187 milliards d’euros : le calcul qu’on ne veux pas faire
Je dois commencer par les chiffres vrais. L’Europe — c’est-à-dire l’Union européenne, pas le continent entier — a injecté 187 milliards d’euros en soutien à l’Ukraine depuis février 2022 jusqu’à maintenant. Cent quatre-vingt-sept milliards. C’est un nombre assez énorme pour que tu te demandes : « Pourquoi ce soutien hésitant ? Pourquoi ces délais ? Pourquoi pas plus ? » Et voilà la réponse qui tue : parce qu’on ignore combien ce soutien a déjà rapporté. Parce qu’on refuse de faire le calcul du retour sur investissement. Parce qu’on a décidé collectivement que c’était mal vu de parler d’Ukraine en termes d’investissement. On préfère parler de morale. De devoir. De solidarité. Tout ça c’est vrai. Mais ce qui n’est pas vrai, c’est qu’on ne vise pas une victoire européenne. On la vise. Et elle commence à devenir possible.
Rien qu’en novembre 2025 — le mois durant — l’Europe a débloqué 5,9 milliards d’euros supplémentaires. Quatre virgule un milliards en prêts exceptionnels à travers le mécanisme ERA (Extraordinary Revenue Acceleration) — qui utilise les actifs russes gelés — et un virgule huit milliard supplémentaire via le fonds Ukraine. C’est du cash qui arrive concrètement. Ce ne sont pas des promesses. Ce ne sont pas des engagements futur. C’est de l’argent qu’on vire aujourd’hui. Pourquoi ? Parce que l’Europe réalise enfin — enfin — que l’hiver approche. Que les infrastructures énergétiques ukrainiennes vont tomber. Que les civils vont suffoquer. Et que si l’Europe n’agit pas maintenant, en décembre 2025 elle va devoir expliquer à ses populations pourquoi Kyiv a gelé. Donc elle sort le portefeuille. Novembre 2025 marque un tournant : l’Europe commence à investir d’une manière qui dépasse la rhétorique.
Le déploiement stratégique qu’on appelle « aide »
Mais l’argent qu’on vire, où va-t-il exactement ? Voilà la partie qu’on refuse de célébrer. Le 12 novembre, la Commission européenne a annoncé plus de 200 millions d’euros en subventions pour trois secteurs clés : l’eau. L’énergie. Le logement. C’est pas juste de l’aide humanitaire — c’est de la stabilisation infrastructurelle. Si Ukraine n’a pas d’eau potable, les civils partent. Si Ukraine n’a pas d’énergie, l’économie s’écroule. Si Ukraine n’a pas de logement, les gens deviennent réfugiés et arrivent en Europe. Donc en donnant 200 millions à l’eau, à l’énergie et au logement, l’Europe ne fait pas de charité. Elle prévient une crise de réfugiés de 40 millions de personnes qui arriveraient à ses frontières. Elle prévient l’effondrement économique d’un pays voisin qu’elle compte intégrer dans son bloc. Elle prévient le triomphe complet de la Russie. Ce que l’Europe appelle « soutien humanitarian » c’est en réalité de la stratégie géopolitique low-cost.
À côté des subventions — ce qui n’est pas remboursable — il y a aussi les prêts. Gros prêts. En novembre, à travers le mécanisme ERA, l’UE a accordé 4,1 milliards d’euros en prêts qui seront remboursés à partir des actifs russes gelés. C’est brillant financièrement. C’est aussi politiquement astucieux. Ça veut dire que techniquement, l’Europe ne fait que « prêter » aux Ukrainiens qui remboursent en partie avec l’argent volé à la Russie. C’est une victoire narrative. C’est une victoire financière. C’est même une victoire moralement acceptable à Bruxelles. Donc tout le monde signe. Et l’argent rentre à Kyiv.
L'arme cachée : l'Ukraine devient une production militaire européenne
Le modèle danois qui change le rapport coût-bénéfice
Maintenant voici ce qui devient vraiment intéressant. Depuis 2024, un groupe de pays européens — menés par le Danemark — a lancé ce qu’on appelle le « modèle danois » pour la production d’armements en Ukraine. L’idée est folle dans sa simplité : au lieu d’acheter des armes en Europe à des prix européens (chers), on finance la production d’armes EN Ukraine à des prix ukrainiens (bon marché). Les coûts divisés par trois. La production maintenant locale. La qualité maintenant supérieure. C’est pas de la théorie. C’est pas une proposition abstracte. C’est du pratique, déjà en action.
