Quand les drones deviennent des moissonneurs de vies
Je dois descendre dans les détails, parce que le tableau complet est infiniment plus terrifiant que le chiffre brut. Hier seulement — hier, pas la semaine dernière, pas le mois dernier — la Russie a perdu 213 drones opérationnels-tactiques. Deux cent treize. Ce ne sont pas des jouets. Ce ne sont pas des gadgets de loisir. Ce sont des systèmes militaires complexes qui coûtent des dizaines de milliers de dollars chacun. La Russie a dépensé, en une journée, plusieurs millions d’euros en drones qui se sont évaporés. Mais ce n’est pas la pire partie. Ces drones, ils volaient. Qui les pilotait ? Quels étaient les opérateurs ? Où avaient-ils échoué ? Ces drones représentaient un effort logistique énorme — transport, fuel, maintenance, communication. Tout ça détruit en une journée. Et demain ? Probablement, la même chose.
À côté des drones, il y a aussi 17 systèmes d’artillerie détruits. Dix-sept pièces d’équipement lourd capable de projeter des obus à des kilomètres de distance. C’est du matériel qu’on ne fabrique pas rapidement. C’est du matériel qu’on ne fabrique pas bon marché. C’est de l’équipement que la Russie va devoir remplacer. Mais comment ? Les usines tournent à pleine capacité déjà. Elles produisent des munitions pour compenser les pertes. Elles produisent des obus de remplacement. Elles produisent de nouvelles batteries d’artillerie. Et pendant ce temps-là, d’autres sont détruites. C’est une course aux armements contre le temps. La Russie court. L’Ukraine la chasse. Et chaque jour, la balance penche un peu plus.
L’armement lourd qui s’enfonce dans la terre
Depuis le début de cette invasion — depuis ces 1362 jours de cauchemar — voici ce qu’on compte en équipement lourd russe perdu : 11 355 chars d’assaut. Onze mille trois cent cinquante-cinq chars. C’est l’équivalent de l’ensemble du parc de chars de la Suisse, de la Pologne, de la Roumanie combinés. Onze mille chars. C’est aussi 23 594 véhicules blindés. C’est aussi 34 486 systèmes d’artillerie. C’est aussi 1 544 lance-roquettes multiples — des armes qui peuvent tirer six ou huit missiles à la fois. C’est des quantités qui dépassent ce que la plupart des armées modernes possèdent en entier. Et tout ça, c’est détruit. Pas en réserve. Pas en dépôt. Détruit. Usé. Inutile.
Hier, rien qu’hier, la Russie a ajouté deux chars de plus à la pile. Deux. Ça semble peu. Mais en un mois, c’est soixante. En un an, c’est sept cent vingt. À ce rythme-là — sans même accélérer le tempo — la Russie remplace son parc entier de chars tous les 15 ou 16 ans. Sauf qu’elle doit aussi fabriquer des munitions. Sauf qu’elle doit aussi fabriquer de l’infanterie légère. Sauf que les capacités de production ont leurs limites. Et quand tu atteins ces limites — quand tu produis 100 chars par an mais que tu en perds 200 — c’est là que la machine commence à se enrayer. C’est là que l’arithmétique devient impitoyable.
Pokrovsk qui brûle : où les pertes s'accumulent
L’offensive concentrée qui mange les régiments
Pokrovsk. Je reviens à Pokrovsk parce que c’est là que la majeure partie de ces 1160 pertes s’accumulent. Pokrovsk, ville autrefois prospère, est maintenant le cœur du conflit. Les Russes ont massé 170 000 soldats dans cette direction. Cent soixante-dix mille personnes. C’est plus que l’armée entière de la Belgique. C’est plus que celle du Portugal. Et ils attaquent. Jour après jour. Vague après vague. Ils acceptent des pertes impossibles. Ils sacrifient du personnel comme s’il était inépuisable. Et pendant ce temps, l’état-major russe compte les pertes et dit « C’est acceptable ». Parce que dans la calcul russe, les vies humaines ne comptent pas. Ce qui compte c’est le terrain. Ce qui compte c’est la victoire symbolique. Prendre Pokrovsk. Crier victoire. Et les gens ? Les gens sont remplaçables.
