Mille cent soixante-dix : un jour comme les autres
Samedi vingt-deux novembre. Mille cent soixante-dix. C’est le nombre du jour. Le tribut que la Russie paie pour vingt-quatre heures de guerre. Mille cent soixante-dix hommes qui ne rentreront pas. Ou qui rentreront brisés. Mutil és. Handicapés à vie. L’État-major ukrainien publie ces chiffres chaque matin sur Facebook. Une régularité mécanique. Une comptabilité de l’horreur. Les chiffres varient. Certains jours, c’est huit cent quatre-vingt-dix. D’autres, mille cinq cents. Le vingt-et-un novembre, c’était mille cinquante. Le vingt novembre, huit cent quatre-vingt-dix. Novembre deux mille vingt-cinq devient le mois le plus sanglant depuis le début de l’invasion. Quarante-cinq mille pertes russes en novembre seul. Quarante-cinq mille. En un seul mois. Une moyenne quotidienne de mille cinq cent vingt-quatre. Record absolu. Jamais dans cette guerre la Russie n’a perdu autant d’hommes en si peu de temps. Et pourtant, Moscou continue. Elle envoie. Elle pousse. Elle remplace. Comme si les hommes étaient infinis. Comme si la vie ne coûtait rien.
Je lis ces chiffres et quelque chose en moi se glace. Pas de la colère. Pas vraiment. Plutôt une forme de vertige existentiel devant l’absurdité méthodique de ce massacre. Mille cent soixante-dix en une journée. Quarante-cinq mille en un mois. Ces nombres cessent d’être humains. Ils deviennent abstraction. Et c’est peut-être ça le plus terrible. Qu’on finisse par ne plus rien ressentir devant ces comptabilités de mort.
Novembre deux mille vingt-cinq : le mois de tous les records sanglants
Novembre marque un tournant sinistre. Les pertes russes explosent littéralement. Pas une augmentation graduelle. Une explosion. Les analystes militaires cherchent des explications. Pokrovsk. Voilà la réponse principale. La bataille pour cette ville du Donbass dévore des vies à un rythme industriel. Les Russes y ont massé cent cinquante mille soldats. Ils attaquent jour et nuit. Ils progressent mètre par mètre. Et ils meurent mètre par mètre. Chaque bâtiment conquis coûte des dizaines de vies. Chaque rue arrachée se paie en centaines de blessés. Les tactiques russes n’ont pas changé fondamentalement. Des vagues d’assaut. Des groupes d’infanterie lancés contre des positions fortifiées. L’artillerie prépare. L’aviation frappe. Puis les hommes avancent. Et tombent. Et sont remplacés. Et retombent. C’est une guerre d’attrition dans sa forme la plus brutale. Et novembre vingt-cinq en devient l’illustration parfaite, sanglante, insoutenable.
Quarante-cinq mille en un mois. J’essaie de me représenter ça. C’est une petite ville entière. Effacée. Disparue. Imaginez votre ville natale. Tous les gens que vous connaissez. Tous les visages familiers. Maintenant imaginez qu’ils disparaissent tous en trente jours. C’est ça, novembre pour la Russie. Et ils continuent. Ils ne s’arrêtent pas. Ils n’hésitent pas. Le coût humain ne compte simplement pas.
Les autres pertes : matériel et technologie
Mais les hommes ne sont pas seuls à tomber. Le vingt-deux novembre, la Russie perd aussi quatre chars. Sept véhicules blindés de combat. Neuf systèmes d’artillerie. Un lance-roquettes multiple. Un système de défense anti-aérienne. Deux cent vingt-deux drones. Soixante-quatorze véhicules et camions-citernes. Depuis le début de l’invasion, onze mille trois cent soixante-et-un chars détruits ou capturés. Vingt-trois mille six cent sept véhicules blindés. Trente-quatre mille cinq cent cinquante-neuf systèmes d’artillerie. Quatre cent vingt-huit avions. Trois cent quarante-sept hélicoptères. Vingt-huit navires ou bateaux. Un sous-marin. Quatre-vingt-deux mille huit cent quarante-deux drones opérationnels-tactiques. Les chiffres s’empilent. Ils forment une montagne de métal tordu, de technologie détruite, d’investissements pulvérisés. Chaque char coûte des millions. Chaque système d’artillerie représente des années de production. Et tout ça fond sous le feu ukrainien. Inexorablement.
Les chars me fascinent particulièrement. Onze mille trois cent soixante-et-un. La Russie possédait combien de chars avant la guerre ? Quinze mille ? Vingt mille peut-être en comptant les réserves obsolètes ? Elle en a perdu plus de la moitié. Plus de la moitié de sa force blindée. Pulvérisée. Et elle continue quand même. Parce qu’elle en produit. Parce qu’elle en réactive des vieux. Parce qu’elle refuse d’admettre que l’équation mathématique la condamne.
