L’ultimatum américain qui glace Kiev
Jeudi vingt-sept novembre. Thanksgiving. La fête américaine de la gratitude devient pour l’Ukraine le jour du jugement. Donald Trump a posé sa deadline sans trembler, sans nuance, sans la moindre ambiguïté. Zelensky a jusqu’à cette date pour accepter le plan de paix américain de vingt-huit points. Sinon, les armes s’arrêtent de couler vers Kiev. Les renseignements également. L’aide militaire américaine, cette bouée de sauvetage sans laquelle l’armée ukrainienne ne peut survivre, sera coupée net. Trump l’a dit sans détour lors d’une rencontre au Bureau ovale avec Zohran Mamdani, futur maire de New York : « Il devra l’accepter. S’il ne l’aime pas, qu’ils continuent à se battre. » La brutalité de la formule sidère. Elle révèle une vérité crue : Washington veut en finir. Coûte que coûte.
Le plan lui-même constitue un camouflet historique pour l’Ukraine. Vingt-huit points rédigés par Steve Witkoff, envoyé spécial de Trump, avec l’aide de Marco Rubio et Jared Kushner, le gendre du président. Ils ont discuté avec Kirill Dmitriev, l’envoyé russe, avant même d’en parler sérieusement avec les Ukrainiens. Les grandes lignes font froid dans le dos. L’Ukraine doit céder des territoires supplémentaires à l’est. Elle doit plafonner la taille de son armée. Elle doit s’engager formellement à ne jamais rejoindre l’OTAN. En échange, un pacte de non-agression avec la Russie, une amnistie totale pour les crimes de guerre commis des deux côtés, et la promesse vague d’une intervention militaire coordonnée si Moscou attaque de nouveau. Mais quelle intervention ? Avec qui ? Le texte reste flou. Délibérément flou.
Zelensky a réagi avec une retenue glaciale. Lors d’une rencontre avec des responsables militaires américains à Kiev jeudi dernier, il a qualifié le plan de « vision américaine », pas d’offre définitive. Il a insisté : l’Ukraine a tracé ses lignes rouges. Elle ne trahira pas sa dignité. Elle ne sacrifiera pas sa souveraineté. Dans un message vidéo diffusé vendredi, le président ukrainien a appelé son peuple à rester uni face à « l’un des moments les plus difficiles de notre histoire ». Il sait qu’une acceptation du plan Trump équivaudrait à une capitulation partielle. Mais un refus signifierait l’isolement total, la fin du soutien américain, et peut-être la défaite militaire à moyen terme. Entre l’humiliation et l’anéantissement, quel choix reste-t-il ?
Je regarde cette deadline du vingt-sept novembre et je sens quelque chose se briser en moi. Pas de la colère. Pas vraiment. Plutôt une forme d’épuisement existentiel devant la cruauté mécanique de la realpolitik. Trump impose sa paix comme on claque une porte. L’Ukraine doit avaler la pilule ou crever seule. C’est brutal. C’est injuste. C’est la loi du plus fort déguisée en diplomatie pragmatique. Et pourtant, que peut faire Zelensky ? Se battre seul contre la Russie ? Impossible. Alors il tergiverse, il joue la montre, il espère un miracle qui ne viendra pas.
Les vingt-huit points de la discorde
Décortiquons ce plan. Point par point, il dessine une capitulation déguisée. Le premier point affirme la souveraineté de l’Ukraine. Beau sur le papier. Mais les points suivants la vident de son sens. Le point trois stipule que la Russie s’engage à ne pas envahir ses voisins, tandis que l’OTAN promet de ne plus s’étendre. Équivalence morale sidérante. Le point quatre prévoit un dialogue entre Moscou et l’OTAN, facilité par Washington, pour résoudre toutes les questions de sécurité. L’Ukraine devient spectatrice de son propre destin. Les points cinq à vingt et un détaillent les concessions territoriales, les arrangements économiques, la levée progressive des sanctions contre la Russie. Certains actifs russes gelés seraient alloués à la reconstruction ukrainienne, mais pas tous. Loin de là.
