La nuit où tout a basculé
La nuit du 14 au 15 novembre, le ciel russe s’est illuminé différemment. Pas d’aurores boréales cette fois, mais des traînées lumineuses de drones ukrainiens qui fonçaient vers leurs cibles avec une précision presque chirurgicale. Pavel Malkov, le gouverneur de la région de Ryazan, a rapidement posté sur son canal Telegram—comme ils le font tous maintenant, ces officiels russes qui minimisent systématiquement—que des « débris de drones abattus » avaient causé un incendie dans « une installation industrielle ». Débris. Comme si le hasard avait décidé que ces débris tomberaient exactement sur l’unité de distillation AVT-6, le cœur battant de cette raffinerie colossale.
Mais moi, en tant qu’analyste qui scrute cette guerre depuis des mois, je sais lire entre les lignes. Les sources industrielles qui ont parlé à Reuters sont catégoriques: ce n’est pas une question de débris. C’est une question de frappe réussie. L’unité AVT-6, qui représente à elle seule 48% de la capacité totale de la raffinerie—soit environ 8 millions de tonnes par an—est maintenant hors service. Complètement. Les flammes ont dévoré les installations, forcé l’arrêt de toutes les autres unités, et plongé le complexe dans un silence industriel assourdissant. Silence qui devrait durer jusqu’au 1er décembre minimum, selon les sources internes. Peut-être même plus longtemps.
Un géant aux genoux brisés
Comprenez bien l’ampleur du désastre. La raffinerie de Ryazan, c’est pas n’importe quelle installation. C’est un mastodonte appartenant à Rosneft, le géant pétrolier russe contrôlé par l’État. En 2024, cette raffinerie a traité 13,1 millions de tonnes de pétrole brut. Elle a produit 2,3 millions de tonnes d’essence, 3,4 millions de tonnes de diesel, et—ici c’est crucial—840 000 tonnes de carburant aviation TS-1. Ce carburant TS-1, c’est celui qui fait voler les Su-34, ces bombardiers qui larguent quotidiennement leurs charges mortelles sur l’Ukraine. C’est l’essence même de la machine de guerre russe.
Maintenant? Plus rien. Zéro production. Zéro livraison planifiée avant décembre. Les camions-citernes qui partaient normalement de Ryazan vers Moscou, vers les bases aériennes militaires, vers les dépôts stratégiques—ils sont à l’arrêt. Et ce n’est pas la première fois cette année. En octobre dernier, une autre attaque avait déjà paralysé l’unité AVT-4, coupant un quart de la capacité de production. En août et septembre aussi, des frappes avaient forcé des arrêts partiels. Mais là, c’est différent. Là, c’est l’arrêt total. Toutes les unités éteintes. Pas parce qu’elles sont toutes endommagées—certaines le sont probablement—mais parce que sans l’unité principale de distillation, le reste du processus ne peut tout simplement pas fonctionner.
La stratégie ukrainienne: frapper le portefeuille pour gagner la guerre
Du front militaire au front énergétique
Je dois vous dire quelque chose que beaucoup d’observateurs négligent: cette guerre ne se gagne pas seulement dans les tranchées du Donbass ou sur les champs de bataille de Kherson. Elle se gagne aussi—peut-être surtout—dans les raffineries, les dépôts pétroliers, les infrastructures énergétiques. Kiev l’a compris très tôt. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky l’a d’ailleurs clairement exprimé fin octobre: « C’est leur argent de guerre—provenant du raffinage pétrolier. C’est pourquoi nous le ciblons. » Simple. Direct. Implacable.
Et les chiffres parlent d’eux-mêmes. Depuis janvier 2025, l’Ukraine a frappé 21 des 38 grandes raffineries russes. Vingt-et-une. Plus de la moitié. Certaines ont été touchées plusieurs fois, comme Ryazan justement, qui a subi des attaques en janvier, août, septembre, octobre, et maintenant novembre. Résultat? Entre 38% et 40% de la capacité totale de raffinage russe est actuellement hors service. Presque la moitié de l’industrie du raffinage d’un pays qui se vante d’être une superpuissance énergétique… paralysée par des drones fabriqués en Ukraine.
Les armes du faible devenues armes du fort
Comment l’Ukraine, un pays sous invasion, arrive-t-elle à projeter sa puissance de feu jusqu’à 2000 kilomètres à l’intérieur du territoire russe? La réponse tient en un mot: drones. Pas des drones achetés à l’étranger. Non, des drones conçus et fabriqués en Ukraine. Zelensky l’a répété: « Nous avons des drones, et nous savons comment les produire. » Et manifestement, ils savent aussi comment les utiliser. Les nouveaux drones BARS à réaction, capables de franchir d’énormes distances, de contourner les défenses anti-aériennes, de frapper avec une précision redoutable—voilà l’arme qui change la donne.