La comparaison historique qui glace
Afghanistan, Tchétchénie : des conflits dérisoires en comparaison
Mettons en perspective. La guerre d’Afghanistan soviétique, de décembre mille neuf cent soixante-dix-neuf à février mille neuf cent quatre-vingt-neuf, a coûté environ quinze mille morts à l’Union soviétique. Dix ans. Quinze mille. La première guerre de Tchétchénie, de décembre mille neuf cent quatre-vingt-quatorze à août mille neuf cent quatre-vingt-seize, environ six mille morts russes. La seconde guerre de Tchétchénie, d’octobre mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf à avril deux mille neuf, environ sept mille cinq cents morts officiels. Au total, vingt-huit mille cinq cents environ pour les deux guerres tchétchènes. Ces conflits ont traumatisé la société russe. Ils ont créé une génération de vétérans brisés. Ils ont contribué à l’effondrement de l’URSS pour Afghanistan. Et maintenant, regardez l’Ukraine. En moins de quatre ans, plus d’un million de pertes. Pas quinze mille. Pas vingt-huit mille. Plus d’un million. C’est quarante fois l’Afghanistan. C’est trente-cinq fois les deux guerres tchétchènes combinées. Et la société russe reste silencieuse. Pas de protestations massives. Pas de révoltes. Juste un silence pesant, lourd, complice.
Ce silence m’interpelle profondément. Comment une société peut-elle absorber un million de pertes sans bouger ? La réponse est complexe. La répression. La propagande. L’isolement informationnel. Mais aussi quelque chose de plus sombre. Une acceptation culturelle du sacrifice. Une tradition impériale où la vie individuelle compte moins que la grandeur collective. C’est terrifiant. Et c’est réel.
Les guerres mondiales : seules comparaisons possibles
Pour trouver des chiffres comparables, il faut remonter aux guerres mondiales. La Première Guerre mondiale a coûté environ deux millions de morts à l’Empire russe, puis à l’Union soviétique naissante. La Seconde Guerre mondiale, entre vingt-sept et quarante millions de morts soviétiques selon les estimations, dont environ dix à douze millions de militaires. L’Ukraine deux mille vingt-deux à deux mille vingt-cinq se rapproche de ces proportions cauchemardesque. En moins de quatre ans, la Russie a perdu plus d’un million de soldats. Si on projette cette tendance, elle pourrait atteindre les chiffres de la Première Guerre mondiale d’ici quelques années. Une guerre mondiale sans être mondiale. Un conflit régional qui dévore des armées entières. Les analystes de l’Institute for the Study of War calculent que si la Russie continue à ce rythme, elle aura perdu un million et demi de soldats d’ici fin deux mille vingt-six. Un million et demi. Et pour quoi ? Pour contrôler vingt pour cent du territoire ukrainien ? Pour annexer le Donbas ? Le calcul coût-bénéfice devient absurde. Mais Poutine ne calcule pas en termes économiques. Il calcule en termes d’héritage historique. De restauration impériale. De revanche contre l’Occident. Et pour ça, apparemment, aucun prix n’est trop élevé.
Les comparaisons avec les guerres mondiales me donnent le vertige. On parle d’événements qui ont changé le monde. Qui ont détruit des continents entiers. Et voilà que l’Ukraine atteint ces proportions. En silence presque. Le monde regarde. Le monde s’habitue. Le monde normalise. C’est peut-être ça le plus effrayant. Pas le nombre lui-même. L’indifférence progressive qu’il génère.
Le ratio blessés-morts : une anomalie terrifiante
Dans les guerres modernes, le ratio blessés-morts tourne généralement autour de trois pour un, voire plus. Pour chaque soldat tombé, trois sont blessés. L’Iraq? Sept virgule trois blessés pour un mort. Les États-Unis en Afghanistan? Environ sept pour un également. Ce ratio élevé reflète des évacuations médicales efficaces, des soins rapides, des hôpitaux de campagne fonctionnels. Mais la Russie en Ukraine? Un virgule trois blessé pour un mort. C’est catastrophiquement bas. Cela signifie que presque autant de soldats meurent qu’ils sont blessés. Pourquoi? Parce que les évacuations médicales russes sont défaillantes. Parce que les soldats blessés sont abandonnés sur le champ de bataille. Parce que la formation en médecine tactique est inexistante. Un rapport conjoint de Mediazona et de la BBC confirme : les blessés russes survivent rarement. Ils sont laissés derrière. Ils meurent d’hémorragie. Ils meurent d’infection. Ils meurent parce que personne ne vient les chercher. C’est un carnage différent. Pas juste des soldats qui tombent au combat. Des soldats qui agonisent lentement, abandonnés par leur propre armée, dans la boue glacée de l’Ukraine.
