Quand l’acier rend l’âme
Je dois expliquer ce qui s’opère exactement à Pokrovsk, car c’est là que tout bascule. Cette ville — autrefois un centre minier prospère, un poumon économique de la région — s’est transformée en champ de bataille. Les colonnes blindées russes ne viennent plus en rases-mottes, discrètement, façon chirurgicale. Non. Elles surgissent dans la brume, moteurs rugissants, drapeau blanc sur les toits de leurs véhicules, comme des prédateurs qui n’ont plus peur. Je lis les témoignages des combattants sur le terrain : « des motards sur les toits des jeeps », « du brouillard utilisé comme écran », « l’infanterie qui avance en colonnes serrées ». C’est du spectaculaire. C’est du brutal. C’est de l’hystérie de puissance. Parce que les Russes savent quelque chose que nous refusons d’admettre pleinement : Pokrovsk, c’est le nœud vital de la défense ukrainienne à l’est. Si cette ville tombe, tout s’écroule. Les lignes de ravitaillement. Le contrôle territorial. La morale. Le verrou qui contenait la débâcle.
Les Ukrainiens battent en retraite. Pas de panique — les rapports le précisent — mais une retraite tactique, un repli organisé vers des positions de défense plus tenables. Sauf que les positions tenables, elles s’épuisent aussi. Les munitions manquent. Les soldats sont exténués. On parle de désertions, pas en masse, mais suffisamment pour que les commandants doivent gérer autre chose que le combat lui-même. L’armée ukrainienne compte aujourd’hui environ 850 000 soldats en première ligne et en arrière-garde combinées. La Russie en aligne plus d’un million. Quand on regarde ça, quand on observe cette montagne de métal et de chair jetée dans la mélange, on comprend que ce n’est pas une bataille qu’on regarde. C’est une asphyxie programmée.
Les chiffres du désastre quotidien
Voilà les données brutes du 16 et 17 novembre — parce que je dois être précis, clinique, implacable dans ce récit : 66 frappes aériennes russes. 164 bombes guidées. 4 122 tirs d’artillerie. C’est la danse mécanique du jour 1362. Tous les jours, c’est pareil. Tous les jours, des chiffres qui s’additionnent. Les pertes matérielles côté russe ? Deux chars, trois véhicules blindés, dix-sept systèmes d’artillerie. Rien que ça. 81 499 drones opérationnels-tactiques ont été perdus jusqu’à présent par la Russie depuis le début de la campagne. Quatre mille missiles de croisière vaporisés. Mille deux cent quarante-six systèmes anti-aériens détruits. Et pourtant — et c’est le cauchemar sans fin — Moscou continue. Les usines tournent à plein régime. Les budgets militaires gonflent de 25 pour cent. Le Kremlin prévoit 145 milliards de dollars consacrés à la guerre en 2025. 145 milliards. C’est un choix civilisationnel. C’est une civilisation qui a décidé de se transformer entièrement en machine de destruction.
Et du côté des Ukrainiens ? Les pertes sont officiellement de 1 159 420 soldats russes tués ou blessés — c’est le décompte que fourni l’état-major ukrainien — mais Ukraine elle-même saigne à chaque heure. On ne verra jamais les vrais chiffres des pertes ukrainiennes. Même pas dans dix ans. Parce que les deux côtés mentent. Les deux côtés cachent. Les deux côtés foncent vers l’avant en se répétant que la prochaine offensive sera la bonne, que la ligne de front finira par craquer.
Kharkiv : la terreur sans visage
Les enfants qui ne verront pas 2026
Balakliia. Ce nom. Je reviens à ce nom parce que j’y reviens malgré moi — c’est impossible de l’ignorer. Deux missiles. Trois civils morts. Treize blessés. Trois enfants. Il y a soixante kilomètres de là, à l’arrière, loin de la ligne de front où les chars s’entrechoquent. Les enfants ont 17 ans, 14 ans, 13 ans. Ils devraient être en classe. Ils devraient rêver de filles, de fêtes, de leur premier travail d’été. Au lieu de ça, ils sont hospitalisés. Une petite fille de 13 ans respire avec peine quelque part dans un hôpital de Kharkiv. C’est ça, la réalité du jour 1362. C’est la victoire de la Russie : terroriser le territoire qui reste sous contrôle ukrainien. Neuf bâtiments résidentiels endommagés. Une maternelle frappée. C’est pas de la stratégie militaire, c’est de la terreur d’État. C’est même pas caché. Le responsable militaire de Balakliia le dit clairement : les frappes visent les civils, délibérément.
