Novembre 2025 marque un tournant dans la dynamique du conflit. La Russie, loin de ralentir son offensive, accélère et diversifie ses attaques sur un front qui s’étend de la mer d’Azov à la Biélorussie. L’ampleur de cette offensive pose une question existentielle à l’Ukraine : combien de temps peut-on tenir face à une puissance qui jette littéralement tous ses effectifs disponibles dans une bataille décisive avant que les portes diplomatiques ne se ferment? Le rapport de l’état-major ukrainien publié le 26 novembre, mise à jour à 22 heures, documente cette réalité écrasante avec froideur bureaucratique. Les combats se déroulent partout. Sumy. Kharkiv. Donetsk. Zaporizhzhia. Les cartes de la ligne de front ressemblent maintenant à un fromage suisse troué de trous de boulets. Les lignes de défense ukrainiennes ne sont plus vraiment des lignes. Ce sont plutôt des points de résistance éparpillés, des îlots de défense héroïque noyés dans une mer d’attaques russes coordonnées. Pokrovsk et Lyman émergent comme les deux principaux foyers d’intensité, les endroits où la Russie a clairement décidé de forcer la décision militaire avant la fin de l’année. Cette concentration de feu sur deux axes stratégiques n’est pas accidentelle. C’est le reflet d’une stratégie russe cohérente : créer une percée décisive qui redessinerait fondamentalement l’équilibre territorial et donc le rapport de force dans les futurs négociations. Si les Russes s’emparent de Pokrovsk, le hub logistique principal du Donbass ukrainien, c’est l’ensemble du dispositif de défense du sud-est qui devient vulnérable. Si Lyman tombe, c’est un verrou régional qui saute et les routes vers Sloviansk et Kramatorsk s’ouvrent dangereusement.
Cette offensive d’automne avancé révèle aussi une transformation tactique significative chez le commandement russe. Les jours des assauts frontaux massifs avec des centaines de chars et véhicules blindés semblent révolus. À la place, Moskva a adopté une doctrine calibrée à des infiltrations de petits groupes, à des bombes planantes guidées qui frappent de loin, à une domination aérienne totale par la quantité plutôt que par la qualité. Cette adaptation montre que les commandants russes ont compris les leçons des échecs de 2022-2023. Ils savent maintenant que les attaques massives frontales coûtent trop cher même pour une armée aussi prodigue que la russe. Ils optimisent donc la machine de mort pour gaspiller moins d’hommes tout en maximisant le terrain conquis. Ironiquement, cette approche s’avère plus efficace. Un petit groupe d’infiltrateurs causes souvent plus de dégâts qu’une division blindée, parce qu’il échappe plus facilement à la riposte et peut frapper depuis des angles inattendus. Les bombes planantes russes, ces vieilles munitions soviétiques transformées en armes de précision bon marché, infligent des ravages terribles sans jamais exposer les avions russes au danger réel. Ce cocktail mortifère de technologie basique et de tactiques subtiles s’avère démoralisante pour les défenseurs ukrainiens qui ne trouvent pas de parade efficace. La frustration est palpable dans les déclarations des commandants ukrainiens. Comment contrer quelque chose contre quoi il n’y a aucune défense vraiment adéquate?
Au cœur de cette bataille pour Pokrovsk et Lyman réside une question géopolitique brûlante : la Russie réussira-t-elle à imposer sa volonté militaire avant que les négociations, portées actuellement par l’administration Trump, ne gèlent les positions? Les diplomates américains travaillent frénétiquement pour réduire un plan de paix initial de 28 points à 19 points, tentant de trouver une base acceptable pour les deux belligérants. Pendant ce temps, Poutine accélère clairement le calendrier militaire. Il utilise ce qu’on appelle dans le jargon militaire une stratégie de fait accompli : accumuler autant de gains territoriaux que possible avant que le droit international ne gèle la situation. Chaque village capturé, chaque kilomètre gagné devient un atout politico-diplomatique. Pour Kiev, le temps joue contre elle. Plus la Russie accumule de gains, plus sa position de négociation se renforce, plus les concessions ukrainiennes deviennent probables. Les Ukrainiens savent cela intimement. C’est pour ça que chaque commander de brigade crie l’urgence, que chaque rapport militaire pulse d’une atmosphère de dernier combat, que chaque refus de reculer résonne comme une déclaration de vie ou mort. Parce que, fondamentalement, c’est exactement ce qu’il y a en jeu.