Le point vingt-deux constitue le poison dans le miel. Une fois les arrangements territoriaux établis, ni la Russie ni l’Ukraine ne pourront les modifier par la force. Toute garantie de sécurité deviendra caduque en cas de violation. Autrement dit, si Moscou brise le cessez-le-feu, Kiev ne pourra compter que sur elle-même. Le point vingt-trois ouvre le Dniepr au commerce russe et garantit le transport du grain ukrainien via la mer Noire. Des concessions économiques majeures à Moscou. Le point vingt-quatre prévoit un comité humanitaire pour échanger tous les prisonniers, rapatrier les enfants déportés, réunir les familles. Noble intention. Mais combien de temps cela prendra-t-il ? Des années, probablement.
Les derniers points achèvent le tableau. Le point vingt-cinq impose des élections en Ukraine dans les cent jours suivant l’accord. Zelensky devrait organiser un scrutin dans un pays déchiré, partiellement occupé, traumatisé par la guerre. Le point vingt-six accorde une amnistie totale à toutes les parties pour leurs actions en temps de guerre. Traduction : aucun responsable russe ne sera poursuivi pour crimes de guerre. Les massacres de Boutcha, les bombardements d’hôpitaux, les viols systématiques, les déportations d’enfants, tout sera effacé. Pardonné. Oublié. Le point vingt-sept crée un Conseil de paix dirigé par Trump lui-même pour superviser l’application de l’accord, avec des sanctions en cas de violation. Et le point vingt-huit ordonne un cessez-le-feu immédiat dès signature, les deux camps se retirant vers des positions prédéterminées. Sur le papier, c’est la paix. Dans les faits, c’est une reddition déguisée.
Ces vingt-huit points me donnent la nausée. Pas parce qu’ils sont techniquement mauvais ou juridiquement bancals. Non. Parce qu’ils incarnent cette logique implacable selon laquelle la victime doit payer pour avoir le droit de survivre. L’Ukraine a été envahie, bombardée, violée, déportée. Et maintenant, on lui demande de renoncer à des territoires, de limiter son armée, d’amnistier ses bourreaux. Pour la paix, dit-on. Mais quelle paix ? Celle du vainqueur imposée au vaincu. Je comprends la lassitude de Trump. Je comprends son pragmatisme. Mais je ne peux m’empêcher de penser aux familles ukrainiennes qui ont tout perdu et qui verront leurs tortionnaires rester impunis.
Moscou jubile, Kiev suffoque
Vladimir Poutine a réagi avec un mélange de satisfaction et de prudence. Lors d’une réunion du Conseil de sécurité russe, il a déclaré que le plan américain « pourrait servir de base » pour résoudre le conflit. Mais il a ajouté un avertissement glaçant : si Kiev rejette la proposition, les forces russes intensifieront leurs offensives. Maria Zakharova, porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, a précisé que Moscou n’avait pas encore reçu officiellement le plan. Curieux. Trump et Witkoff en ont discuté avec Dmitriev, mais aucun document formel n’a été transmis au Kremlin. Cette ambiguïté arrange tout le monde. Elle permet à Poutine de jouer les modérés tout en maintenant la pression militaire.
Du côté européen, les réactions oscillent entre inquiétude et scepticisme. Kaja Kallas, chef de la politique étrangère de l’Union européenne, a déclaré que l’Europe et l’Ukraine veulent la paix, mais pas à n’importe quel prix. Elle a insisté : la Russie n’a aucune légitimité pour exiger des concessions du pays qu’elle a envahi. Seule l’Ukraine peut décider des termes acceptables. Mais les mots de Kallas sonnent creux. L’Europe peut protester, s’indigner, proclamer sa solidarité. Sans les États-Unis, elle ne pèse rien sur le terrain. Les livraisons d’armes européennes ne suffiront jamais à compenser la perte de l’arsenal américain. Zelensky le sait. Trump le sait. Poutine le sait.