Ce que je trouve fascinant—et terrifiant à la fois—c’est la régularité, presque la routine, avec laquelle ces frappes surviennent maintenant. Kirishinefteorgsintez dans la région de Leningrad. Volgograd, frappée six fois. Syzran. Tuapse. Saratov. Novokuybyshevsk. La liste s’allonge semaine après semaine. En août 2025, un record de 14 raffineries a été ciblé en un seul mois. Quatorze. Et les Russes, malgré leurs systèmes de défense aérienne sophistiqués, leurs S-400 et leurs Pantsir, n’arrivent pas à tout intercepter. Loin de là. Parce qu’un drone qui coûte quelques dizaines de milliers de dollars peut détruire des équipements valant des centaines de millions. C’est une équation mathématique implacable, et elle joue en faveur de Kiev.
Moscou face à sa pire crise énergétique depuis des décennies
Quand la guerre vient frapper aux portes de la capitale
Il faut que je vous explique pourquoi la frappe sur Ryazan est particulièrement symbolique et stratégique. Moscou. La capitale. Le cœur du pouvoir. Treize millions d’habitants. Jusqu’à présent, pour la plupart des Moscovites, cette guerre était une abstraction. Quelque chose qui se passait « là-bas », à l’est, à la frontière, dans des régions dont ils ne connaissent même pas les noms. Ils continuaient leur vie, leurs restaurants, leurs théâtres, leurs cafés chics sur la Tverskaya. Pendant que des soldats mourraient à Bakhmout, eux sirotaient leurs lattés. Mais maintenant? Maintenant la guerre vient les chercher. Dans leurs réservoirs vides.
Ryazan fournit une grande partie du carburant de la région de Moscou. Essence pour les voitures. Diesel pour les camions. Kérosène pour… eh bien, pour l’instant, plus grand-chose. Avec l’arrêt complet de la raffinerie—et souvenez-vous, c’est jusqu’au 1er décembre au minimum—les stations-service de Moscou et de sa région vont commencer à ressentir la pression. Les files d’attente vont s’allonger. Les prix vont grimper. Et les Moscovites, habituellement isolés du conflit, vont enfin comprendre qu’il y a bien une guerre en cours. Une guerre qui n’est plus seulement télévisée.
Une crise nationale qui s’aggrave
Mais ne croyez pas que c’est seulement un problème moscovite. Non, c’est bien plus vaste. La Russie traverse actuellement sa pire crise de carburant depuis des décennies. En septembre 2025, les exportations russes de produits pétroliers ont chuté de 17,1% par rapport à août. En Crimée occupée, les autorités ont dû imposer une limite de 20 litres par client dans les stations-service. Vingt litres! Imaginez ça. Dans un pays qui se vante d’être l’un des plus grands producteurs de pétrole au monde, les gens font la queue avec des bidons pour obtenir leur ration de carburant.
Certaines stations ferment complètement, incapables d’acheter du carburant à cause de coûts d’emprunt exorbitants et de restrictions antitrust qui les empêchent d’augmenter les prix. Les analystes de Seala estiment qu’en septembre, environ 338 000 tonnes de pétrole brut par jour ne pouvaient pas être raffinées à cause des dommages cumulés. C’est colossal. Et ça continue de s’aggraver. Parce que chaque nouvelle frappe—comme celle de Ryazan—ajoute une couche supplémentaire à cette crise qui menace maintenant la stabilité économique du régime de Poutine. Le Kremlin fait face à un dilemme impossible: utiliser le carburant restant pour l’économie civile et risquer des troubles sociaux? Ou le réserver à l’effort de guerre et laisser la population dans la pénurie? Choix cornélien.
L'effet domino: conséquences militaires et économiques
Une machine de guerre assoiffée
Parlons maintenant de ce qui fait vraiment mal au Kremlin: l’impact militaire. Cette raffinerie de Ryazan produisait 840 000 tonnes de carburant aviation TS-1 par an. C’est le carburant qui fait voler les forces aérospatiales russes. Les Su-34, ces bombardiers qui larguent quotidiennement des bombes guidées sur les positions ukrainiennes. Les hélicoptères d’attaque. Les avions de transport militaire. Tous dépendent de ce carburant. Et maintenant? Stocks en baisse. Production à zéro. Alternatives limitées.