Le ratio un virgule trois me hante. Il révèle quelque chose de profond sur la nature de cette armée russe. Elle ne valorise pas la vie de ses propres soldats. Elle les considère comme jetables. Remplaçables. C’est une mentalité héritée des pires moments staliniens. Pas un pas en arrière. Avancez ou mourez. Et tant pis pour ceux qui tombent. On en trouvera d’autres. C’est inhumain. Littéralement.
Les pertes ukrainiennes : le mystère maintenu
Trente-et-un mille reconnus officiellement
L’Ukraine, elle, ne publie pas de décomptes quotidiens de ses propres pertes. Volodymyr Zelensky a confirmé en février deux mille vingt-quatre que trente-et-un mille soldats ukrainiens avaient été éliminés depuis le début de l’invasion. Trente-et-un mille. C’est énorme. C’est tragique. Mais c’est aussi beaucoup moins que les chiffres russes. Les sources occidentales estiment les pertes ukrainiennes entre soixante mille et cent mille tués, et entre deux cent cinquante mille et quatre cent mille blessés. C’est immense. C’est dévastateur pour un pays de quarante millions d’habitants. Mais c’est toujours significativement inférieur aux pertes russes. Le ratio généralement accepté? Deux soldats russes perdus pour un ukrainien. Parfois un peu moins. Parfois un peu plus. Mais en moyenne, la Russie saigne deux fois plus que l’Ukraine. Ce ratio reflète plusieurs facteurs. Les Ukrainiens défendent. Ils utilisent des positions fortifiées. Ils connaissent le terrain. Ils ont l’avantage tactique de celui qui attend. Les Russes attaquent. Ils exposent leurs soldats. Ils les lancent dans des assauts frontaux. Et ils les perdent par milliers.
Trente-et-un mille. Je pense à chaque famille ukrainienne qui a perdu quelqu’un. À chaque village qui pleure un fils. À chaque école qui manque un professeur devenu soldat. Ces chiffres ukrainiens, même s’ils sont moindres que les russes, représentent une catastrophe nationale pour Kiev. Une génération sacrifiée. Un avenir hypothéqué. Mais ils n’avaient pas le choix. On ne choisit pas d’être envahi.
Les chiffres russes : propagande ou réalité déformée?
Moscou, évidemment, conteste tout. Le ministère russe de la Défense prétend que l’Ukraine a perdu près d’un million et demi de soldats. Mille cinq cent mille. Un chiffre astronomique. Totalement invérifiable. Probablement faux. La propagande russe a toujours gonflé les pertes ukrainiennes tout en minimisant les siennes. En septembre deux mille vingt-deux, Moscou admettait officiellement cinq mille neuf cent trente-sept soldats russes éliminés. Cinq mille neuf cent. Un chiffre risible. Même à l’époque, les observateurs indépendants estimaient les pertes russes à plusieurs dizaines de milliers. Aujourd’hui, Moscou refuse de publier des chiffres. L’ambassadeur russe au Royaume-Uni, Andrey Kelin, a déclaré en juin deux mille vingt-cinq que les pertes russes n’atteignaient pas un million, mais a refusé de donner le chiffre réel. Le silence devient aveu. Quand tu ne peux pas défendre tes chiffres, tu ne les donnes pas. Quand la vérité te condamne, tu la caches. Et c’est exactement ce que fait le Kremlin.
Mediazona et BBC : le décompte indépendant qui révèle
Mais d’autres comptent. Mediazona, média russe indépendant, en collaboration avec la BBC, maintient une base de données vérifiée des soldats russes tombés. Ils utilisent des sources ouvertes. Registres de décès. Avis de décès. Réseaux sociaux. Cimetières. Au vingt-et-un novembre deux mille vingt-cinq, ils ont confirmé cent trente-quatre mille cent vingt-cinq noms. Cent trente-quatre mille. Ce sont des morts vérifiées. Avec nom. Prénom. Âge. Région d’origine. Des humains identifiés. Pas des chiffres abstraits. Mais Mediazona reconnaît ouvertement que ce nombre représente seulement une fraction du total réel. Beaucoup de morts ne sont jamais officiellement enregistrés. Les mercenaires Wagner. Les combattants des républiques séparatistes. Les soldats portés disparus dont le corps n’a jamais été retrouvé. En utilisant les données du registre des successions russes, Mediazona estime qu’entre deux cent mille et deux cent vingt mille soldats russes étaient morts d’ici mi-deux mille vingt-cinq. Et ça, c’est juste les morts. Pas les blessés. Pas les disparus. Juste les morts confirmés par des documents légaux. La réalité dépasse tout.