Zelensky a multiplié les consultations cette semaine. Il a parlé une heure avec le vice-président américain JD Vance. Il a discuté avec Mark Rutte, secrétaire général de l’OTAN, des « options diplomatiques disponibles ». Formulation prudente qui cache une réalité terrible : les options se réduisent chaque jour. Le président ukrainien a promis de travailler rapidement et efficacement avec Washington, mais sans sacrifier les intérêts de son pays. Équilibre impossible. Comment coopérer sans capituler ? Comment refuser sans s’isoler ? Zelensky marche sur un fil tendu au-dessus du vide. Un faux pas, et tout s’effondre. Le délai du vingt-sept novembre approche. L’horloge tourne. Et personne ne sait ce qui se passera jeudi prochain.
Le scandale Mindich : corruption au sommet pendant que le pays brûle
L’ami de Zelensky devenu ennemi public
Tymur Mindich. Ce nom circule depuis des années dans les couloirs du pouvoir ukrainien. Toujours en périphérie. Jamais sous les projecteurs. Jusqu’à maintenant. L’homme a quarante-six ans. Il a construit sa fortune dans l’industrie du divertissement. Surtout, il était copropriétaire de Kvartal 95, la société de production de Volodymyr Zelensky, celle qui a produit les sketchs comiques qui ont propulsé l’acteur vers la présidence. Les deux hommes sont amis. Proches. Très proches. En deux mille dix-neuf, pendant la campagne présidentielle, Zelensky utilisait la voiture blindée de Mindich. En janvier deux mille vingt et un, pendant le confinement COVID, Zelensky a fêté son anniversaire dans l’appartement de Mindich. Ils possèdent des appartements dans le même immeuble à Kiev.
Cette proximité a permis à Mindich de devenir l’homme de l’ombre du secteur énergétique ukrainien. Officiellement, il n’occupe aucun poste gouvernemental. Mais les mille heures d’écoutes publiées par le Bureau national anticorruption (NABU) révèlent l’ampleur de son influence. Dans les conversations interceptées, Mindich porte le pseudonyme Karlsson. Il discute de pots-de-vin, de nominations, de contrats truqués, de blanchiment d’argent. Il donne des ordres. Il menace. Il négocie des pourcentages. L’enquête de NABU, baptisée Opération Midas, a duré quinze mois. Elle a débouché le onze novembre sur l’inculpation de huit personnes pour corruption, détournement de fonds, enrichissement illicite. Mindich est accusé d’être le cerveau d’un système criminel qui a pillé cent millions de dollars du secteur énergétique.
Le schéma est diaboliquement simple. Des entreprises privées voulant travailler avec Energoatom, le géant nucléaire public ukrainien, devaient verser des pots-de-vin allant de dix à quinze pour cent du montant des contrats. Ces paiements étaient collectés par des intermédiaires, dont Igor Myroniuk, ancien conseiller du ministre de l’Énergie et surnommé Rocket dans les écoutes. L’argent transitait ensuite par un bureau clandestin situé dans le centre de Kiev, dans des locaux appartenant à la famille d’Andrei Derkach, ancien patron d’Energoatom devenu membre du Conseil de la Fédération russe après sa défection à Moscou. Ironie tragique : le réseau de corruption ukrainien utilisait des infrastructures liées à un transfuge prorusse.
Mindich me fascine et me révulse à la fois. Comment un homme peut-il voler son propre pays pendant qu’il saigne sous les bombes russes ? Comment peut-il détourner l’argent du secteur énergétique alors que des millions d’Ukrainiens grelottent dans le noir ? Je cherche une explication psychologique. La cupidité pure, peut-être. Ou cette forme d’aveuglement moral qui frappe certains hommes de pouvoir, cette conviction qu’ils sont au-dessus des lois, que les règles ne s’appliquent pas à eux. Mindich a fui le pays avant d’être arrêté. Il est quelque part à l’étranger, riche et libre, pendant que l’Ukraine agonise. Cette injustice me brûle.