Pokrovsk sous le martyre
Pokrovsk. Le nom résonne désormais comme un synonyme de résistance impossible. Quarante-neuf assauts russes en une seule journée. Répartis sur les zones de Volodymyrivka, Fedorivka, Nykanorivka, Chervonyi Lyman, Rodynske, Novoekonomichne, Pokrovsk elle-même, Kotlyne, Udachne, Molodetske, Yalta, Dachne. Ce n’est pas une bataille singulière. C’est une succession de batailles quotidiennes qui s’enchâînent sans fin. Les Russes testent. Ils poussent. Ils trouvent les faiblesses. Ils les exploitent. Ils reviennent. Selon les rapports, le 26 novembre, 126 soldats russes ont été neutralisés ennuyment dans ce seul secteur, dont 94 considérés comme pertes irrecupérables. Quatre-vingt-quatorze jeunes hommes morts pour, au final, progresser peut-être de quelques centaines de mètres. Les défenseurs ukrainiens affirment aussi avoir détruit un véhicule, vingt drones, et frappé une position d’artillerie et dix abris ennemis. Donc oui, la défense ukrainienne des alentours de Pokrovsk fonctionne techniquement. Les Russes perdent énormément. Mais les Russes continuent de venir. C’est cela qui terrifie. C’est l’inébranlable persistance de l’assaillant face à la résistance déterminée du défenseur. L’un finira par craquer, et personne n’est vraiment sûr de qui.
Je dois avouer quelque chose. Après avoir passé des mois à suivre cette guerre, à lire les rapports, à analyser les chiffres, je commence à éprouver une sorte de fatigue mentale face à cette spirale descendante. Les 49 assauts contre Pokrovsk en un jour. Les 126 Russes tués. Les drones détruits. Ça semble presque routinier maintenant, clair? Mais ce qui me paralyse vraiment c’est la compréhension que pour les soldats ukrainiens dans les tranchées autour de Pokrovsk, ce n’est pas routinier du tout. Pour eux, c’est la fin du monde qui recommence chaque jour. Ils se réveillent sachant qu’il y aura des assauts. Ils les repoussent. Ils perdent des camarades. Puis la nuit tombe et tout recommence. Et nous, les observateurs confortables, on lit ça sur nos écrans et on passe à autre chose. Je sais que je dois garder du recul, analyser objectivement, mais c’est difficile de rester détaché quand on réalise que derrière chaque statistique il y a une vie détruite. Je me demande si les commandants russes pensent vraiment que ça va finir par payer, ce bombardement humain incessant. Ou s’ils sont juste coincés dans un processus qu’ils ne peuvent plus arrêter, envoyant des vagues humaines jusqu’à ce que quelque chose casse. Parce que quelque chose cassera finalement. Soit les Russes vont épuiser toutes leurs réserves mobiles et la vague va s’arrêter d’elle-même. Soit les Ukrainiens vont craquer mentalement et moralement face à cette pression incessante. Et honnêtement, je ne sais pas lequel arrivera en premier.
