Chronique : Combattants de la résistance ukrainienne : feu, flammes et sabotage contre les infrastructures russes
Auteur: Maxime Marquette
Fin octobre-début novembre 2025 : quatre cibles logistiques détruites en profondeur
Les dates exactes restent floues, délibérément masquées pour protéger les opérateurs, mais les résultats sont indéniables. Entre la fin octobre et le début novembre 2025, les services de renseignement militaire ukrainiens ont confirmé que des groupes de résistance opérant à l’intérieur de la Fédération de Russie ont détruit quatre installations logistiques clés. Selon Defence Express, qui a publié l’information le 8 novembre 2025 en citant des sources ukrainiennes, les opérations se sont déroulées dans deux régions distinctes et stratégiquement importantes. À Sterlitamak, une ville industrielle située dans la République de Bachkirie, à plus de mille kilomètres à l’est de la frontière ukrainienne, les saboteurs ont incendié des équipements appartenant à trois tours de communications. Ces installations ne sont pas de simples antennes civiles. Selon les rapports de renseignement ukrainiens, elles jouent un rôle crucial dans la transmission de données à la fois civiles et militaires, et leur destruction représente un coup porté à la coordination régionale et à la connectivité dont dépendent les forces russes pour synchroniser leurs opérations. La perte de ces tours crée des zones aveugles dans le réseau de communication, forçant les unités militaires à recourir à des moyens de communication alternatifs plus vulnérables à l’interception.
Simultanément, près de la ville de Vologda, située au nord-ouest de Moscou dans une région historiquement importante pour les routes commerciales et militaires russes, un autre groupe de saboteurs a détruit une armoire de relais ferroviaire. Ce détail technique peut sembler insignifiant pour un observateur non averti, mais pour quiconque comprend le fonctionnement des réseaux ferroviaires, c’est un coup de maître. Les armoires de relais régulent la signalisation ferroviaire et contrôlent le trafic des trains sur des sections entières de voies. Leur destruction ou leur dysfonctionnement peut paralyser le trafic ferroviaire sur des dizaines de kilomètres, bloquant les convois militaires transportant munitions, carburant et équipement vers les lignes de front. Selon Defence Express, cette cible apparemment modeste revêt une importance tactique majeure, car elle permet d’arrêter ou de retarder considérablement le mouvement des trains militaires, créant des embouteillages logistiques qui se propagent en cascade à travers tout le réseau ferroviaire régional. Les forces armées ukrainiennes comprennent que le rail est l’artère vitale de la logistique militaire russe, et elles ciblent méthodiquement ces points de vulnérabilité pour saigner progressivement la capacité de Moscou à soutenir ses opérations offensives.
Le ciblage systématique de ce type d’infrastructures révèle une planification minutieuse et une compréhension approfondie de la chaîne logistique russe. Les partisans ukrainiens ne frappent pas au hasard. Ils sélectionnent des cibles qui maximisent les perturbations tout en minimisant leur exposition aux forces de sécurité russes. Les tours de communication et les relais ferroviaires sont souvent situés dans des zones peu surveillées, loin des centres urbains densément peuplés où la présence policière est forte. Cette approche permet aux saboteurs d’opérer rapidement, de frapper efficacement, et de disparaître avant que les autorités russes ne puissent réagir. Chaque opération réussie envoie également un message psychologique puissant aux forces d’occupation et à la population locale : nulle part n’est vraiment sécurisé, même en profondeur sur le territoire russe, même loin des lignes de front. Cette guerre des partisans transforme l’arrière-pays russe d’une zone de confort et de reconstitution en un territoire contesté où chaque infrastructure peut devenir une cible à tout moment.
5-6 novembre 2025 : la Légion Liberté de Russie brûle des dizaines de locomotives
Dans la nuit du 5 au 6 novembre 2025, l’une des opérations de sabotage les plus spectaculaires de cette guerre asymétrique s’est déroulée simultanément à travers tout le territoire russe. Le mouvement de résistance Légion Liberté de Russie, composé de citoyens russes opposés au régime de Poutine et à la guerre contre l’Ukraine, a mené une série d’attaques coordonnées contre des locomotives utilisées pour transporter du matériel militaire. La Direction principale du renseignement du ministère de la Défense ukrainien a confirmé l’opération dans un communiqué publié le 6 novembre 2025, saluant l’efficacité et l’ampleur des frappes. Selon ce communiqué, les cibles principales étaient les locomotives que les forces russes utilisent pour approvisionner les zones de guerre en armes, munitions et équipements. Les partisans ont utilisé des méthodes simples mais terriblement efficaces : des cocktails Molotov. Ces dispositifs incendiaires rudimentaires, fabriqués à partir de bouteilles remplies de liquides inflammables, ont été lancés directement dans les systèmes de contrôle et d’alimentation électrique de dizaines de locomotives, incinérant les composants essentiels qui permettent à ces machines de fonctionner.
L’ampleur géographique de cette opération est stupéfiante. Les sabotages n’ont pas eu lieu dans une seule région, mais à travers de multiples oblasts et républiques russes. Selon le Kyiv Post, qui a compilé une liste détaillée des sites touchés à partir de sources ouvertes et de déclarations de la Légion Liberté de Russie, les attaques ont frappé dans la région de Moscou, où un train a été incendié à Arkhangelskoye. À Samara, un centre industriel majeur de la Russie, plusieurs frappes ont été enregistrées dans les villes de Syzran, Tolyatti, Bezenchuk et Kinel-Cherkasy. Dans la République des Komis, au nord, les rebelles ont détruit un train à Syktyvkar. À Kemerovo, en Sibérie occidentale, une locomotive a été incendiée à Novokuznetsk. La région de Sverdlovsk, autour de Iekaterinbourg, a été particulièrement touchée, avec des sabotages rapportés à Bilimbay, Bogdanovich, Pervouralsk et Nizhny Tagil. Cette dispersion géographique démontre que la Légion Liberté de Russie n’est pas un mouvement localisé mais un réseau national capable de coordonner des actions simultanées à travers des milliers de kilomètres de territoire russe.
Ce qui rend ces attaques encore plus significatives, c’est que les partisans n’ont pas limité leurs opérations au territoire russe reconnu internationalement. Ils ont également frappé dans les territoires ukrainiens occupés par la Russie, démontrant que même dans les zones sous contrôle militaire russe direct, les forces d’occupation ne sont pas à l’abri de la résistance. Des locomotives ont été incendiées dans les oblasts de Donetsk et Kherson, montrant que les membres russes de la Légion Liberté de Russie peuvent opérer aussi librement dans les territoires occupés d’Ukraine qu’en Russie même. Cette capacité à frapper dans les zones occupées est particulièrement importante sur le plan psychologique, car elle sape le récit russe selon lequel ces territoires sont désormais définitivement intégrés à la Russie et sécurisés. Le renseignement militaire ukrainien a souligné que ces frappes ont considérablement ralenti le mouvement des ressources ennemies et affecté la stabilité de l’approvisionnement des unités de l’armée russe au front. Chaque locomotive détruite représente non seulement une perte matérielle immédiate, mais aussi une perturbation prolongée de la chaîne logistique, car les chemins de fer russes souffrent déjà d’une pénurie chronique de locomotives et de personnel qualifié pour les opérer, aggravée par les sanctions occidentales qui limitent l’accès aux pièces de rechange et aux équipements de maintenance.
8-9 novembre 2025 : Atesh paralyse les lignes ferroviaires en Crimée près de Simferopol
Le mouvement partisan Atesh, dont le nom signifie « feu » en tatar de Crimée, a frappé un coup majeur contre les lignes d’approvisionnement russes en Crimée occupée dans la nuit du 8 au 9 novembre 2025. Selon un communiqué publié sur le canal Telegram du mouvement le 9 novembre et relayé par de multiples sources ukrainiennes dont RBC-Ukraine et United24media, les agents d’Atesh ont mené une opération de sabotage sur les voies ferrées dans la région de Simferopol occupé. Cette frappe visait spécifiquement une artère logistique clé utilisée par les forces d’occupation russes pour acheminer des approvisionnements vers les directions de Kherson et Zaporijia, où les combats se poursuivent avec intensité. Le communiqué d’Atesh affirme que l’opération a réussi à arrêter le trafic ferroviaire, perturbant directement la livraison de munitions, de carburant et d’équipements aux troupes russes déployées sur ces fronts. Le mouvement a déclaré que même en profondeur dans l’arrière en Crimée, l’armée russe ne peut pas se sentir en sécurité, un message destiné autant à démoraliser les forces d’occupation qu’à inspirer la population ukrainienne sous occupation.