Et voilà le pattern qui se reproduit chaque jour en novembre 2025. Les Russes enfoncent les lignes à l’est. Pour chaque kilomètre gagné, ils paient avec du sang et de l’acier. Mais ils gagnent. Et entre chaque offensive frontale, ils bombardent l’arrière, les villes, les enfants. C’est pas une tactique nouvelle. C’est vieux. Ça date de la Seconde Guerre mondiale. Ça s’appelle l’usure psychologique totale. On écrase les civils pour que la capacité de résistance s’affaiblisse. On casse le moral de celui qui est loin du front en s’assurant qu’aucune place n’est sûre. Pas même à soixante kilomètres.
Le ciel qui vomit du fer
Il y a maintenant un pattern établi que tous les observateurs militaires reconnaissent : la Russie a lancé une campagne systématique contre les infrastructures énergétiques ukrainiennes. Pas simplement les générateurs ou les centrales électriques. C’est généralisé. C’est universel. Hier, c’était Odessa. Ce matin, c’était Kharkiv. Demain, ce sera peut-être Kyiv. Les systèmes de chauffage vont tomber en panne bientôt — nous sommes en novembre, l’hiver arrive. Les réserves d’énergie se tarissent. Les hôpitaux vont fonctionner sur batterie. Les écoles fermeront. Les manufactures s’arrêteront. C’est une stratégie très simple en réalité : tu gèles le pays en lui coupant l’électricité, tu laisses les gens suffoquer l’hiver prochain, et leur volonté de combattre disparaît. Ukraine vient de signer un accord avec la Grèce pour l’approvisionnement en gaz naturel liquéfié en provenance des États-Unis. C’est un coup de désespoir. C’est une solution d’urgence. Parce qu’on est en train de perdre.
Le front qui s'effondre lentement
Zaporizhzhia : la vice qui se resserre
Je dois maintenant parler de Zaporizhzhia, parce que là aussi, les Russes gagnent du terrain — mètre par mètre, jour par jour, butte par butte. Les encerclements prennent forme. Les brigades ukrainiennes se battent avec l’épée de Damoclès au-dessus de la tête : la possibilité de l’encerclement total. Une brigade encerclée, c’est une brigade morte. Ou capturée. Ou désorganisée au point qu’elle devient inutile. Les commandants ukrainiens le savent. Donc ils ordonnent les replis avant que l’encerclement ne se ferme complètement. Mais chaque repli, c’est du terrain perdu. Chaque repli, c’est une position que les Russes peuvent transformer en base de lancement pour la prochaine offensive.
Les observateurs à l’Institute for the Study of War (un think tank américain spécialisé dans l’analyse militaire) ont rapporté que l’étendue des tentatives d’encerclement russes à la fois à Pokrovsk et à Myrnohrad représente le niveau d’effort opérationnel le plus soutenu que Moscou ait déployé en plusieurs mois. La Russie utilise au moins quatre corps d’armée — c’est entre 60 000 et 80 000 combattants pour chacun. Elle sacrifie avec générosité. Elle accepte un ratio de pertes de peut-être 1 pour 1, ou pire. Pourquoi ? Parce que Poutine a décidé que l’année 2025 serait celle de la victoire terrestre. C’est une promesse politique. C’est un choix de civilisation. Et nous voyons le résultat : le front ukrainien frissonne, craque par endroits, cède ici et là.
Les crimes de guerre qui s’empilent
Il y a quelque chose qui ne peut pas être ignoré : tandis que le front bouge, tandis que les batailles s’intensifient, les rapports d’atrocités émergent. Alekseï Milchakov, commandant du groupe d’assaut-sabotage Rusich (une unité paramilitaire d’extrême-droite russe), a publié des photos de prisonniers de guerre ukrainiens exécutés. Il offre des prix en argent à quiconque soumettra une photo avec « des prisonniers clairement exécutés en arrière-plan ». C’est pas une rumeur. C’est documenté. Vérifié. Le bureau du procureur de Zaporizhzhia a ouvert une enquête. L’armée de renseignement ukrainienne, le HUR, a identifié plus de 150 exécutions depuis le début de la guerre. L’ONU a confirmé.
Ceci n’est pas de la tactique militaire légale. C’est du meurtre méthodique. C’est ce qui arrive quand une guerre s’étire, quand les soldats n’en peuvent plus, quand les règles se désagrègent. Les Russes ne cachent même plus. Ils font la propagande de leurs meurtres. Ils les photographient. C’est l’expression finale de la brutalité d’une civilisation qui a abandonné toute prétention de civilité.
Les infrastructures énergétiques en ruines
L’hiver comme arme de guerre
Je reviens à Odessa. Pas parce que c’est une grande ville, mais parce que c’est symbolique. Odessa, le port, la fenêtre de l’Ukraine sur la Méditerranée. Les frappes contre cette ville ne visent pas à la conquérir. Elles visent à l’affamer économiquement. Les installations portuaires ont été endommagées. Les infrastructures énergétiques, idem. L’économie de guerre ukrainienne dépend des ports pour exporter ses céréales, son acier, ses produits agricoles. Minus la capacité à exporter, c’est l’effondrement économique qui suit. C’est une stratégie à long terme. La Russie accepte de perdre 1 160 soldats chaque jour, mais elle accepte aussi de consacrer ses moyens aériens à détruire le potentiel économique de l’Ukraine. En d’autres mots : on ne peut pas simplement vaincre militairement. Il faut aussi briser la capacité économique à se reconstruire.