Lyman : le caldron du Donbass septentrional
Lyman. La deuxième tête de ce monstre bicéphale que l’armée russe est en train de créer. Quarante-trois attaques en une seule journée. Oui. Quarante-trois. Hrekivka, Novovodyane, Novoyehorivka, Kopanky, Serednie, Ridkodub, Karpivka, Zarichne. Et l’on continue à compter. Les noms changent mais la réalité reste identique : des vagues humaines russes cognent contre la ligne de défense ukrainienne jour après jour, nuit après nuit. L’état-major ukrainien rapporte que des combats sont toujours en cours dans 14 emplacements différents autour de Lyman au moment du rapport. Quatorze engagements qui ne sont pas encore résolus. Quatrze petites batailles qui se déroulent en parallèle, créant une situation de flou total où nul ne sait vraiment qui contrôle quoi. Cette configuration tactique avantage les Russes. Parce que les Russes disposent des réserves nécessaires pour entretenir 14 feux simultanés. Les Ukrainiens, avec leurs ressources limitées, doivent choisir où investir, où faire des sacrifices, où reculer stratégiquement. C’est une équation mathématique féroce où le côté avec plus de pions finit presque toujours par gagner, même s’il en perd beaucoup dans le processus. Selon l’analyse militaire de Kostyantyn Mashovets, commandant respecté des forces terrestres, le 26 novembre les Russes ont avancé dans le nord de Yampil et jusqu’à la rivière Siverskyi Donets, au sud de Yampil. Ces avancées ne sont que tactiques, quelques kilomètres tout au plus, mais elles représentent une consolidation des positions russes et l’établissement de nouvelles lignes de départ pour les futures opérations contre Lyman proprement dite.
Ce qui fascine et terrifie les analystes militaires, c’est l’ampleur des forces russes concentrées spécifiquement autour de Lyman. Mashovets rapporte que toute la 25e Armée interarmes russe du Commandement militaire central s’est massée dans une zone de 18 à 20 kilomètres autour de Yampil. Cette unité inclut la 67e Division motorisée, les 164e et 169e brigades motorisées, la 11e brigade de chars, plus deux à trois régiments motorisés provenant des Forces territoriales et de la Réserve de mobilisation. C’est une concentration de puissance brute impressionnante et terrifiante. La Russie n’économise pas sur cette bataille. Elle jette la totalité de l’une de ses principales unités opérationnelles contre un secteur défendu par une fraction de l’armée ukrainienne. Cette asymétrie de force explique pourquoi les Russes avancent, même lentement. C’est simple mathématique militaire. Plus de soldats, plus de chars, plus d’artillerie, plus de drones. L’équation du conflit s’écrit en nombres, pas en vertu ou en détermination. Les Ukrainiens peuvent tenir indéfiniment face aux attaques si et seulement si les ressources russes deviennent insuffisantes. Mais cette limite reste loin. Les stocks russes de personnel se sont remplies d’une nouvelle vague de mobilisés, de volontaires attirés par les énormes primes d’engagement. Les stocks de matériel soviétique se perpètent. La Russie se transforme en machine de guerre programmée pour broyer continuellement la résistance jusqu’à l’effondrement ou l’épuisement. Comment fait-on face à une telle machine? C’est la question que posent implicitement tous les rapports militaires ukrainiens.
Les tactiques russes autour de Lyman combinent plusieurs éléments qui se renforcent mutuellement. D’abord, la domination aérienne par le volume plutôt que par la sophistication. La Russie lance des dizaines de bombes guidées qui dégradent les structures de défense ukrainiennes et tuent les soldats qui se concentrent. Ensuite, l’infiltration de petits groupes qui testent les positions ukrainiennes et exploitent les faiblesses. Ces groupes agissent comme les doigts de la main d’un attaquant tâtonnant dans le noir, trouvant où presser. Finalement, quand une faiblesse est détectée, arrive l’assaut massif coordonné avec l’artillerie, les drones de soutien tactique et les réserves pour élargir la brèche. C’est un processus systématique, prévisible en théorie mais imprévisible en pratique parce que le volume de contact créé crée un brouillard total. Les défenseurs ukrainiens doivent essentiellement se battre en aveugle, sachant qu’une attaque vient mais ne sachant pas quand ni où précisément. Cette asymétrie psychologique s’ajoute à l’asymétrie matérielle et crée une situation où les Russes, même en perdant des centaines de soldats quotidiennement, gardent l’initiative strategique.