Les ministres tombent, Yermak résiste
German Haluschenko. Ministre de l’Énergie de l’Ukraine pendant quatre ans, de deux mille vingt et un à juillet deux mille vingt-cinq. Puis ministre de la Justice pendant quatre mois. Il a démissionné la semaine dernière, éclaboussé par le scandale. Les écoutes de NABU révèlent des conversations entre Haluschenko et Mindich où ils discutent ouvertement d’argent, de nominations, de pressions sur des contractants. Dans les enregistrements, Mindich mentionne des accords avec des procureurs, avec le Service de sécurité ukrainien (SBU), avec le Bureau de sécurité économique. Il parle de versements après des visites de Haluschenko au bureau présidentiel. Le ministre nie toute implication criminelle. Trop tard. Sa démission était inévitable.
Oleksiy Chernyshov. Ancien vice-Premier ministre. Surnommé Che Guevara dans les écoutes. Les enquêteurs affirment qu’il a reçu un million deux cent mille dollars et cent mille euros de la part des participants au réseau de corruption. Il a été inculpé d’enrichissement illicite en juin dernier et limogé peu après. Il n’a pas répondu aux demandes de commentaires des journalistes. Rustem Umerov, actuel secrétaire du Conseil de sécurité et de défense nationale, ancien ministre de la Défense, est également cité dans l’enquête. Il nie les accusations, affirmant avoir annulé un contrat avec une entreprise liée à Mindich parce que les produits fournis étaient de mauvaise qualité. Les preuves s’accumulent pourtant.
Mais la vraie cible de l’opposition et des activistes anticorruption, c’est Andrii Yermak. Chef de cabinet de Zelensky, l’homme le plus puissant d’Ukraine après le président. Peut-être même plus puissant que le président lui-même. Yermak n’a été accusé d’aucun crime. Aucune écoute ne le compromet directement. Pourtant, tout le monde sait qu’il contrôle toutes les nominations importantes au gouvernement. Premiers ministres, ministres, directeurs d’entreprises publiques, rien ne se décide sans son aval. Trois factions d’opposition au parlement exigent sa démission immédiate. Elles réclament la formation d’un gouvernement d’unité nationale incluant l’opposition. Des rumeurs circulent selon lesquelles certains députés du parti de Zelensky, Serviteur du peuple, seraient prêts à soutenir cette demande. Yermak résiste. Pour l’instant.
La colère monte dans les rues glacées
Le timing ne pouvait pas être pire. Les révélations de NABU ont éclaté au moment précis où la moitié du pays était plongée dans le noir à cause des frappes russes sur les infrastructures énergétiques. Des millions d’Ukrainiens sans électricité pendant dix à douze heures par jour découvrent que des responsables gouvernementaux ont volé l’argent destiné justement à protéger et réparer ces infrastructures. La rage est palpable. Sur les réseaux sociaux, les commentaires fusent, venimeux, désespérés. Certains comparent Mindich et ses complices à des pilleurs de tombes. D’autres parlent de trahison en temps de guerre, un crime normalement passible de la peine de mort.
Les dirigeants européens ont réagi avec une sévérité inhabituelle. Ils ont clairement exprimé leur déception et exigé que Kiev enquête à fond sur toutes les allégations. L’aide européenne future sera encore plus étroitement liée à des purges anticorruption et à des réformes de l’administration publique. Traduction : l’argent européen ne coulera plus sans garanties solides contre le détournement. Cette conditionnalité accrue complique encore la situation de Zelensky, déjà coincé entre l’ultimatum de Trump et la pression militaire russe. Tetiana Shevchuk, militante du Centre d’action anticorruption d’Ukraine, a résumé le sentiment général : « Sans sa connexion avec Zelensky, Mindich n’aurait jamais été en position de pouvoir ou d’affaires. Et cette ampleur est pire parce que ça se passe en temps de guerre, et c’est lié aux infrastructures énergétiques au moment où les Ukrainiens n’ont pas d’électricité chez eux. »
Ce qui me tue, c’est l’ironie cruelle de ce scandale. Zelensky a été élu en deux mille dix-neuf sur une promesse de lutter contre la corruption endémique ukrainienne. Il incarnait l’homme nouveau, l’outsider, celui qui allait nettoyer les écuries d’Augias. Et voilà qu’on découvre que son propre cercle rapproché, ses amis personnels, ses anciens associés en affaires, ont recréé exactement les mêmes réseaux de prédation que ceux qu’il promettait de détruire. Je ne crois pas que Zelensky soit personnellement impliqué. Mais son aveuglement, sa loyauté envers Mindich et Yermak, sa réticence à nettoyer sa propre maison, tout cela le rend complice par omission.