Et puis il y a l’hiver. L’hiver ukrainien est féroce. Les températures plongent sous zéro. Le chauffage devient une nécessité. Aucun chauffage, c’est des gens qui gèlent. Des hôpitaux qui ne fonctionnent plus. Des usines de défense qui ralentissent. C’est une arme sournoise, mais elle fonctionne. Depuis trois ans, la Russie cible délibérément les centrales électriques, les transformateurs, les lignes de distribution. Chaque hiver, c’est pire. Cette année, 2025, en plein mois de novembre, déjà les pénuries apparaissent. Les coupures rotationnelles commencent. Ukraine vient de conclure un accord avec la Grèce — un détour par la Méditerranée, le gaz liquéfié des États-Unis arrivant par conteneurs — une solution provisoire, une rustine sur un pneu qui crève.
Le calcul des pertes et la question morale
Les chiffres qui ne peuvent pas être oubliés
Je vais être clinique. Les pertes russes annoncées par le commandement ukrainien depuis le 24 février 2022 jusqu’au 17 novembre 2025 : 1 159 420 combattants. 11 355 chars d’assaut. 23 594 véhicules blindés. 34 486 systèmes d’artillerie. 1 544 lance-roquettes multiples. 81 499 drones opérationnels. 3 940 missiles de croisière. Rien qu’hier, les Russes ont perdu 1 160 personnes selon le décompte officiel. C’est. Tous. Les. Jours. Voilà ce que représente la dominante numérique russe : une industrie de transformation humaine en statistiques.
Maintenant, la question qui tue : combien de temps cela peut-il durer ? La Russie a une population d’environ 143 millions d’habitants. Elle consacre déjà 145 milliards de dollars à la guerre. Elle mobilise continuellement. Elle perd des dizaines de milliers de combattants chaque mois. Et voilà le calcul glacial : elle peut continuer. Pas éternellement. Rien ne dure éternellement. Mais suffisamment longtemps pour que l’Ukraine s’épuise. C’est le plan. C’est pas une stratégie brillante. C’est une stratégie de brute force démographique et économique. On jette assez d’acier et assez de corps dans la bataille jusqu’à ce que l’autre côté n’en puisse plus.
Les prisonniers de guerre et la débâcle morale
Mais sous-jacent à ces chiffres, il y a une réalité qui ne peut pas être chiffrée. Les hommes qui tombent ne sont pas juste des nombres. Ce sont des êtres humains jetés dans un hachoir. Les prisonniers de guerre photographiés au moment de leur exécution — c’est ce qui nous attend si l’équilibre continue de pencher du mauvais côté. Les crimes de guerre qui s’empilent, documentés, ignorés par les grandes puissances, c’est le signe que les conventions de Genève appartiennent à un monde qu’on est en train de détruire. Alexeï Milchakov offre des prix en argent pour des photos de meurtres. Des prix en argent. C’est pas un aberration. C’est pas une exception. C’est le symptôme d’une armée qui a abandonné toute prétention à la moralité. Et si la Russie gagne — non pas militairement, mais par attrition, par épuisement de l’Ukraine — alors c’est ce système moral qui s’impose. C’est cette brutalité qui devient normale.
Conclusion : le jour 1362 et la question de la fin
Quand je termine ces mots, il est environ 5 h 15 du matin en Amérique du Nord. À Kyiv, c’est déjà l’après-midi. Les sirènes ont probablement retenti au moins une fois. Quelque part en Kharkiv, des parents se demandent où envoyer leurs enfants pour qu’ils soient en sécurité. Il n’y a pas d’endroit sûr. Pokrovsk trempe sous les canons. Balakliia saigne encore. Et la machine de guerre russe continue, jour après jour, implacable.
Le jour 1362 n’est pas une étape vers la fin. C’est juste un autre jour dans un conflit qui s’est transformé en condition permanente. Le calcul des pertes continue. Les villes brûlent toujours. Les enfants survivants portent les cicatrices. Et le monde regarde, parfois, se demandant si cela doit continuer.
Parce que la question qui hante vraiment, la question qu’on ne veut pas se poser — c’est celle-ci : combien de jours encore ? Combien de jour 1363, 1364, 1365 ? Quand l’Ukraine était forte, on rêvait de victoire. Maintenant, quand l’Ukraine s’affaiblit, on chuchote juste de survie. Et là, c’est terminé. C’est fini. C’est la trajectoire du jour 1362 : pas vers la victoire, mais simplement vers le prochain jour, puis le prochain, jusqu’à ce que plus personne n’ait la force de se battre.
Source : aljazeera
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