L’aviation russe sans entrave
Peut-être que l’élément le plus démoralisant de cette offensive est la quasi-complète domination aérienne russe. Quarante-et-une frappes aériennes russes le 26 novembre. Cent-trois bombes guidées lâchées sur le territoire ukrainien. Ces chiffres ne représentent même pas les pires jours. Il y a des jours où Moskva lance plus de 50 frappes aériennes et 150 bombes. L’Ukraine ne dispose pas de quoi riposter. Les Patriot, les Raptor, les rares systèmes antiaériens modernes que l’Occident a fournis sont rationées, des ressources précieuses utilisés pour défendre les villes plutôt que le front. Quelques F-16 ont enfin commencé à arriver mais en nombre si minime que leur impact reste marginal. Donc en pratique ce que vous avez c’est une armée de l’air russe qui opère sans opposition significative, piquant sur les positions ukrainiennes à volonté, tuant quand bon lui semble. Ces bombes guidées transforment de vieilles munitions soviétiques en armes précises et destructrices. Une bombe de 500 kilogrammes avec kit de guidage UMPK coûte approximativement 25 000 dollars. C’est une somme insignifiante pour un gouvernement mais suffisante pour détruire toute une position défensive ou un dépôt de munitions. Et la Russie en jette des centaines.
L’aviation russe me met en rage honnêtement. C’est la part de moi qui crie que ce n’est pas juste, que ce n’est pas équitable, que les règles du combat devraient signifier quelque chose. Mais les règles du combat n’existent que si les deux belligérants les acceptent, et Poutine clairement ne joue pas selon les conventions. Les Russes ont identifié une asymétrie, ils exploitent cette asymétrie sans remords. Les bombes guidées deviennent des biens de consommation. Lâchez-les à la pelle, quelques-unes vont probablement frapper quelque chose de valeur. C’est de la stratégie de saturation et c’est brutalement efficace. Et l’Occident, avec tout son équipement sophistiqué, avec tous ses systèmes d’armes dernier cri, se montre incapable ou non-désireux de fournir à l’Ukraine les outils pour contrer cette menace basique. Les F-16 arrivent au compte-gouttes. Les systèmes antiaériens arrivent avec des limitations politiques absurdes. Pendant ce temps, les Russes continuent de bombarder, de tuer, de détruire. Et les Ukrainiens meurent dans les tranchées sans protection aérienne significative. C’est frustrante cette situation parce qu’on sent qu’il y aurait des solutions si l’Occident simplement avait le courage politique de les mettre en œuvre. Mais non. On tape du pied diplomatiquement en demandant à la Russie de cesser ses agressions. Sérieusement. C’est ridicule. C’est pathétique. Et ça fait rage de voir une nation entière mourir lentement parce que d’autres nations préfèrent la réalpolitik à la morale.
Le coût humain qui dépasse l'entendement
Les chiffres de pertes russes oscillent officiellement entre 950 et 1 140 soldats perdus quotidiennement en 2025, selon les estimations britanniques considérées comme les plus fiables. Mais considérez ce contexte : la Russie a perdu environ 1 140 000 personnels depuis février 2022, soit l’équivalent de l’intégralité de l’armée française déployée entièrement. Et l’offensive continue. Le 26 novembre, 980 soldats russes ont été éliminés en une journée selon les rapports de l’état-major ukrainien. Mais attendez. Attendez vraiment et réalisez ce que ce chiffre signifie. Neuf-cent-quatre-vingts vies détruites en vingt-quatre heures. Des jeunes hommes. Probablement. Des conscrites recrutés avant leur temps. Des volontaires attirés par les promesses de primes généreuses. Des ex-prisonniers libérés en échange du service. Des wagnerites reconvertis. Tous morts. Tous enterrés quelque part. Tous laissant derrière eux quelqu’un qui avait l’habitude de les attendre. Cette banalisation des pertes massives est au cœur de cette guerre. Les deux côtés envoient des hommes mourir avec une régularité horrifiante. Mais du côté russe, c’est systématique, planifié, optimisé. Il y a quelque chose de particulièrement dystopique dans cette approche, une forme de calcul machiavélien où les vies humaines deviennent des unités de consommation jetables.