Je dois souligner quelque chose d’essentiel : l’Ukraine produit des armes moins cher que n’importe quel pays européen. Ses usines tournent. Sa main-d’œuvre est compétente. Son secteur de défense innove. Et le coût est peut-être 30 ou 40 pour cent moins cher qu’un équivalent allemand ou français. Donc quand la Pologne, la Lituanie, l’Estonie, la Finlande financent directement la production d’armes EN Ukraine — pas en Allemagne, pas en France, mais en Ukraine — ce qu’elles font c’est transformer Ukraine en usine de défense pour l’Europe. C’est calculé. C’est intelligent. C’est aussi extrêmement rentable.
De 18 milliards à 34 milliards : le doublement qui aurait pu arriver
Selon les estimations ukrainiennes, pour que les usines de défense ukrainiennes tournent à pleine capacité en 2025, il fallait 34 milliards d’euros en financement. Trente-quatre milliards. Ce n’est pas demandé. C’est juste ce qui était nécessaire pour maximiser la production. Il en entrait déjà 16 milliards — donc 18 milliards supplémentaires auraient doublé la capacité. Dix-huit milliards supplémentaires. C’est moins que ce qu’une seule puissance européenne — la France ou l’Allemagne — dépense en défense en une année. C’est peanuts comparé au PIB collectif de l’UE. Mais voilà, les chiffres n’étaient pas mandatés. L’argent n’était pas trouvé. Et donc les usines tournent à 60 pour cent de capacité. On laisse des lignes de production arrêtées. On accepte une sous-production d’armes à bas coût. On se handicape volontairement.
Pourquoi ? Parce que Bruxelles hésite. Parce que l’Allemagne regarde vers le marché russe (qu’elle espère réouvrir post-conflit). Parce que la France se pose des questions sur son rôle futur en Europe. Parce que tout le monde calcule — en silence — comment ce conflit se terminera et comment rester assis à la table des vainqueurs. Ce qu’on refuse de saisir c’est que le seul moyen d’être vainqueur, c’est de maximiser Ukraine maintenant. Pas dans un an. Maintenant. Et ça coûte 18 milliards de plus. Un investissement qu’on saute aujourd’hui.
L'intégration européenne : où commence le vrai dividende
Une Ukraine renforcée, c’est une Europe renforcée
Mais revenons à l’objectif de plus long terme. L’Europe finance Ukraine aujourd’hui non seulement parce qu’elle veut repousser la Russie, mais aussi parce qu’elle veut Ukraine comme part entière de son projet politique. Ukraine-qui-rejoint-l’UE. Ukraine-qui-devient-membre. Ukraine-qui-s’intègre-au-marché-unique. Ce n’est pas juste du vague engagement. C’est écrit dans les plans. La Commission en parle. Les gouvernements en parlent. Et selon une étude du Carnegie Endowment de mai 2025, c’est exactement la bonne stratégie. L’intégration de l’Ukraine dans l’UE c’est la sécurité de l’Europe pour les 50 prochaines années.
Pourquoi ? Parce qu’une Ukraine intégrée à l’UE c’est une Ukraine qui fait partie de la structure institutionnelle. C’est une Ukraine qui partage les mêmes standards légaux, les mêmes normes de gouvernance, les mêmes valeurs de marché. Ça veut dire que le vieux jeu du Kremlin — « On renverse un gouvernement pro-UE et on le remplace par un gouvernement pro-Russie » — devient impossible. C’est pas facile de renverser un gouvernement qui est entouré d’alliés dans une structure institutionnelle qui te rejette. Et donc en investissant en Ukraine aujourd’hui — en la gardant debout, en la renforçant, en la consolidant — l’Europe achète cinquante ans de sécurité. C’est pas cher payé. C’est même un bargain incroyable si tu compares ça aux dépenses de défense que l’Europe va devoir faire sinon.