Cette opération s’inscrit dans une campagne plus large et systématique de sabotage ferroviaire menée par Atesh en Crimée occupée et dans d’autres territoires sous contrôle russe. Le 26 octobre 2025, selon En Defence-UA qui a rapporté l’incident le 25 octobre, le mouvement avait déjà mené une opération de sabotage réussie près d’Armiansk, une ville située au nord de la Crimée à l’entrée de la péninsule. Les agents d’Atesh avaient alors désactivé des équipements de relais ferroviaire, stoppant les mouvements de trains utilisés pour approvisionner l’armée d’occupation russe. Selon les partisans, ce sabotage avait été chronométré pour coïncider avec un pic d’activité logistique russe, retardant considérablement la livraison de munitions et de fournitures aux unités déployées dans la direction de Kherson. Chaque action de ce type crée des difficultés supplémentaires pour le groupe ennemi et réduit progressivement sa capacité de combat. Atesh a souligné dans ses communications que le mouvement continue de perturber systématiquement les routes d’approvisionnement des occupants, que son réseau d’agents s’étend, et que ses frappes deviennent de plus en plus efficaces.
La capacité d’Atesh à opérer en Crimée occupée est particulièrement remarquable étant donné les mesures de sécurité draconiennes mises en place par les autorités russes depuis l’annexion illégale de la péninsule en 2014. La Crimée abrite la base navale de Sévastopol, siège de la flotte russe de la mer Noire, ainsi que plusieurs bases aériennes militaires et installations de défense aérienne stratégiques. Le territoire est densément surveillé par les services de sécurité russes, y compris le FSB et la police militaire. Pourtant, Atesh parvient non seulement à survivre mais à prospérer dans cet environnement hostile, recrutant des agents locaux, collectant des renseignements sur les installations militaires russes, et menant des opérations de sabotage qui perturbent régulièrement les opérations militaires russes. Cette résilience témoigne du soutien persistant d’une partie de la population locale, notamment parmi les Tatars de Crimée et les Ukrainiens ethniques qui n’ont jamais accepté l’occupation russe et continuent de résister malgré la répression. Le mouvement partisan Atesh représente ainsi une forme de résistance permanente qui maintient contestée l’affirmation russe selon laquelle la Crimée est désormais définitivement et pacifiquement intégrée à la Fédération de Russie.
Octobre 2025 : une campagne soutenue de sabotage ferroviaire à travers la Russie
Le mois d’octobre 2025 a été marqué par une intensification spectaculaire des opérations de sabotage ferroviaire à travers tout le territoire russe. Selon la Direction principale du renseignement du ministère de la Défense ukrainien, qui a publié un bilan le 2 novembre 2025 tel que rapporté par Ukraine Today, les groupes partisans opérant à l’intérieur de la Fédération de Russie mènent un nombre croissant d’opérations de sabotage contre l’infrastructure ferroviaire russe. Le renseignement ukrainien a déclaré que les mouvements de résistance opérant sur le territoire de la Fédération de Russie ciblent activement les routes logistiques stratégiques. Ces attaques, allant de l’incendie criminel aux explosions, auraient perturbé les réseaux de transport essentiels à la logistique militaire. Selon le rapport du HUR, des incidents ont été signalés dans de multiples régions, y compris Briansk, Rostov et Mourmansk, ainsi qu’en Tchétchénie et en Karachay-Tcherkessie. Des opérations similaires ont également été rapportées dans les territoires occupés de Crimée et de la région de Louhansk, indiquant que la campagne s’étend au-delà des frontières internationalement reconnues de la Russie.
L’un des exemples les plus récents cités par le HUR concernait un sabotage réussi près de Novocherkassk dans la région de Rostov. Selon les rapports, l’opération a retardé des trains militaires transportant du personnel et de l’équipement, provoquant des perturbations en cascade dans les chaînes d’approvisionnement jugées vitales pour les forces russes. Le mouvement partisan Atesh a revendiqué la responsabilité de l’incendie volontaire d’une armoire de relais ferroviaire à Tokmak occupé, dans la région de Zaporijia, perturbant la logistique militaire russe le long d’une route d’approvisionnement clé. Le 7 octobre 2025, selon RBC-Ukraine, une ligne ferroviaire dans la région de Leningrad en Russie a été endommagée par une explosion tôt le matin, entraînant le déraillement d’un train transportant du fret militaire. L’explosion s’est produite le long de la route Stroganovo-Mshinskaya, perturbant l’une des principales lignes ferroviaires reliant Saint-Pétersbourg et Pskov. Selon des sources du renseignement ukrainien citées par le média, l’opération a été menée par des partisans locaux et a entraîné une paralysie temporaire du trafic ferroviaire sur la route. Les chemins de fer russes ont confirmé que le mouvement des trains avait été interrompu dans la zone mais ont décrit la cause comme des « raisons techniques ». Les trains de marchandises et de passagers ont été redirigés via des itinéraires alternatifs, entraînant des retards de plusieurs heures.
Ce schéma répété d’attaques démontre que la campagne de sabotage ferroviaire n’est pas composée d’incidents isolés mais représente une stratégie coordonnée et soutenue visant à dégrader systématiquement les capacités logistiques russes. Le HUR ukrainien a souligné que les actions coordonnées des groupes partisans compliquent considérablement la logistique ennemie, limitent la capacité de transférer de l’équipement et des renforts, et affaiblissent son potentiel offensif. Cette évaluation est corroborée par les rapports russes eux-mêmes, qui admettent de plus en plus ouvertement les problèmes rencontrés par les chemins de fer russes. Dès la fin 2023, les chemins de fer russes faisaient face à une disponibilité réduite des locomotives et une capacité de fret diminuée en raison des sanctions occidentales. Les restrictions imposées par l’Occident sur ce que les entreprises russes peuvent acheter à l’étranger signifient que les composants et pièces nécessaires pour effectuer la maintenance et les réparations sont en pénurie. À la mi-2025, les chemins de fer russes souffraient d’un déficit de trois mille équipages de locomotives et deux mille cinq cents ingénieurs, laissant environ deux cents trains dans leurs stocks tout simplement incapables de fonctionner. Chaque locomotive détruite par les saboteurs aggrave encore cette crise déjà critique.
Les méthodes opérationnelles : simplicité, efficacité et dispersion
Ce qui frappe dans cette campagne de sabotage, c’est la simplicité des méthodes employées conjuguée à leur efficacité dévastatrice. Les partisans ne disposent pas de missiles de croisière ni de drones sophistiqués. Ils utilisent des cocktails Molotov fabriqués artisanalement, des dispositifs explosifs improvisés rudimentaires, et des incendies volontaires. Selon les rapports du HUR ukrainien relayés par Telegrafi le 6 novembre 2025, les cocktails incendiaires des partisans ont incinéré les systèmes de contrôle et d’alimentation électrique de dizaines de véhicules utilisés pour transporter du fret militaire. Ces moyens simples mais efficaces ont été utilisés pour frapper les nœuds de transport les plus importants, sans causer de pertes civiles, mais en endommageant considérablement la capacité de l’armée russe à transporter équipements et troupes. La formulation prudente souligne une dimension éthique importante de ces opérations : les saboteurs ciblent délibérément l’infrastructure militaire et logistique tout en évitant les pertes civiles, contrairement aux bombardements russes aveugles sur les infrastructures civiles ukrainiennes.