Bien sûr, la Russie a d’autres raffineries. Bien sûr, elle peut réorganiser sa logistique, transporter du carburant depuis d’autres régions. Mais ça prend du temps. Ça coûte cher. Et surtout, ça crée des vulnérabilités. Parce que l’Ukraine continue de frapper. Le 16 novembre, au lendemain de la frappe sur Ryazan, les forces ukrainiennes ont également touché la raffinerie de Novokuybyshevsk dans l’oblast de Samara. Et avant ça, le port pétrolier de Novorossiysk sur la mer Noire avait dû suspendre ses exportations pendant plusieurs jours après une attaque majeure. C’est un jeu du chat et de la souris, sauf que là, la souris mord. Fort.
Le choc pétrolier version XXIe siècle
Je regarde les marchés mondiaux, et je vois les ondes de choc. Les prix du pétrole qui grimpent de 2 à 5% lors des pics de tension. Les marchés asiatiques qui se crispent parce que les exportations russes de diesel et d’essence diminuent. L’Europe qui surveille nerveusement ses approvisionnements énergétiques alors que l’hiver approche. Parce que oui, même si l’Union européenne a considérablement réduit sa dépendance au pétrole russe, les perturbations sur les marchés mondiaux se répercutent partout. Le baril de Brent qui réagit à chaque nouvelle frappe ukrainienne majeure. Les traders qui spéculent sur la durée des réparations. Les analystes qui révisent leurs prévisions de production russe à la baisse, encore et encore.
Et puis il y a l’aspect financier pour la Russie elle-même. Moscou finance cette guerre principalement grâce aux revenus du pétrole et du gaz. Mais il y a une énorme différence entre vendre du pétrole brut et vendre des produits raffinés. Les produits raffinés—essence, diesel, kérosène, lubrifiants—c’est là que se trouve la marge bénéficiaire. C’est la valeur ajoutée. Et justement, c’est ça que l’Ukraine détruit systématiquement. Résultat? Les revenus du Kremlin diminuent. Le budget militaire devient plus tendu. La capacité de Moscou à maintenir son effort de guerre à long terme s’érode, baril après baril, frappe après frappe, raffinerie après raffinerie.
Conclusion
Nous assistons à quelque chose d’historique. Une transformation fondamentale de la nature même de la guerre moderne. L’Ukraine, avec ses drones fabriqués localement, est en train de démontrer qu’un pays plus petit, moins riche, moins armé, peut quand même frapper au cœur de l’appareil militaro-industriel d’une supposée superpuissance. La raffinerie de Ryazan, paralysée, en flammes, silencieuse—c’est plus qu’un simple objectif industriel détruit. C’est un symbole. Le symbole que cette guerre ne se déroule plus seulement sur les champs de bataille traditionnels, mais dans les raffineries, les dépôts, les pipelines, les infrastructures énergétiques.
Je vous le dis clairement: nous sommes entrés dans une nouvelle phase. Une phase où l’énergie n’est plus seulement une ressource stratégique, mais une arme à part entière. Kiev a compris que pour survivre, il faut frapper là où ça fait le plus mal—au portefeuille, aux capacités de production, à la logistique militaire. Et ça marche. Les 38% de capacité de raffinage russe actuellement hors service ne sont pas un accident. C’est le résultat d’une stratégie délibérée, méthodique, impitoyable. Une stratégie qui force Moscou à choisir entre alimenter sa population ou alimenter sa machine de guerre. Un choix impossible qui, au fil des mois, pourrait bien devenir le talon d’Achille du Kremlin.
L’hiver approche. Les températures chutent. Et avec elles, la capacité de la Russie à maintenir son agression s’effrite, frappe par frappe, drone par drone, raffinerie par raffinerie. Ryazan n’est pas la première. Ce ne sera certainement pas la dernière. Et chaque nouvelle fumée noire qui s’élève d’un complexe pétrolier russe est un message clair: cette guerre coûte cher. Très cher. Trop cher. Les files d’attente aux stations-service de Moscou commencent à peine. Elles vont s’allonger. Et avec elles, peut-être, la patience d’une population qui réalise enfin que la guerre qu’elle regardait passivement à la télévision vient désormais vider ses réservoirs et menacer son confort quotidien. La guerre énergétique ne fait que commencer. Et Ryazan? C’est juste le dernier chapitre d’une histoire qui est loin, très loin d’être terminée.
Source : ukrinform
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