Les conséquences économiques et démographiques
Une génération masculine décimée
Un million de pertes. Ça ne signifie pas un million de morts. Environ un tiers à quarante pour cent sont morts. Le reste? Blessés gravement. Handicapés. Traumatisés. Mais même si on prend seulement les morts, ça représente entre trois cent mille et quatre cent mille jeunes hommes russes disparus. Une génération décimée. La Russie souffrait déjà d’une crise démographique avant la guerre. Taux de natalité bas. Population vieillissante. Et maintenant, des centaines de milliers d’hommes en âge de procréer sont morts ou handicapés. L’impact sera visible pendant des décennies. Moins de naissances. Moins de travailleurs. Moins de contribuables. Plus de veuves. Plus d’orphelins. Plus de personnes dépendant de pensions d’invalidité. Les analystes économiques estiment que le coût démographique de cette guerre pourrait atteindre plusieurs millions de personnes d’ici deux mille quarante. Pas juste les morts directs. Aussi les enfants jamais nés. Les familles jamais formées. Les vies jamais vécues.
Le recrutement : gratter le fond du tonneau
Pour compenser, la Russie recrute massivement. Cinquante à soixante mille nouveaux soldats chaque mois selon l’ambassadeur Kelin. Cinquante à soixante mille. Par mois. Comment? En offrant des salaires énormes. En ciblant les régions pauvres. En recrutant des prisonniers. En important des combattants d’Asie centrale. La machine de recrutement tourne à plein régime. Mais même à ce rythme, elle ne compense pas totalement les pertes. L’Institute for the Study of War note que les pertes mensuelles russes dépassent régulièrement les nouvelles recrues. L’armée russe se vide lentement. Elle remplace, oui. Mais avec des soldats moins bien formés. Moins expérimentés. Moins efficaces. La qualité diminue pendant que la quantité se maintient artificiellement. Et cette dégradation qualitative se paie sur le terrain. Les nouvelles recrues meurent plus vite. Elles font plus d’erreurs. Elles nécessitent plus de supervision. Le cercle vicieux s’auto-alimente.
L’économie russe sous tension extrême
Le coût économique devient insoutenable. Même pour une économie comme la Russie. Les pensions aux familles. Les indemnités aux blessés. Les salaires de combat élevés. La production militaire accélérée. Tout ça coûte des centaines de milliards de roubles. Le budget militaire russe explose. Il dépasse désormais quarante pour cent du budget fédéral total. Quarante pour cent. C’est une économie de guerre totale. Et ça crée des distorsions massives. L’inflation grimpe. Les taux d’intérêt atteignent des sommets historiques. Les secteurs civils manquent de main-d’œuvre. Les entreprises ferment faute de travailleurs. Les salaires montent. Les prix aussi. La Banque centrale russe lutte désespérément pour stabiliser l’économie. Mais c’est une bataille perdue d’avance. On ne peut pas soutenir un million de pertes militaires sans conséquences économiques catastrophiques. Les analystes occidentaux estiment que ce modèle économique atteindra son point de rupture d’ici douze à dix-huit mois. Peut-être plus tôt. Peut-être plus tard. Mais inévitablement.
Conclusion
Un million cent soixante-quatre mille trois cent quarante. Le chiffre reste là. Froid. Implacable. Accusateur. Plus d’un million de vies broyées dans cette guerre absurde. Des Russes principalement. Mais aussi des Ukrainiens. Des mercenaires. Des civils pris entre les feux. Le vingt-deux novembre deux mille vingt-cinq ne marque rien de spécial. Juste un jour de plus dans un conflit qui semble ne jamais finir. Mille cent soixante-dix hommes sont tombés hier. Mille autres tomberont aujourd’hui. Et encore mille demain. Le compteur tourne. Il s’incrémente. Il grimpe vers des sommets toujours plus vertigineux. Un million devient un million et demi. Un million et demi devient deux millions. Et personne n’arrête la machine. Poutine continue. Zelensky résiste. L’Occident regarde. Et les soldats meurent. Ils meurent dans la boue glacée. Ils meurent sous les bombardements. Ils meurent abandonnés par leurs propres camarades. Un million de fantômes. Un million de vies qui ne reviendront jamais. Un million de raisons pour lesquelles cette guerre doit finir. Mais elle ne finit pas. Elle continue. Inexorablement. Jour après jour. Mort après mort. Chiffre après chiffre.
Source : kyivindependent
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