Du côté ukrainien, les pertes sont moins documentées mais néanmoins catastrophiques. Les estimations varient largement. L’Ukraine revendique environ 60 000 à 100 000 morts, avec plus de 400 000 blessés. D’autres analystes indépendants parlent de chiffres plus proches de 160 000 morts ou disparus sur la base des données publiquement disponibles. Peu importe le chiffre exact, on parle d’une saignée démographique continue qui affecte irrémédiablement la démographie ukrainienne pour les décennies à venir. La Russie perd proportionnellement plus mais dispose d’une population trois fois plus grande pour absorber ces pertes. L’Ukraine, elle, se vide littéralement de sa jeunesse. Chaque brigade ukrainienne qui se bat à Pokrovsk a subi des rotations multiples. Les combattants originels ont été remplacés par d’autres qui ont eux-mêmes été remplacés. Les soldats expérimentés manquent cruellement. Les nouvelles recrues arrivent souvent avec un entraînement minimal. Quelques semaines de cours intensifs plutôt que les mois autrefois standard. Cela signifie que la qualité moyenne du combattant ukrainien baisse en même temps que l’effectif baisse. C’est une double équation négative qui menace à long terme la capacité même de l’Ukraine de se défendre. À un certain point, même si la Russie perd deux fois plus d’hommes, si ces pertes ne ralentissent pas suffisamment l’offensive russe pendant que les pertes ukrainiennes épuisent complètement le vivier de jeunes hommes aptes au combat, alors la bataille mathématique devient inévitable.
Ce qui rend cette situation encore plus sombre c’est la prise de conscience progressive que ce conflit pourrait durer des années si le statu quo se maintient. Les généraux russes semblent prêts à accepter des pertes monstrueuses pour gagner lentement mais régulièrement du terrain. Les politiques ukrainiennes, de leur côté, n’ont pas vraiment d’autre choix que de continuer. Capituler serait accepter une défaite et une occupation. Alors les deux parties continuent ce processus d’attrition. Et attendre. Attendre que quelque chose casse. Attendre que la diplomatie trouve une solution. Attendre que les réserves s’épuisent. Attendre que la volonté s’effondre. Cette attente elle-même devient une forme de torture psychologique. Les soldats savent qu’ils vont peut-être mourir demain. Ils savent aussi qu’il n’y a aucune fin visible. Pas de date d’évacuation. Pas de garantie que le sacrifice signifie quelque chose. Juste la tranchée. L’attaque russe suivante. La nuit glacée. L’aube qui ramène d’autres horreurs. C’est la réalité de cette guerre en novembre 2025. Et ça n’a pas l’air de vouloir s’arrêter.
Les réserves que Moskva semble ne pas avoir
Ici réside peut-être le mystère le plus troublant de ce conflit : comment la Russie continue-t-elle à alimenter cette machine de mort? Selon les analystes militaires, la Russie a engagé pratiquement toutes ses unités de combat disponibles en Ukraine en 2025. L’armée de terre russe a environ 280 000 à 320 000 personnels engagés directement ou en soutien du théâtre ukrainien. C’est colossal. C’est aussi insoutenable. Des généraux russes confidentiellement admettent que les réserves de personnel dressés et équipés s’épuisent. Mais Moskva continue de mobiliser. Des vagues de conscription supplémentaires arrivent. Des volontaires atirés par les primes s’enrôlent. Des ex-détenus sont recrutés spécifiquement pour les assauts suicidaires. C’est comme si le Kremlin avait décidé que peu importait le coût, Pokrovsk et Lyman devaient tomber. Quelque part il y a un calcul que Poutine ou son état-major a fait. Un calcul qui dit qu’investir 350 000 pertes en 2025 pour gagner suffisamment de territoire rend la position russe inattaquable lors des négociations. Que même si la guerre dure encore cinq ans, les acquis de maintenant sont plus importants que les coûts futurs probables.