La vidéo publiée par le Kyiv Independent montre la nature artisanale de ces opérations. Les premières secondes sont filmées du point de vue des partisans eux-mêmes, qui enregistrent leur vision des liquides inflammables qu’ils versent à l’intérieur des trains qu’ils ciblent. Après cela, nous voyons les résultats : train après train en flammes. De l’essence est allumée. Des cocktails Molotov sont lancés. Chaque train semble non gardé et vulnérable, ce qui constitue une lacune massive dans la sécurité d’un pays qui dépend si lourdement du rail pour se maintenir en fonctionnement. Il semble presque trop facile. Mais beaucoup plus probable est que le HUR et la Légion Liberté de Russie ont passé des semaines, peut-être même des mois, à sélectionner des trains spécifiques qu’ils savaient pouvoir être accessibles et qui étaient susceptibles d’être utilisés par la Russie pour transporter des armes et des munitions vers l’Ukraine. La vidéo alterne entre les sabotages si rapidement qu’il est difficile d’obtenir une idée précise du nombre de trains que la Légion Liberté de Russie a frappés pendant la nuit. Heureusement, nous n’avons pas besoin de nous fier uniquement aux images pour en savoir plus.
La dispersion géographique des opérations révèle également une planification sophistiquée et une structure organisationnelle décentralisée. Frapper simultanément à travers de multiples régions russes nécessite des cellules opérationnelles locales capables d’agir de manière autonome tout en se coordonnant sur le calendrier et les objectifs généraux. Cette structure cellulaire rend le mouvement beaucoup plus résilient face aux efforts de contre-espionnage russes. Si une cellule est compromise et ses membres arrêtés, les autres cellules continuent d’opérer car elles fonctionnent de manière compartimentée avec un minimum de connaissances sur les autres unités. Cette approche organisationnelle s’inspire des meilleures pratiques de la guerre de guérilla et des mouvements de résistance historiques, notamment la résistance française pendant la Seconde Guerre mondiale et les mouvements partisans dans les Balkans. La Légion Liberté de Russie et Atesh démontrent qu’ils ont appris ces leçons et les appliquent avec succès dans le contexte russe contemporain, transformant la profondeur stratégique que la Russie considérait comme un avantage en une vulnérabilité exploitable.
Contexte historique : la tradition partisane ukrainienne et russe
L’Armée insurrectionnelle ukrainienne : le précédent historique de la résistance
Pour comprendre pleinement la résonance de la résistance partisane actuelle en Ukraine et en Russie, il faut remonter aux années 1940 et à l’Armée insurrectionnelle ukrainienne, connue sous son acronyme ukrainien UPA. Fondée le 14 octobre 1942 par l’Organisation des nationalistes ukrainiens, l’UPA était un mouvement partisan ukrainien qui a mené une guerre de guérilla contre l’Allemagne nazie, l’Union soviétique, et l’État clandestin polonais. L’objectif de l’UPA, tel qu’énoncé dans les documents fondateurs de l’Organisation des nationalistes ukrainiens, était d’établir un État ukrainien indépendant. Cet objectif, selon la déclaration fondatrice de l’OUN, devait être réalisé par une révolution nationale dirigée par une dictature qui chasserait les puissances occupantes puis établirait un gouvernement représentant toutes les régions et groupes sociaux. L’OUN acceptait la violence comme outil politique contre les ennemis de sa cause. Pour atteindre cet objectif, un certain nombre d’unités partisanes ont été formées, fusionnées en une structure unique sous la forme de l’UPA, créée le 14 octobre 1942. À partir de février 1943, l’organisation s’est battue contre les Allemands en Volhynie et Polésie.
L’UPA comptait environ vingt-huit mille combattants, tandis que près de deux cent cinquante mille personnes auraient fourni un soutien à l’armée partisane, selon l’étude d’Adrian Mandzy. Cette force impressionnante a mené une campagne prolongée contre les occupants nazis puis soviétiques qui s’est poursuivie bien après la fin de la Seconde Guerre mondiale. La lutte de l’UPA contre le pouvoir soviétique s’est prolongée jusqu’au milieu des années 1950, faisant d’elle l’un des mouvements de résistance anti-communistes les plus durables d’Europe de l’Est. Le chef de l’UPA, Roman Choukhevytch, a été tué lors d’une embuscade près de Lviv le 5 mars 1950. Bien que des activités sporadiques de l’UPA se soient poursuivies jusqu’au milieu des années 1950, après la mort de Choukhevytch, l’UPA a rapidement perdu sa capacité de combat. Une évaluation de la main-d’œuvre de l’UPA par les autorités soviétiques le 17 avril 1952 affirmait que l’UPA-OUN ne comptait plus que quatre-vingt-quatre unités de combat composées de deux cent cinquante-deux personnes. Le dernier commandant de l’UPA, Vasyl Kouk, a été capturé le 24 mai 1954.
L’héritage de l’UPA dans la mémoire collective ukrainienne est complexe et controversé. Pour beaucoup d’Ukrainiens, particulièrement dans l’ouest du pays, l’UPA représente un symbole de résistance nationale contre l’occupation étrangère et de lutte pour l’indépendance ukrainienne. Le message principal de la lutte de l’UPA était encapsulé dans le slogan Liberté aux peuples! Liberté à l’homme!, un appel qui n’a pas perdu sa pertinence et pourrait facilement être utilisé par ceux qui se tiennent aujourd’hui et se battent à nouveau contre l’ennemi dans les rangs des Forces armées actuelles d’Ukraine. La particularité de l’UPA réside dans sa longue durée et le fait que les insurgés ukrainiens ont réussi à créer un commandement militaire et politique unifié. Ils se sont également battus sans l’assistance d’aucune puissance extérieure. Parmi les Polonais, Yougoslaves, Lituaniens et Lettons, des détachements de différentes orientations politiques existaient, ce qui sapait leur capacité collective à défier les régimes d’occupation contre lesquels ils se battaient. L’UPA a démontré qu’une résistance prolongée et organisée pouvait maintenir contestée l’occupation d’un territoire pendant des années, même face à une puissance militaire écrasante comme l’Union soviétique.
Les mouvements partisans russes : une tradition de résistance interne
Bien que moins connus internationalement que les mouvements de résistance dans les pays occupés, des mouvements partisans russes opposés à différents régimes ont existé à diverses périodes de l’histoire russe. Pendant la Seconde Guerre mondiale, alors que l’Union soviétique elle-même organisait des partisans dans les territoires occupés par les nazis, il existait également des mouvements russes anti-soviétiques qui collaboraient parfois avec les Allemands dans l’espoir de renverser le régime stalinien. Ces mouvements étaient profondément divisés et souvent compromis par leurs associations avec les nazis, mais ils témoignaient d’une tradition d’opposition interne au pouvoir central. Plus récemment, pendant les guerres de Tchétchénie des années 1990 et 2000, des groupes de résistance ont mené une campagne prolongée contre le contrôle russe, utilisant des tactiques de guérilla et des attentats pour contester l’occupation russe de la république caucasienne. Bien que finalement réprimés par une violence brutale, ces mouvements ont démontré que même au cœur de la sphère d’influence russe, des populations déterminées pouvaient résister pendant des années.
La Légion Liberté de Russie actuelle s’inscrit dans une tradition différente : celle de Russes ethniques opposés non pas à l’occupation de leur territoire national mais à la politique de leur propre gouvernement. Formée en mars 2022 par des citoyens russes opposés à la guerre d’invasion de Poutine en Ukraine, la Légion Liberté de Russie représente une forme de dissidence interne rare dans l’histoire russe moderne. Selon les déclarations de ses membres citées dans les rapports ukrainiens, le mouvement se compose de Russes qui refusent d’accepter que leur pays mène une guerre d’agression contre un voisin et qui sont prêts à prendre des risques personnels considérables pour saboter l’effort de guerre russe. Cette opposition interne est particulièrement significative dans un État autoritaire comme la Russie contemporaine, où la dissidence publique est sévèrement réprimée et où exprimer une opposition à la guerre peut entraîner de longues peines de prison. Que des citoyens russes soient prêts non seulement à s’opposer verbalement à la guerre mais à passer à l’action directe en sabotant l’infrastructure militaire de leur propre pays témoigne d’une fracture profonde dans la société russe et d’un rejet fondamental de la politique du Kremlin par au moins une partie de la population.
