Skip to content
Chronique : Quand l’Ukraine pulvérise une des deux machines les plus secrètes de Moscou
Crédit: Adobe Stock

Une destruction aux proportions catastrophiques : l’intro qui change la donne


J’ai dû relire plusieurs fois avant de comprendre. Un A-60. Pas un chasseur ordinaire. Pas un transport banalisé. UN A-60. L’une des deux prototypes d’avion-laboratoire laser qui auraient coûté à la Russie des décennies de recherche, des centaines de millions de dollars, peutêtre plus. Et là, écran tremblant, vidéos de drone montrant les flammes, les explosions, l’engin qui s’écroule. Mon premier sentiment a été une sorte d’incrédulité. Comment? Comment l’Ukraine parvient-elle à frapper si profondément, si précisément, dans une zone que Moscou croyait sanctuarisée? Et puis j’ai compris. Pas compris intellectuellement. Ressenti. La Russie avait construit un mythe autour de certaines armes. L’A-60 faisait partie de ce mythe : invincible, classifié, futuriste, doté de pouvoirs quasi magiques. Or ce mythe vient de voler en éclats sur le béton de Taganrog.

La nuit du 25 novembre 2025. Taganrog. Rostov Oblast. Feu. Explosion. Puis l’annonce qui secoue le monde militaire : l’Ukraine affirme avoir détruit l’A-60, une machine qui ne devait jamais tomber. Robert Madyar Brovdi, commandeur des forces de drones ukrainiennes, publie une image satellite. Deux impacts majeurs. Deux aéronefs russes de valeur immesurable oblitérés en quelques secondes. Le premier : un Ilyushin Il-76, gros porteur de transport. Banal. Remplaçable. Le second : le A-60, une merveille expérimentale construite à partir d’un Il-76 mais transformée de fond en comble. Un nez bulbeux remplace la tourelle ordinaire. Le dos de l’avion s’ouvre sur un dôme rétractable dissimulant un système laser de mégawatts. Pas un système anti-tank ordinaire. Pas une arme classique. Non. Un générateur laser dont la puissance approcherait le mégawatt, alimenté par des génératrices de 2,1 mégawatts. Deux cabines seulement existaient. Deux. Et l’une vient de brûler. Le coût estimé : entre cent cinquante et quatre cent quatre-vingt millions de dollars. Quatre décennies de développement. Volatilisées. Parti en fumée sur les photos de drone.

La machine secrète : quand les Soviets rêvaient d’une arme d’apocalypse

Comprendre l’A-60, c’est plonger dans le mythe et la réalité enchevêtrés du complexe militaro-industriel soviétique. Années quatre-vingts. Guerre froide. Moscou imagine une arme futuriste : détruire les satellites de reconnaissance ennemis depuis le ciel. Pas par impact physique. Par laser. Par brûlure optique. Par l’annihilation programmée des capteurs ennemis. L’idée naît. Les Russes conçoivent un programme secret nommé Sokol-Eshelon. Ils prennent un Il-76MD standard. Ils en arrachent le nez. Ils y engagent un dôme spécialisé contenant des miroirs, des lentilles, des systèmes de ciblage. À l’intérieur du fuselage, ils placent deux générateurs titanesques. Le résultat : l’A-60. Un avion de labo. Un engin qui n’a jamais eu vocation à combattre. Juste à tester. À expérimenter. À prouver qu’une arme laser aéroportée était techniquement possible. Pendant deux décennies, le A-60 reste stationné à Taganrog. Deux décennies. Sans être utilisé. Sans être déployé au combat. Juste rangé. Protégé. Classifié. Car la Russie, sait aussi que montrer cette arme, c’est avouer une faiblesse technologique : elle n’existe qu’à l’état de rêve.

Le bombardement précis : quand Kyiv vise le cœur du mystère russe


Ce qui me paralyse, c’est la précision. Cible identifiée. Localisation confirmée. Puis attaque nocturne. Dans l’obscurité, des appareils sans pilote volent pendant des heures. Ils franchissent la défense aérienne russe. Ils arrivent au-dessus de Taganrog. Ils frappent. Et ils frappent juste. Pas vague. Pas approximatif. Juste. L’A-60 brûle. L’Il-76 brûle. Les bâtiments alentours brûlent. Mais c’est clairement le A-60 qui était la cible. Pas un dégât collatéral. La vraie proie. Et j’ai dû m’arrêter là, longtemps, à réfléchir sur ce que ça signifie. Qu’est-ce qui vous permet de frapper ainsi? Quel renseignement? Quelle intelligence? Quel timing? C’est pas du luck. C’est de la science et de l’art militaire combinés.