L’économie pour contenir l’autoritarisme
La théorie derrière tout ça est solidement établie en géopolitique : une nation prospère, intégrée économiquement, liée commercialement à des démocraties — cette nation résiste mieux aux aventures autoritaires. Ukraine riche dans l’UE = Ukraine stable, démocratique, pro-Occident. Ukraine pauvre, fracturée, isolée = Ukraine susceptible aux coups d’État, aux révolutions de palais, aux infiltrations russes. L’Union européenne le sait. C’est pour ça qu’elle finance les réformes ukrainiennes. C’est pour ça qu’elle finance les projets d’intégration. C’est pour ça qu’elle soutient le dossier d’adhésion. Ce ne sont pas des gestes de générosité. C’est du calcul existentiel.
Or, si cette intégration économique Ukraine-Europe est l’objectif, alors le financement actuel — même les 187 milliards dépensés — ce n’est que le début. C’est juste la phase de stabilisation. Il faudra ensuite le financement de la reconstruction : des routes. Des ponts. Des usines. Des écoles. Des hôpitaux. Les estimations parlent de 400 à 600 milliards d’euros pour la reconstruction totale post-conflit. Quatre à six cents milliards. C’est énorme. Mais c’est un investissement qu’Europe ne peut pas se permettre de sauter. Parce que l’alternative c’est une Ukraine faible, divisée, économiquement dépendante de la Russie — et donc une Ukraine qui bascule dans l’orbite russe.
L'économie de défense : quand produire en Ukraine c'est gagner contre la Russie
Les usines de Kyiv deviennent les armes de l’Europe
Revenons au présent. Ce qui se passe en ce moment même — en novembre 2025 — c’est une transformation radicale de la base industrielle de défense européenne. Des sociétés comme Rheinmetall, KNDS, et d’autres ont commencé à établir des unités de production EN Ukraine. Des maintenance facilities. Des assembly lines. Progressivement, des centres de recherche et développement. Pourquoi ? Parce que ça coûte moins cher. Ça recrute une main-d’œuvre qualifiée qui n’est pas encore mobilisée militairement. Ça crée des redondances de production — si Allemagne ferme, la Pologne ou la Roumanie peut continuer via les usines ukrainiennes. C’est la logique du supply chain resilience. Et Europe la découvre juste maintenant.
Le think tank Bruegel, un institut de recherche de premier plan sur les questions économiques et géopolitiques, a déclaré clairement en novembre 2025 : « A future enlarged EU, including Ukraine, should take full advantage of the lower-cost military production capabilities of Ukraine ». C’est en anglais, donc laisse-moi traduire : l’UE du futur — l’UE agrandie qui inclurait Ukraine — devrait exploiter au maximum les capacités de production militaire ukrainiennes à bas coût. Ça veut dire que la stratégie à long terme, c’est de faire de l’Ukraine la manufacture de défense principale de l’Europe. Pas l’Allemagne. Pas la France. L’Ukraine. Parce que c’est moins cher. C’est plus efficace. C’est stratégiquement logique.
Le futur où Europe produit d’Ukraine vers l’Europe
Imagine la chaîne logique : en 2027, la Russie est repoussée mais pas entièrement vaincue. Ukraine est devenue membre de l’UE (ou proche de l’adhésion). Les usines de défense ukrainiennes produisent maintenant pour les armées européennes. Les usines produisent des munitions. Des drones. Des systèmes d’artillerie. Peut-être des véhicules blindés. Tout ça à 30 pour cent moins cher qu’en France ou en Allemagne. Et tout ça fabriqué en Ukraine, qui bénéficie ainsi d’une économie industrielle de défense permanente. C’est un cercle vertueux. L’UE investit en Ukraine. Ukraine se défend. Ukraine se reconstruit. Ukraine produit pour l’UE. L’UE paye pour la production. L’Ukraine devient riche. L’Ukraine s’intègre plus solidement. Et dans 20 ans, on regarde en arrière et on dit « Ce qui semblait exorbitant en 2025 — 187 milliards d’euros — c’était en réalité l’affaire du siècle ».