Atesh et la résistance tatare de Crimée : lutter pour le retour
Le mouvement Atesh, dont le nom signifie feu en tatar de Crimée, représente une dimension particulièrement poignante de la résistance ukrainienne. Fondé en septembre 2022 par des Ukrainiens et des Tatars de Crimée, Atesh opère dans les territoires occupés d’Ukraine ainsi que sur le territoire russe. Les Tatars de Crimée sont le peuple autochtone de la péninsule de Crimée, avec une histoire qui remonte à des siècles. Après l’annexion de la Crimée par l’Empire russe sous Catherine la Grande en 1783, les Tatars ont connu des périodes alternées de répression et de tolérance limitée. Sous Staline, en 1944, l’ensemble de la nation tatare de Crimée, environ deux cent mille personnes, a été déportée de force vers l’Asie centrale dans l’une des opérations de nettoyage ethnique les plus brutales du XXe siècle. Des dizaines de milliers sont morts pendant le transport et dans les premières années d’exil. Ce n’est qu’après l’effondrement de l’Union soviétique que les Tatars de Crimée ont pu commencer à retourner dans leur patrie ancestrale, reconstruisant progressivement leurs communautés en Crimée.
L’annexion illégale de la Crimée par la Russie en 2014 a été vécue par les Tatars de Crimée comme un nouveau traumatisme historique. La communauté tatare a largement boycotté le référendum organisé par la Russie sur le rattachement à la Fédération de Russie, le considérant comme illégitime. Depuis l’annexion, les Tatars de Crimée ont été soumis à une répression systématique par les autorités russes. Leurs organisations ont été interdites, leurs dirigeants emprisonnés sous de faux prétextes, et leurs médias fermés. Le Mejlis, l’organe représentatif des Tatars de Crimée, a été déclaré organisation terroriste par les autorités russes et interdit. Des raids réguliers sur les maisons tatares, des arrestations arbitraires, et des disparitions forcées ont créé un climat de peur dans la communauté. Dans ce contexte, le mouvement Atesh représente une forme de résistance organisée qui refuse d’accepter l’occupation russe et travaille activement à saboter la présence militaire russe en Crimée. En juillet 2023, The Guardian a interviewé Mustafa Dzhemilev, leader historique des Tatars de Crimée, à Kiev au sujet d’Atesh. Il a rapporté qu’Atesh maintient une classe en ligne pour les conscrits russes pour effectuer des actes de sabotage, affirmant que quatre mille soldats russes se sont inscrits. Il a également affirmé que jusqu’à mille Tatars seraient prêts à prendre les armes contre les forces russes en Crimée s’ils recevaient simplement les armes pour le faire.
Informations non confirmées : l'ampleur réelle et l'impact stratégique des sabotages
Les chiffres réels : combien de locomotives ont vraiment brûlé?
Bien que la Direction principale du renseignement ukrainien et la Légion Liberté de Russie aient confirmé avoir mené des opérations de sabotage contre des dizaines de locomotives à travers la Russie début novembre 2025, l’ampleur exacte des dommages reste difficile à vérifier de manière indépendante. Les autorités russes ont largement gardé le silence sur ces incidents ou ont minimisé leur importance lorsqu’elles ont été forcées de les reconnaître. Selon des sources anonymes proches du renseignement ukrainien, s’exprimant sous couvert d’anonymat auprès de divers médias ukrainiens, le nombre réel de locomotives endommagées ou détruites pourrait être significativement plus élevé que ce qui a été publiquement déclaré. Ces sources suggèrent que les frappes ont touché entre soixante et quatre-vingts locomotives à travers tout le territoire russe, bien que ce chiffre ne puisse être confirmé de manière indépendante en l’absence d’accès direct aux sites touchés ou de reconnaissance satellite détaillée des dépôts ferroviaires russes.
Des analystes militaires occidentaux, s’exprimant anonymement auprès de médias spécialisés, ont indiqué que même si chaque attaque individuelle ne détruit qu’une ou deux locomotives, l’effet cumulatif de dizaines d’attaques à travers tout le réseau ferroviaire russe pourrait être substantiel. Les chemins de fer russes souffraient déjà d’une pénurie de locomotives avant ces sabotages. Selon le Kyiv Post, citant des données industrielles russes, la disponibilité des locomotives russes et la capacité de fret avaient diminué depuis la fin 2023 en raison des sanctions occidentales. Les restrictions imposées par l’Occident sur ce que les entreprises russes peuvent acheter à l’étranger signifient que les composants et pièces nécessaires pour effectuer la maintenance et les réparations sont en pénurie. Les chemins de fer russes avaient déjà du mal à maintenir leur flotte existante avant que les partisans ne commencent à les incendier systématiquement. Chaque locomotive détruite aggrave une crise déjà critique. Il existe également des spéculations selon lesquelles certaines des locomotives ciblées transportaient des types spécifiques de munitions ou d’équipements particulièrement critiques pour les opérations russes, bien qu’aucune confirmation officielle n’ait été fournie à ce sujet.
Les enquêteurs explorent également la possibilité que les partisans aient bénéficié d’informations privilégiées provenant d’employés des chemins de fer russes mécontents ou d’agents infiltrés dans l’infrastructure ferroviaire. Il serait extrêmement difficile de sélectionner avec une telle précision les locomotives transportant du fret militaire sans une forme de renseignement interne sur les horaires, les itinéraires et le contenu des trains. Des sources anonymes au sein des services de sécurité russes, citées par des médias d’opposition russes opérant en exil, suggèrent que le FSB enquête sur la possibilité d’une collaboration interne entre des employés des chemins de fer et les mouvements de résistance. Si ces soupçons sont fondés, cela indiquerait que l’opposition à la guerre s’étend bien au-delà des militants politiques et inclut des personnes ordinaires occupant des postes techniques critiques dans l’infrastructure d’État russe. Cette possibilité est particulièrement inquiétante pour les autorités russes, car elle suggérerait que le régime ne peut plus compter sur la loyauté inconditionnelle de ses propres employés, même dans des secteurs aussi stratégiquement importants que les transports ferroviaires.
L’assistance occidentale : renseignement partagé ou opérations autonomes?
Une question persistante dans l’analyse de ces opérations de sabotage concerne le niveau d’assistance que les mouvements de résistance reçoivent du renseignement ukrainien et, potentiellement, de partenaires occidentaux. Les communiqués officiels du HUR ukrainien reconnaissent ouvertement que le renseignement militaire ukrainien est en contact avec les mouvements de résistance opérant en Russie et dans les territoires occupés. Le fait que le HUR publie des déclarations confirmant des opérations menées par la Légion Liberté de Russie implique clairement une forme de coordination, même si la nature exacte de cette relation reste opaque pour des raisons de sécurité opérationnelle. Des sources anonymes proches du renseignement ukrainien, s’exprimant auprès de divers médias, ont suggéré que cette assistance pourrait inclure le partage de renseignements sur les cibles à haute valeur, des conseils sur les méthodes de sabotage les plus efficaces, et potentiellement une coordination sur le calendrier des opérations pour maximiser leur impact stratégique. Cependant, ni le HUR ni les mouvements de résistance n’ont confirmé publiquement les détails spécifiques de cette coopération.
Il existe également des spéculations non confirmées selon lesquelles des agences de renseignement occidentales, notamment américaines et britanniques, pourraient fournir un soutien indirect à ces opérations de sabotage. Des rapports non vérifiés dans les médias occidentaux ont suggéré que depuis la mi-2025, les États-Unis ont intensifié le partage de renseignements avec l’Ukraine concernant les cibles à l’intérieur de la Russie, y compris potentiellement des informations sur l’infrastructure ferroviaire russe et les mouvements de trains militaires. Cependant, ni Washington ni Kiev n’ont confirmé officiellement ce type de coopération, et ces rapports restent dans le domaine de la spéculation informée plutôt que des faits établis. Ce qui est clair, c’est que la précision et la coordination de ces opérations de sabotage suggèrent un niveau de planification et de renseignement qui dépasse ce qu’on pourrait attendre de groupes partisans opérant entièrement de manière autonome sans aucun soutien externe. Que ce soutien provienne exclusivement du renseignement ukrainien ou inclue également une assistance occidentale reste une question ouverte.