Je suis fasciné et horrifié par la capacité de la Russie à persévérer dans ce qu’on pourrait facilement qualifier d’insanité. Comment Poutine se réveille-t-il le matin et décide que d’envoyer mille jeunes hommes mourir pour gagner deux kilomètres de terrain est une bonne idée? Comment les généraux russes dorment-ils sachant les pertes quotidiennes qu’ils ordonnent? Ou peut-être qu’ils ne dorment pas. Peut-être que c’est pour ça que la stratégie devient de plus en plus désespérée, de plus en plus brutale. Parce qu’une nation complètement démente n’a plus aucune limite morale. Elle peut faire n’importe quoi. Et dans cette absence totale de limite, la Russie trouvé une sorte d’avantage stratégique. Elle n’est limitée que par les réalités matérielles. Pas par la conscience. Pas par la légalité internationale. Pas par la morale. Juste par le nombre de corps disponibles et la quantité de munitions produites. Et apparemment ces deux ressources ne sont pas encore épuisées. Du moins pas assez pour arrêter la machine. Ce qui me terrifie le plus c’est que cette folie semble fonctionner. Les territoires tombent. Les lignes reculent. Et tout le monde en Occident regarde ça en se demandant quoi faire. Parce que notre réponse conventionnelle de logique rationnelle et de persuasion diplomatique ne fonctionne pas contre quelqu’un qui s’est clairement affranchi de ces contraintes. Vous ne pouvez pas raisonner avec quelqu’un qui a décidé d’être déraisonnable.
L'hiver qui vient et la course contre le temps
L’hiver arrive en Ukraine. Pas seulement comme phénomène météorologique mais comme une force géopolitique qui redéfinira la dynamique du conflit. Les températures chutent. Le terrain devient plus difficile. Les conditions de combat se dégradent. Mais pour la Russie, l’hiver représente une fenêtre d’opportunité parce que les routes gelées deviennent praticables pour l’équipement lourd et parce que les brouillards épais perturbent les opérations de drones ukrainiens. Et évidemment, parce que la Russie s’est clairement engagée dans une campagne de frappes systématiques contre l’infrastructure énergétique ukrainienne, cherchant à transformer les hivers en cauchemar pour la population civile et pour les troupes. Frappant les centrales électriques. Visant les transformateurs. Détruisant les réseaux de chauffage. L’objectif n’est pas tant militaire que psychologique et humanitaire. Créer une crise de l’énergie qui forcerait la population ukrainienne à mettre une pression politique intolérable sur le gouvernement pour qu’il capitule ou accepte des conditions de paix défavorables. Cette approche hybride de la guerre, combinant l’assaut militaire direct avec l’attaque délibérée de l’infrastructure civile, définit le conflit moderne. Ce n’est plus simplement soldats contre soldats. C’est économie contre économie, population contre population, volonté de résistance contre volonté de destruction. Et honnêtement, la Russie semble mieux équipée psychologiquement et matérielement pour cette forme de guerre.