L'hiver de la peur : des millions d'Ukrainiens dans le noir
Les frappes du vingt novembre
Samedi vingt novembre, avant l’aube. Le ciel ukrainien s’embrase. Des dizaines de missiles balistiques russes traversent l’atmosphère, ciblant les installations énergétiques dans plusieurs régions. Kharkiv, Dnipropetrovsk, Mykolaiv. Les défenses antiaériennes ukrainiennes interceptent certains projectiles. Pas tous. Loin de là. Les explosions résonnent. Les transformateurs sautent. Les centrales s’arrêtent. En quelques heures, des millions de personnes se retrouvent plongées dans l’obscurité. Svitlana Grynchuk, ministre ukrainienne de l’Énergie, qualifie l’attaque de « l’un des plus grands assauts balistiques directs contre des installations énergétiques » depuis le début de la guerre. Des coupures d’urgence sont décrétées dans presque toutes les régions pour stabiliser le réseau électrique.
Les équipes de réparation d’urgence se déploient partout où la situation sécuritaire le permet. Mais réparer prend du temps. Beaucoup de temps. Les dégâts sont considérables. Certaines infrastructures ont été touchées à répétition depuis des mois. Chaque nouvelle frappe aggrave des blessures jamais complètement guéries. Le vingt novembre, Ukrenergo, l’opérateur national du réseau électrique, impose des limites de consommation dans toutes les régions ukrainiennes. Des coupures tournantes de deux à quatre groupes sont mises en place. Pour les consommateurs industriels, des restrictions au niveau maximum sont introduites. À Kiev, les habitants doivent s’attendre à dix à douze heures de coupures le dimanche. Dix à douze heures sans électricité. Sans chauffage. Sans eau chaude. En plein novembre, alors que les températures chutent.
Dans la région de Mykolaiv, les conditions météorologiques difficiles aggravent encore la situation. Le mardi matin, dix-sept localités se retrouvent totalement ou partiellement privées d’électricité à cause du mauvais temps. Les équipes régionales travaillent à la restauration complète du réseau, avec une reconnexion prévue pour la fin de la journée. Mais ces pannes météorologiques s’ajoutent aux pannes causées par les frappes russes, créant un chaos logistique. Ukrenergo supplie la population d’économiser l’électricité autant que possible. Chaque kilowatt compte. Chaque appareil éteint aide à maintenir le réseau fragile à flot. Mais comment demander aux gens de rationner l’électricité quand ils n’en ont déjà presque plus ?
J’essaie d’imaginer ce que cela signifie concrètement. Dix heures sans électricité. Vous vous réveillez dans le noir. Pas de café chaud. Pas de douche. Votre téléphone est à plat parce que vous n’avez pas pu le recharger pendant la nuit. Dehors, il fait zéro degré. Votre appartement se refroidit lentement. Vous enfilez tous les vêtements que vous possédez. Vous attendez. Vous espérez que l’électricité reviendra bientôt. Mais elle ne revient pas. Les heures passent. Vous mangez froid. Vous vous ennuyez. Vous angoissez. Et vous savez que demain, ça recommencera. Et après-demain aussi. C’est cette normalisation de l’insupportable qui me brise le cœur.
Stratégie russe : l’hiver comme arme
Cette offensive contre les infrastructures énergétiques n’est pas nouvelle. Depuis l’automne deux mille vingt-deux, la Russie cible systématiquement le réseau électrique ukrainien. Objectif : briser le moral de la population civile. Rendre la vie quotidienne si difficile, si insupportable, que les Ukrainiens exigeront de leur gouvernement qu’il négocie la paix à n’importe quel prix. C’est une stratégie délibérée de terreur. Les experts en droit international la qualifient de crime de guerre. Attaquer intentionnellement des infrastructures civiles essentielles viole les conventions de Genève. Mais Poutine se moque des conventions. Il veut la victoire. Par tous les moyens.