L’impact réel sur la logistique militaire russe : perturbation significative ou simple nuisance?
L’évaluation de l’impact stratégique réel de cette campagne de sabotage sur les capacités militaires russes divise les analystes. D’un côté, certains experts militaires occidentaux, s’exprimant anonymement, ont souligné que bien que ces sabotages soient certainement gênants pour les Russes et créent des perturbations localisées, ils sont peu susceptibles à eux seuls de changer fondamentalement l’équilibre militaire sur le terrain. La Russie possède un réseau ferroviaire immense avec des dizaines de milliers de kilomètres de voies et des milliers de locomotives. Même si cinquante ou cent locomotives sont détruites ou endommagées, cela ne représente qu’une fraction de la flotte totale. Les chemins de fer russes peuvent réacheminer les trains via des itinéraires alternatifs, utiliser des locomotives de réserve, et éventuellement réparer les machines endommagées. Selon cette perspective, les sabotages sont plus importants sur le plan psychologique et symbolique que sur le plan matériel, démontrant que le régime russe ne peut pas sécuriser même son propre arrière-pays mais ne portant pas un coup décisif aux capacités militaires russes.
D’un autre côté, des analystes spécialisés dans la logistique militaire soulignent que l’impact cumulatif de perturbations répétées et soutenues peut être beaucoup plus significatif qu’il n’y paraît à première vue. Chaque retard dans l’acheminement de munitions vers le front, chaque convoi militaire contraint d’attendre pendant que les voies endommagées sont réparées, chaque wagon de carburant qui n’arrive pas à destination à temps, tout cela s’accumule et dégrade progressivement la capacité opérationnelle russe. Une étude publiée par des analystes du Center for European Policy Analysis en 2024 a souligné que la dépendance russe sur les chemins de fer pour la logistique militaire est à la fois une force et une vulnérabilité. Elle permet de déplacer d’énormes quantités de matériel sur de longues distances à un coût relativement faible, mais elle crée également des points d’étranglement prévisibles et vulnérables au sabotage. Selon cette analyse, une campagne de sabotage soutenue qui cible systématiquement les nœuds ferroviaires clés, les ponts, et les installations de signalisation peut forcer l’armée russe à consacrer des ressources considérables à la protection de son infrastructure ferroviaire, détournant des troupes et du matériel d’autres missions plus directement liées aux opérations de combat.
Analyse contextuelle : pourquoi le rail est le talon d'Achille russe
La dépendance historique et structurelle de la Russie sur le transport ferroviaire
Pour comprendre pourquoi les sabotages ferroviaires sont si stratégiquement importants dans le contexte de la guerre en Ukraine, il faut comprendre la dépendance profonde et structurelle de la Russie sur son réseau ferroviaire. Cette dépendance n’est pas nouvelle ; elle remonte à la construction du Transsibérien à la fin du XIXe siècle et a été encore renforcée pendant la période soviétique, lorsque l’URSS a construit l’un des réseaux ferroviaires les plus vastes du monde pour relier son immense territoire. Selon une étude publiée par l’Institut suédois de recherche sur la défense en octobre 2022, le transport ferroviaire a traditionnellement été un élément crucial du soutien logistique militaire de la Russie. Depuis que la Russie dépend toujours des rails pour mener ses guerres et opérations militaires, le rail reste central à la stratégie logistique militaire russe. L’auteur de l’étude visait à fournir un aperçu du rôle stratégique des chemins de fer avant et après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et à esquisser brièvement les conséquences, jusqu’à présent, de la dépendance de la Russie sur les chemins de fer dans la guerre.
Cette dépendance s’explique par plusieurs facteurs géographiques et économiques. La Russie est le plus grand pays du monde par sa superficie, s’étendant sur onze fuseaux horaires et couvrant des distances continentales. Le transport routier sur de telles distances est extrêmement coûteux en carburant et en temps, et le réseau routier russe est notoirement sous-développé et de mauvaise qualité dans de nombreuses régions. Le transport aérien est limité par la capacité des cargos et par son coût prohibitif pour les marchandises lourdes et volumineuses comme l’équipement militaire. Le rail, en revanche, permet de déplacer d’énormes quantités de matériel sur de longues distances à un coût relativement faible. Un seul train de marchandises peut transporter l’équivalent de dizaines de camions, et il peut le faire de manière continue jour et nuit, par tous les temps. Pour l’armée russe, qui doit déplacer des divisions entières avec leurs chars, artillerie, véhicules blindés, munitions et approvisionnements sur des milliers de kilomètres depuis les bases en Russie profonde jusqu’aux zones de concentration près de la frontière ukrainienne, le rail est absolument indispensable.
L’invasion de l’Ukraine en février 2022 a mis en lumière à la fois les forces et les faiblesses de ce modèle logistique centré sur le rail. Pendant la phase de concentration avant l’invasion, les chemins de fer russes ont réussi à déplacer des centaines de milliers de soldats et des quantités massives d’équipement vers les zones de rassemblement le long de la frontière ukrainienne. Cependant, une fois l’invasion lancée, l’échec de la Russie à conquérir et à utiliser davantage l’infrastructure ferroviaire ukrainienne pour ses propres besoins logistiques selon leurs prérequis logistiques a été un facteur déterminant pour le développement de la guerre, jusqu’à présent. Cela a gravement entravé la capacité de la Russie à établir des lignes d’approvisionnement logistiques fonctionnelles entre les lignes de front et l’arrière, en particulier dans le nord, mais dans une certaine mesure aussi dans l’est et le sud de l’Ukraine. En conséquence, cela a accru la dépendance russe sur le soutien logistique par le transport routier utilisant des camions ou d’autres véhicules, qui s’est avéré difficile à la fois à établir et à défendre. Aux premiers stades de l’invasion, cela a limité les possibilités de la Russie d’avancer plus loin en Ukraine avec à la fois des troupes et du matériel, ainsi que de faire tourner son personnel. Cette vulnérabilité est désormais exploitée systématiquement par les mouvements de résistance qui ciblent l’infrastructure ferroviaire en profondeur sur le territoire russe, là où Moscou pensait être à l’abri.
Les pénuries de locomotives et de personnel : une crise aggravée par les sabotages
La campagne de sabotage des partisans ukrainiens et russes contre les locomotives intervient dans un contexte où les chemins de fer russes font déjà face à des défis structurels considérables. Selon des données citées par le Kyiv Post et compilées à partir de sources industrielles russes, la Russie fait face à une pénurie de locomotives depuis la fin 2023, directement causée par les sanctions occidentales. Les restrictions imposées par l’Occident limitent ce que les compagnies ferroviaires russes peuvent acheter à l’étranger, ce qui signifie que les composants et pièces de rechange nécessaires pour la maintenance et les réparations sont en pénurie. Les chemins de fer russes ont eu du mal à maintenir leur équipement existant, et cette situation s’est aggravée au fil du temps. En juillet 2025, les expéditions ferroviaires de marchandises en Russie avaient diminué pendant vingt mois consécutifs, causant des ravages sur les opérations domestiques et liées à la guerre. Cette baisse constante témoigne d’une détérioration progressive mais inexorable des capacités ferroviaires russes, bien avant que les sabotages systématiques ne commencent à avoir leur plein impact.