Le calendrier politique international ajoute une couche supplémentaire d’urgence. Les négociations de paix menées par l’administration Trump avancent, du moins sur le papier. Le plan initial de 28 points a été réduit à 19 points. Des délégations se rencontrent à Genève. Des discussions à distance continuent. Mais chaque jour qui passe sans accord est un jour où la Russie continue de gagner du terrain militaire. Et du terrain militaire gagné aujourd’hui devient une position négociée demain. C’est pour ça que Poutine appuie sur le champignon. Il sait que si un accord intervient demain, les positions actuelles seront gelées dans le traité. Donc chaque avance, même minuscule, compte. Les Ukrainiens comprennent aussi cette dynamique. Mais ils manquent de capacité à répondre à une offensive de cette ampleur. Les stocks de munitions s’épuisent. Le matériel est usé. Les soldats sont épuisés. Et l’aide occidentale, bien que continue, reste insuffisante pour compenser pleinement les pertes et soutenir une contre-offensive capable de renverser les avancées russes. Donc on se retrouve dans cette situation de paralysie active où la Russie peut continuer d’avancer lentement pendant que l’Ukraine ne peut que tenir et attendre. C’est une course dont le résultat dépend de facteurs extérieurs, de négociations, de calculs politiques. Pas simplement de la capacité militaire du terrain.
Pour les défenseurs ukrainiens de Pokrovsk et Lyman, l’hiver signifie qu’ils devront tenir dans des conditions exponentiellement plus difficiles. Les lignes de ravitaillement deviennent plus précaires. Les routes se transforment en boue puis en glace. Les abris hivernaux adéquats manquent cruellement. Les soldats devront combattre avec les pieds mouillés, le froid qui s’infiltre, les maladies respiratoires qui se propagent comme la peste dans les tranchées surpeuplées. Et pendant ce temps, les Russes continueront de cogner. La Russie a l’expérience de la guerre d’hiver. Son armée a survécu à des hivers bien pires. Elle sait comment se battre quand les températures chutent bien en dessous de zéro. Les Ukrainiens aussi bien sûr. Ce n’est pas comme si Kyiv n’avait jamais connu l’hiver avant. Mais c’est différent quand vous êtes dans une tranchée gelée sans renforts adéquats, sans munitions suffisantes, sans perspective réaliste de victoire. C’est différent quand vous savez que personne ne vient vous relever, que vous devrez peut-être rester là jusqu’au printemps. Et ce différence, c’est la différence entre la capacité de combattre et la volonté psychologique de continuer. Et c’est sur ce terrain psychologique que les plus grandes pertes pourraient être subies.
Les couts cachés et la rébellion qui couve
Quelque part en Russie, dans les petites villes et les régions rurales qui ont fourni le gros des nouvelles recrues, une forme de malaise commence à émerger. Les organisations de défense des droits humains rapportent des protestations croissantes des familles dont les fils ont été mobilisés. Les femmes qui attendent que leurs maris reviennent. Les enfants qui ne connaissent pas leurs pères. Les villages qui se vident de leurs jeunes hommes. Officiellement, les chiffres économiques russes restent impressionants. L’économie russe a crû de 3,6% en 2024 et devrait croître de 2 à 3% en 2025 selon les analystes. Mais ces chiffres cachent une réalité économique plus sinistre. La Russie a restructuré son économie pour la guerre. Le budget militaire pour 2025 a atteint 7,2% du PIB. C’est colossal. C’est aussi insoutenable à long terme sans croissance économique significative ou sans la fin de la guerre. Des secteurs civils cruciaux manquent de ressources. L’infrastructure se dégrade. Les technologies se retardent. Quelque chose doit craquer. Et pour un régime autoritaire comme celui de Poutine, un craquement économique signifie généralement un craquement politique. Parce que la dure réalité du pouvoir autoritaire est que la stabilité repose entièrement sur la capacité à maintenir le statu quo par la force. Quand les ressources pour maintenir cette force diminuent, tout le système devient fragile.