Les images de drone partagées par Dnipro OSINT montrent l’ampleur de la frappe. Taganrog, c’est la Beriev Aviation Scientific and Technical Complex, usine et centre de recherche où Moscou construisait et testait ses engins les plus secrets. C’est aussi un atelier de réparation pour les A-50, ces avions de commandement et de renseignement qu’Ukraine a déjà détruit sept fois depuis le début de la guerre. Donc l’objectif que l’Ukraine cible n’est pas marginal. C’est un élément crucial du renseignement militaire russe. Et l’A-60, entreposé là depuis des années, était guetté. Ukrainiens et autres acteurs occientaux avaient probablement localisé sa position depuis longtemps. Attendaient simplement l’opportunité. La nuit du 25 novembre, l’opportunité arrive. Drones et missiles Neptune sont dépêchés. Ils volent vers le sud-ouest. Franchissent des lignes de défense anti-aérienne dont la concentration est supposée impenetrable. Et puis : impact. Les explosions se succèdent. Les vidéos téléchargées montrent littéralement les flammes jaillissant du tarmac. Un bruit de réacteur, peut-être en dernier sursaut du A-60, résonne dans les enregistrements. Puis, fin.

Un coût stratégique inimaginable pour Moscou

Qu’a-t-on détruit exactement? Estimations russes : entre cent cinquante et quatre cent quatre-vingts millions de dollars pour l’A-60 seul. Plus le Il-76, valeur quinze à cinquante millions. Plus l’atelier de réparation, valeur incalculable. Mais le vrai coût, c’est ailleurs. C’est la perte d’un projet de recherche qui n’avait aucun équivalent. Deux prototypes seulement dans le monde. Aucun n’est operationnel. Celui qui brûle à Taganrog représentait potentiellement des années de développement supplémentaires. Car même si le projet est secret, même si les Russes maintiennent un silence médiatique total, la perte est connue. Elle est mesurable. Elle modifie le calcul stratégique. Moscou voulait montrer que l’Union Soviétique, malgré son effondrement, conservait des capacités technologiques futuristes. Que les lasers surpuissants n’étaient pas du domaine de la fiction. Or voilà : la preuve tangible brûle sous le ciel de Taganrog.

La chaîne logistique détruite : quand chaque atelier devient une cible


Je relie les points, maintenant. C’est pas une attaque isolée. C’est une campagne. Juillet 2024, Kyiv frappe Taganrog. Février 2025, ré-attaque. Août 2025, ré-attaque. Novembre 2025, destruction confirmée du A-60. C’est de la persistance. C’est de l’obsession méthodique. Chaque coup, l’Ukraine en apprend un peu plus sur les défenses russes, sur les schémas de protection, sur les modes opératoires. Et puis finalement, une nuit, tout s’aligne. La défense fléchit un instant. Les drones passent. L’atelier brûle. Ce pattern, c’est peut-être la leçon militaire de ce conflit : on ne gagne pas par le combat frontal massif. On gagne par l’accumulation de coups précis, bien placés, bien coordinés, jusqu’au point où l’ennemi s’effondre d’épuisement.

Ce qui me fascine aussi, c’est la portée de cette attaque. Taganrog n’est pas une cible militaire classique. C’est une infrastructure industrielle civile. Certes, elle fabrique des armes. Certes, elle réparait des avions militaires. Mais elle n’est pas une base aérienne fortifiée. Elle n’est pas un bunker souterrain. C’est une usine. Avec des travailleurs. Avec une vie civile adjacente. Et pourtant, l’Ukraine la frappe. Ostentatiblement. Publiquement. Réclamant le droit de frapper les installations de production d’armements russes, peu importe leur localisation. C’est une escalade légale, juridique, mais aussi morale. Qu’est-ce qui distingue un atelier de construction d’avions militaires d’une usine de chars? Rien. Et voilà pourquoi Ukraine ne s’arrête pas. Pourquoi elle continue à frapper profondément. Pourquoi elle accepte les risques diplomatiques. Car chaque usine qui brûle, c’est autant d’armes que la Russie ne produira pas. Chaque mois gagné est potentiellement un mois où l’Ukraine peut se regrouper, se réarmer.

La défense aérienne russe en question : pourquoi Taganrog n’était pas imprenable

Moscou a clamé avoir abattu deux cent cinquante-neuf drones dans la nuit du 25 novembre. Dont seize sur la région de Rostov. Deux cent cinquante-neuf. C’est un énorme chiffre. Ça ressemble à une victoire defensive. Sauf qu’il y a une seule logique : si vous abattez deux cent cinquante-neuf drones mais que même les deux qui passent suffisent à détruire une arme secrète valant quatre cent millions de dollars, alors le calcul change. L’attaquant paie le prix en matériel jetable : drones bon marché. Le défenseur paie en équipements stratégiques de valeur inestimable. C’est une asymétrie mortelle. Et Moscou le sait. C’est pourquoi la Russie crie victoire tout en hurlant de douleur silencieusement. C’est pourquoi les Russes minentalisent : « Oh, quelques dégâts matériels ». Mais ils savent. Chacun sait.