Les frappes de novembre deux mille vingt-cinq s’inscrivent dans cette logique implacable. Elles visent à maximiser les souffrances pendant l’hiver, quand le besoin d’électricité et de chauffage devient vital. Les températures descendent régulièrement en dessous de zéro. Sans chauffage, les appartements deviennent inhabitables. Les gens tombent malades. Les personnes âgées et les enfants sont particulièrement vulnérables. Les hôpitaux fonctionnent sur générateurs, mais le carburant manque. Les écoles ferment. L’économie ralentit. Tout se dégrade. Et pendant ce temps, la machine de guerre russe continue de broyer le pays, espérant qu’à force de coups, l’Ukraine finira par plier.
Ironiquement, l’armée ukrainienne a elle aussi intensifié ses opérations contre les infrastructures russes ces derniers mois. Des drones ukrainiens ont frappé des raffineries, des pipelines, des stations de pompage en Russie. Le vingt novembre, une attaque massive de drones ukrainiens a visé des installations énergétiques dans la région de Volgograd. Un transformateur a été touché, mais l’électricité a été rétablie quelques heures après. Les autorités russes minimisent toujours les dégâts. Mais la stratégie ukrainienne est claire : si Moscou détruit nos centrales, nous détruirons les vôtres. Œil pour œil. Blackout pour blackout. Sauf que l’Ukraine, bien plus petite et bien plus vulnérable, souffre infiniment plus de cette guerre d’attrition énergétique.
Pokrovsk : quand le brouillard devient une arme
Avancer invisible dans la brume
Pokrovsk. Une ville de soixante mille habitants avant la guerre. Aujourd’hui, un champ de ruines presque vide. La plupart des civils ont fui. Tous les enfants ont été évacués. Quelques irréductibles restent, terrés dans des caves, refusant d’abandonner leurs maisons. Depuis plus d’un an, les forces russes tentent de s’emparer de ce hub logistique crucial pour l’armée ukrainienne. Des mois d’offensives frontales sanglantes n’ont donné que des résultats limités. Alors Moscou a changé de tactique. Fini les assauts massifs. Place à l’infiltration, aux petites unités mobiles, aux drones, et surtout, à l’exploitation des conditions météorologiques.
Début novembre, un épais brouillard s’est abattu sur Pokrovsk. Un brouillard dense, opaque, qui réduit la visibilité à quelques mètres. Les drones ukrainiens, arme principale de la défense, deviennent inutiles. Impossible de repérer les colonnes russes. Impossible de cibler les véhicules ennemis. Un opérateur de drone ukrainien de la soixante-huitième brigade, surnommé Goose, explique à la BBC : « Le brouillard a empêché la visibilité pour la surveillance aérienne pendant plusieurs jours. Cela a enhardi les forces russes à lancer des attaques avec un convoi de véhicules, qui seraient normalement ciblés par nos drones immédiatement. » Une vidéo virale montre des soldats russes traversant ouvertement une route brumeuse en véhicules civils et motos. Impensable en temps normal. Suicidaire. Mais dans le brouillard, ça marche.
Le sept corps d’assaut aéroporté ukrainien confirme que le mauvais temps, particulièrement le brouillard épais, a permis à Moscou d’augmenter sa présence dans la ville dévastée et d’encercler les unités militaires ukrainiennes. Les estimations russes parlent de cent cinquante mille soldats massés pour prendre Pokrovsk avant l’hiver. Poutine veut cette ville. Il la veut comme symbole. Comme tremplin vers Kramatorsk et Sloviansk, les deux grandes villes ukrainiennes encore sous contrôle de Kiev dans le Donbass. Pokrovsk est la porte d’entrée vers le bassin industriel du Donets. Sa chute ouvrirait tout le front est.