Selon les estimations du commandement ukrainien, l’offensive russe autour de Pokrovsk et Myrnohrad — deux villes à proximité — a engendré entre 25 000 et 35 000 pertes russes en octobre seul. Juste en octobre. C’est entre 806 et 1129 pertes par jour. En moyenne. Et ça continue en novembre avec apparemment la même intensité. Les régiments russes qu’on envoie là-bas, beaucoup ne reviennent jamais. Les brigades qui arrivent fraîches du cours de formation… elles partent à l’avant et disparaissent. Ce n’est pas un combat. C’est un broyeur. Et Poutine y envoie ses gens.
La stratégie de l’attrition totale
Ce qui est horrible à accepter c’est que ce n’est pas une aberration. Ce n’est pas une erreur tactique qu’on va corriger. C’est la stratégie délibérée de la Russie. Moscou a décidé que le 2025 serait l’année de la victoire territoriale. Et pour ça, on accepte n’importe quel coût. On accepte des pertes massives parce qu’on croit — ou on espère — qu’Ukraine ne peut pas tenir. Qu’à un moment donné, l’Ukraine va plier. Que l’Europe va se fatiguer de soutenir. Que les États-Unis vont dire « C’est assez ». Et à ce moment-là, la Russie aura tenu bon. Elle aura perdu un million de soldats — et alors ? La population russe est grande. Les vivants vont rester. Les morts vont devenir des statistiques. Les mamans vont pleurer mais où vont-elles ? À la police ? Au Kremlin ? Non. Elles vont rester silencieuses. Et la machine continue.
Mais voilà où le calcul russe échoue : chaque mort, c’est un démographe qui ne sera pas. C’est un travailleur qui ne sera pas. C’est un père qui ne sera pas. C’est des générations futures qui seront réduites. La Russie ne peut pas remplacer ses 1160 morts d’hier. Elle peut fabriquer des armes. Elle peut entraîner de nouveaux combattants. Mais elle ne peut pas créer de nouvelles vies. Pas assez rapidement. Pas assez complètement. Et donc ce qu’elle dépense maintenant en vies humaines, elle va le payer pour les 50 prochaines années sous forme de déclin démographique.
L'usure des machines : quand l'équipement crie famine
Les usines qui tournent mais ne rattrapent pas
Parlons de la production industrielle. La Russie fabrique des chars. Elle en fabrique un nombre impressionnant. Selon les estimations, environ 400 à 500 chars par année — c’est énorme. Mais hier, elle en a perdu deux. En novembre, peut-être soixante seront perdus. Ça donne une moyenne de deux chars par jour, ce qui signifie que la Russie devrait perdre environ 730 chars par année à ce rythme. Elle en produit 400 à 500. L’équation est simple : elle perd plus qu’elle ne produit. C’est une course qu’elle perd. Et elle le sait.
Mais ce qui est encore plus grave c’est le problème des munitions. La Russie consomme des munitions à une vitesse que nulle industrie modeme ne peut suivre — même pas la sienne. Elle tire 60 000 obus par jour. Soixante mille. Par jour. L’Ukraine en tire environ 5 000 à 8 000. Le ratio est d’à peu près 8 pour 1. C’est écrasant. C’est assez pour que tu croies que la Russie va gagner par simple attrition d’armement. Sauf que… il faut fabriquer ces 60 000 obus. Il faut les poudres. Il faut les projectiles. Il faut les détoateurs. Il faut le transport. Et voilà ce qui se cache derrière les chiffres : la Russie produit à la limite de ses capacités. Encore un peu plus et le système casse.
L’équation impossible que le Kremlin essaie de résoudre
Ici commence le drame économique réel. Pour fabriquer 60 000 obus par jour, la Russie a dû réorienter toute son économie. Elle détourne des ressources de l’agriculture. Elle détourne de l’infrastructure civile. Elle détourne de la santé. Elle détourne de l’éducation. Tout va vers la machine de guerre. Et pour l’instant, ça tient. Mais pour combien de temps ? Selon les économistes, la Russie brûle ses réserves. Elle est en train de dépenser ses liquidités. Elle mobilise des femmes pour les usines parce que les hommes sont à la guerre. Elle crée une économie de temps de guerre. Et les économies de temps de guerre, elles ne durent pas longtemps. Elles s’effondrent après quelques années. On n’a jamais vu une nation moderne maintenir une économie de temps de guerre au-delà de 5 à 7 ans sans que quelque chose ne craque.