Les répercussions globales : quand l’innovation militaire devient vulnérable


J’ai passé des heures à cogiter sur ce que cette attaque implique pour le reste du monde. Les Chinois regardent. Les Iraniens regardent. Les Coréens regardent. Tous voient : même les projets secrets, même les bases prétendument impretrables, même les technologies futuristes peuvent brûler. Et si l’Ukraine peut frapper Taganrog, qu’est-ce qui empêcherait Taïwan de frapper une usine militaire côtière chinoise? Qu’est-ce qui empêcherait l’Iran de viser un site nucléaire israélien? Qu’est-ce qui empêcherait la Corée du Nord de… oh. L’équilibre de la terreur, il vient de s’écrouler. Pas complètement. Juste fissurer.

Le A-60 n’était jamais censé brûler. Il n’était jamais censé être touché. Il était supposé rester un atout stratégique dont personne ne connaissait l’existence. Un secret. Une réserve. Un symbole du pouvoir technologique russe. Or le voilà consumé par les flammes d’une frappe de drone. Pour le reste du monde, c’est le message suivant : les installations militaires lointaines ne sont plus sanctuarisées. Les avions stationnés au sol ne sont plus invulnérables. Les projets secrets ne sont jamais entièrement secrets. L’Ukraine a pulvérisé cette illusion. Et chaque puissance militaire sur Terre en prend note. Cela forcera une recalibration. Cela forcera la Chine à repenser ses stratégies côtières. Cela forcera les États-Unis à redéfinir leurs zones de sécurité. Ce qui ressemble à une seule attaque contre un avion laser est en réalité un tremblement de terre stratégique global.

L’ingénierie soviétique qui ne survivra pas à l’ingénierie ukrainienne

Le A-60 était une merveille. Les mégawatts de puissance. La portée de quarante kilomètres. Le système de ciblage sophistiqué. Les générateurs massifs. Le tout assemblé dans un chassis qui n’a jamais été conçu pour supporter ce genre de charge. C’était un compromis. Une adaptation. Un bricolage de génie. Voilà la beauté cachée du projet russe : c’était un chef-d’œuvre de l’improvisation soviétique. Ingenieurs qui redoublent d’ingéniosité pour faire rentrer dix kilos de technologie dans un sac de cinq. Et puis soudain, arrive une tête chercheuse ukrainienne. Pas si différente, techniquement. Peut-être même moins sophistiquée. Mais elle arrive exactement au bon endroit, au bon moment, avec la bonne vitesse. Et poof. Le compromis devient cendre. L’improvisation devient débris. C’est à peu près la tragédie de la Russie en ce moment : posséder des technologies avancées mais être incapable de les exploiter, de les déployer, de les protéger.

Conclusion : quand les mythes militaires s’effondrent en cendres


En refermant mes notes, je pense à une chose étrange. Quelque part dans Moscou, un officier militaire, peut-être même à la Défense, découvre que le A-60 est parti. Il y a une réunion. Il y a du silence. Car qu’est-ce qu’on dit? Que l’ennemi a frappé trop loin? Que les défenses ont failli? Que le projet était un gâchis d’argent? Ou qu’on n’admet jamais la perte, qu’on continue à faire semblant que tout va bien? Je parie sur la troisième option. La Russie niera. Dira que le drone a manqué. Que le A-60 n’était jamais là. Que les images sont fausses. Et pourtant, au-delà des dénégations, la réalité reste : une machine qui prétendait révolutionner la guerre a été réduite en cendres par une arme que Moscou méprisait quand elle était simple bricolage ukrainien.

Le A-60 n’existe plus. Cette simple réalité inverse tout. Les Russes avaient un atout psychologique : la promesse d’une technologie supérieure, d’une arme si avancée qu’elle changerait les règles. L’Ukraine vient de montrer que cette promesse n’était que du vent. Qu’aucune technologie, si sophistiquée soit-elle, ne peut survivre si elle reste stationnée au sol face à un ennemi qui refuse de respecter les règles conventionnelles du conflit. Il n’y a plus de zones sûres. Il n’y a plus d’arrière impenetrable. Il n’y a que la volonté de frapper, de détruire, de persévérer. Et la nuit du 25 novembre, cette volonté s’est exprimée sous forme de flammes qui ont consumé le dernier rêve laser de Moscou. C’est peut-être la meilleure illustration de la guerre moderne : pas de grand combat. Juste une attrition lente, méthodique, impitoyable, jusqu’à ce que les rêves de l’agresseur se transforment en cendre.

Chronique : Quand l’Ukraine pulvérise une des deux machines les plus secrètes de Moscou

Source : kyivindependent

facebook icon twitter icon linkedin icon
Copié!
Plus de contenu