Le brouillard comme allié. Je trouve ça fascinant d’un point de vue tactique et terrifiant d’un point de vue humain. Les Ukrainiens se sont habitués à dominer le ciel avec leurs drones bon marché, efficaces, mortels. Soudain, cette supériorité disparaît. Le brouillard nivelle le terrain. Les Russes deviennent invisibles. Ils surgissent de nulle part. Les défenseurs ukrainiens tirent dans le vide, espérant toucher quelque chose. C’est le retour à une guerre primitive, presque médiévale, où on se bat à l’aveugle, où la chance compte autant que la compétence. Et dans ce genre de combat, le nombre fait la différence. Les Russes ont le nombre.
Rubicon : la révolution du drone russe
Mais le brouillard n’est pas la seule arme russe à Pokrovsk. Moscou a déployé ses nouvelles unités Rubicon, des forces d’élite spécialisées dans la guerre électronique et les opérations de drones. Ces unités ont révolutionné l’approche russe du combat. Pendant longtemps, l’Ukraine dominait la guerre des drones. Petits, agiles, bon marché, les drones ukrainiens terrorisaient les colonnes russes. Mais Rubicon a changé la donne. Ces unités utilisent des systèmes de guerre électronique sophistiqués comme le Krasukha-4 pour brouiller les radars, le Leer-3 pour perturber les réseaux cellulaires, et le Murmansk-BN pour des perturbations électroniques stratégiques à longue portée.
Un commandant russe interrogé par CNN explique la dynamique : « L’ennemi manipule les fréquences ; nous adaptons nos systèmes de guerre électronique. Quand l’ennemi nous supprime avec la guerre électronique, nous changeons de fréquences. » C’est une course aux armements permanente. Chaque innovation appelle une contre-innovation. Chaque système de brouillage engendre un système anti-brouillage. Mais récemment, la Russie a pris l’avantage. Les unités Rubicon ont été déployées pour la première fois l’été dernier dans la région de Koursk, après l’incursion ukrainienne en territoire russe. Résultat : les lignes d’approvisionnement ukrainiennes ont été sévèrement perturbées par des assauts de drones. Les troupes ukrainiennes ont dû se retirer début deux mille vingt-cinq.
L’importance de Rubicon a poussé les services de sécurité ukrainiens à intensifier leurs efforts pour localiser leurs bases opérationnelles avancées. Une frappe sur une base russe dans la ville occupée d’Avdiivka aurait touché un quartier général Rubicon au début du mois, selon le renseignement militaire ukrainien. Une unité de drones ukrainienne affiliée à la soixante et onzième brigade Jaeger a récemment partagé des images de frappes sur des antennes et des positions dans la région de Sumy, qu’ils prétendent appartenir à « l’unité d’élite russe Rubicon ». Viacheslav, commandant de l’unité, explique : « Nous identifions et ciblons les antennes, les terminaux de communication par satellite et les abris. » Mais détruire ces installations ne suffit pas. Rubicon se redéploie rapidement. C’est une guerre d’usure technologique.
L’encerclement se resserre
Le vingt-deux novembre, jour mille trois cent soixante-sept de la guerre, Dmitry Peskov, porte-parole du Kremlin, affirme que cinq mille soldats ukrainiens sont encerclés par les forces russes sur la rive est de la rivière Oskil, dans la région de Kharkiv. L’armée ukrainienne n’a pas encore répondu à ces affirmations. Difficile de savoir si les chiffres russes sont fiables. Moscou a tendance à exagérer ses succès. Mais même en divisant par deux ou par trois, cela reste inquiétant. Le ministère russe de la Défense annonce également la prise de plusieurs localités : Yampil, Stav, Novelivka et Maslyakivka dans la région de Donetsk, ainsi que le village de Vysne dans la région voisine de Dnipropetrovsk.