Il n’y a pas seulement une pénurie de locomotives; il y a aussi une pénurie critique de personnel qualifié pour les opérer. À la mi-2025, les chemins de fer russes faisaient face à un déficit de trois mille équipages de locomotives et deux mille cinq cents ingénieurs. Ce manque de personnel laisse environ deux cents trains dans les stocks de l’entreprise tout simplement incapables de fonctionner faute d’équipages pour les conduire. L’entreprise dispose toujours d’un surplus de wagons, en fait des centaines de milliers. Mais trois cent mille de ces wagons restent maintenant inutilisés dans le réseau ferroviaire de l’entreprise, et davantage pourraient les rejoindre maintenant que la Légion Liberté de Russie a détruit tant de locomotives qui tirent ces wagons. Cette situation absurde, des wagons qui pourraient transporter des marchandises mais qui restent immobilisés faute de locomotives et d’équipages, illustre l’état de crise dans lequel se trouvent les chemins de fer russes. Dans ce contexte, chaque locomotive détruite par les saboteurs n’est pas simplement une perte matérielle qui peut être rapidement remplacée. C’est une aggravation d’une crise déjà profonde qui menace la capacité de la Russie à soutenir ses opérations militaires sur le long terme.
Les sanctions occidentales ont également empêché la Russie d’importer de nouvelles locomotives modernes ou même des pièces de rechange pour réparer celles qui sont endommagées. Les entreprises occidentales qui fabriquaient auparavant des composants pour les chemins de fer russes ont cessé leurs livraisons. Les substituts chinois existent mais sont souvent de qualité inférieure et prennent du temps à intégrer dans les systèmes existants. Cette dépendance accrue vis-à-vis de fournisseurs non-occidentaux crée ses propres vulnérabilités, car la Chine peut utiliser cette dépendance comme levier dans ses négociations avec Moscou. Dans ces circonstances, la stratégie ukrainienne de cibler systématiquement les locomotives russes prend tout son sens. Il ne s’agit pas simplement d’infliger des dommages tactiques ponctuels, mais d’exploiter une vulnérabilité structurelle profonde dans l’économie et la logistique militaire russes, aggravant une crise qui était déjà en cours et accélérant potentiellement l’effondrement des capacités ferroviaires russes à un point où elles ne pourront plus soutenir adéquatement l’effort de guerre.
Atesh et la guerre de l’information en Crimée : au-delà du sabotage physique
Le mouvement Atesh ne se limite pas aux opérations de sabotage physique contre l’infrastructure militaire russe en Crimée. Il mène également une campagne sophistiquée de collecte de renseignements et de guerre psychologique qui contribue à l’effort de guerre ukrainien de multiples façons. Selon les rapports publiés régulièrement par Atesh sur son canal Telegram, le mouvement surveille et documente systématiquement les mouvements de troupes russes en Crimée, l’emplacement des dépôts de munitions, les positions des systèmes de défense aérienne, et les installations de la flotte de la mer Noire à Sévastopol. Ces renseignements sont ensuite transmis aux forces armées ukrainiennes, qui les utilisent pour planifier des frappes de précision contre des cibles à haute valeur. En mars 2023, Atesh a revendiqué avoir fourni des informations utilisées pour planifier l’Opération Piège à Crabes, une frappe ukrainienne majeure contre la flotte de la mer Noire qui a endommagé plusieurs navires russes. Selon le mouvement, ils avaient obtenu des informations divulguées sur la flotte de la mer Noire en soudoyant des officiers russes mécontents par des paiements de salaires manqués.
Au-delà de la collecte de renseignements, Atesh mène également une campagne de guerre psychologique visant à saper le moral des forces d’occupation russes et à maintenir vivante la résistance ukrainienne parmi la population locale. Le mouvement publie régulièrement des vidéos et des photos montrant des affiches et des graffitis pro-ukrainiens apparaissant dans les villes de Crimée occupée. En février 2025, l’organisation Yellow Ribbon, qui travaille en coordination avec Atesh, a rapporté que des affiches et graffitis pro-ukrainiens avaient commencé à apparaître dans les villes criméennes de Simferopol, Feodosia et Bakhchysarai avec des messages comme Simferopol – ville ukrainienne ou La Crimée attend les forces armées ukrainiennes, ainsi que La Crimée, c’est l’Ukraine. Yellow Ribbon a également noté qu’ils ont établi des communautés dans toutes les grandes villes de la péninsule, mais aussi dans des villes plus petites comme Simeiz et Balaklava, qui sont engagées dans des actes de guerre psychologique. Cette présence visible de symboles pro-ukrainiens dans les espaces publics de Crimée, malgré la répression russe sévère, envoie un message puissant : l’occupation russe n’est pas acceptée, la résistance continue, et la Crimée demeure ukrainienne dans le cœur de beaucoup de ses résidents.
Éditorial : la résistance comme stratégie, le sabotage comme arme
Quand les cocktails Molotov deviennent des armes stratégiques
Il y a quelque chose de profondément symbolique dans le fait que l’une des armes les plus efficaces contre la machine de guerre russe en 2025 soit le cocktail Molotov, ce dispositif incendiaire rudimentaire inventé pendant la guerre d’Hiver finlandaise de 1939-1940 et nommé ironiquement d’après le ministre soviétique des Affaires étrangères Viatcheslav Molotov. Quatre-vingt-six ans plus tard, des partisans russes et ukrainiens utilisent exactement le même type d’arme pour saboter les trains russes qui alimentent une autre guerre d’agression. Il n’y a rien de high-tech ici. Pas de drones furtifs. Pas de missiles hypersoniques. Juste des bouteilles remplies de liquides inflammables, un chiffon, une allumette, et la détermination de quelques individus prêts à risquer leur vie pour frapper l’infrastructure ennemie. Cette simplicité est à la fois l’humiliation ultime pour Moscou et la démonstration que dans la guerre asymétrique, ce n’est pas toujours celui qui possède les armes les plus sophistiquées qui gagne, mais celui qui sait exploiter intelligemment les vulnérabilités de l’adversaire. Chaque locomotive qui brûle raconte une histoire d’échec de la sécurité russe, d’incapacité à protéger même les installations les plus critiques pour l’effort de guerre, de vulnérabilité fondamentale d’un système qui croyait sa profondeur stratégique inviolable.
Je ne vais pas prétendre que ces sabotages vont à eux seuls faire s’effondrer l’armée russe ou forcer Poutine à retirer ses troupes d’Ukraine. La guerre est bien plus complexe que cela, et les locomotives détruites peuvent être remplacées, les voies réparées, les itinéraires modifiés. Mais ce que ces opérations font, c’est saigner progressivement et inexorablement la capacité russe à soutenir la guerre. Chaque train retardé, chaque convoi dérouté, chaque wagon de munitions qui n’arrive pas à temps au front, tout cela s’accumule. Tout cela rend la guerre plus coûteuse, plus difficile, plus insoutenable pour Moscou. Et dans une guerre d’usure, c’est exactement ce qui compte. L’Ukraine ne peut pas vaincre la Russie dans une confrontation conventionnelle directe d’armée contre armée. Elle ne possède pas les effectifs, elle ne possède pas la profondeur de réserves, elle ne possède pas l’arsenal nucléaire. Mais ce qu’elle peut faire, et ce qu’elle fait avec une efficacité croissante, c’est transformer la guerre en un bourbier logistique et économique insoutenable pour la Russie. Les partisans qui brûlent des locomotives en Sibérie, les saboteurs qui détruisent des relais ferroviaires près de Vologda, les agents d’Atesh qui paralysent les lignes en Crimée, tous contribuent à cette stratégie d’usure qui vise à rendre la poursuite de la guerre plus coûteuse que ce que le Kremlin est prêt à payer.
Il y a aussi une dimension morale et politique importante dans ces opérations qui va bien au-delà de leur impact militaire direct. Le fait que des citoyens russes soient prêts à saboter activement l’effort de guerre de leur propre pays envoie un message puissant au monde et à la population russe elle-même : cette guerre n’est pas soutenue par tous les Russes, il existe une opposition interne, et cette opposition est prête à passer à l’action directe. La Légion Liberté de Russie et les autres mouvements de résistance russes représentent une fissure dans le récit du Kremlin selon lequel le peuple russe soutient unanimement l’opération militaire spéciale en Ukraine. Chaque locomotive qui brûle est une déclaration : nous sommes russes, nous aimons notre pays, mais nous refusons de soutenir une guerre d’agression criminelle contre nos voisins. Cette dissidence interne, même si elle reste minoritaire, est potentiellement l’une des menaces les plus graves pour le régime de Poutine sur le long terme. Les régimes autoritaires peuvent survivre à l’opposition externe, mais ils ont beaucoup plus de mal à gérer la dissidence interne qui mine leur légitimité de l’intérieur. Et quand cette dissidence prend la forme non pas de simples protestations pacifiques facilement réprimées, mais d’actions de sabotage organisées et efficaces, elle devient un problème beaucoup plus sérieux pour le pouvoir en place.