Je ne suis pas naïf. Je sais que les analogies historiques entre la Russie actuelle et l’Union soviétique en déclin ne sont jamais parfaites. Je sais que Poutine n’est pas Gorbatchev et que les circonstances actuelles diffèrent du contexte de fin de Guerre froide. Mais il y a quelque chose dans l’approche russe actuelle qui rappelle la rigidité de l’appareil soviétique. Cette incapacité à reculer, cette persistance dans l’erreur parce que reculer serait admettre que l’erreur originale était erreur. Cette canalisation de toutes les ressources vers un objectif militaire singulier au détriment de tout le reste. C’est un modèle qu’on a vu échouer avant. Et pourtant je ne peux pas dire que ça va certainement échouer cette fois-ci. Parce que les Russes ont peut-être appris les leçons du déclin soviétique. Peut-être qu’ils ne vont pas se laisser s’effondrer tranquillement comme l’URSS. Peut-être qu’ils vont continuer à se battre jusqu’au bout, jusqu’à ce que le système lui-même ne peut littéralement plus fonctionner. Et si ça se produit, si la Russie continue à verser des ressources dans ce conflit jusqu’à l’épuisement total, alors l’Ukraine subit aussi les conséquences. Parce que même si la Russie s’effondre finalement, l’Ukraine n’a probablement pas d’une meilleure position. Elle aussi sera épuisée. Aussi détruite. Aussi traumatisée. Ce qui m’effraie c’est qu’il n’y a possiblement pas d’issue gagnante pour l’Ukraine. Il n’y a peut-être que différentes variantes de défaite. Et cette pensée me paralyse.
Conclusion : la dernière ligne de défense
Le 26 novembre 2025 restera probablement dans les livres d’histoire comme l’un des jours les plus violents du conflit ukrainien. Cent quarante-quatre affrontements majeurs. Quarante-neuf assauts contre Pokrovsk. Quarante-trois contre Lyman. Des milliers de drones. Des centaines de bombes guidées. Des milliers d’obus d’artillerie. Et au-delà de ces chiffres, il y a la réalité crue des soldats qui se battent pour survivre, pour tenir les lignes, pour empêcher l’effondrement catégorique que tout le monde peut voir approcher à l’horizon. Pokrovsk et Lyman ne sont pas juste deux villes. Ce sont des symboles. Elles représentent la dernière ligne de défense cohérente avant que le Donbass ne bascule entièrement aux mains de la Russie. Si elles tombent, tout ce qui restait de l’architecture défensive ukrainienne s’effondre en effet domino. Sloviansk. Kramatorsk. Dnipropetrovsk. Tout devient soudainement beaucoup plus vulnerable. Poutine le sait. Trump le sait. Zelensky le sait. Voilà pourquoi la bataille pour Pokrovsk et Lyman n’est pas juste militaire. C’est géopolitique. C’est diplomatique. C’est existentiel. C’est tout à la fois.
L’Occident observe. Parfois stupéfait. Parfois indifférent. Parfois cyniquement satisfait de voir la Russie se ruiner elle-même en perdant 350 000 soldats en 2025. Mais cette indifférence cache une complaisance dangereuse. Parce que si la Russie parvient à s’emparer de l’ensemble du Donbass malgré ces pertes massives, elle aura démontré quelque chose d’important au monde autoritaire. Elle aura démontré que l’invasion fonctionne. Que l’Occident ne défend pas ses alliés assez agressivement pour arrêter vraiment l’expansionnisme. Que l’économie de marché et les démocraties libérales n’ont pas la volonté de soutenir un conflit prolongé contre un régime autoritaire qui accepte sans hésitation les sacrifices colossaux. Ce message se propagerait. La Chine regarde. L’Iran regarde. Tous les régimes révisionnistes du monde regarde comment cette histoire se termine. Et probablement tous tirent des conclusions qui renforceront leur agressivité future. C’est pour ça que les enjeux vont bien au-delà de l’Ukraine. C’est pour ça que l’issue de la bataille de Pokrovsk et Lyman déterminera probablement le cadre géopolitique du prochain quart de siècle. Ce n’est pas du mélodramatisme. C’est une analyse froide des conséquences stratégiques en cascade de ce qui se joue maintenant sur ce champ de bataille gelé du Donbass. Et personne n’a de réponse satisfaisante à la question de comment tout ça finit.
Source : ukrinform