Parce que le coût de défense de l’Europe post-Trump va être énorme. L’OTAN ne peut plus s’appuyer sur les États-Unis. Donc l’Europe doit se réarmer. C’est inévitable. Les estimations parlent de 500 milliards à 1 trillion d’euros supplémentaires en dépenses de défense européenne d’ici 2030. Mais si Europe peut produire à bas coût en Ukraine, ce coût est divisé par au moins deux. C’est une économie d’échelle. C’est une rationalisation logistique. Et tout ça part d’une simple décision : financer l’Ukraine maintenant, la garder debout, et la transformer en allié-producteur.
L'alternative catastrophique : que se passe-t-il si l'Europe recule
Une Ukraine défaite, c’est une Russie triomphante
Parlons de l’alternative. Parlons du scénario où l’Europe dit « Non. C’est trop cher. On arrête ». Que se passe-t-il ? Ukraine, affamée de ressources, demande la paix. Elle abandonne territoires. Elle accepte les conditions russes — autonomie de la Crimée, contrôle russe du Donbas, garanties de neutralité. C’est un cessez-le-feu sombre. Un traité de capitulation déguisé. Et en novembre 2027 — en remontant le temps — la Russie regarde l’Europe et dit : « Vous aviez 187 milliards. Vous aviez la puissance économique. Et vous avez renoncé. Vous aviez peur. » Et maintenant Poutine — ou un successeur tout aussi agressif — regarde vers la Moldavie. Vers la Géorgie. Vers les États baltes. Et il se dit : « Europe a reculé en Ukraine. Europe peut reculer aussi pour nous ». C’est la logique de l’agression. Tu laisses passer une fois, tu rends la prochaine agression plus probable.
Et ça veut aussi dire une Europe qui doit maintenant se réarmer sans l’aide des usines ukrainiennes. Sans l’économie d’échelle qu’on aurait pu bâtir. Sans l’allié militaire-industriel qu’on aurait pu créer. C’est une Europe qui doit doubler ses dépenses de défense. Tripler, peut-être. Parce qu’elle doit maintenant préparer la défense contre une Russie enhardi. Contre une Russie qui contrôle plus de territoire. Contre une Russie qui a gagné. Les estimations du coût montrent que ne pas investir aujourd’hui coûte bien plus cher demain. C’est simple arithmétique.
La spirale d’instabilité qui suit
Mais c’est pas juste militaire. C’est aussi économique. Une Russie victorieuse va s’installer dans les territoires ukrainiens conquis. Elle va commencer à exporter ses modèles de gouvernement autoritaire. Elle va étendre son influence dans les pays voisins. Les pays baltes, la Moldavie, la Géorgie — tous vont se sentir menacés. Tous vont augmenter leurs dépenses de défense. Tous vont devenir moins stables. C’est la déstabilisation régionale en cascade. Et tout ça part d’une simple décision : ne pas financer l’Ukraine suffisamment en 2025. C’est comme une domino. On pousse la première et toutes les autres tombent.
Conclusion : le soutien à Ukraine c'est l'Europe qui se choisit elle-même
En soutenant financièrement l’Ukraine de manière robuste — pas des miettes, pas des promesses, mais de l’argent réel, des 34 milliards que l’Ukraine demande au minimum pour optimiser sa production, peut-être même plus — l’Europe fait bien au-delà de aider un allié. Elle investit dans son propre avenir. Elle se crée une base de production défense bon marché. Elle garantit sa sécurité pour les décennies à venir. Elle s’assure une Ukraine stable, intégrée, prospère, démocratique — tout ça plutôt que l’alternative : une Ukraine vaincue, divisée, colonisée par la Russie, devenant un point de conflit permanent.
187 milliards déjà dépensés. Peut-être 200 ou 250 de plus nécessaires pour fermer la boucle. Pour la reconstruction. Pour l’intégration complète. C’est un investissement énorme. Mais quand tu le compares au coût du réarmement européen que l’Europe va devoir faire de toute façon — 500 milliards, 1 trillion — c’est une fraction. C’est rationnel. C’est économiquement logique. Et c’est stratégiquement impératif. L’Europe qui sort renforcée de cette épreuve, c’est l’Europe qui finance Ukraine maintenant. Complètement. Résolument. Sans hésitation. Le temps du doute c’est fini.
Source : challenges
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