Atesh et la guerre pour la Crimée : reconquête ou rendre l’occupation insoutenable?
Parlons franchement de la Crimée et de ce que la campagne d’Atesh signifie réellement pour l’avenir de la péninsule. La réalité militaire est que l’Ukraine ne dispose probablement pas des capacités nécessaires pour reprendre la Crimée par une opération militaire conventionnelle dans un avenir prévisible. Une offensive terrestre pour libérer la péninsule nécessiterait de percer les défenses russes fortement retranchées à l’isthme de Perekop, puis de combattre maison par maison à travers des villes défendues par des troupes russes qui savent qu’elles ne peuvent pas reculer plus loin. Une opération amphibie serait encore plus risquée et coûteuse en vies humaines. Les forces armées ukrainiennes sont déjà étirées sur un front de mille deux cent cinquante kilomètres et ne peuvent pas se permettre de consacrer les divisions nécessaires à une offensive majeure sur la Crimée sans affaiblir dangereusement d’autres secteurs du front. Donc la question n’est pas de savoir si l’Ukraine peut reprendre militairement la Crimée demain. La question est de savoir comment rendre l’occupation russe de la Crimée si coûteuse, si difficile, si intenable sur le long terme que la péninsule cesse d’être un atout stratégique pour Moscou et devienne un fardeau.
C’est exactement ce que la campagne d’Atesh vise à accomplir. Chaque sabotage ferroviaire, chaque renseignement transmis aux forces armées ukrainiennes qui permet de frapper avec précision des cibles militaires russes, chaque affiche pro-ukrainienne qui apparaît dans les rues de Simferopol malgré la répression, tout cela contribue à transformer la Crimée d’un territoire pacifiquement intégré à la Russie en un territoire contesté sous occupation militaire constamment menacée. Les Forces armées ukrainiennes ont déjà coulé ou endommagé au moins un tiers de la flotte de la mer Noire, y compris son vaisseau amiral le Moskva en avril 2022. Cela a forcé la marine russe à relocaliser la flotte vers le port de Novorossiysk, qui a également fait face à des attaques ukrainiennes sporadiques ces derniers mois. L’introduction de systèmes d’armes occidentaux s’est également avérée essentielle. Les missiles britanniques et français Storm Shadow et Scalp, et plus récemment les missiles balistiques américains ATACMS, peuvent frapper toute la péninsule tout en échappant aux systèmes de défense aérienne russes stationnés dans la région. Combinés aux sabotages systématiques d’Atesh sur les infrastructures logistiques, ces frappes transforment progressivement la Crimée d’une base arrière sécurisée en une zone de combat contestée.
L’approche actuelle de l’Ukraine en Crimée ne va pas nécessairement lui faire gagner la guerre, mais en resserrant lentement l’étau sur la Crimée, elle empêche la Russie de cibler le ventre mou de l’Ukraine. La valeur de la péninsule en tant que centre logistique a quelque peu diminué depuis 2022. La Russie a établi un pont terrestre dans le sud de l’Ukraine, reliant les territoires occupés dans les oblasts de Zaporijia et Kherson à la Russie. Ainsi, même si la Russie perd l’accès à la Crimée, elle pourrait continuer sa guerre dans le sud et l’est de l’Ukraine. Cependant, la campagne coordonnée de frappes contre les cibles militaires russes et l’infrastructure critique a le potentiel de rendre la position militaire de la Russie en Crimée intenable, réduisant son importance dans d’autres domaines. Dégrader les systèmes de défense aérienne de la Russie en Crimée pourrait s’avérer influent une fois que les avions F-16 fournis par l’Occident seront pleinement opérationnels pour l’armée de l’air ukrainienne. En combinaison avec des frappes continues en profondeur dans la péninsule, un contrôle accru de l’espace aérien de la Crimée rendrait de plus en plus difficile pour la Russie d’utiliser la Crimée comme zone de rassemblement pour une éventuelle attaque à grande échelle sur le sud de l’Ukraine. Et dans des négociations de paix futures, une Crimée transformée en fardeau plutôt qu’en atout change fondamentalement les calculs stratégiques des deux côtés.
Les limites et les dangers de la stratégie partisane
Aussi efficaces que soient ces opérations de sabotage, il serait naïf de ne pas reconnaître leurs limites et leurs dangers. Premièrement, les partisans opèrent dans un environnement extrêmement hostile où la capture signifie presque certainement la torture, un procès truqué, et une longue peine de prison ou pire. Les autorités russes considèrent les saboteurs comme des terroristes et les traitent en conséquence. Chaque opération réussie est suivie d’une intensification des mesures de sécurité, de rafles, d’interrogatoires, et de répression générale contre les populations locales soupçonnées de sympathiser avec la résistance. Cette escalade de la répression crée un cercle vicieux où les opérations partisanes provoquent une réponse sécuritaire accrue qui rend les opérations futures plus difficiles et plus dangereuses. Il y a également le risque que les services de sécurité russes infiltrent les mouvements de résistance, identifient leurs membres, et démantèlent leurs réseaux. Le FSB a une longue expérience du contre-espionnage et de la lutte contre les mouvements dissidents, remontant à l’époque du KGB soviétique. Sous-estimer leur capacité à pénétrer et à neutraliser les réseaux partisans serait une erreur potentiellement fatale.
Deuxièmement, l’efficacité à long terme de cette stratégie dépend de la capacité des mouvements de résistance à maintenir leurs opérations dans le temps malgré les pertes et la répression. Les mouvements partisans historiques qui ont réussi, comme la résistance française pendant la Seconde Guerre mondiale ou l’UPA ukrainienne après 1945, ont dû maintenir leurs activités pendant des années malgré des pertes terribles et une répression brutale. Cela nécessite non seulement du courage et de la détermination de la part des combattants individuels, mais aussi une infrastructure de soutien robuste, un recrutement continu de nouveaux membres pour remplacer ceux qui sont capturés ou tués, et un soutien au moins tacite d’une partie de la population locale. Si les autorités russes parviennent à isoler les partisans de la population, à créer un climat de peur tel que personne n’ose les aider, alors les mouvements de résistance s’atrophieront progressivement. Le régime de Poutine a démontré à maintes reprises sa volonté d’utiliser une violence extrême pour écraser la dissidence, comme en témoignent les guerres de Tchétchénie et la répression continue en Biélorussie. Il serait dangereux de sous-estimer cette brutalité ou de supposer que les mouvements partisans peuvent simplement continuer indéfiniment sans payer un prix terrible en vies humaines.
Troisièmement, il y a une question éthique et politique délicate concernant les sabotages qui affectent potentiellement les civils russes. Jusqu’à présent, les mouvements de résistance ukrainiens et russes semblent avoir fait preuve de retenue en ciblant spécifiquement l’infrastructure militaire et logistique tout en évitant délibérément les pertes civiles. Mais à mesure que la guerre se prolonge et que la frustration grandit, il existe un risque d’escalade vers des tactiques plus indiscriminées qui pourraient causer des dommages collatéraux aux civils innocents. Si cela devait se produire, cela minerait non seulement la légitimité morale de la résistance mais pourrait également retourner l’opinion publique russe contre les mouvements partisans et renforcer le récit du Kremlin selon lequel ces groupes sont des terroristes plutôt que des combattants de la liberté. Maintenir la discipline, éviter les pertes civiles, et continuer à cibler uniquement l’infrastructure militaire et les combattants ennemis est essentiel pour préserver le soutien international et la légitimité morale de ces mouvements. C’est un équilibre difficile à maintenir dans le chaos et la violence de la guerre, mais c’est absolument nécessaire si la résistance veut conserver le haut terrain moral qui distingue les combattants de la liberté des terroristes.
