut plus accéder aux outils pour réparer ses raffineries. C’est l’étau qui se resserre. Goutte par goutte.
Conclusion
Deux mois. Cinquante-huit frappes. Vingt-et-une raffineries touchées. 21% de capacité perdue. 26% de baisse des exportations en un an. Des files d’attente aux stations-service russes. Des importations de diesel du Kazakhstan. Des réserves stratégiques entamées. C’est ça, le bilan de la campagne ukrainienne contre l’industrie pétrolière russe. Et ce n’est pas fini. Zelensky l’a dit : ces frappes sont « les plus efficaces, celles qui fonctionnent le plus rapidement ». Parce qu’elles touchent directement le portefeuille russe. Parce qu’elles créent des pénuries visibles. Parce qu’elles forcent Poutine à admettre, indirectement, que sa machine de guerre vacille. L’Ukraine ne peut pas détruire toute l’industrie pétrolière russe. Mais elle n’a pas besoin de le faire. Elle a juste besoin de la perturber suffisamment longtemps. De la saigner suffisamment. De créer suffisamment de chaos pour que la Russie ne puisse plus soutenir une guerre prolongée. Et ça, elle y arrive. Raffinerie après raffinerie. Drone après drone. Explosion après explosion. Le ciel russe brûle. Et avec lui, les ambitions de Poutine.
Encadré de transparence du chroniqueur
Je ne suis pas journaliste, mais chroniqueur, je suis analyste, observateur des dynamiques énergétiques et des campagnes de frappes stratégiques qui redéfinissent les guerres modernes. Mon travail consiste à décortiquer les données économiques, à comprendre l’impact des frappes sur les infrastructures critiques, à anticiper les conséquences à long terme des perturbations énergétiques sur la capacité de guerre russe. Je ne prétends pas à l’objectivité froide du journalisme traditionnel. Je prétends à la lucidité, à l’analyse économique rigoureuse, à la compréhension profonde des liens entre énergie, économie et puissance militaire.
Ce texte respecte la distinction fondamentale entre faits vérifiés et commentaires interprétatifs. Les informations factuelles présentées dans cet article proviennent de sources officielles et vérifiables, notamment les déclarations du président ukrainien Volodymyr Zelensky concernant l’efficacité des frappes sur les raffineries, les rapports de Reuters Graphics datés du 16 octobre 2025 analysant l’impact sur la capacité de raffinage russe, les données du Centre for Research on Energy and Clean Air sur les exportations russes de septembre 2025, les rapports de Reuters confirmant l’arrêt de la raffinerie de Ryazan le 23 octobre, les analyses du Financial Times, du Kyiv Independent, du Carnegie Endowment for International Peace, de l’Atlantic Council, les rapports d’agences de presse internationales reconnues telles que Reuters, BBC, The Guardian, New York Post, Business Insider, ainsi que les données de l’Agence internationale de l’énergie et les annonces officielles du président Trump concernant les sanctions sur Rosneft et Lukoil du 23 octobre 2025. Les statistiques sur les 58 attaques depuis août, les 21 raffineries touchées, les 26% de baisse des exportations, et les 10% d’augmentation des prix de l’essence en Russie proviennent de ces sources vérifiables.
Les analyses et interprétations contextuelles présentées dans les sections analytiques de cet article représentent une synthèse critique basée sur les données économiques disponibles, l’évaluation de l’impact cumulatif des frappes sur la capacité industrielle russe, et les commentaires d’experts énergétiques et militaires cités dans les sources consultées. Mon rôle est d’interpréter ces données, de contextualiser l’impact économique des frappes, et de donner un sens à la stratégie ukrainienne de guerre économique asymétrique. Toute évolution ultérieure de la situation — nouvelles frappes majeures, évaluation révisée des dommages par imagerie satellite, changements dans les exportations russes — pourrait modifier les perspectives présentées ici. Cet article sera mis à jour si de nouvelles données économiques ou opérationnelles majeures sont publiées par des sources officielles vérifiables.