À Pokrovsk même, la situation reste extrêmement précaire. Les médias russes surnomment la ville « la porte d’entrée vers la zone industrielle du Donets ». Le chef d’état-major ukrainien Oleksandr Syrskyi reconnaît une « détérioration significative » des conditions le long de la ligne de front dans le sud-est, notamment dans la région de Zaporijjia, avec la perte de trois localités. Il note que l’activité russe est particulièrement concentrée autour de Pokrovsk. Des sections entières de la ville existent désormais dans une zone grise, ni totalement contrôlées par les Ukrainiens ni complètement occupées par les Russes. Goose, l’opérateur de drone, décrit la situation : « Nous pouvons avoir des positions dans un bâtiment, et l’ennemi peut être dans celui d’à côté. Ils essaient de nous prendre à revers. »
La stratégie russe vise à créer un « chaudron » autour de Pokrovsk et de la ville adjacente de Myrnohrad. Même si le couvercle n’est pas complètement fermé, les forces russes peuvent continuellement cibler toutes les routes d’accès avec des drones FPV. Pour contrer ces tentatives d’encerclement, les soldats ukrainiens ont repoussé les troupes russes à Suvove et Kodyns dans la partie orientale du chaudron, élargissant ainsi l’écart entre les flancs russes. Mais combien de temps pourront-ils tenir ? Les renforts arrivent au compte-gouttes. Les munitions manquent. L’épuisement gagne. Et pendant ce temps, le brouillard persiste, cachant les mouvements ennemis, transformant chaque rue en piège mortel.
Pokrovsk symbolise tout ce qui ne va pas dans cette guerre. Une ville fantôme détruite pour rien, pour une ligne sur une carte, pour un symbole stratégique qui ne changera rien au conflit global. Des milliers de soldats vont mourir pour prendre ou défendre ces ruines. Et même si les Russes capturent Pokrovsk, qu’auront-ils gagné vraiment ? Un tas de gravats. Une ville morte. Une victoire à la Pyrrhus. Mais voilà, la guerre obéit rarement à la logique. Elle obéit à l’inertie, à l’orgueil, à la rage aveugle. Les hommes meurent. Les villes brûlent. Et l’histoire continue sa marche absurde.
Conclusion
Quatre tempêtes. Une seule nation. L’Ukraine se tient debout au milieu du chaos, encaissant les coups de tous les côtés à la fois. Le plan de paix de Trump exige des sacrifices inacceptables. Le scandale de corruption mine la légitimité du gouvernement au pire moment. Les coupures d’électricité glacent des millions de foyers pendant que l’hiver s’installe. Et sur le front, à Pokrovsk, les Russes resserrent l’étau dans le brouillard. Chacune de ces crises, isolément, constituerait un défi majeur. Ensemble, elles forment une convergence mortelle.
Zelensky fait face à des choix impossibles. Accepter le plan Trump reviendrait à trahir les centaines de milliers d’Ukrainiens morts pour défendre leur pays. Le refuser pourrait signifier l’abandon américain et la défaite militaire. Limoger Yermak et nettoyer le cercle présidentiel affaiblirait le pouvoir en pleine guerre. Ne rien faire alimente la colère populaire et donne des munitions à l’opposition. Réparer les infrastructures énergétiques prend du temps que Moscou ne laisse pas. Et arrêter l’offensive russe à Pokrovsk exige des ressources que l’Ukraine n’a plus.
Pourtant, malgré tout, le pays tient. Les Ukrainiens continuent de se battre. Les réparateurs d’Ukrenergo travaillent jour et nuit sous les bombardements. Les soldats à Pokrovsk résistent mètre par mètre. Les enquêteurs de NABU publient leurs preuves malgré les pressions. La résilience ukrainienne défie toutes les prédictions. Mais la résilience a des limites. Un élastique tendu finit toujours par casser. La vraie question n’est plus si l’Ukraine peut survivre à cette quadruple crise, mais combien de temps encore. Le jour mille trois cent soixante-sept marque peut-être un tournant. Celui où toutes les contradictions convergent. Celui où tous les problèmes explosent simultanément. Celui où l’histoire bascule. Nous le saurons jeudi. Quand le délai de Trump expirera. Quand Zelensky devra choisir.
Source : euromaidanpress
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