Conclusion : le feu qui ne s'éteint pas, la résistance qui ne plie pas
Les flammes continuent de consumer les locomotives russes à travers tout le territoire de la Fédération. Nuit après nuit, des saboteurs s’approchent dans l’obscurité, lancent leurs cocktails Molotov, et disparaissent avant que les autorités ne puissent réagir. Jour après jour, les trains militaires russes sont retardés, redirigés, paralysés par des relais détruits et des voies sabotées. En Crimée occupée, les lignes d’approvisionnement vers les fronts de Kherson et Zaporijia sont régulièrement interrompues par les opérations d’Atesh. Dans les républiques de Bachkirie et près de Vologda, les tours de communication brûlent et les armoires de relais ferroviaire sont détruites. À travers toute la Russie, de Moscou à la Sibérie, des dizaines de locomotives gisent calcinées dans les dépôts ferroviaires, témoins silencieux d’une guerre asymétrique qui ronge la machine logistique russe de l’intérieur. Ce n’est pas une guerre de grandes batailles rangées et d’offensives blindées spectaculaires. C’est une guerre de petites piqûres qui saignent progressivement l’adversaire, qui transforment chaque nuit en cauchemar pour ceux qui croyaient leur arrière sécurisé, qui démontrent que même la profondeur stratégique de la Russie n’est pas un sanctuaire inviolable.
Les faits sont clairs et vérifiables. Entre fin octobre et début novembre 2025, quatre installations logistiques russes ont été détruites dans les républiques de Bachkirie et près de Vologda. Dans la nuit du 5 au 6 novembre, la Légion Liberté de Russie a mené une campagne coordonnée de sabotages qui a détruit des dizaines de locomotives à travers tout le territoire russe, de Moscou à la Sibérie, y compris dans les territoires occupés d’Ukraine. Le 9 novembre, Atesh a paralysé les lignes ferroviaires près de Simferopol en Crimée, interrompant les approvisionnements vers les fronts de Kherson et Zaporijia. Tout au long d’octobre, des sabotages ferroviaires répétés ont été signalés dans les régions de Briansk, Rostov, Mourmansk, Tchétchénie et Karachay-Tcherkessie, ainsi qu’en Crimée et dans la région de Louhansk occupée. Ces opérations ne sont pas des incidents isolés mais font partie d’une campagne coordonnée et soutenue visant à dégrader systématiquement les capacités logistiques russes. Le renseignement militaire ukrainien a confirmé et salué ces opérations, indiquant clairement une forme de coordination entre les services ukrainiens et les mouvements de résistance opérant en Russie et dans les territoires occupés.
Ce qui reste incertain, c’est l’impact stratégique à long terme de cette campagne. Suffira-t-elle à forcer la Russie à reconsidérer sa guerre contre l’Ukraine? Parviendra-t-elle à transformer la Crimée d’atout en fardeau au point où Moscou envisage de négocier son statut? Les mouvements de résistance pourront-ils maintenir leurs opérations face à une répression accrue et aux efforts du FSB pour infiltrer et démanteler leurs réseaux? Ces questions n’ont pas encore de réponses définitives. Mais ce qui est certain, c’est que l’Ukraine et ses alliés au sein des mouvements de résistance russes ont développé une capacité de frappe asymétrique significative qui leur permet de frapper l’infrastructure logistique russe là où ça fait mal, transformant la profondeur stratégique russe d’un avantage en une vulnérabilité exploitable. Chaque locomotive qui brûle, chaque train retardé, chaque ligne ferroviaire paralysée, tout cela s’accumule et rend la poursuite de la guerre plus coûteuse et plus difficile pour Moscou. Le feu qui dévore les locomotives russes ne s’éteindra pas de sitôt. La résistance qui refuse de plier ne disparaîtra pas simplement parce que Poutine le souhaite. Cette guerre des partisans continuera aussi longtemps que l’occupation se poursuivra. Et elle continuera de saigner progressivement la capacité russe à soutenir une guerre d’agression contre son voisin. C’est le message que les saboteurs envoient chaque nuit. C’est la réalité que Moscou doit affronter. Le rail est le talon d’Achille russe. Et les partisans ont trouvé comment frapper ce talon, encore et encore, sans relâche, jusqu’à ce que la bête finisse par trébucher.
Encadré de transparence du chroniqueur
Positionnement éditorial
Je ne suis pas journaliste, mais chroniqueur et analyste. Mon expertise réside dans l’observation et l’analyse des dynamiques géopolitiques, économiques et stratégiques qui façonnent notre monde. Mon travail consiste à décortiquer les stratégies politiques, à comprendre les mouvements économiques globaux, à contextualiser les décisions des acteurs internationaux et à proposer des perspectives analytiques sur les transformations qui redéfinissent nos sociétés.
Je ne prétends pas à l’objectivité froide du journalisme traditionnel, qui se limite au rapport factuel. Je prétends à la lucidité analytique, à l’interprétation rigoureuse, à la compréhension approfondie des enjeux complexes qui nous concernent tous. Mon rôle est de donner du sens aux faits, de les situer dans leur contexte historique et stratégique, et d’offrir une lecture critique des événements.
Méthodologie et sources
Ce texte respecte la distinction fondamentale entre faits vérifiés et analyses interprétatives. Les informations factuelles présentées proviennent exclusivement de sources primaires et secondaires vérifiables.
Sources primaires : communiqués de la Direction principale du renseignement du ministère de la Défense ukrainien publiés les 2 et 6 novembre 2025, déclarations de la Légion Liberté de Russie via leurs canaux Telegram officiels, communiqués du mouvement partisan Atesh publiés les 8 et 9 novembre 2025, rapports des autorités russes locales concernant les incidents ferroviaires.
Sources secondaires : Defence Express, article publié le 8 novembre 2025 citant des sources du renseignement ukrainien, RBC-Ukraine, rapports du 9 novembre 2025 sur les opérations d’Atesh en Crimée, United24media, article du 8 novembre 2025 sur le sabotage ferroviaire près de Simferopol, Kyiv Post, compilation détaillée publiée le 6 novembre 2025 des sites touchés par la Légion Liberté de Russie, Telegrafi, article du 6 novembre 2025 sur les méthodes de sabotage utilisées, Ukraine Today, rapport du 2 novembre 2025 sur l’intensification des sabotages ferroviaires, En Defence-UA, article du 25 octobre 2025 sur l’opération d’Atesh près d’Armiansk, Kyiv Independent, rapports de novembre 2025 incluant vidéos des opérations de sabotage, Institut suédois de recherche sur la défense, étude d’octobre 2022 sur la dépendance russe au rail, Center for European Policy Analysis, analyses de 2024 sur la vulnérabilité logistique russe, Euromaidan Press, article du 9 novembre 2025 sur les opérations partisanes, The Guardian, interview de juillet 2023 avec Mustafa Dzhemilev sur Atesh.
Les données statistiques et contextuelles sur les chemins de fer russes proviennent de sources industrielles russes compilées par des médias ukrainiens et occidentaux, ainsi que d’analyses d’instituts de recherche sur la défense reconnus.
Nature de l’analyse
Les analyses, interprétations et perspectives présentées dans les sections analytiques et éditoriales de cet article constituent une synthèse critique et contextuelle basée sur les informations disponibles, les tendances observées et les commentaires d’experts cités dans les sources consultées.
Mon rôle est d’interpréter ces faits, de les contextualiser dans le cadre des dynamiques géopolitiques et stratégiques contemporaines, et de leur donner un sens cohérent dans le grand récit des transformations qui façonnent notre époque. Ces analyses reflètent une expertise développée à travers l’observation continue des affaires internationales et la compréhension des mécanismes stratégiques qui animent les acteurs globaux.
Toute évolution ultérieure de la situation pourrait naturellement modifier les perspectives présentées ici. Cet article sera mis à jour si de nouvelles informations officielles majeures sont publiées, garantissant ainsi la pertinence et l’actualité de l’analyse proposée.