Nous sommes maintenant au jour 1362. Ça fait presque 4 ans. La Russie peut peut-être tenir 2 ou 3 ans de plus. Peut-être pas. Et voilà où ça devient intéressant : Ukraine doit juste survivre assez longtemps pour que la Russie se casse économiquement. Elle n’a pas besoin de gagner militairement. Elle n’a pas besoin de repousser l’armée russe. Elle a juste besoin de se battre assez longtemps pour que la Russie implose sous le poids de ses propres dépenses. C’est la course contre le temps. Et apparemment, Ukraine le comprend beaucoup mieux que Moscou.
Le silence des familles : ce que les chiffres ne disent pas
Les mères qui attendent les appels qui ne viennent jamais
Derrière les 1160 soldats d’hier, il y a des histoires. Mille cent soixante histoires. J’essaie d’imaginer juste une seule — un jeune homme, disons 22 ans, conscrit il y a quelques mois. Il y a sa mère qui attend. Elle vérifie son téléphone chaque heure. Elle regarde les listes des morts qu’on publie sur les réseaux sociaux — Mediazona, le site russe d’opposition qui compile les noms. Elle regarde chaque nom. Elle prie de ne pas y trouver celui de son fils. Mais voilà, aujourd’hui elle y trouve un nom familier. Et voilà sa vie qui bascule. C’est plus qu’un nombre. C’est une tragédie personnelle qui se répète 1160 fois.
En Russie, on essaie de cacher ça. Les médias d’État ne parlent pas des pertes. Ils disent que tout va bien. Que les Russes gagnent. Que l’opération spéciale progresse comme prévu. Personne ne parle des 1160 qui disparaissent chaque jour. Personne n’ose le dire à haute voix. Donc c’est juste des silences. C’est des téléphones qui ne sonnent jamais. C’est des chaises vides aux tables du dîner. C’est une nation entière qui souffre en silence parce que c’est interdit de souffrir en public.
Le vide que les chiffres cachent
Et voilà ce qui est presque encore plus terrrible : ces jeunes hommes qui meurent — ils représentent des générations futures qui ne naîtront jamais. Si chacun de ces 1160 hommes aurait pu avoir deux enfants (ce qui est une moyenne conservative), alors dans ce nombre de morts hier, ce sont 2320 Russes qui ne naîtront jamais. Et l’année prochaine ? C’est encore 2320. Et l’année suivante ? Et encore après ? Ça s’accumule. Et dans 20 ans, la Russie ne se demande pas seulement pourquoi elle a perdu — elle se demande comment elle peut se reconstituer démographiquement.
C’est la vraie victoire d’Ukraine, peut-être. Pas de chasser les Russes de son territoire — c’est important, bien sûr — mais d’absorber le coup, de tenir bon, et de forcer la Russie à se détruire d’elle-même. En perdant 1160 hommes chaque jour, la Russie meurt lentement. Pas physiquement. Mais moralement. Économiquement. Démographiquement. Et aucun gain territorial ne compense ça.
Conclusion : quand les nombres cessent d'être des nombres
1160. C’est hier. Aujourd’hui, ce sera peut-être 1100. Demain, peut-être 1200. La semaine prochaine, peut-être une offensive massive qui fera grimper le nombre à 2000 pour une journée. Mais le pattern c’est toujours le même. C’est toujours énorme. C’est toujours inhumain. Et c’est toujours complètement accepté par les autorités russes comme étant le prix à payer.
Ce qui doit nous terrifier n’est pas juste le chiffre lui-même. C’est que ce chiffre soit devenu normal. Quotidien. Prévisible. Aucun cri ne se lève en Russie. Aucune protestation de masse. Aucun refus de masse. Juste — silence. Juste — acceptation. Juste — la machine qui continue. Et dans ce silence, dans cette acceptation, réside le vrai désastre. Ce n’est plus une armée qui combat. C’est une civilisation qui accepte son propre sacrifice à l’autel d’un empire moribond.
Source : pravda
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